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BIBLIOTHEQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIÉE sons LA DIRECTION
DE M. ÉM. ALGLAVE
XLIII
BIBLIOTHEQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONALE
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DE M. ÉM. ALGLAVE
Volumes in-8°, reliés en tdile anglaise. — Prix : 6 fr.
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G. Pouchet. La vie du sang, avec figures.
Angot. La météorologie.
©
ORIGINE
DES
PLANTES CULTIVÉES
l'A H
Alph. de CANDOLLE
Associé étranger de rAcadémîe des sciences de l'Institut de France.
Membre étranger des sociétés royales de Londres, Edimbourg et Dublin,
des Académies de Saint-Pétersbourg, Stockholm, Berlin, Munich.
Bruxelles, Copenhague, Amsterdam, Rome, Turin,
Madrid, Boston, etc.
PARIS
LIBRAIRIE GERMER BÂILLIÈRE ET G
108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108
1883
Tous droits réservés.
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OHT 311883
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HARVARD
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MAY 31 <«"'»
PRÉFACE
La question de l'origine des plantes cultivées intéresse les
agriculteurs, les botanistes et même les historiens ou les philo-
sophes qui s*ôccupent des commencements de la civilisation.
JëJ!ai traitée jadis dans un chapitre de ma Géographie hota-
tique raisonnée; mais cet ouvrage est devenu rare, et d'ailleurs
des faits importants ont été découverts, depuis 1855, par les
voyageurs, les botanistes et les archéologues. Au lieu de faire
une seconde édition de mon travail, j'en ai rédigé un autre,
complètement nouveau et plus étendu. Il traite de l'origine
d'un nombre presque double d'espèces des pays tropicaux ou
des régions tempérées. C'est à peu près la totalité des plantes
que Ton cultive, soit en grand, pour des emplois économiques,
soit fréquemment, dans les jardins fruitiers ou potagers.
Mon but a été surtout de chercher l'état et l'habitation de
chaque espèce avant sa mise en culture. Il a fallu pour cela
distinguer, parmi les innombrables variétés, celle qu'on peut
estimer la plus ancienne, et voir de quelle région du globe elle
est sortie. Le problème est plus difficile qu'on ne pourrait le
croire. Dans le siècle dernier, et jusqu'au milieu de celui-ci,
les auteurs s'en occupaient bien peu, et les plus habiles ont
contribué à répandre des idées fausses. Je crois vraiment que
les trois quarts des indications de Linné sur la patrie des plantes
cultivées sont ou incomplètes ou erronées. On a répété ensuite
ses assertions, et, malgré ce que les modernes ont constaté
pour plusieurs espèces, on les répète encore dans des jour-
naux et des ouvrages populaires. Il est temps de corriger des
erreurs qui remontent quelquefois jusqu'aux Grecs et aux Ro-
mains. L'état actuel de la science le permet, à condition de
s'appuyer sur des documents variés, dont plusieurs tout à fait
récents ou même inédits, et de les discuter, comme cela se
pratique dans les recherches historiques. C'est un de ces cas,
assez rares, dans lesquels les sciences d'observation doivent
se servir de preuves testimoniales. On verra qu'elles condui-
sent à de bons résultats, puisque j'ai pu déterminer l'origine de
presque toutes les espèces, tantôt d'une manière certaine et
tantôt avec un degré de probabilité satisfaisant.
VIII PRÉFACE
Je me suis efforcé en outre de constater depuis combien de
siècles ou de milliers d'années chaque espèce a été cultivée et
comment la culture s'en est répandue dans différentes direc-
tions, à des époques successives.
Pour quelques plantes cultivées depuis plus de deux mille ans,
et même pour d'autres, il arrive qu'on ne connaît pas aujour-
d'hui l'état spontané, c'est-à-dire sauvage, ou bien que cette
condition n'est pas assez démontrée. Les questions de ce genre
sont délicates. Elles exigent — comme la distinction des es-
pèces — beaucoup de recherches dans les livres et les her-
biers. J'ai même été obligé de recourir à l'obligeance de quel-
ques voyageurs ou botanistes dispersés dans toutes les parties
du monde, pour obtenir des renseignements nouveaux. Je les
donnerai à l'occasion de chaque espèce, avec l'expression de
ma sincère reconnaissance.
Malgré ces documents et en dépit de toutes mes recherches,
il existe encore plusieurs espèces qu'on ne connaît pas à l'état
spontané. Lorsqu'elles sont sorties de régions peu ou point
explorées par les botanistes, ou quand elles appartiennent à
des catégories de plantes mal étudiées jusqu'à présent, on
peut espérer qu'un jour l'état indigène sera découvert et suffi-
samment constaté. Mais cette espérance n'est pas fondée quand
il s'agit d'espèces et de pays bien connus. On est conduit alors
à deux hypothèses : ou ces plantes ont changé de forme dans
la nature comme dans la culture, depuis l'époque historique,
de telle manière qu'on ne les reconnaît plus pour appartenir à
la même espèce; — ou ce sont des espèces éteintes. La lentille,
le Pois chiche n'existent probablement plus dans la nature,
et d'autres espèces, comme le Froment, le Maïs, la Fève, le
Carthame, trouvées sauvages très rarement, paraissent en voie
d'extinction. Le nombre des plantes cultivées dont je me suis
occupé étant de 249, le chiffre de trois, quatre ou cinq espèces
éteintes ou près de s'éteindre serait une proportion considé-
rable, répondant à un millier d'espèces pour l'ensemble des
végétaux phanérogames. Cette déperdition de formes aurait
eu lieu pendant la courte période de quelques centaines de
siècles, sur des continents où elles pouvaient cependant se
répandre et au milieu de circonstances qu'on a l'habitude de
considérer comme stables. On voit ici de quelle manière l'his-
toire des plantes cultivées se rattache aux questions les plus
importantes de l'histoire générale des êtres organisés.
Genève, !•' septembre 1882.
ORIGINE
DES PLANTES CULTIVÉES
PREMIÈRE PARTIE
NOTIONS PRÉUHINAIRES ET MÉTHODES EMPLOYÉES
CHAPITRE PREMIER
DE QUELLE MANIÈRE ET A QUELLES ÉPOQUES LA CULTURE
A COMMENCÉ DANS DIVERS PAYS
Les traditions des anciens peuples, embellies par les poètes,
ont attribué communément les premiers pas dans la voie de
l'agriculture, et l'introduction de plantes utiles à quelque divinité
ou tout au moins à quelque grand empereur ou Inca. On trouve
en réfléchissant que ce n'est guère probable, et l'observation
des essais d'agriculture chez les sauvages de notre époque mon-
tre que les faits se passent tout autrement.
En général, dans les progrès qui amènent la civilisation, les
commencements sont faibles, obscurs et limités. Il y a des
motifs pour que cela soit ainsi dans les débuts agricoles ou
horticoles. Entre l'usage de récolter des fruits, des graines ou
des racines dans la campagne et celui de cultiver régulière-
ment les végétaux qui donnent ces produits, il y a plusieurs
degrés. Une famille peut jeter des graines autour de sa demeure
et l'année suivante se pourvoir du même produit dans la forêt.
Certains arbres fruitiers peuvent exister autour d'une habitation
sans que l'on sache s'ils ont été plantés ou si la hutte a été
construite à côté d'eux pour en profiter. Les guerres et la
chasse interrompent souvent les essais de culture. Les rivalités et
les défiances font que d'une tribu à l'autre l'imitation marche
lentement. Si quelque grand personnage ordonne de cultiver
une plante et institue quelque cérémonie pour en montrer
l'utilité, c'est probablement que des hommes obscurs et in-
De Gandolle. 1
2 NOTIONS PRÉLIMINAIRES
connus en ont parlé précédemment et que des expériences déjà
faites ont réussi. Avant de semblables manifestations, propres à
frapper un public déjà nombreux, il doit s'être écoulé un temps
plus ou moins long de tentatives locales et éphémères. Il a fallu
des causes déterminantes pour susciter ces tentatives, les renou-
veler et les faire réussir. Nous pouvons facilement les comprendre.
La première est d'avoir à sa portée telle ou telle plante
offrant certains des avantages que tous les hommes recherchent.
Les sauvages les plus arriérés connaissent les plantes de leur
pays ; mais l'exemple des Australiens et des Patagoniens montre
que s'ils ne les jugent pas productives et faciles à élever, ils
n'ont pas l'idée de les mettre en culture. D'autres conditions
sont assez évidentes : un climat pas trop rigoureux; dans les
pays chauds, des sécheresses pas trop prolongées; quelque
degré de sécurité et de fixité; enfin une nécessité pressante,
résultant du défaut de ressources dans la pèche, la chasse ou
le produit de végétaux indigènes à fruits très nourrissants, .
comme le châtaignier, le dattier, le bananier ou l'arbre à pain.
Quand les hommes peuvent vivre sans travailler, c'est ce qu'ils
préfèrent. D'ailleurs l'élément aléatoire de la chasse et de la pêche
tente les hommes primitifs — et même quelques civilisés — plus
que les rudes et réguliers travaux de l'agriculture.
Je reviens aux espèces que les sauvages peuvent être disposés
à cultiver. Ils les trouvent quelquefois dans leur pays, mais
souvent ils les reçoivent de peuples voisins, plus favorisés qu'eux
par les conditions naturelles, ou déjà entrés dans une civilisa-
tion quelconque. Lorsqu'un peuple n'est pas cantonné dans une
île ou dans quelque localité difficilement accessible, il reçoit
vite certaines plantes, découvertes ailleurs, dont l'avantage est
évident, et cela le détourne de la culture d'espèces médiocres
de son pays. L'histoire nous montre que le blé, le maïs, la
batate, plusieurs espèces de genre Panicura, le tabac et autres
plantes, — surtout annuelles, — se sont répandus rapidement,
avant l'époque historique. Ces bonnes espèces ont combattu et
arrêté les essais timides qu'on a pu faire çà et là de plantes
moins productives ou moins agréables. De nos jours encore, ne
voyons-nous pas, dans divers pays, le froment remplacer le
seigle, le maïs être préféré au sarrasin, et beaucoup de millets,
de légumes ou de plantes économiques tomber en discrédîl parce
que d'autres espèces, venues de loin quelquefois, présentent
plus d'avantage. La disproportion de valeur est pourtant moins
grande entre des plantes déjà cultivées et améliorées qu'elle ne
l'était jadis entre des plantes cultivées et d'autres complètement
sauvages. La sélection — ce grand facteur que Darwin a eu
le mérite d'introduire si heureusement dans la science — joue
ua-rûlûJiJiportant une fois l'agriculture établie ; mais à toute
époque, et surTout dans les commencements, le choix des espèces
a plus d'importance que la sélection des variétés.
COMMENCEMENT DES CULTURES 3
Les causes variées qui favorisent ou contrarient les débuts de
l'agriculture expliquent bien pourquoi certaines régions se trou-
vent, depuis des milliers d'années, peuplées de cultivateurs,
tandis que d'autres sont habitées encore par des tribus errantes.
Evidemment, le riz et plusieurs légumineuses dans TAsie méri-
dionale, Torge et le blé en Mésopotamie et en Egypte, plusieurs
Panicées en Afrique, le maïs, la pomme de terre, la batate et le
manioc en Amérique ont été promptement et facilement cul-
tivés, grâce à leurs qualités évidentes et à des circonstances
favorables de climat. Il s'est formé ainsi des centres d'où les
•espèces les plus utiles se sont répandues. Dans le nord de l'Asie,
de l'Europe et de l'Amérique, la température est défavorable et
les plantes indigènes sont peu productives; mais comme la
chasse et la pêche y présentaient des ressources, l'agriculture a
dû s'introduire tard, et l'on a pu se passer des bonnes espèces
•du midi sans souffrir beaucoup. Il en était autrement pour l'Aus-
tralie, la Patagonie et même l'Afrique australe. Dans ces pays,
les plantes des régions tempérées de notre hémisphère ne pou-
vaient pas arriver à cause de la distance, et celles de la zone
intertropicale étaient exclues par la grande sécheresse ou par
l'absence de températures élevées. En même temps, les espèces
indigènes sont pitoyables. Ce n'est pas seulement le défaut d'in-
telligence ou de sécurité qui a empêché les habitants de les
■cultiver. Leur nature y contribue tellement, que les Européens,
•depuis cent ans qu'ils sont établis dans ces contrées, n'ont mis
en culture qu'une seule espèce, le Tetragonia^ légume vert assez
•médiocre. Je n'ignore pas que sir Joseph Hooker * a énuméré plus
de cent espèces d'Australie qui peuvent servir de quelque ma-
nière ; mais en fait on ne les cultivait pas, et, malgré les pro-
cédés perfectionnés des colons anglais, personne ne les cultive.
€'est bien la démonstration des principes dont je parlais tout à
l'heure, que le choix des espèces l'emporte sur la sélection, et
•qu'il faut des qualités réelles dans une plante spontanée pour
qu'on essaye de la cultiver.
Malgré l'obscurité des commencements de la culture dans
chaque région, il est certain que la date en est extrêmement
différente. Un des plus anciens exemples de plantes cultivées
est , en Egypte , un dessin représentant des figues , dans la
pyramide de Gizeh, L'époque de la construction de ce monu-
ment est incertaine. Les auteurs ont varié entre 1500 et 4200 ans
avant l'ère chrétienne! Si l'on suppose environ deux mille ans,
ce serait une ancienneté actuelle de quatre mille ans. Or, la
•construction des pyramides n'a pu se faire que par un peuple i
nombreux, organisé et civilisé jusqu'à un certain point, ayant \
par conséquent une agriculture établie, qui devait remonter plus \
(haut, de quelques siècles au moins. En Chine, 2700 ans avant \
1. Hooker, Flora Tasmanùe, I, p. ex. \
4 NOTIONS PRÉLIMINAIRES
Jésus-Christ Tempereur Ghen-nung institua la cérémonie dan&
laquelle chaque année on sème cinq espèces de plantes utiles^
le ci», Ift soja^ le ^lû. et deu x sortes .de. joaillets *. Ces plantes
devaient être cultivées depuis quelque temps, dans certaines
localités, pour avoir attiré à ce point l'attention de l'empereur
L'agriculture paraît donc aussi ancienne en Chine qu'en Egypte.
Les rapports continuels de ce dernier pays avec la Mésopotamie
font présumer une culture à peu près contemporaine dans les
régions de PEuphrate et du Nil. Pourquoi ne serait-elle pas tout
aussi ancienne dans l'Inde et dans l'archipel Indien? L histoire
des peuples dravidiens et malais ne remonte pas haut et présente
bien de l'obscurité, mais il n'y a pas de raisons de croire que
la culture n'ait pas commencé chez eux il y a fort longtemps.,
en particulier au bord des fleuves.
Les anciens Egyptiens et les Phéniciens ont propagé beaucoup
de plantes dans la région de la Méditerranée, et les peuples
Aryens, dont les migrations vers l'Europe ont commencé à peu
près 2500 ou au plus tard 2000 ans avant Jésus-Christ ont répandu
plusieurs espèces qui étaient déjà cultivées dans l'Asie occiden-
tale. Nous verrons, en étudiant l'histoire de quelques espèces,
qu on cultivait probablement déjà certaines plantes en Europe
et dans le nord de l'Afrique. Il y a des noms de langues anté-
rieures aux Aryens, par exemple finnois, basques, berbères et
guanches (des îles Canaries), qui l'indiquent. Cependant les restes^
appelés Kjôkkenmôddings, des habitations anciennes du Dane-
mark, n'ont fourni jusqu'à présent aucune preuve de culture et
len même temps aucun indice de la possession d'un métal *. Les
Scandinaves de cette époque vivaient surtout de pêche, de
chasse et peut-être accessoirement de plantes indigènes. Comme
le chou, qui ne sont pas de nature à laisser des traces dans les
fumiers et les décombres, et qu'on pouvait d'ailleurs se passer de
cultiver. L'absence de métaux ne suppose pas, dans ces pays du
nord, une ancienneté plus grande que le siècle de Périclès ou
même des beaux temps de la république romaine. Plus tard^
quand le bronze a été connu en Suède, région bien éloignée des
pays alors civilisés, l'agriculture avait fini par s'introduire. On
a trouvé dans les restes de cette époque la sculpture d'une
charrue attelée de deux bœufs et conduite par un homme ^.
Les anciens habitants de la Suisse orientale, lorsqu'ils avaient
des instruments de pierre polie et pas de métaux, cultivaient
plusieurs plantes, dont quelques-unes étaient originaires d'Asie.
1. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical works,^
p. 7.
2. De Nadaillac, Les premiers hommes et les temps ^ré historiques ^ I,
p. 266, 268. L'absence de traces d'agriculture dans ces débris m'est certifiée
d'ailleurs par M. Heer et M. Cartailhac, très au courant tous les deux des-
découvertes en archéologie.
3. M. Montelius, d'après Gartailhac, Revue, 1875, p. 237.
COMMENCEMENT DES CULTURES g
M. Heer * a montré, dans son admirable travail sur les pala-
fîttes, qu'ils avaient des communications avec les pays situés au
midi des Alpes. Ils pouvaient aussi avoir reçu des plantes culti-
vées par les Ibères, qui occupaient la Gaule avant les Celtes. A
l'époque où les lacustres de Suisse et de Savoie ont possédé le
bronze leurs cultures étaient plus variées. Il paraît même que
les lacustres d'Italie, lorsqu'ils avaient ce métal, cultivaient
moins d'espèces que ceux des lacs de Savoie *, ce qui peut tenir
à une ancienneté plus grande ou à des circonstances locales.
Les restes des lacustres de Laybach et du Mondsee, en Autriche,
accusent aussi une agriculture tout à fait primitive : point de
céréales à Laybach, et un seul grain de blé au Mondsee '\ L'état
si peu avancé de l'agriculture dans cette partie orientale de
i'fiurope est en opposition avec l'hypothèse, basée sur quelques
mots des anciens historiens, que les Aryas auraient séjourné
d'abord dans la région du Danube et que la Thrace aurait été
civilisée avant la Grèce. Malgré cet exemple l'agriculture
paraît, en général, plus ancienne dans la partie tempérée de
l'Europe qu'on ne pouvait le croire d'après les Grecs, disposés,
comme certains modernes, à faire sortir tout progrès de leur
propre nation.
En Amérique, l'agriculture n'est peut-être pas aussi ancienne
qu'en Asie et en Egypte, si l'on en juge par les civilisations du j
Mexique et du Pérou, qui ne remontent pas même aux premiers ,■
siècles de l'ère chrétienne. Cependant la dispersion immense de *
certaines cultures, comme celle du maïs, du tabac et de la i
batate, fait présumer une agriculture ancienne, par exemple /
de deux mille ans ou à peu près. L'histoire fait défaut dans ce /
cas, et l'on ne peut espérer quelque chose que des découvertes en /
archéologie et géologie. /
1. Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten, in-4, Zurich, 1863. Voir rarticle
du lin.
2. Pemu, Etude préhistorique de la Savoie, m-4, 1870 ; Castelfranco,
Notizie intomo alla Stazione lacustre di Lagozza, et Sordelli, Sulle piante
délia torbiera délia Lagozza^ dans les Actes de la Soc. ital, des se.
nat,, 1880.
3. Much, Mittheil, d. anthropoL Ges, in Wien, vol. 6 ; Sacken, Sitzber.
Akad. Wien, vol. 6. Lettre de M. Heer sur ces travaux, et leur analyse
^ans Nadaillac, I, p. 247.
CHAPITRE II
MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR OU CONSTATER L'ORIGINE
DES ESPÈCES
§ 1. — Réflexions s^énérales.
La plupart des plantes cultivées ayant été mises en culture à
une époque ancienne et souvent d'une manière peu connue, il
est nécessaire d'user de différents moyens lorsqu'on veut s'assu-
rer de leur origine. C'est, pour chaque espèce, une recherche
dans le genre de celles que font les historiens et les archéologues,
recherche variée, dans laquelle on se sert tantôt d'un procédé
et tantôt d'un autre, pour les combiner ensuite et les appré-
cier selon leur valeur relative. Le naturaliste n'est plus ici dans
son domaine ordinaire d'observations et de descriptions. Il doit
s'appuyer sur des preuves testimoniales, dont il n'est jamais
question dans les laboratoires, et, quand les faits de botanique
sont invoqués, il ne s'agit pas de l'anatomie, dont on s'occupe de
préférence aujourd'hui, mais de la distinction des espèces et
de leur distribution géographique.
J'aurai donc à me servir de méthodes qui sont étrangères, les
unes aux naturalistes, les autres aux personnes versées dans
les sciences historiques. Pour comprendre comment il faut les
employer et ce qu'elles peuvent valoir, je dirai quelques mots de
chacune.
§ 2. — Botanique.
Un des moyens les plus directs pour connaître l'origine géo-
graphique d'une espèce cultivée est de chercher dans quel pays
elle croît spontanément, c'est-à-dire à l'état sauvage, sans le
secours de l'homme.
La question parait simple au premier coup d'oeil. Il semble^
BOTANIQUE 7
en effet, qu'en consultant les flores, les ouvrages sur l'ensemble
des espèces ou les herbiers, on doit pouvoir la résoudre aisé-
ment dans chaque cas particulier. Malheureusement, c'est, au
contraire, une question qui exige des connaissances spéciales de
botanique, surtout de géographie botanique, et une appréciation
des botanistes et des collecteurs d'échantillons basée sur une
longue expérience. Les savants occupés d'histoire ou d'inter-
prétation d'écrivains de l'antiquité s'exposent à faire de grandes
erreurs lorsqu'ils se contentent des premiers témoignages venus
dans un livre de botanique. D'un autre côté, les voyageurs qui
récoltent des plantes pour les herbiers ne font pas toujours assez
d'attention aux localités et aux circonstances dans lesquelles ils
trouvent les espèces. Souvent ils négligent de noter ce qu'ils ont
remarqué à cet égard. On sait cependant qu'une plante peut
venir d'individus cultivés dans le voisinage; que les oiseaux, les
vents, etc., peuvent en avoir transporté les graines à de grandes
distances, et qu'elles arrivent quelquefois par le lest des vais-
seaux ou mêlées avec des marchandises. Ces cas se présentent
pour des espèces ordinaires, à plus forte raison pour les plantes
cultivées qui sont abondantes autour de l'homme. Il faut, chez
un collecteur ou voyageur, de bonnes habitudes d'observation
pour estimer jusqu'à quel point un végétal est issu de pieds
sauvages, appartenant à la flore du pays, ou d'une autre origine.
Quand la plante croît près des habitations, sur des murailles,
dans des décombres, au bord des routes, etc., c'est une raison
pour se défier.
11 peut aussi arriver qu'une espèce se répande hors des cul-
tures, même loin des localités suspectes, et n'ait cependant
qu'une durée éphémère, parce qu'elle ne supporte pas, à la
longue, les conditions du climat ou la lutte avec les plantes in^ \
digènes. C'est ce qu'on appelle en botanique une espèce adven-
tive. Elle paraît et disparait, preuve qu'elle n'est pas originaire
du pays. Les exemples abondent dans chaque flore. Lorsqu'ils
deviennent plus nombreux qu'à l'ordinaire, le public en est
frappé. Ainsi les troupes amenées brusquement d'Algérie en
France, en 4870, avaient répandu, par les fourrages et autre-
ment, une foule d'espèces africaines ou méridionales qui ont
excité l'étonnement, mais dont il n'est pas resté de trace après
deux ou trois hivers.
Il y a des collecteurs et des auteurs de flores très attentifs à
signaler ces faits. -Grâce à mes relations personnelles et à Tem-
Sloi fréquent des herbiers et des livres de botanique, je me
atte de les connaître. Je citerai donc volontiers leur témoignage
dans les cas douteux. Pour quelques pays et quelques espèces,
je me suis adressé directement à ces estimables naturalistes. J'ai
fait appel à leurs souvenirs, à leurs notes, à leurs herbiers, et,
d'après ce qu'ils ont bien voulu me répondre, j'ai pu ajouter des
documents inédits à ceux qu'on trouve dans les ouvrages pu-.
8 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES ESPÈCES
bliés. Je dois de sincères remerciements pour des informations de
ce genre que j'ai reçues de M. G. B. Glarkesurles plantes deTInde,
de M. Boissier sur celles d'Orient, de M. Sagot sur les espèces de
la Guyane française, de M. Gosson sur celles d'Algérie, de
MM. Decaisne et Bretschneider sur les plantes de Chine, de
M. Pancic sur des céréales de Servie, de MM. Bentham et Baker
sur des échantillons de l'herbier de Kew, enfin de M. Edouard
André sur des plantes d'Amérique. Ge zélé voyageur a bien
voulu me prêter des échantillons très intéressants d'espèces
cultivées dans l'Amérique méridionale, qu'il a recueillis avec
toutes les apparences de végétaux indigènes.
Une question plus difficile, qu'on ne peut pas résoudre sur le
terrain, est de savoir si une espèce bien spontanée, ayant toutes
les apparences des espèces indigènes, existe dans le pays depuis
un temps très reculé ou s'y est introduite à une époque plus ou
moins ancienne.
Il y a, en eCTet, des espèces naturalisées^ c'est-à-dire qui s'in-
troduisent parmi les anciennes plantes de la flore et s'y main-
tiennent, quoique d'origine étrangère, au point que la simple
observation ne permet plus de les distinguer et qu'il faut pour
cela des renseignements historiques ou des considérations de
pure botanique ou géographie botanique. Dans un sens très géné-
ral, en tenant compte des temps prolongés dont la science pst
obligée de s'occuper, presque toutes les espèces, surtout dans les
régions hors des tropiques, ont été naturalisées une fois, c'est-
à-dire qu'elles ont passé d'une région à une autre, par l'eCTet de
circonstances géographiques et physiques. Lorsque j'ai émis
l'idée, en 1855, que des conditions antérieures à notre époque
ont déterminé la plupart des faits de la distribution actuelle des
végétaux, — c'était l'expression de plusieurs des articles et la
conclusion de mes deux volumes sur la géographie botanique *,
— on a été quelque peu surpris. La paléontologie venait bien
de conduire, par des vues générales, un savant allemand, le
D' Unger, à des idées analogues 2, et, avant lui, Edouard Forbes
avait émis, pour quelques espèces du midi des îles britanniques,
l'hypothèse d'une ancienne contiguïté avec l'Espagne '. Mais, la
preuve donnée, pour l'ensemble des espèces actuelles, de l'im-
possibiUté d'expliquer leurs habitations au moyen des condi-
tions qui existent depuis quelques milUers d'années, a produit
plus d'impression, parce qu'elle était davantage dans le domaine
des botanistes et qu'elle ne concernait pas quelques plantes, d'un
seul pays. L'hypothèse proposée par Forbes, devenue dès lors
1. Alph. de Caodolle, Géographie botanique raisonnée, chap. X, p. 1055 ;
chap. XI, XIX, XXVII.
2. Unger, Versuch einer Geschichte der Pflanzenwelt, 1852.
3. Forbes, On the connexion between the distribution ofthe existing fo^na
and flora of the british isles with the geological changes which hâve ajfected
their area, in-8, dans : Memoirs of tne geological sw^ey, vol. I, 1846.
BOTANIQUE 9
un fait général et certain, est à présent un des lieux communs
de la science. Tout ce qu'on écrit sur la géographie botanique
ou zoologique s'appuie sur cette base, qui n'est plus contestée.
Elle offre, dans les applications à chaque pays ou chaque espèce,
de nombreuses difficultés, car, une cause étant une fois reconnue,
il n'est pas toujours aisé de savoir comment elle a agi dans cha-
que cas particulier. Heureusement, en ce qui concerne les plantes
cultivées, les questions qui se présentent n'exigent pas de re-
monter à des temps très anciens, ni surtout à des dates qu'on
ne peut préciser en nombre d'années ou de siècles. Sans doute
la plupart des formes spécifiques actuelles remontent à un temps
plus reculé que la grande extension des glaciers dans l'hémi-
sphère boréeu, phénomène qui a duré bien des milliers d'années
si l'on en juge par l'énormité des dépôts que les glaces ont enlevés
et transportés ; mais les cultures ont commencé depuis ces
événements et même, dans beaucoup de cas, depuis une époque
historique. Nous n'avons guère à nous occuper de ce qui a
précédé. Les espèces cultivées peuvent avoir changé de pays
avant leur culture, ou, dans un temps plus long, avoir changé
de forme, cela rentre dans les questions générales de tous les
^tres organisés ; notre travail demande seulement que chaque
espèce soit examinée depuis qu'on la cultive, ou dans les temps
qui ont précédé immédiatement sa culture. C'est une grande
simplification.
La question d'ancienneté, ainsi limitée, peut être abordée au
moyen des renseignements historiques ou autres, dont je par-
ierai tout à l'heure, et par les principes de la géographie bota-
nique.
Je rappellerai ceux-ci sommairement, pour montrer de quelle
manière ils aident à découvrir l'origine géographique d'une
plante.
Chaque espèce présente ordinairement une habitation continue
ou à peu près. Cependant quelquefois elle est disjointe^ c'est-à-
dire que les individus qui la composent sont divisés entre des
régions éloignées. Ces cas, très intéressants pour l'histoire du
règne végétal et des surfaces terrestres du globe, sont loin de
former la majorité. Par conséquent, lorsqu'une espèce cultivée
se trouve à l'état sauvage, très abondamment en Europe , et
moins abondamment aux Etats-Unis, il est probable que, mal- ,
gré son apparence indigène en Amérique, elle s'y est natura- /
iisée, à la suite de quelque transport accidentel. f
Les genres du règne végétal, bien que formés ordinairement
de plusieurs espèces, son tsouvent limités à telle ou telle région.
11 en résulte que plus un genre compte d'espèces toutes de la
même grande division du globe, plus il est probable qu'une des
espèces en apparence originaire d'une autre partie du monde y a
été transportée et s'y est naturalisée, par exemple, en s'échap-
pant des cultures. Cela est vrai surtout dans les genres qui habi-
10 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES ESPÈCES
tent les pays tropicaux, parce qu'ils sont plus souvent limités à
l'ancien ou au nouveau monde.
La géographie botanique apprend quelles flores ont en commun
des genres et même des espèces, malgré un certain éloignement,
et quelles, au contraire, sont très difi'érentes, malgré des ana-
logies de climat ou une distance assez faible. Elle fait connaître
aussi quels sont les espèces, genres et familles ayant des habi-
tations vastes et quels autres ont une extension ou aire moyenne
restreinte. Ces données aident beaucoup à déterminer l'origine
probable d'une espèce. Les plantes qui se naturalisent se répan-
dent rapidement. J'en ai cité jadis * des exemples, d'après ce qui
s'est passé depuis deux siècles, et des faits semblables ont con-
tinué d'être observés d'année en année. On connaît la rapidité
de l'invasion récente de VAnacharis Alsinastrum dans les eaux
douces d'Europe, et celle de beaucoup de plantes européennes à
la Nouvelle-Zélande, en Australie, en Califormie, etc., signalée
dans plusieurs flores ou voyages modernes.
L'extrême abondance d'une espèce n'est pas une preuve d'an-
cienneté. V Agave americana, si commun dans la région médi-
terranéenne, quoique venu d'Amérique, et notre Cardon, qui
couvre maintenant d'immenses étendues des pampas de la Plata,
en sont des exemples remarquables. Le plus souvent, l'invasion
d'une espèce marche rapidement, et au contraire l'extinction est
le résultat d'une lutte de plusieurs siècles contre des circons-
tances défavorables ^.
La désignation la plus convenable à adopter pour des espèces
ou, dans un langage plus scientifique, pour des formes voisines,
est un problème qui se présente souvent en histoire naturelle, et
dans la catégorie des espèces cultivées plus que dans les autres.
Ces plantes changent par la culture. L'homme s'empare des
formes nouvelles qui lui conviennent et les propage par des
moyens artificiels, tels que les boutures, la grefî'e, le choix des
graines, etc. Evidemment, pour connaître l'origine d'une de ces
espèces, il faut éliminer le plus possible les formes qui semblent
artificielles et concentrer son attention sur les autres. Une ré-
flexion bien sinaple doit guider dans ce choix : c'est qu'une
espèce cultivée offre des diversités principalement dans les parties
pour lesquelles on la cultive. Les autres peuvent rester sans mo-
difications, ou avec des modifications légères, dont le cultiva-
teur ne tient pas compte, parce qu'elles lui sont inutiles. Il faut
donc s'attendre à ce qu'un arbre fruitier primitif et sauvage ait
de petits fruits, de saveur médiocrement agréable; à ce qu'une
céréale ait de petites graines, la pomme de terre sauvage de pe-
tits tubercules, le tabac indigène des feuilles étroites, etc., etc.,
sans aller cependant jusque s'imaginer qu'une espèce aurait pris
1. A. de Candolle, Géogr, bot, raisonnée, chap. VII et X.
2. A. de Candolle, Géogr, bot. raisonnée ^ chap. VIII, p. 804.
ARCHÉOLOGIE ET PALÉONTOLOGIE lî
tout à coup de grands développements par l'effet de la culture,
car l'homme n'aurait pas commencé à la cultiver si elle n'avait
offert dès l'origine quelque chose d'utile ou agréable.
Une fois la plante cultivée réduite à ce qui permet de la com-
parer raisonnablement aux formes analogues spontanées, il
faut savoir encore quel groupe de plantes à peu près semblables
on juge à propos de désigner comme constituant une espèce.
Sur ce point, les botanistes sont seuls compétents, parce qu'ils
ont l'habitude d'apprécier les différences et les ressemblances, et
qu'ils n'ignorent pas la confusion de certains ouvrages en fait
de nomenclature. Ce n'est pas ici le lieu de discuter ce qu'on
peut appeler raisonnablement une espèce. On verra dans quel-
ques-uns de mes articles les principes qui me paraissent les
meilleurs. Gomme leur application exigerait souvent des obser-
vations qui n'ont pas été faites, j'ai pris le parti de distinguer
quelquefois des formes quasi spécifiques dans un groupe qui me
paraît être une espèce, et j'ai cherché l'origine géographique de
ces formes comme si elles étaient vraiment spécifiques.
En résumé, la botanique fournit des moyens précieux pour
deviner ou constater l'origine des plantes cultivées et pour éviter
des erreurs. Il faut se bien persuader cependant que la combi-
naison d'observations sur le terrain et dans le cabinet est néces-
saire. Après le collecteur qui voit les plantes dans une localité
ou une région et qui rédige peut-être une flore ou un catalogue
d'espèces, il est indispensable d'étudier les distributions géogra-
phiques, connues ou probables, d'après les livres et les herbiers,
et de penser aux principes de la géographie botanique et aux ques-
tions de classification, ce qui ne peut se faire ni en voyageant ni
en herborisant. D'autres recherches, dont je vais parler, doivent
être combinées avec celles de botanique, si l'on veut arriver à
des conclusions satisfaisantes.
§ 3. — Archéologie et paléontologie.
La preuve la plus directe qu'on puisse imaginer de l'existence
ancienne d'une espèce dans un pays est d'en voir des fragments
reconnaissables dans de vieux édifices ou de vieux dépôts, d'une
date plus ou moins certaine.
Les fruits, graines et fragments divers de plantes sortis des
tombeaux de l'ancienne Egypte et les dessins qui les entourent
dans les pyramides, ont donné lieu àdes recherches d'une grande
importance, dont j'aurai souvent à faire mention. Il y a pourtant
ici une chance d'erreur : l'introduction frauduleuse de plantes
modernes dans les cercueils de momies. On l'a reconnue facile-
ment, quand il s'est agi, par exemple, de grains de maïs, plante
d'origine américaine, glissés par les Arabes; mais on peut avoir
ajouté des espèces cultivées en Egypte depuis deux ou trois mille
42 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES ESPÈCES
ans, qui semblent alors d'une antiquité trop reculée. Les tumuli
ou mounds de TAmérique septentrionale et les monuments des
anciens Mexicains et Péruviens ont fourni des documents sur les
plantes qu'on cultivait dans cette partie du monde. Il s'agit alors
de temps moins anciens que celui des pyramides d'Egypte.
Les dépôts des lacustres ou palafittes de Suisse ont donné
lieu à des mémoires très importants, parmi lesquels il faut citer
en première ligne celui de Heer, mentionné tout à l'heure. Des
travaux analogues ont été faits sur les débris végétaux trouvés
dans d'autres lacs ou tourbières de Suisse, Savoie, Allemagne
et Italie. Je les mentionnerai à l'occasion de plusieurs espèces.
M. le D*" Gross a eu Tobligeance de me communiquer des fruits
«t graines tirés des palafittes du lac de Neuchatel, et mon col-
lègue le professeur Heer m'a favorisé de quelques renseigne-
ments recueillis à Zurich depuis sa publication . J'ai dit que les
dépôts appelés Kjôkkenmôddings dans les pays Scandinaves
n'ont fourni aucune trace de végétaux cultivés.
Les tufs du midi de la France contiennent des feuilles et autres
débris de plantes qui ont été déterminés par MM. Martins,
Planchon, de Saporta et autres savants. Leur date n'est peut-
être pas toujours plus ancienne que les premiers dépôts des
lacustres, et il est possible qu'elle concorde avec celle d'anciens
monuments d'Egypte et d'anciens livres des Chinois. Enfin, les
couches minérales, dont les géologues s'occupent spécialement,
apprennent déjà beaucoup sur la succession des formes végétales
dans divers pays; mais il s'agit alors d'époques bien antérieures
à l'agriculture, et ce serait un hasard singulier, et assurément
précieux, si l'on découvrait à l'époque tertiaire européenne une
-espèce actuellement cultivée. Gela n'est pas arrivé jusqu'à pré-
sent, d'une manière tout à fait certaine, quoique des espèces
non cultivées aient été reconnues dans des couches antérieures à
notre époque glaciaire de l'hémisphère boréal. Du reste, si l'on
ne parvient pas à en trouver, les conséquences ne seront pas
claires, attendu qu'on pourra dire : telle plante est arrivée de-
puis, d'une autre région, ou bien elle avait jadis une forme diffé-
Tente, qui n'a pas permis de la reconnaître dans les fossiles.
§ 4. — Histoire.
Les documents historiques sont importants pour la date de
^certaines cultures dans chaque pays. Ils donnent aussi des indi-
pations sur l'origine géographique des plantes quand elles ont
été propagées par les migrations d'anciens peuples, les voyages
pu des expéditions militaires.
; 11 ne faut pourtant pas accepter sans examen les assertions
des auteurs.
La plupart des anciens historiens ont confondu le fait de la
HISTOIRE i
o
culture d'une espèce dans un pays avec celui de son habitation
antérieure, à l'état sauvage. On a dit communément, — même de
nos jours — d'une espèce cultivée en Amérique ou en Chine
qu'elle habite l'Amérique ou la Chine. Une erreur non moins,
fréquente a été de croire une espèce originaire d'un pays, parce
qu'on l'a reçue de là et non du pays véritablement de son ori-
gine. Ainsi les Grecs et les Romains ont appelé pomme de Perse
la pèche, qu'ils avaient vue cultivée en Perse, qui n'y était pro-
bablement pas sauvage et que j'ai prouvée naguère être origi-
naire de Chine. Ils ont appelé pomme de Garthage (Malum
punicum) la grenade, qui s'était répandue progressivement dans
les jardins, de Perse en Mauritanie. A plus forte raison, les
très anciens auteurs, tels que Bérose et Hérodote, ont pu se
tromper, malgré leur désir d'être exacts.
Nous verrons, à l'occasion du maïs, que des pièces historiques
entièrement forgées, peuvent tromper sur l'origine d'une espèce.
C'est singulier, car pour un fait de culture il semble que per-
sonne n'a intérêt à mentir. Heureusement les indices botaniques^
ou archéologiques aident à faire présumer les erreurs de cette
nature.
La principale difficulté — celle qui se présente ordinairement
pour les anciens historiens — est de traduire exactement les
noms des plantes qui, dans leurs livres, sont toujours des noms
vulgaires. Je parlerai bientôt de la valeur de ces noms et des
ressources de la linguistique dans les questions qui nous occu-
pent ; mais il faut indiquer auparavant quelles notions histori-
ques sont le plus utiles dans l'étude des plantes cultivées.
L'agdcjilture est sortie anciennement, du moins en ce qui
concerne les principales espèces, de trois grandes régions oik
croissaient certaines plantes et qui n'avaient aucune communi-
cation les unes avec les autres . Ce sont : l a Chine, le ^d-ouest
de. l'Asie (lié avec rEgypte^et l'Amérique mtertropicalerjeTie
veux^às^dire qîTeh "Europe, en Afrique ou ailleurs des peuples
sauvages n'aient cultivé quelques espèces , à une époque re-
culée, d'une manière locale, comme accessoires de la chasse ou
de la pêche ; mais les grandes civilisations, basées sur l'agricul-
ture, ont commencé dans les trois régions que je viens d'indi-
quer. Chose digne de remarque, dans l'ancien monde, c'est sur
le bord des fleuves que les populations agricoles se sont surtout
constituées, tandis qu'en Amérique c'est sur les plateaux du
Mexique et du Pérou . Il faut peut-être l'attribuer à la situation
primitive des plantes bonnes à cultiver, car les rives du Missis-
sipi, de rOrénoque et de l'Amazone ne sont pas plus malsaines
que celles des fleuves de l'ancien monde.
Quelques mots sur chacune des trois régions.
La Cnine avait depuis des milliers d'années une agriculture
et même une horticulture florissantes lorsqu'elle est entrée,
pour la première fois, en communication avec l'Asie occiden-
14 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES ESPÈCES
î
\
I taie, par la mission de Gbang-Kien, sous le règne de l'empereur
Wu-ti, dans le ii© siècle avant Tère chrétienne. Les recueils ap-
pelés Pent-sao, écrits à Tépoque de notre moyen âge, constatent
qu'il rapporta la fève, Je concombre, la luzerne, le safran, le
I sésame, le noyer, le pois, Fépinard, le melon d'eau et d'autres
plantes de l'ouest S alors inconnues aux Chinois. Ghang-Kien,
comme on voit, n'a pas été un ambassadeur ordinaire. 11 a
étendu singulièrement les connaissances géographiques et amé-
lioré les conditions économiques de ses compatriotes. Il est vrai
qu'il avait été forcé de demeurer dix ans dans l'ouest et qu'il
appartenait à une population déjà civilisée, chez laquelle un
empereur , 22ÛO ans avant Jésus-Christ , avait entouré de céré-
monies imposantes la culture de quelques plantes. Les Mon -
goles étaient trop barbares et venaient d'un pays trop froid
pour avoir pu introduire beaucoup d'espèces utiles en Chine ;
mais, en étudiant l'origine du pêcher et, de rabricotier, nous ver-
rons que ces'iraWës ôîil été portés de Chine dans l'Asie occiden-
tale, probablement par des voyageurs isolés, marchands ou
autres, qui passaient au nord de l'Himalaya. Quelques espèces
ont pu se répandre de la même manière de l'ouest en Chine,
avant l'ambassade de Chang-Kien.
Les communications régulières de la Chine avec l'Inde ont
commencé seulement à l'époque de ce même personnage, et par
la voie détournée de la Bactriane ^, mais il a pu y avoir des
transmissions de proche en proche par la presqu'île malaise et
la Cochinchine. Les lettrés qui écrivaient dans le nord de la
Chine ont pu les ignorer, d'autant plus que les provinces méri-
dionales ont été jointes à l'empire seulement au ii« siècle avant
Fère chrétienne ^.
Les premiers rapports du Japon avec la Chine ont été vers
l'an 57 de notre ère, par l'envoi d'un ambassadeur, et les Chi-
nois n'eurent vraiment connaissance de leurs voisins orientaux
que dans le me siècle, époque de l'introduction de l'écriture
chinoise au Japon *.
La vaste région qui s'ét^fid du Gange à l'Arménie et au Nil
n'a pas été anciennement aussi isolée que la Chine. Ses peuples
ont échangé, de place en place, et même transporté à distance
des plantes cultivées, avec une grande facilité. Il suffit de rap-
peler que d'anciennes migrations ou conquêtes ont mêlé sans
cesse les populations touraniennes, aryennes et sémites entre la
mer Caspienne, la Mésopotamie et le Nil. De grands Etats se
sont formés, à peu près dans les mêmes temps, sur les bords de
l'Euphrate et en Egypte, mais ils avaient succédé à des tribus
1. Bretschaeider, l, c, p. 15.
2. Bret8clineider, /. c.
3. Bretschneider, /. c, p. 23.
4. Àtsuma-giuta. Recueil pour servir à la connaissance de Vextréme Orient^
publié par Fr. 'Turretini, vol. 6, p. 200, 293.
LINGUISTIQUE 18
qui cultivaient déjà certaines plantes. L'agriculture est plus
ancienne dans cette région que Babylone et les premières dynas-
ties égyptiennes, lesquelles datent de plus de quatre mille ans .
Les empires assyriens et égyptiens se sont ensuite disputé la
suprématie, et dans leurs luttes ils ont transporté des popula-
tions, ce qui ne pouvait manquer de répandre les espèces culti-
vées. D'un autre côté, les peuples aryens, qui habitaient primiti-
vement au nord de la Mésopotamie, dans une contrée moins
favorable à l'agriculture, se sont répandus à l'ouest et au midi,
refoulant ou subjuguant les nations touraniennes et dravidiennes.
Leur langue, et surtout celles qui en sont dérivées en Europe et
dans l'Inde, montrent qu'ils ont connu et transporté plusieurs
espèces utiles *. Après ces anciens événements, dont les dates
sont généralement incertaines, les voyages par mer des Phéni-
ciens, les guerres entre les Grecs et les Perses, l'expédition
d'Alexandre jusque dans l'Inde, et finalement la domination
romaine ont achevé de répandre les cultures dans Tintérieur de
l'Asie occidentale et même de les introduire en Europe et dans
le nord de l'Afrique, partout où le climat pouvait leur être favo-
rable. Plus tard, à l'époque des croisades, il restait bien peu de
plantes utiles à tirer de l'Orient. Il est arrivé alors en Europe
quelques variétés d'arbres fruitiers que les Romains ne possé-
daient pas et des plantes d'ornement.
La découverte de l'Amérique, en 1492, a été le dernier grand
événement qui a permis de répandre les plantes cultivées dans
tous les pays. Ce sont d'abord les espèces américaines, comme
la pomme de terre, le maïs, la figue d'Inde, le tabac, etc., qui
ont été apportées en Europe et en Asie. Ensuite une foule d'es-
pèces de l'ancien monde ont été introduites en Amérique. Le
voyage de IVlagellan (1520-21) fut la première communication
directe entre l'Amérique méridionale et l'Asie. Dans le même
siècle, la traite des nègres vint multiplier les rapports entre
l'Afrique et l'Amérique. Enfin la découverte des îles de la mer
Pacifique au xviii* siècle, et la facilité croissante des moyens de
communication, combinée avec un désir général d'améliorer,
ont produit la dispersion plus générale des plantes utiles dont
nous sommes aujourd'hui les témoins.
§ 5. — Llng^ulstiqae.
Les noms vulgaires de plantes cultivées sont ordinairement
très connus et peuvent donner des indications sur l'histoire
1. Il existe, en langue française, deux excellents résumés des connais-
sances actuelles sur rOrient et l'Egypte . Je ne saurais trop les recom-
mander aux naturaliste^ qui ne se sont pas occupés spécialement de ces
questions. L'un de ces ouvrages est le Manuel de V histoire ancienne de
VOrient, par François Lenormand, 3 vol. in-12, Paris, 1869. L'autre est
C Histoire ancienne des peuples de l'Orient, par Maspero, un vol. in-8, Paris,
1878.
46 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES ESPÈCES
d'une espèce, mais il n'est pas sans exemple qu'ils soient
absurdes, basés sur des erreurs , ou vagues et contestables , ce
qui oblige à user d'une certaine prudence dans leur emploi.
Je pourrais citer beaucoup de noms absurdes, pris dans
toutes les langues . Il suffit de rappeler :
En français : blé de Turquie (maïs), pour une plante qui n'est
pas un blé et qui vient d'Amérique.
En anglais : Jérusalem artichoke , pour le Topinambour
(Helianthus tuberosus), qui ne vient pas de Jérusalem, mais de
l'Amérique septentrionale, et n'est pas un artichaut.
En allemand : Haferwurzel, racine d'avoine, pour le Salsifis
(Tragopogon), plante à racine charnue I
Une quantité de noms donnés par les Européens à des plantes
étrangères, lorsqu'ils se sont établis dans les colonies, expriment
des analogies fausses ou insignifiantes. Par exemple, le lin de la
Nouvelle-Zélande ressemble aussi peu que possible au lin ; seule-
ment on tire de ses feuilles une matière textile. La pomme
d'acajou, des Antilles françaises, n'est pas le fruit d'un pommier,
ni même d'une pomacée, et n'a rien à voir avec l'acajou.
Quelquefois les noms vulgaires se sont altérés en passant d'une
langue à l'autre, de manière à donner un sens faux ou ridicule.
Ainsi l'arbre de Judée des Français (Gercis Siliquastrum) est
devenu en anglais Judas tree, arbre de Judas ! Le fruit appelé
Ahuaca parles Mexicains est devenu Y Avocat des colons français.
Assez souvent, des noms de plantes ont été pris par le même
peuple, à des époques successives ou dans des provinces diffé-
rentes, tantôt comme noms de genres et tantôt comme noms
d'espèces. Par exemple, blé peut signifier ou plusieurs espèces
du genre Triticum, et même de plantes nutritives très difi'érentes
(maïs et blés), ou telle espèce de blé en particulier.
Plusieurs noms vulgaires ont été transportés d'une plante à
l'autre, par suite d'erreurs ou d'ignorance. Ainsi, la confusion
faite par d'anciens voyageurs entre la Batate (Gonvolvolus Ba-
tatas) et la Pomme de terre (Solanum tuberosum), a entraîné
Fusage d'appeler la Pomme de terre en anglais Potatoe et en
espagnol Patatas,
Si des peuples modernes, civilisés, qui ont de grandes facilités
pour comparer les espèces, connaître leur origine et vérifier les
noms dans les livres, ont fait de semblables erreurs, il est pro-
bable que les anciens en ont fait plus encore et de plus gros-
sières. Les érudits déploient infiniment de science pour expliquer
l'origine linguistique d'un nom ou ses modifications dans les
langues dérivées, mais ils ne peuvent pas découvrir les fautes ou
les absurdités populaires. Ce sont plutôt les botanistes qui les
devinent ou les démontrent. Remarquons en passant que les
noms doubles ou composés sont les plus suspects. Ils peuvent
avoir deux erreurs : Tune dans la racine ou le nom principal,
l'autre dans l'addition ou nom accessoire, destiné presque tou-
• LINGUISTIQUE 17
j ours à indiquer une origine géographique, une qualité appa-
rente ou quelque comparaison avec d'autres espèces. Plus un
nom est bref, plus il mérite qu'on en tienne compte dans la
question d'origine ou d'ancienneté, car c'est à la suite des
années, des migrations de peuples et des transports de plantes
que s'ajoutent les épithètes souvent erronées. De même, dans les
écritures s^rmboliques, comme celles des Chinois et des Egyp-
tiens, les signes uniques et simples font présumer des espèces
anciennement connues, ne venant pas de pays étrangers, et les
signes compliqués sont suspects ou indiquent une origine étran-
gère. N'oublions pas cependant que les signes ont été souvent
des rébus, basés sur des ressemblances fortuites de mots, ou sur
des idées superstitieuses et fantastiques.
L'identité d'un nom vulgaire pour une espèce dans plusieurs
langues peut avoir deux significations très différentes. Elle peut
venir de ce qu'une plante a été transportée par un peuple qui
s'est divisé et dispersé. Elle peut résulter aussi de ce qu'une
plante a été transmise d'un peuple à l'autre avec le nom du
pays d'origine. Le premier cas est celui du chanvre, dont le
nom est semblable, au moins quant à sa racine, dans toutes les
langues dérivées des Aryas primitifs. Le second se voit dans le
nom américain du tabac et le nom chinois du thé, qui se sont
répandus dans une infinité de pays, sans aucune filiation linguis-
tique ou ethnographique. Ce cas s'est présenté plus fréquem-
ment dans les temps modernes que dans les anciens, parce que
la rapidité des communications permet aujourd'hui d'introduire
à la fois une plante et son nom, même à de grandes distances.
La diversité des noms pour une même espèce peut avoir aussi
des causes variées. En général, elle indique une existence an-
cienne dans divers pays, mais elle peut aussi provenir du mélange
des peuples ou de noms de variétés qui usurpent le nom primitif.
Ainsi, en Angleterre, on peut trouver, suivant les provinces, un
nom celte, saxon, danois ou latin, etnous voyons en Allemagne
les noms de Flachs et Lein pour le lin, qui ont évidemment des
origines difl'érentes.
Lorsqu'on veut se servir des noms vulgaires pour en tirer
certaines probabilités sur l'origine des espèces, il faut consulter
les dictionnaires et les dissertations des philologues, mais on est
obligé d'estimer les chances d'erreur de ces érudits, qui, n'étant
ni agriculteurs ni botanistes, peuvent s'être trompés dans l'ap-
plication d'un nom à une espèce.
Le recueil le plus considérable de noms vulgaires est celui de
Nemnich *, publié en 1793. J'en possède un autre, manuscrit,
plus étendu encore, rédigé dans notre bibliothèque par mon
ancien élève Moritzi, au moyen des flores et de plusieurs livres
1. NemDich, Allgemeinei polyglotten-Leoncon der Naiurgeschichte^ 2 vol.
in-4.
De Gandolle. 2
18 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGÏ^E DES ESPÈCES
de voyages écrits par des botanistes. Il y a, en outre, des dic-
tionnaires concernant les noms d'espèces de tel ou tel pays ou
d'une langue en particulier. Ces sortes de recueils ne contiennent
pas souvent des explications sur les étymologies ; mais, quoi qu'en
dise M. Hehn *, un naturaliste, pourvu de l'instruction générale
ordinaire, peut reconnaître les connexités ou les diversités fon-
damentales de certains noms dans des langues différentes et ne
pas confondre les langues modernes avec les anciennes. Il n'est
pas nécessaire pour cela d'être initié dans les subtilités des
suffixes et des affixes, des labiales et des dentales. Sans doute
un philologue pénètre mieux et plus loin dans les étymologies,
mais il est rare que ce soit nécessaire pour les recherches sar les
plantes cultivées. D'autres connaissances sont plus utiles, sur-
tout celles de pure botanique, et elles manquent aux philologues
plus que la linguistique aux naturahstes, par la raison fort
évidente qu'on donne plus de place dans l'instruction générale
aux langues qu'à l'histoire naturelle. 11 me paraît aussi que les
linguistes, notamment ceux qui traitent du sanscrit, veulent
beaucoup trop chercher des étymologies à chaque nom. Ils
ne pensent pas assez à la bêtise humaine, qui a fait naître dans
tous les temps des mots absurdes, sans base réelle, déduits
d'une erreur ou d'une idée superstitieuse.
La filiation des langues modernes européennes est connue de
tout le monde. Celle des langues anciennes a été l'objet, depuis
un demi-siècle, de travaux importants. Je ne puis en donner ici
un aperçu, même abrégé. Il suffît de rappeler que toutes les
langues européennes actuelles dérivent de la langue des Aryens
occidentaux, venus d'Asie, à l'exception du basque (dérivé de
Tibère), du finnois, du turc et du hongrois, dans lesquels au
surplus beaucoup de mots d'origine aryenne se sont introduits.
D'un autre côté, plusieurs langues actuelles de llnde, Ceylan et
Java dérivent du sanscrit des Aryens orientaux, sortis de l'Asie
centrale après les Aryens de l'Occident. On suppose, avec assez
de vraisemblance, que les premiers Aryens occidentaux sont
arrivés en Europe 2500 ans avant notre ère, et les Aryens orien-
taux dans l'Inde un millier d'années plus tard.
Le basque (ou ibère), le guanche des îles Canaries, dont on
connaît quelques noms de plantes, et le berbère se rattachaient
probablement aux anciennes langues du nord de l'Afrique.
Les botanistes sont obligés, dans beaucoup de cas, de douter
des noms vulgaires attribués aux plantes par les voyageurs, les
historiens et les philologues. C'est une conséquence des doutes
3u'ils ont eux-mêmes sur la distinction des espèces et de la
iffîculté qu'ils savent très bien exister lorsqu'on veut s'assurer
du nom vulgaire d'une plante. L'incertitude devient d'autant
1. Hehn, Kulturpflanzen und Hausthiere in ihren Uebergang aus Asien,
in-8, 3e édition, 1877.
LINGUISTIQUE 19
plus grande qu'il s'agit d'espèces plus faciles à confondre ou
moins connues du publie, ou de langues de nations peu civilisées.
Il y a des degrés, pour ainsi dire, entre les langues, sous ce
point de vue, et les noms doivent être acceptés plus ou moins
suivant ces degrés.
En tète, pour la certitude^ se placent les langues qui possè-
dent des ouvrages de botanique. On peut en effet reconnaître
une espèce au moyen d'une description grecque de Dioscoride ou
de Théophraste, et des textes latins moins développés de Caton,
Columelle ou Pline. Les livres chinois donnent aussi des des-
criptions. Leur étude a fait l'objet d'excellents travaux du docteur
Bretschneider, médecin de la légation russe à Peking, que je ci-
terai fréquemment *.
Le second degré est celui des langues qui ont une littérature
•composée seulement d'ouvrages de théologie, de poésie, ou de
-chroniques sur les rois et les batailles. Ces sortes d'ouvrages
mentionnent çà et là des plantes, avec des épithètes ou des ré-
flexions sur leur floraison, leur maturité, leur emploi, etc., qui
permettent de comprendre un nom et de le rapporter à la no-
menclature botanique actuelle. En s'aidant d'ailleurs de notions
sur la flore du pays et des noms vulgaires dans les langues
dérivées de l'ancienne, on arrive, tant bien que mal, à fixer le
sens de quelques mots. C'est ce qui a été fait pour le sans-
'iini ^, l'hébreu ' et l'araméen *.
Enfin, une troisième catégorie dans les langues anciennes ne
peut donner aucune certitude, mais seulement des présomptions
1. Bnetsclmeider, On the study and value of chinese botanical works,
with notes on the history of plants and geographical botany from chinese
sources, In-S, 51 pages avec figures, Foochoo, saus date, mais la préface
datée d« décembre 1870. — Notes on some botanical questions, ln-8,
14 pages, 1880.
2. Le dictionnaire de Wilson contient des noms de plantes, mais les
botanistes se fient davantage aux noms indiqués par Roxburgh dans son
Flora indixra (éd. de 1832, 3 vol. in-8) et au dictionnaire spécial de Pid-
•dington, English index to the plants of India^ Calcutta, 1832. Les érudits
prétendent découvrir un plus grand nombre de noms dans les textes,
mais ils ne donnent pas assez la preuve du sens de ces noms. Générale-
ment, il manque pour le sanscrit ce que nous avons pour Thébreu, le grec
et le chinois, la citation, traduite en langue moderne, des phrases concer-
nant chaque mot.
3. Le meilleur oiivrage sur les noms des plantm de F Ancien Testament
est celui de Rosenmûller, Handbuch der bibtischen Alterkunde, in-8, vol. 4,
Leipzig, 1830. Un bon ouvrage, s^régé, en français, est La botanique de la
Bible, par Fred. Hamilton, in-8, Nice, 1871.
4. Reynier, botaniste suisse, qui avait séjourné en Egypte, a donné
avec sagacité le sens de beaucoup de noms de plantes dans le Talmud.
Voir ses volumes intitulés : Economie publique et rurale des Arabes et des
Juifs, in-8, 1820, et Economie publique et rurale des Egyptiens et des Car-
thaginois, in-8, Lausanne, 1823. Les ouvrages plus récents de Duschak et
de 'Lôv7 ne reposent pas sur la connaissance des plantes d'Oneot et sont
illisibles, pour les botanistes, à cause des noms en lettres syriaques,
hébraïques, etc.
20 MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES ESPÈCES
OU des indications hypothétiques assez rares. C'est celle des lan-
gues dont on ne connaît aucun ouvrage, comme le celte, avec tous
ses dialectes, le vieux slave, le pélasge, l'ibère, la langue des-
Aryas primitifs, des Touraniens, etc. On arrive à présumer cer-
tains noms, ou leur forme approximative, dans ces anciennes
langues, par deux procédés, tous deux sujets à caution.
Le premier, et le meilleur, est de consulter les langues déri-
vées ou qu'on croit dérivées directement des anciennes, comme
le basque pour Tibère, l'albanais pour le pélasge^ le breton, l'ir-
landais et le gaëlic pour le celte. Le danger est de se tromper
sur la filiation des langues, et surtout de croire à l'ancienneté
d'un nom de plante qui peut être venu par un autre peuple.
Ainsi le basque a beaucoup de noms qui paraissent tirés du latin
à la suite de la domination romaine. Le berbère est rempli de
noms arabes, et le persan de noms de toutes sortes, qui n'exis-
taient probablement pas dans le zend.
L'autre procédé consiste à reconstruire une langue ancienne
sans littérature, au moyen de ses dérivées, par exemple la lan-
gue des Aryas occidentaux au moyen des mots communs à plu-
sieurs langues européennes qui en sont issues. Pour les mots des
anciennes langues aryennes, le dictionnaire de Fick ne peut guère
être employé, car il donne peu de noms de plantes, et sa dispo-
sition ne le met pas du tout à la portée des personnes qui ne
connaissent pas le sanscrit. Bien plus important pour les natu-
ralistes est 1 ouvrage d'Adolphe Pictet, dont il a paru, après la
mort de l'auteur, une seconde édition, augmentée et perfection-
née *. Les noms de plantes et les termes de l'agriculture y sont
exposés et discutés d'une manière d'autant plus satisfaisante
qu'elle est combinée avec des notions exactes de botanique. Si
l'auteur attribue peut-être plus d'importance qu'il ne faudrait à
des étymologies douteuses, il le compense par des notions d'une
autre nature et par beaucoup de méthode et de clarté.
Les noms de plantes en langue euskarienne, soit basque, ont
été commentés, au point de vue des étymologies probables, par
M. le comte de Gharencey *. J'aurai l'occasion de citer ce travail^
où les difficultés étaient bien grandes, à cause de l'absence de
toute littérature et de langues dérivées.
§ 6. — Nécessité de comlilner le» dlITéreiite»
méthode».
Les divers procédés dont je viens de parler n'ont pas une
valeur égale. Evidemment lorsqu'on peut avoir sur une espèce
1. Adolphe Pictet, Les origines des peuples indo-européens, 3 vol. in-8.
Paris. 4878.
2. Charencey, dans Actes de la Société philologique, vol. I, n« 1, 1869.
NÉCESSITÉ DE COMBINER LES DIFFÉRENTES MÉTHODES 21*^
des documents archéologiques , comme ceux des monuments
égyptiens ou des lacustres suisses, ce sont des faits d'une exac-
titude remarquable. Viennent ensuite les données de botanique,
surtout celles sur Texistence spontanée d'une espèce dans
tel ou tel pays. Elles peuvent avoir beaucoup d'importance, à
condition qu'on les examine soigneusement. Les assertions con-
tiennes dans les livres soit d'historiens, soit même de naturalistes
d'une époque à laquelle la science ne faisait que commencer,
n'ont pas la même valeur. Enfin les noms vulgaires ne sont
qu'un moyen accessoire, surtout dans les langues modernes, et
un moyen, comme nous avons vu, dont il faut se défier. Voilà
<^e qu'on peut dire d'une manière générale, mais dans chaque
cas particulier telle ou telle méthode prend quelquefois plus
d'importance.
Chacune conduit à une simple probabilité, puisqu'il s'agit de
faits anciens qui échappent aux observations directes et actuelles.
Heureusement, si l'on arrive à la même probabilité par trois ou
•quatre voies différentes, on approche beaucoup de la certitude.
Il en est des recherches sur Thistoire des plantes comme de celles
sur l'histoire des peuples. Un bon auteur consulte les historiens
qui ont parlé des événements, les archives où se trouvent des
documents inédits, les inscriptions de vieux monuments, les
journaux, les lettres particulières, enfin les mémoires et même
la tradition. Il tire des probabilités de chaque source, et ensuite
il compare ces probabilités, les pèse et les discute avant de se
décider. C'est un travail de l'esprit, qui exige de la sagacité et
du jugement. Ce travail diffère beaucoup de l'observation, usitée
«n histoire naturelle, et du raisonnement pur, qui est le propre
des sciences mathématiques. Néanmoins, je le répète, lorsqu'on
4irrive par plusieurs méthodes à une même probabilité, celle-ci
approche ae la certitude. On peut même dire qu'elle donne la
certitude à laquelle on peut prétendre dans les sciences histo-
riques.
J'en ai eu la preuve en comparant mon travail actuel avec
•celui que j'avais fait, d'après les mêmes méthodes, en i855.
Pour les espèces que j'avais étudiées alors, j'ai eu plus de docu-
ments et des faits mieux constatés, mais les conclusions sur
l'origine de chaque espèce ont été à peine changées. Gomme elles
reposaient déjà sur une combinaison des méthodes, les choses
probables sont devenues ordinairement plus probables ou cer-
taines, et il ne m'est pas arrivé d'être conduit à des résultats
•absolument contraires aux précédents.
Le^jlonaées^ archéologiques, linguistiques et botaniques de-
viennenTâe plus en plus nombreuses. C'est par leur moyen que
l'histoire des plantes cultivées se perfectionne, tandis que les
assertions des anciens auteurs perdent de leur importance au
lieu d'en acquérir. Grâce aux découvertes des antiquaires et des
philologues, les modernes connaissent mieux que les Grecs la
2â MÉTHODES POUR DÉCOUVRIR L'ORIGINE DES fiSPÉCfiS
Ghaldée et l'ancienne Egypte. Ils peuvent constater des erreurs
dans Hérodote. Les botanistes de leur côté corrigent Théophraste,
Dioscoride et Pline d'après la connaissance des flores de Grèce et
d'Italie, tandis que la lecture des anciens, faite si souvent par les
érudits depuis trois siècles, a donné ce qu'elle pouvait donner.
Je ne puis m 'empêcher de sourire en voyant aujourd'hui des
savants répéter des phrases grecques ou latines bien connues,
pour en tirer ce qu'ils appellent des conclusions. C'est vouloir
extraire du jus d'un citron pressé déjà mainte et mainte fois.
Il faut le dire franchement, les ouvrages qui répètent et com-
mentent les auteurs de l'antiquité grecque ou latine, sans mettre
en première ligne les faits botaniques et archéologiques, ne sont
plus au niveau de la science. Je pourrais en citer cependant qui
ont eu, en Allemagne, les honneurs de trois éditions! Mieux au-
rait valu réimprimer les publications antérieures de Fraas et de
Lenz, de Targioni et de Heldreich, qui ont toujours mis les
données actuelles de la botanique au-dessus des descriptions
vagues d'anciens écrivains , c'est-à-dire les faits au-dessus des
mots et des phrafles.
DEUXIÈME PARTIE
ÉTUDE DES ESPÈCES
AU POIIWT DE TUE DE LEUR ORIGINE
DES PREMIERS TEMPS DE LEUR CULTURE
EX DES PRINCIPAUX FAITS DE LEUR DISPERSION <.
CHAPITRE PREMIER
PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTEïtRAINES
TELLES QUE RACINES, BULBES OU TUBERCULES ^.
Radis, Raifort. — Raphanus sativus, Linné.
Le radis est cultivé pour ce qu'on appelle la racine, qui est,
à proprement parler, la partie inférieure de la tige avec la
racine pivotante '. On sait à quel point la grosseur, la forme et
la couleur de ces organes, qui deviennent charnus, peuveat va-
rier, suivant le terrain et les races cultivées.
11 n'y a pas de doute que l'espèce est originaire des régions
tempérées de l'ancien monde ; mais, comme elle s'est répandue
dans les jardins, depuis les temps historiques les plus reculés, de
la Chine et du Japon jusqu'en Europe, et qu'elle se sème fré-
quemment autour des cultures, il est difficile de préciser son
pioint de départ.
Naguère on confondait avec le Raphanus sativus des espèces
voisines, de la région méditerranéenne, auxquelles on attribuait
certains noms grecs; mais le botaniste J. Gay, qui a beaucoup
1. Un certain nombre d'espèces, dont l'origine est bien connue, comme
la carotte, l'oseille, etc., sont mentionnées seulement dans le résumé
au commencement de la dernière partie, avec une indication des faits prin-
cipaux qui les concernent.
2. Quelques espèces sont cultivées tantôt pour leurs racines et tantôt
pour leurs feuilles ou leurs graines. Dans cf autres chapitres se trouvent
des espèces cultivées pour leurs feuilles Cfourrages) ou pour leurs grai-
nes, etc. J'ai classé en raison de l'usage le plus habituel. Au surplus, l'index
alphabétique renvoie à la place adoptée pour chaque espèce.
3. Voir l'état jeune de la plante lorsque la partie de la tige au-dessous
des cotylédons n'est pas encore renflée. Turpin en a donné nne figure
dans les Annales des sciences naturelles, série 1, vol. 21, pi. 5.
24 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
contribué à éliminer ces formes analogues * , regardait le
R, sativus comme originaire d'Orient, peut-être de Chine. Linné
supposait aussi une origine chinoise, du moins quant à une
variété qu'on cultive en Chine pour extraire Thuile des graines 2.
Plusieurs flores du midi de l'Europe mentionnent l'espèce comme
subspontanée ou échappée des cultures, jamais comme spon-
tanée. Ledebour avait vu un échantillon recueilli près du mont
Ararat. Il en avait semé les graines et vérifié l'espèce '. Cepen-
dant M. Boissier *, en 1867, dans sa flore d'Orient, se borne à
dire : « Subspontané dans les cultures de l'Anatolie, près de
Mersiwan (d'après Wied), en Palestine (d'après lui-même), en
Arménie (diaprés Ledebour) et probablement ailleurs », ce qui
ressemble aux assertions des flores européennes. M. Buhse ^
cite une localité^ les monts Ssahend, au midi du Caucase, qui
paraît devoir être assez en dehors des cultures. Les flores récentes
de l'Inde anglaise® et l'ancienne flore de Cochinchine de Loureiro
indiquent 1 espèce seulement comme cultivée. M. Maximowicz
l'a vue dans un jardin du nord-est de la Chine \ Thunberg en
parle comme d'une plante généralement cultivée au Japon et
croissant aussi le long des chemins * ; mais ce dernier fait n'est
pas répété par les auteurs modernes, probablement mieux
informés ^.
Hérodote {Hist.y 1. 2, c. 125) parle d'un radis, qu'il nomme
Surmaia^ dont une inscription de la pyramide de Chéops men-
tionnait l'emploi par les ouvriers. Unger *^ a copié dans l'ou-
vrage de Lepsius deux figures du temple de Karnak, dont la
première tout au moins parait représenter le radis.
D'après cela, en résumé : 1° l'espèce se répand facilement hors
des cultures dans la région de l'Asie occidentale et de l'Europe
méridionale, ce qui n'est pas mentionné d'une manière certaine
dans les flores de l'Asie orientale; 2« les localités au midi du
Caucase, sans indication de culture, font présumer que la plante
y est spontanée. Par ces deux motifs, elle semble originaire de
l'Asie occidentale, entre la Palestine, l'Anatolie et le Caucase,
peut-être aussi de la Grèce ; la culture l'aurait répandue vers
l'ouest et l'est, depuis des temps très anciens.
Les noms vulgaires appuient ces hypothèses. En Europe, ils
offrent peu d'intérêt quand ils se rapportent à la qualité de ra-
i. Dans A. de Candolle, Géogr, bot. raisonnée^ p. 826.
2. Linné, Spec. plant,, p. 935.
3. Ledebour, FI. ross., I, p. 225.
4. Boissier, FI orient., I, p. 400.
5. Buhse, Aufzàhlung Transcaucasien, p. 30.
6. Hooker, FI. brit. hfiia, I, p. 166.
7. Maximowicz, Primitiœ florx Amurensis, p. 47.
8. Thunberg, FI. jap., p. 263.
fl. Franchet et Savatier, Enum. plant. Jap. I, p. 39.
10. Unger, Pflanzen des alten jÈgyptens, p. 51, fig. 24 et 29.
RADIS, RAIFORT 25
cine (Radis) ou à quelque comparaison avec la rave {Ravanello
en italien, Rabica en espagnol, etc.), mais les Grecs anciens avaient
créé le nom spécial de Raphanos (qui lève facilement). Le mot
italien Ramoraccio dérive du grec Armoracia^ qui signifiait le
R, sativus ou quelque espèce voisine . Les modernes l'ont trans-
porté, par erreur, au Cochlearia Armoracia soit Cran^ dont il est
question plus loin. Les Sémites* ont des noms tout autres {Fugla
en hébreu, Fuil, fidgel, fi^l^ etc., en arabe). Dans Tlnde, d'après
Hoxburgh ^, le nom vulgaire d'une variété à racine énorme, aussi
grosse quelquefois que la jambe d'un homme, est Moola ou Moolee
Tprononcez Moula^ Mouli), en sanscrit Mooluka (prononcez Mou-
iouka]. Enfin, pour la Gochinchine, la Chine et le Japon, les
auteurs citent des noms variés, très différents les uns des autres.
D'après cette diversité, la culture serait très ancienne de la Grèce
au Japon ; mais on ne peut rien en conclure relativement à la
patrie originelle comme plante spontanée.
A cet égard, il existe une opinion complètement différente qu'il
faut aussi examiner. Plusieurs botanistes ' soupçonnent que
le Raphanm sativus est simplement un état particulier, à grosse
racine et à fruit non articulé, du Raphanus Raphanisti^um^ plante
très commune dans les terrains cultivés de l'Europe et de l'Asie
tempérées et qu'on trouve aussi à l'état spontané dans les sables
et les terrains légers du bord de la mer, par exemple à Saint-
Sébastien , en Dalmatie et à Trébizonde *. Les localités ordi-
naires dans les champs abandonnés, et beaucoup de noms vul-
gaires qui signifient radis sauvage montrent l'affinité des deux
plantes. Je n'insisterais pas si leur identité supposée n'était qu'une
présomption, mais elle repose sur des expériences et des obser-
vations qu'il est important de connaître.
Dans le R, Raphanistrum la silique est articulée, c'est-à-dire
étroite de place en place, et les graines sont contenues dans
chaque article. Dans le ^. sativus^ la silique est continue et forme
une seule cavité intérieure. Quelques botanistes avaient constitué
sur cette différence des genres distincts, Raphanistrum et Ra-
phanus. Mais trois observateurs très exacts, Webb, J. Gay et
Spach, ont constaté, parmi des pieds de Raphanv^s sativus^ ve-
nant des mêmes grames, des siliques tantôt uniloculaires et
tantôt articulées, qui sont alors bi ou pluriloculaires ^. Webb
ayant répété plus tard ces expériences est arrivé aux mêmes ré-
sultats, avec un détail de plus, assez important : le radis semé de
1. D'après mon Dictionnaire manuscrit des noms vulgaires, tiré des
flores qui existaient il y a trente ans.
2. Roxburgh, FL, ina.^ III, p. 126.
3. Webb, Phytogr. Canar., p. 83; Iter hisp., p. 71 ; Bentham, FI. Hongkong,
p. 17; Hooker, FL brit. Ind., I, p. 166.
4. Willkomm et Lange, Prodr, fi. hisp., III, p. 748; Viviani FL dalmaL,
III, p. 104; fioissier, FÏ. orient., I, p. 401.
5. Webb, Phytographia canariensts, I, p. 83.
26 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
Im-même au hasard , et non cultivé, donoait des siliques de
Raphanistrum *. Une autre différence entre les deux plantes est
celle des racines, charnues dans le R, sativus , grêles daii8 le
R, Raphanistî'um, mais cela change selon les cultures, d'après
des expériences de M. Carrière, jardinier en chef des pépinières
du Muséum d'histoire naturelle de Paris ^. Il a euTidée de semer
dans un terrain fort et dans un terrain léger du Raphanistrum
à racine grêle, et dès la quatrième génération il a récolté des
radis charnus, de forme et de couleur variées, comme ceux des
jardins. Il en donne même les figures, qui sont véritablement
curieuses et probantes. Le goût piquant du radis ne faisait pas
défaut. Pour obtenir ces changements, M. Carrière semait au
mois de septembre, de manière à rendre la plante presque bi-
sannuelle, au lieu d'annuelle. On comprend qu'il en résulte Tépais-
sissement de la racine, car beaucoup de plantes bisannuelles
ont des racines charnues.
Il resterait à faire l'expérience inverse, de semer des radis cul-
tivés dans un mauvais terrain. Probablement, les racines devien-
draient de plus en plus maigres , comme les siiiques devien-
nent, en pareil cas, de plus en plus articulées.
D'après l'ensemble des expériences dont nous venons de parler,
le Raphanus sativus pourrait bien être une forme du R. Rapha-
nistrum^ forme peu stable, déterminée par l'existenee de quelques
générations dans un terrain fertile. On ne peut pas supposer que
les anciens peuples non civilisés aient fait des essais comme
ceux de M. Carrière, mais ils ont pu remarquer des Raphanis-
trum venus dans des terrains fortement fumés, ayant des racines
plus ou moins charnues; sur quoi l'idée de les cultiver a pu leur
venir facilement.
Je ferai cependant une objection tirée de la géographie bota-
nique. Le Raphanus Raphanistrum est une plante d'Europe, qui
n'existe pas en Asie ^. Ce n'est donc pas de cette espèce que les
habitants de l'Inde, du Japon et de la Chine ont pu tirer les radis
qu'ils cultivent depuis des siècles. D'un autre côté, comment le
R. Raphanisti^m, qu'on suppose transformé en Europe, auirait-
il été transmis daiis ces temps anciens au travers de toute l'Asie?
Les transports de plantes cultivées ont marché communément
d'Asie en Europç. Ghang-kien avait bien apporté des légumes de
Bactriane en Chine dans le ii« siècle avant Jésus-Christ, mais on
ae cite pas le radis comme étant du nombre,
Gran^ Granson, Raifort sauvage. — Cochlearia Armo-
racia, Linné.
1. Webb, lier hispaniense, 1838, p. 72.
2. Carrière, Origine des plantes domestiques démontrée par la cultw*e du
Radis saunage. Lq-8, 24 pages. 1869.
3. Ledebour, FI. ross,\ Boissier, FI. orient.; les ouvrages sur la flore de la
région du fleuve Amur.
CRAN, CRANSON, RAIFaRT SAUVAGE 2T
Cette Crucifère, dont la racine d'une consistance assez dure a
le goût de moutarde, était appelée quelquefois Cran ou Cranson
de Bretagne, C'était une erreur, causée par un ancien nom bota-
jiique, Ajinaracia^ qu'on prenait pour Armortca (de Bretagne).
Armorada est déjà dans Pline et s'appliquait à une Crucifère de
la province du Pont qui était peut-être le Raphanus sativus.
Après avoir signalé jadis * cette confusion, je m exprimais de la
manière suivante sur l'origine méconnue de l'espèce :
« Le Cochlearia Armoracia n'est pas sauvage en Bretagne. C'est
constaté par les botanistes zélés qui explorent aujourd'hui la
France occidentale. M. l'abbé Delalande en parle dans son opus-
cule intitulé Hœdic et Houat *, où il rend compte d'une ma-
nière si intéressante des usages et des productions de ces deux
petites îles de la Bretagne. Il cite l'opinion de M. Le Gall, qui,
dans une Flore (non publiée) du Morbihan, déclare la plante
étrangère à la Bretagne. Cette preuve, du reste, est moins forte
que les autres, parce que le côté septentrional de la péninsule
bretonne n'est pas encore assez connu des botanistes, et que
l'ancienne AnoEkorique s'étendait sur une portion de la Normandie
où maintenant on trouve quelquefois le Cochlearia sauvage *.
Ceci me conduit à parler de la patrie primitive de Tespèce.
Les botanistes anglais Tindiquent comme spontanée dans la
Grande^retagne, mais ils doutent de son origine. M. H.-C.
Watsoct * la regarde comme introduite. La difficulté, dit -il, de
l'extirper des endroits où on la cultive est bien connue des jar-
diniers. Il n'est donc pas étonnant que cette plante s'empare
des terrains abandonnés et y persiste, au point de paraître
aborigène. M. Babington ^ ne mentionne qu'une seule localité
cil l'espèce ait véritablement l'apparence d'être sauvage, savoir
Swansea, dans le pays de Galles. Tâchons de résoudre le pro-
i»ièiiiepar d'autres arguments.
Le Cochlearia Armoracia est une plante de l'Europe tem-
pérée, or»en/a/e principalement. Elle est répandue de la Fin-
lande à Astrakhan et au désert de Cuman ^ Grisebach Tin-
dîque aussi dans plusieurs locatités de la Turquie d'Europe, par
ex^EQple près d'Enos, où elle est abondante au bord de la
mer^.
Plus on avance vers l'ouest de l'Europe, moins les auteurs de
Flores paraissent certains de la qualité indigène, plus les loca-
lités sont éparses et suspectes. L'espèce est plus rare en Norwège
1. A. de Candolle, Géographie botanique raisonnée, p. 654.
2. Delalande, Hœdic et Houat, brochure in -8, Nantes, 1850, p. 109.
3. Hardouin, Renou et Leclerc, Catal. du Calvados^ p. 85; de Brebisson,
FI. de Normandie^ p. 25.
4. Watson, Cybete^ I, p. 159.
5. Babington, Manual of Brit. bot., 2» éd., p. 28.
6. Ledebour, FI. j^oss., I, p. 159.
7. Grisebach, Spicilegium FI. ^wnel.^ I, p. 565.
28 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
■
qu'en Suède \ et dans les îles britanniques plus qu'en Hollande,
où l'on ne soupçonne pas une origine étrangère ^.
Les noms de l'espèce confirment une habitation primitive à
Test plutôt qu'à l'ouest de l'Europe; ainsi le nom Chren^ en
russe ', se retrouve dans toutes les langues slaves : Krenai en
lithuanien, Chren en illyrien ^, etc. Il s'est introduit dans quel-
ques dialectes allemands, par exemple autour de Vienne *, ou
bien il a persisté dans ce pays, malgré la superposition de la
langue allemande. Nous lui devons aussi le mot français Cran
ou Cranson. Le mot usité en Allemagne, Meerretig^ et en Hol-
lande, Meei^-radys^ d'où notre dialecte de la Suisse romande a
tiré le mot Méridi ou Mérédi^ signifie radis de mer et n'a pas
quelque chose de primitif comme le mot Chren. Il résulte pro-
bablement de ce que l'espèce réussit près de la mer, circon-
stance commune avec beaucoup de Crucifères et qui doit se
présenter pour celle-ci, car elle est spontané dans la Russie
orientale, où il y a beaucoup de terrains salés. Le nom suédois
Peppar-rot ^ peut faire penser que l'espèce est plus récente en
Suède que l'introduction du poivre dans le commerce du nord
de l'Europe. Toutefois ce nom pourrait avoir succédé à un
autre plus ancien demeuré inconnu. Le nom anglais Horse
radish (radis de cheval) n'est pas d'une nature originale, qui
puisse faire croire à l'existence de l'espèce dans le pays avant
la domination anglo-saxonne. Il veut dire radis très fort. Le
nom gallois Rhuddygl maurth ' n'est que la traduction du
mot anglais, d'où l'on peut inférer que les Celtes de la Grande-
Bretagne n'avaient pas un nom spécial et ne connaissaient pas
l'espèce. Dans la France occidentale, le nom de Raifort, qui
est le plus usité, signifie simplement racine forte. On disait au-
trefois en France Moutarde des Allemands, Moutarde des capu-
cins, ce qui montre une origine étrangère et peu ancienne. Au
contraire, le mot Chren de toutes les langues slaves, mot qui a
pénétré dans quelques dialectes allemands et français sous la
forme de Kreen et Cran ou Cranson, est bien d'une nature
primitive, montrant l'antiquité de l'espèce dans l'Europe orien-
tale tempérée. Il est donc infiniment probable que la culture a
propagé et naturalisé la plante de l'est à l'ouest, depuis en-
viron un millier d'années. »
Raves et Navets â racines charnues. — Brassicœ spe-
ries et varietates radiée incrassata.
1. Pries, Summa, p. 30.
2. Miquel, Disquisitio pi, regn. Bat.
3. Moritzi, Dict. inéd, des noms vulgaires,
4. Moritzi, ibid,; Visiani, FL daim., III, p. 322.
0. Neilreich, FI. Wien, p. 502.
6. Linné, FL suecica, n« 540.
7. H. Davies, Welsh Botanology, p. 63.
RAVES ET NAVETS A RACINES CHARNUES 2^
Les innombrables variétés connues sous les noms de Raves,
Navets^ Choux-raves^ Rutabagas^ Twmeps, avec leurs sous-
variétes, se rapportent à quatre espèces de Linné : Brassica
Napus , Br. oleracea, Br, Râpa et Br, campestris , ces deux
dernières devant être plutôt réunies en une, d après les auteurs
modernes. D'autres variétés des mêmes espèces sont cultivées
pour les feuilles (choux), les inflorescences (choux-fleurs), ou en-
core pour rhuile qu'on extrait des graines (colza, navette, etc.).
Quand la racine ou le bas de la tige * sont charnus, les graines
n'abondent pas, et il ne vaut pas la peine d'en tirer de l'huile;
Suand ces organes sont minces, c'est au contraire la production
e graines qui l'emporte et qui décide de l'emploi économique.
En d'autres termes, les réserves de matières nutritives se dé-
posent tantôt dans la partie inférieure et tantôt dans la partie
supérieure de la plante, quoique l'organisation de la fleur et du
fruit reste semblable ou à peu près.
Nous n'avons pas à nous occuper pour la question d'origine
des limites botaniques des espèces et de la classification des
races, variétés et sous- variétés , attendu que tous les Brassica
sont originaires d'Europe et de Sibérie et s'y voient encore,
sous quelque forme, à l'état spontané ou presque spontané.
Des plantes aussi communes dans les cultures et dont la ger-
mination est si facile se répandent fréquemment autour des ter-
rains cultivés. De là quelque incertitude sur la spontanéité des
pieds que l'on rencontre en rase campagne. Cependant Linné
indique le Brassica Napus dans les sables du bord de la mer, en
Suède (Gotland), en Hollande et en Angleterre, ce qui est con-
firmé pour la Suède méridionale par Pries ^, lequel, toujours
attentif aux questions de cette nature, mentionne le Brassica
campestris L. (type du Rapa^ avec racines grêles) comme vrai-
ment spontané dans toute 1^ péninsule Scandinave, la Finlande
et le Danemark. Ledebour * l'indique dans toute la Russie, la
Sibérie et sur les rives de la mer Caspienne.
Les flores de l'Asie tempérée et méridionale mentionnent le&^
raves et navets comme cultivés, jamais comme se répandant
hors des cultures ^. C'est déjà un indice d'origine étrangère. Les-
documents linguistiques ne sont pas moins significatifs.
1. Dans les raves et navets, la partie renflée est, comme dans le radis, le
bas de la tige (au-dessous des cotylédons) avec une portion plus ou moins
persistante de la racine (Voir Turpin, Ann, se. nat, sér. 1, vol. 21); dans
le choux-rave (Brassica oleracea caulo-Rapa), c'est la tige.
2. Cette classification a été le sujet d'un mémoire d'Augustin Pyramus
de Candolle, couronné par la Société d'horticulture de Londres, qui se
trouve dans les Transactions de cette Société, vol. V, dans les Annales de
Vagric, franç,^ vol. 19 et, en abrégé, dans le Systema regni veget.^ vol. 2,
p. '582.
3. Pries, Summa veget, Scand., I, p. 29.
4. Ledebour, PL ross,, I, p. 216.
5. Boissier, Flora orientalis; Sir J. Hooker, Flora of british India; Thun-
30 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
Il n'existe aucun nom sanscrit pour ces plantes, mais seule-
ment des noms modernes indous et bengalis, et encore poiM- lies
seuls Brasslca Râpa et oleracea^, Kœmpfer * cite pour la rave
des noms japonais, Busei ou plus communém«nt Aona, maïs
rien ne prouve que ces noms soient anciens. Le docteur Brets-
choeider, qui a étudié attentivement les auteurs chinois, ne men-
tionne aucun Brassiea. Apparemment il n'en est pas question daafi
les anciens ouvrages de botanique et d'agriculture, quoique
maintenant en Chine on en cultive plusieurs variétés.
Transportons- nous en Europe. C'est tout l'opposé. Les lan-
gues anciennes ont une foule de noms qui paraissent origimanx.
Le Brassica Râpa se nomme dans le celtique du pays de Galles
Meipen ou Frfinen ^ ; dans plusieurs^ langues slaves *, Repa^
Rippa, ce qui répond au Râpa des Latins et n'est pas éloigné eu
Neipa des Anglo- Saxons. Le Brassica Napus est en celtique
gallois Bresych yr yd; dans le dialecte irlandais, Braisseagfk
dmgk , d'après Threlkeld ^, qui voit dans Braisseagk l'ori-
gine du Brassica des Latins. On cite un nom polonais Kar-
piele^ un nom lithuanien Jellazoji ^, sans parler d'une foule
d'autres noms, parfois transposés dans le langage populaire d'une
espèce à une autre. Je parlerai plus loin des noms du Brassa
oleracea à l'occasion des légumes.
Les Hébreux n'avaient point de noms pour les ehoux, raves
ou navets ', mais il existe des noms arabes : Selgam pour le
Br. Napus, et Subjum ou Subjumi pour le Br, Rapa^ noms qui
se retrouvent en persan et même en bengali, transposés peut--
être d'une espèce à l'autre . La culture de ces plantes dans le sud-
ouest de l'Asie s'est donc répandue depuis l'antiquité hébraïque.
Eln définitive, on parvient par toutes les voies, botanique, his-
torique et linguistique, aux conclusions suivantes :
l** Les Brassica à racines charnues sont originaires de rBurope
tempérée.
2° Leur culture s'est répandue en Europe avant et dans FInde
après l'invasion des Aryas.
3* La forme primitive, à racine grêle, du Brassica Napus, ap-
pelée Br, campestris, avait probablement une habitation primi-
tive plus étendue, de la péninsule Scandinave vers la Sibérie et
le Caucase. Sa culture s'est propagée peut-être en Chine et au
Japon par la Sibérie, à une époque qui ne paraît pas beaucoup
plus reculée que la civilisation gréco-romaine.
berg, Flora japonica ; Franchet et Savatier, Enumeratio plant japoni-
<:arum.
1. Piddington, Index.
2. Kaempfer, Amœn., p. 822.
3. Davies, Wdsh botanology^ p. 65.
4. Moritzi, Dic.t. ms. tiré des flores publiées.
5. Threlkeld, Synopsis stirpium hibemicarum, 1 vol. in-S, t727.
6. Moritzi, Dict. ms.
7. Rosenmûller, Biblische Naturgeschichte, vol. I, n'en indique aucun.
CHERVIS 31
4^ La culture des diverses formas ou espèces de Brassica s'est
propagée dans le sud-ouest de TAsie depuis les anciens Hébreux.
Ghervis. — Sium Sisarum^ Linné.
Cette Ombellifère vivace, pourvue de plusieurs racines diver-
gentes en forme de carotte, est considérée comme venant de
l'Asie orientale. Linné indiquait avec doute la Chine, et Lou-
reiro * la Ciiine et la Cochinchine, où, disait-il, on la cultive.
D'autres ont mentionné le Japon et la Corée, mais il y a dans
ces pays des espèces qu'il est aisé de confondre avec celle-ci, en
particulier le Sium Ninsi et le Panax Ginseng, M. Maximowicz ',
qui a vu ces plantes au Japon et en Chine, et pour lequel les
herbiers de Saint-Pétersbourg ont été très instructifs, ne recon-
naît comme patrie du Sium Sisarum spontané que la Sibérie al-
taïque et la Perse septentrionale. Je doute beaucoup qu'on la
découvre en Chine ou dans l'Himalaya, attendu que les ouvrages
modernes sur la région du fleuve Amour et sur l'Inde anglaise
ne la mentionnent pas.
n est douteux que les anciens Grecs et Romains aient connu
cette plante. On lui attribue le nom Sisaron de Dioscoride, Siser
de Columelleet de Pline*. Certainement le nom italien actuel Si-
sarOj 5isero est à l'appui de cette idée; mais comment les auteurs
n'auraient-ils pas noté que plusieurs racines descendent du bas
de la tige , tandis que dans toutes les autres Ombellifères culti-
vées en Europe il n'y a qu'une racine pivotante? A la rigueur, le
Siser de Columelle, plante cultivée, était peut-être le Cher-
vis; mais ce que dit Pline du Siser * ne lui convient pas. Selon
lui, « c'était une plante officinale » Tinter medica dicendum). Il
raconte que Tibère en faisait venir a' Allemagne, chaque année,
une grande quantité, ce qui prouve, ajoute-t-il, qu'elle aime les
pays froids.
Si les Grecs avaient reçu la plante directement de la Perse, il
est probable que Théophraste l'aurait connue. Elle est peut être
venue de Sibérie en Russie et de là en Allemagne. Dans ce cas,
l'anecdate sur Tibère s'appliquerait bien au Chervis. Je ne vois
pas, il est vrai, de nom russe; mais les Allemands ont des noms
originaux Krizel^ ou Grizel^ Gôriein ou Gieriein qui indiquent
une ancienne culture, plus que le nom ordinaire Zuckerwurzel^
qui signifie racine sucrée ^. Le nom danois a le même sens :
Sokerot, d'où les Anglais ont fait Skirret, Le nom Sisaron n'est
pas connu dans la Grèce moderne; il ne Tétait même pas au
1. Linné, Species, p. 361 ; Loareiro, FI. cochinch , p. 225.
2. Maximowicz, Didgnoses plantarum Japonix et Mandshurise, dans
Hélcmqea biologiques du Bulletin de VAcad. St-Pètersbourg, décad. l'3, p. 18.
3. Ôioscopides, i\iîat. med., 1. 2, c. 139; Calumella, i. 11, c. 3, 18, 35;
Lenz, Bot. der Alten, p. 560.
4. Pline, Hist. plant., 1. 19, c. 5.
5. Nemnich, Polygl. Lexicon^ II, p. 1313.
32 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
moyen âge, et la plante n'est pas cultivée actuellement dans ce
pays *. Ce sont des motifs pour douter du vrai sens des mots
Sisaron et Siser, Quelques botanistes du xvi® siècle ont pensé
que Sisaron était peut-être le Panais, et Sprengel ^ appuie cette
idée.
Les noms français Chervis et Girole ^ apprendraient peut-être
quelque chose si Ton en connaissait l'origine. Littré fait dériver
Chervis de l'espagnol Chirivia^ mais il est plus probable que
celui-ci dérive du français. Jean Bauhin * indique, dans la basse
latinité, Servillum , Chervillum ou Servillam , mots qui ne sont
pas dans le Dictionnaire de Ducange. Ce serait bien l'origine de
Chervis^ mais d'où venait Servillum soit Chervillum?
«
Arracacha ou Arracacia. — Arracacha esculenta^ de Can-
doUe.
Ombellifère généralement cultivée dans le Venezuela, la Nou-
velle-Grenade et l'Equateur comme plante nutritive. Dans les
régions tempérées de ces pays, elle soutient la comparaison avec
la pomme de terre et donne même, assure-t-on, une fécule plus
légère et plus agréable. La partie inférieure de la tige est renflée
en une bulbe sur laquelle se forment, quand la plante végète
bien et pendant plusieurs mois, des tubercules ou caïeux latéraux
plus estimés que la bulbe centrale et qui servent aux planta-
tions ultérieures ^.
L'espèce est probablement indigène dans la région où on la
cultive, mais je ne vois pas chez les auteurs des assertions posi-
tives à cet égard. Les descriptions qui existent ont été faites sur
des pieds cultivés. Grisebach dit bien qu'il a vu (je présume dans
l'herbier de Kew) des échantillons recueiUis à la Nouvelle-Gre-
nade, au Pérou et à la Trinité ^; mais il ne s'explique pas sur
la spontanéité. Les autres espèces du genre, au nombre d'une
douzaine, croissent dans les mêmes parties de l'Amérique, ce qui
rend l'origine indiquée plus vraisemblable.
L'introduction de l'Arracacha en Europe a été tentée plusieurs
fois, sans avoir jamais réussi. Le climat numide de l'Angleterre
devait faire échouer les essais de sir W. Hooker; mais les nôtres,
faits à deux reprises, dans des conditions très différentes, n'ont
pas eu plus de succès. Les caïeux latéraux ne se sont pas formés,
et la bulbe centrale a péri dans la serre où nous l'avions dépo-
1. Lenz, l. c, Heidreich, Nutzpflanzen Griechenlands ; Langkavel, lio-
tanik der spàteren Griechen.
2. Sprengel, Dioscoridis, etc., II, p. 462.
3. Olivier de Serres, Théâtre de l'agriculture ^ p. 471.
4. fiauhia, Hist. plant., III, p. 154. •
5. Les meilleures informations sur la culture ont été données par Bau-
croit à sir William Hooker et se trouvent dans le Botanical Magazine^ pi.
3092. A.-P. de Candolle a publié, dans la 5* Notice sur les plantes rares du
Jardin bot. de Genève, une figure qui montre la bulbe pnncipale.
6. Grisebacb, Flora of british W, India islands.
GARANCE 33
sée pendant Thiver. Les bulbes que nous avions communiquées
à divers jardins botaniques, en Italie, en France et ailleurs, ont
eu le même sort. Evidemment, si la plante, en Amérique, vaut
réellement la pomme de terre comme produit et comme goût,
ce ne sera jamais le cas en Europe. Sa culture ne s'est pas ré-
pandue au loin en Amérique, jusqu'au Chili et au Mexique,
comme celle de la pomme de terre ou de la Batate, ce qui con-
firme les difficultés de propagation observées ailleurs.
Garance. — Rubia tinctorum^ Linné.
La garance est certainement spontanée en Italie, en Grèce,
en Crimée, dans TAsie Mineure, en Syrie, en Perse, en Arménie
et près de Lenkoran *. En avançant de Test à Touest dans le
midi de l'Europe, la qualité de plante spontanée, originaire, est
de plus en plus douteuse. Déjà en France on hésite. Dans le
nord et Test, la plante paraît < naturalisée dans les haies, sur
les murailles *, » ou « subspontanée » à la suite d'anciennes
cultures ^. En Provence, en Languedoc, elle est plus spontanée
ou, comme on dit « sauvage », mais il se peut bien qu'elle se
soit répandue à la suite des cultures, faites assez en grand.
Dans la péninsule espagnole, elle est indiquée comme « subspon-
tanée 4 ». De même dans l'Afrique septentrionale ^. Evidem-
ment l'habitation naturelle, ancienne et incontestable est l'Asie
tempérée occidentale et le sud-est de l'Europe. Il ne paraît pas
qu'on ait trouvé la plante au delà de la mer Caspienne, dans le
pays occupé jadis par les Indo-Européens, mais cette région est
encore peu connue. L'espèce n'existe dans l'Inde qu'à l'état de
plante cultivée, sans aucun nom sanscrit ^.
On ne connaît pas davantage un nom hébreu, tandis que les
Grecs, les Romains, les Slaves, les Germains, les Celtes avaient
des noms variés qu'un érudit ramènerait peut-être à une ou
deux racines, mais qui indiquent cependant par leurs flexions
multiples une date ancienne. Probablement on a recueilli les
racines sauvages, dans la campagne, avant d'avoir l'idée de
cultiver l'espèce. Pline dit bien qu'on la cultivait en Italie de
son temps ', et il est possible qu'en Grèce et dans l'Asie Mineure
cet usage fût plus ancien.
La culture de la garance est souvent mentionnée dans les
actes français du moyen âge ®. Ensuite on l'avait négligée ou
1. Bertolonî, Flora fte/eca, II, p. 146; Decaisne, Recherches sur la Garance^
p. 58; Boissier, Flora orientalis, III, p. 17 ; Ledebour, Flora rossicOy II, p. 405.
2. Cosson et Germain, Flore des environs de Paris t II, p. 365.
3. Kirschleger, Flore if Alsace, I, p. 359.
4. Willkomm et Lange, Prodromus florx hispanicse, II, p. 307.
5. Bail, Spicilegium Florœ fnaroccanxy p. 483 ; Munby, Catal. plant,
Alger., éd. 2, p. 17.
6. Piddington, Index,
7. Plinius, lib. 19, cap. 3.
8. De Gasparin, Traité d'agriculture y IV, p. 253.
De Candolle. 3
34 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
abandonnée, jusqu*à l'époque où Althen l'introduisit de nouveau
dans le comté d Avignon, au milieu du xvine siècle. Elle était
jadis florissante en Alsace, en Allemagne, en Hollande et sur-
tout dans la Grèce, TAsie Mineure et la Syrie, d'où Texportaition
était considérable, mais la découverte de matières tinctoriales
tirées de substances inorganiques a supprimé cette culture, au
détriment des provinces qui en obtenaient de grands bénéfices.
Topinambour. — Helianthus tuberosus, Linné.
C'est dans Tannée 1616 que les botanistes européens ont parlé
pour la première fois de cette Composée à grosse racine, meilleure
pour la nourriture des animaux que pour celle de l'homme.
Golumna * l'avait vue dans le jardin du cardinal Farnèse et
l'avait nommée Aster peruanus tuberosus. D'autres auteurs du
même siècle ont donné des épithètes qui montrent qu'on la
croyait ou du Brésil, ou du Canada, ou de l'Inde, ce qjui vou^
lait dire l'Amérique. Linné ^ avait adopté, d'après l'opmion de
Parkinson, l'origine canadienne, dont il n'avait cependant au-
cune preuve. J'ai fait remarquer autrefois ^ qu'il n'y a pa&
d'espèces du genre Helianthus au Brésil, et qu'elles sont au
contraire nombreuses dans l'Amérique du Nord.
Schlechtendal *, après avoir constaté que le Topinambour sup-
porte des hivers rigoureux dans le centre de l'Europe, fait ob-
server que c'est favorable à l'idée d'une origine canadienne et
contraire à celle d'une provenance de quelque région méridio-
nale. Decaisne ^a pu élaguer dans la synonymie de 1'^. tuberosus
plusieurs citations qui avaient fait croire à une origine de l'Amé-
rique méridionale ou du Mexique. Comme les botanistes améri-
cains, il rappelle ce que d'anciens voyageurs avaient dit sur cer-
taines coutumes des indigènes du nord des Etats-Unis et du
Canada. Ainsi Champlain, en 1603, avait vu « entre leurs mains
des racines qu'ils cultivent, lesquelles ont le goût d'artichaut. »
Lescarbot ^ parle de ces racines, ayant goût de cardon, qui mul-
tiplient beaucoup, et qu'il avait rapportées en France, où Ton
commençait à les vendre sous le nom de Topinambaux, Les
sauvages, dit-il, les appellent Chiquebi, Decaisne cite encore
deux horticulteurs français du xvu^ siècle. Colin et Sagard, qui
parlent évidemment du Topinambour et disent qu'il venait du
Canada. Notons qu'à cette époque le nom de Canada avait un
sens vague et comprenait quelques parties des Etats-Unis actuels.
1. Columna, Ecphram, II, p. 11.
2. Linné, H or tus clijfortianuSy p. 420.
3. A. de Candolle, Géogr. bot. raisonnée^ p. 824.
4. Schlechtendal, Bot. Zeit., 1858, p. 113.
5. Decaisne, Recherches sur l'origine de quelques-unes de nos plantes ali-
mentaires, dans la Flore des serres et Jardins, vol. 23, 1881.
6. Lescarbot, Histoire de la Nouvelle-France, éd. 3, 1618, t. VI, p. 93K
SALSIFIS. SCORSONÈRE 35
Gk>okin, auteur américain sur les coutumes des indigènes, dit
que ceux-ci mettaient des morceaux de Topinambour (Jérusalem
artichok-e) dans leurs potages *.
Les analogies botaniques et les témoignages de contemporains
s'accordent, comme on voit, dans le sens de l'origine du nord-
est de TAmérique. Le D*" Asa Gray, voyant qu'on ne trouvait
pas la plante sauvage, l'avait supposée une forme de VH, doro-
nicoides de Lamarck, mais on dit maintenant qu'elle est spon-
tanée dans l'état d'Indiana^.
Le nom Topinambour paraît venir de quelque nom réel ou
supposé des langues américaines. Celui des Anglais, Jérusalem
articàoke, est une corruption de l'italien Girasole (Tournesol),
combinée avec une allusion au goût d*artichaut de la racine.
Salsifis. — Tragopogon porrifoUmn^ Linné.
Le salsifis ou, comme on écrivait jadis, Sercifi ^, était plus
cultivé il y a un siècle ou deux qu'à présent. C'est une Com-
posée bisannuelle, qu'on trouve à l'état sauvage en Grèce, en
Dalmatie, en Italie et même en Algérie *. Elle s'échappe assez
souvent des jardins dans l'ouest de l'Europe et se naturalise à
moitié ^ .
Les commentateurs ^ attribuent le nom Tragopogon (barbe
de bouc) de Théophraste tantôt à l'espèce actuelle et tantôt au
Tragopogon crocifolium, qui croît également en Grèce. Il est
difficile de savoir si les anciens cultivaient le Salsifis ou le re-
cueillaient dans la campagne. Dans le xvi« siècle, Olivier de Serres
dit que c'était une culture nouvelle pour son pays, le midi de la
France. Notre mot Salsifis vient de l'italien Sassefrica^ qui
frotte les pierres, sens qui n'a rien de raisonnable.
Scorsonère d'Espace. — Scorzonera hispanica^ Linné.
On donne quelquefois à cette plante le nom de Salsifis ou
Salsifis d'Espagne, parce qu'elle ressemble au salsifis {Trago-
pogon porrifolium) ; mais sa racine est brune extérieurement :
d'où viennent le nom botanique et celui à'^écorce noire, usité
dans quelques provinces.
Elle est spontanée en Europe, depuis l'Espagne, où elle est
commune, le midi de la France et l'Allemagne, jusqu'à la ré-
gion du Caucase et peut-être jusqu'en Sibérie, mais elle manque
\. Kckering, Chronol. arrang., p. 749, 972.
2. Catalogue of Indiana plants y 1881, p. 15.
3. Olivier de Serres, Théâtre de Vagriculture, p. 470.
4. Bois8ier, Flora orient., III, p. 745; Visiani, FI. dalmat., II, p. 108; Berto-
loni, FI. ital., VIII, p. 348; Gussone, Synopsis fl. sicul^e, II, p. 384; Munby,
Catal, Alger., éd. 2, p. 22.
5. A. de CandoUe, Géogr. bot. vaisonnée, p. 671.
6. Fraas, Synopsis fl. class., p. 196; Lenz, Botanik der Alten, p. 485.
36 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
à la Sicile et la Grèce *. Dans plusieurs localités d'Allemagne,
l'espèce est probablement naturalisée à la suite des cultures.
Il ne paraît pas qu'on cultive cette plante depuis plus de cent
ou cent cinquante ans. Les botanistes du xvi® siècle n'en par-
lent que comme d'une espèce sauvage, introduite quelquefois
dans les jardins botaniques. Olivier de Serres ne la mentionne pas.
On avait prétendu jadis que c'était un antidote contre la
morsure des vipères, et on appelait quelquefois la plante vipé-
rine. Quant à 1 étymologie du nom Scorzonère, elle est si évi-
dente qu'on ne comprend pas pourquoi d'anciens auteurs, même
Tournefort ^^ ont avancé que l'origine est escorso, vipère, en
espagnol ou en catalan. Vipère se dit plutôt, en espagnol, vibora.
Il existe en Sicile un Scorzonera deliciosa, Gmsone^ dont la
racine extrêmement sucrée sert à confectionner des bonbons et
des sorbets à Païenne ^. Gomment n'a-t-on pas essayé de la cul-
tiver ? Je conviens qu'on m'a servi, à Naples, des glaces à la
Scorzonera^ que j'ai trouvées détestables, mais elles étaient faites
peut-être avec l'espèce ordinaire (Scorzonera hispanica).
Pomme de terre. — Solanum tuberosum^ Linné.
J'ai exposé, en 1855, et discuté ce qu'on savait alors sur l'ori-
gine de la Pomme de terre et sur son introduction en Europe *.
J'ajouterai maintenant ce qu'on a découvert depuis un quart de
siècle. On verra que les données acquises autrefois sont deve-
nues plus certaines et que plusieurs questions accessoires un peu
douteuses sont restées telles, avec des probabilités cependant
plus fortes en faveur de ce qui me paraissait jadis vraisemblable.
Il est bien prouvé qu'à 1 époque de la découverte de l'Amé-
rique la culture de la Pomme de terre était pratiquée, avec
toutes les apparences d'un ancien usage, dans les régions tem-
pérées qui s'étendent du Ghili à la Nouvelle-Grenade, à des hau-
teurs différentes selon les degrés de latitude. Gela résulte du
témoignage de tous les premiers voyageurs, parmi lesquels je
rappellerai Acosta "^ pour le Pérou, et Pierre Gieca, cité par ae
L'Ecluse ®, pour Quito.
Dans les parties tempérées orientales de l'Amérique méridio-
nale, par exemple sur les hauteurs de la Guyane et du Brésil,
la Pomme de terre n'était pas connue des indigènes, ou, s'ils
1. Willkomm et Lange, Prodromus florœ hispanicse^ II, p. 223 ; de Can-
doUe, Flore française, IV, p. 59 ; Koch, Synopsis fl, germ,, éd. 2 p., 488 ;
Ledebour, Flora rossica, II, p. 794 ; Boissier, FL orient, III, p. 767 ; Bertoloni,
Flora italica, VIII, p. 365.
2. Tournefort, Eléments de botanique, p. 379.
3. GussoiïE, Synopsis florœ sicuUe,
4. A. de CandoUe, Géogr. bot, raisonnée, p. 810 à 816.
5. Acosta, p. 163, verso.
6. De L'Ecluse (soit Clusius), Rariarum plantarum historia, 1601, pars 2,
p. 79, avec figure.
POMME DE TERRE 37
connaissaient une plante analogue, c'était le Solanum Corn-
mersonii, qui a aussi des tubercules et se trouve sauvage à Mon-
tevideo et dans le Brésil méridional. La vraie Pomme de terre
est bien cultivée aujourd'hui dans ce dernier pays, mais elle
y est si peu ancienne qu'on lui a donné le nom de Batate des
Anglais *. D'après de Humboldt, elle était inconnue au Mexique *,
circonstance confirmée par le silence des auteurs subséquents,
mais contredite, jusqu'à un certain point, par une autre donnée
historique.
On dit, en effet, que Walter Raleigh, ou plutôt son compa-
gnon dans plusieurs voyages, Thomas Herriott, avait rapporté,
en 1585 ou 1586, des tubercules de Pomme de terre de la Vir-
ginie ^ en Irlande. Le nom du pays était Openawk (prononcez
Openauk). D'après la description de la plante par Herriott,
citée par sir Joseph Banks *, il n'y a pas de doute que c'était la
pomme de terre et non la Batate, qu on confondait quelquefois
avec elle à cette époque. D'ailleurs Gérard ^ nous dit avoir reçu
de Virginie la Pomme de terre, qu'il cultivait dans son jardin
en 1597 et dont il donne une figure parfaitement conforme au
Solanum tuberosum. Il en était si fier que son portrait, à la
tête de l'ouvrage , le représente ayant en main un rameau
fleuri de cette plante.
Comment l'espèce était-elle en Virginie ou dans la Caroline au
temps de Raleign, en 1585, tandis que les anciens Mexicains ne
la possédaient pas et que la culture ne s'en était point répandue
chez les indigènes au nord du Mexique? Le D' Roulin, qui a
beaucoup étudié les ouvrages concernant l'Amérique septen-
trionale, m'affirmait jadis qu'il n'avait trouvé aucune indica-
tion de la Pomme de terre aux Etats-Unis avant l'arrivée des
Européens. Le D»" Asa Gray me le disait aussi, en ajoutant que
M. Harris, un des hommes les plus versés dans la connaissance
de la langue et des usages des tribus du nord de l'Amérique,
avait la même opinion. Je n'ai rien lu de contraire dans les pu-
blications récentes, et il ne faut pas oublier qu'une plante aussi
facile à cultiver se serait répandue, même chez des peuples
nomades, s'ils l'avaient possédée. La probabilité me paraît être
que des habitants de la Virginie — peut-être des colons anglais
— auraient reçu des tubercules par les voyageurs espagnols ou
autres, qui trafiquaient ou cherchaient des aventures pendant
les quatre-vingt-dix ans écoulés depuis la découverte de l'Amé-
rique. Evidemment, à dater de la conquête du Pérou et du Chili,
en 1535, jusqu'en 1585, beaucoup de vaisseaux ont pu emporter
!. De Martius, Flora h^asiLj vol. 10, p 12.
2. De Humboldt, Nouvelle-Espagne^ éd. 2, vol. 2, p. 451 ; Essai sur la
géographie des plantes^ p. 29.
3. A cette époque, on ne distinguait pas la Virginie de la Caroline.
4. Banks. Transactions of the horticult. Society^ 1805, vol. 1, p. 8.
5. Gérard, Herbaly 1597, p. 781, avec figure.
38 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
des tubercules de Pommes de terre comme provision, et W. Ra-
leigh, faisant une guerre de flibustier aux Espagnols, lui ou un
autre peut avoir pillé quelque vaisseau qui en contenait. Ceci
est d'autant moins invraisemblable que les Espagnols avaient
introduit la plante en Europe avant 1585.
Sir Joseph Banks * et Dunal ^ ont eu raison d'insister sur ce
fait de l'introduction première par les Espagnols, attendu que
pendant longtemps on a parlé surtout de Walter Raleigh, qui a
été le second introducteur, et même d'autres Anglais, qui avaient
apporté, non la Pomme de terre, mais la Batate, plus ou moins
confondue avec elle ^, Un botaniste célèbre, de L'Ecluse *, avait
pourtant précisé les faits d'une manière remarquable. C'est lui
qui a publié la première bonne description et bonne figure de
la Pomme de terre, sous le nom significatif de Papas Perua-
norum. D'après ce qu'il dit, l'espèce a bien peu changé par
TefTet d'une culture de près de trois siècles, car elle donnait à
l'origine jusqu'à 50 tubercules de grosseur inégale, ayant de un
à deux pouces de longueur, irrégulièrement ovoïdes, rougeâtres,
qui mûrissaient en novembre (à Vienne) . La fleur était plus ou
moins rose à l'extérieur et rosée à l'intérieur, avec cinq raies
longitudinales de couleur verte, ce qu'on voit souvent aujour-
d'hui. On a obtenu sans doute de nombreuses variétés, mais
l'état ancien n'est pas perdu. De L'Ecluse compare le parfum des
fleurs à celui du tilleul, seule diflerence d'avec nos plantes
actuelles. Il sema des graines qui donnèrent une variété à fleurs
blanches, comme nous en voyons quelquefois.
Les plantes décrites par de L'Ecluse lui avaient été envoyées
€n 1588 par Philippe de Sivry, seigneur de Waldheim, gouver-
neur de Mons, qui les tenait de quelqu'un de la suite du légat
du pape en Belgique. De L'Ecluse ajoute que l'espèce avait été
reçue en Italie d'Espagne ou d'Amérique (certum est vel ex His-
paniis, vel ex America habuissej, et il s'étonne qu'étant de-
venue commune en Italie, au pomt qu'on la mangeait comme
des raves et qu'on en donnait aux porcs, les savants de l'école
de Padoue en avaient eu connaissance par les tubercules qu'il
leur envoya d'Allemagne. Targioni ^ n'a pas pu constater que
la Pomme de terre eût été cultivée aussi fréquemment en Italie
à la fin du xvi* siècle que le dit de L'Ecluse, mais il cite le Père
Magazzini, de Valombrosa, dont l'ouvrage posthume, publié
1. Banks, /. c.
2. Dunal, Histoire naturelle des Solanurrij in-4.
3. La plante apportée par sir Francis Drake et sir John Hawkins était
clairement la Batate, dit sir J. Banks ; d'où il résulte que les questions
discutées par de Humboldt sur les localités visitées par ces voyageurs ne
s'appliquent pas à la Pomme de terre.
4. De L'Ecluse, Le.
5. Targioni-Tozzetti, Lezzioni, II, p. 10; Cenni storici sulla introduztom
di varie pianie nelV agricoltura di Toscana, 1 vol. in-8, Florence, 1853, p. 37.
POMME DE TERRE 39
€n 1623, mentionne l'espèce comme apportée précédemment,
sans indication de date, d'Espagne ou de Portugal, par des
carmes déchaussés. Geserait donc vers la fin du xvio siècle ou
au commencement du xvii® que la culture se serait répandue en
Toscane. Indépendamment de ce que disent de L'Ecluse et l'agro-
nome de Valombrosa sur l'introduction par la péninsule espa-
gnole, il n'est nullement probable que les Italiens aient eu des
rapports avec les compagnons de Raleigh.
Personne ne peut douter que la Pomme de terre ne soit origi-
naire d'Amérique ; mais, pour connaître de quelle partie précisé-
ment de ce vaste continent, il est nécessaire de savoir si la plante
s'y trouve à l'état spontané et dans quelles localités.
Pour répondre nettement à cette question, il faut d'abord
écarter deux causes d'erreurs : l'une qu'on a confondue avec la
Pomme de terre des espèces voisines du genre Solanum ; l'autre
que les voyageurs ont pu se tromper sur la qualité de plante
spontanée.
Les espèces voisines sont le Solanum Commersonii de Dunal,
dont j'ai déjà parlé; le S, Maglia de Molina, espèce du Chili; le
jS. immite de Dunal, qui est du Pérou; et le S. verrucosum de
Schlechtendal, qui croît au Mexique. Ces trois sortes de Solanum
ont des tubercules plus petits que le S. tubermum et diffèrent
aussi par d'autres caractères indiqués dans les ouvrages spéciaux
•de botanique. Théoriquement, on peut croire que toutes ces
formes et d'autres encore croissant en Amérique, dérivent d'un
seul état antérieur; mais, à notre époque géologique, elles se
présentent avec des diversités qui me paraissent justifier des
distinctions spécifi,ques, et il n'a pas été fait d'expériences pour
prouver qu'en fécondant l'une par l'autre on obtiendrait des
produits dont les graines (et non les tubercules) continueraient
îa race *. Laissons de côté ces questions plus ou moins douteuses
sur les espèces. Cherchons si la forme ordinaire du Solanum
tuberosum a été trouvée sauvage, et notons seulement que
l'abondance des Solanum à tubercules croissant en Amérique
•dans les régions tempérées, du Chili ou de Buenos- Ayres jusqu'au
Mexique, confirme le fait de Torigine américaine. On ne saurait
rien de plus que ce serait une forte présomption sur la patrie
primitive.
La seconde cause d'erreur est expliquée très nettement par le
botaniste Weddell ^, qui a parcouru avec tant de zèle la Bolivie
et les contrées voisines. « Quand on réfléchit, dit-il, que dans
l'aride cordillière les Indiens établissent souvent leurs petites
1. Le Solanum verrucosum^ dont j*ai raconté, en 1855, l'introduction
dans le pays de Gex, près de Genève, a été abandonné, parce que ses tuber-
cules sont trop petits et qu'il ne résistait pas à l'oïdium, comme on s'en
-était flatté.
2, Chloris Andina, in-4, p. 103,
40 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
cultures sur des points qui paraîtraient presque inaccessibles à la
grande majorité de nos fermiers d'Europe, on comprend qu'un
voyageur visitant par hasard une de ces cuHures depuis longtemps
abandonnées, et y rencontrant un pied de Solanum tuberosum qui
y a accidentellement persisté, le recueille, dans la persuasion qu'il
y est réellement spontané; mais où en est la preuve? »
Voyons maintenant les faits. Ils sont nombreux pour ce qui
concerne la spontanéité au Chili.
En 1822, Alexandre Galdcleugh *, consul anglais, remet à la
Société d'horticulture de Londres des tubercules de Pommes de
terre qu'il avait recueillis « dans des ravins autour de Valpa-
raiso ». Il dit que ces tubercules sont petits, tantôt rouges et
tantôt jaunâtres, d'un goût un peu amer ^ « Je crois, ajoute-t-il,
que cette plante existe sur une grande étendue du littoral, car
elle se trouve dans le Chili méridional, où les indigènes l'aDellent
Maglia. » Il y a probablement ici une confusion avec le S, maglia
des botanistes; mais les tubercules de Valparaiso, plantés à
Londres, ont donné la vraie Pomme de terre, ce qui saute aux
yeux en voyant la planche coloriée de Sabine dans les Transactions
de la Société d'horticulture. On continua quelque temps à cul-
tiver cette plante, et Lindley certifia de nouveau, en 1847, son
identité avec la Pomme de terre commune ^. Voici ce qu'un
voyageur expliquait à sir William Hooker * sur la plante de
Valparaiso : « J ai noté la Pomme de terre sur le littoral jus-
qu'à 15 lieues au nord de cette ville, et au midi, mais sans
savoir jusqu'à quelle distance. Elle habite sur les falaises et les
collines près de la mer, et je n'ai pas souvenir de l'avoir vue
à plus de deux ou trois lieues de la côte. Bien qu'on la trouve
dans les endroits montueux, loin des cultures, elle n'existe pas
dans le voisinage immédiat des champs et des jardins où on la
plante, excepté lorsqu'un ruisseau traverse ces terrains et porte
des tubercules dans les endroits non cultivés. » Les Pommes de
terre décrites par ces deux voyageurs avaient des fleurs blan-
ches, comme cela se voit dans quel(jues variétés cultivées en
Europe, et comme la plante semée jadis par de L'Ecluse. On
peut présumer que c'est la couleur primitive pour l'espèce ou,
au moins, une des plus fréquentes à l'état spontané.
Darwin, dans son voyage à bord du Beagle, trouva la
Pomme de terre sauvage dans l'archipel Chonos, du Chili méri-
dional, sur les sables du bord de la mer, en grande abondance,
1. Sabine, Transactions of the horticultural Society^ vol. 5, p. 249.
2. II ne faut pas attacher de l'importance à cette saveur, ni à la qualité
aqueuse de certains tubercules, attendu que dans les pays chauds, même
dans le midi de l'Europe , la Pomme de terre est souvent médiocre. Une
exposition à la lumière verdit les ti:Q)ercules, qui sont des rameaux souter-
rains de la tige, et les rend amers.
3. Journal of the hortic. Society^ vol. 3, p. 66.
4. Hooker, Èotanical miscelL, 1831, vol. 2, p. 203.
POMME DE TERRE 41
et végétant avec une vigueur singulière, qu'on peut attribuer à
riiumidité du climat. Les plus grands individus avaient quatre
pieds de hauteur. Les tubercules étaient petits, quoique Tun
d'eux eût deux pouces de diamètre. Ils étaient aqueux, insipides,
mais sans mauvais goût après la cuisson. « La plante est mdu-
bitablement spontanée », dit l'auteur *, et l'identité spécifique a
été confirmée par Henslow d'abord et ensuite par sir Joseph
Hooker, dans son Flora antarctica ^.
Un échantillon de notre herbier recueilli par Claude Gay,
attribué au Solarium tuberosum par Dunal, porte sur l'étiquette :
« Au centre des cordillières de Talcagoué et de Cauquenès, dans
les endroits que .visitent seulement les botanistes et les géologues, »
Le même auteur. Cl. Gay, dans son Flora chilena ', insiste sur
la fréquence de la Pomme de terre sauvage au Chili, jusque chez
les Araucaniens, dans les montagnes de Malvarco, où, dit-il, les
soldats de Pincheira allaient les chercher pour se nourrir. Ces
témoignages constatent assez l'indigénat au Chili pour que j'en
omette d'autres moins probants, par exemple ceux de Molina et
de Meyen, dont les échantillons du Chili n'ont pas été examinés.
Le climat des côtes du Chili se prolonge sur les hauteurs en
suivant la chaîne des Andes, et la culture de la Pomme de terre
est ancienne dans les régions tempérées du Pérou, mais la qualité
spontanée de l'espèce y est beaucoup moins démontrée qu'au
Chili. Pavon * prétendait l'avoir trouvée sur la côte, à Chancay
et près de Lima. Ces localités paraissent bien chavdes pour une
espèce qui demande un climat tempéré ou même un peu froid.
D'ailleurs l'échantillon de l'herbier de M. Boissier recueilli par
Pavon, appartient, d'après Dunal, à une autre espèce qu'il a
nommée ^ Solanum immite. J'ai vu l'échantillon authentique et
n'ai aucun doute que ce ne soit une espèce distincte du *S'. tube-
rosum. Sir W. Hooker ® cite un échantillon, de Mac Lean, des col-
lines autour de Lima, sans aucune information sur la sponta-
néité. Les échantillons (plus ou moins sauvages ?) que Matthews
a envoyés du Pérou à sir W. Hooker appartiennent, d'après sir
Joseph ', à des variétés un peu diff'érentes de la vraie Pomme de
terre. M. Hemsley ®, qui les a vus récemment dans l'herbier de
Kew, les juge « des formes distinctes, pas plus cependant que
certaines variétés de l'espèce. »
Weddelt,'*dont nous connaissons la prudence dans cette ques-
tion, s'exprime ainsi ' : a Je n'ai jamais rencontré au Pérou le
1. Jowmal of the voyage^ etc., éd. 1852, p. 285.
2. Vol. 1, part. 2, p. 329.
3. Vol. 5, p. 74.
4. Ruiz et Pavon, Flora peruviana, II, p. 38.
5. Dunal, Prodromus^ 13. sect. 1, p. 32.
6. Hooker, Bot. miscell.y II,
7. Hooker, ^Flora antarctica, 1. c.
8. Journal of the royal hortic, Society , new serieS; vol. 5.
9. Weddell, Chloris Andina, 1. c.
42 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
Solanum tuberosum dans des circonstances telles qu'il ne me
restât aucun doute qu'il fût indigène; je déclare même que je ne
crois pas davantage à la spontanéité d'autres individus rencon-
trés de loin en loin sur les Andes extra-chiliennes et regardés
jusqu'ici comme en étant indigènes. »
D'un autre côté, M. Ed. André * a recueilli, avec beaucoup de
soin, dans deux localités élevées et sauvages de la Colombie et
dans une autre près de Lima, sur la montagne des Amancaes,
des échantillons qu'il pensait pouvoir attribuer au S, tuberosum,
M. André a eu l'obligeance de me les prêter. Je les ai comparés
attentivement avec les types des espèces de Dunal dans mon
herbier et dans celui de M. Boissier. Aucun de. ces Solanum, à
mon avis, n'appartient au S. tuberosum^ quoique celui de La
Union, près du fleuve Gauca, s'en rapproche plus que les autres.
Aucun, et ceci est encore plus certain, ne répond au S, immite,
de Dunal. Ils sont plus près du "S. Colombianum, du même
auteur, que du tuberosum ou de Yimmite. L'échantillon du mont
Quindio présente un caractère bien singulier. Il a des baies
ovoïdes et pointues ^.
Au Mexique, les Solanum tubéreux attribués au aS. tuberosum^
ou, selon M. Hemsley ^, à des formes voisines, ne paraissent pas
pouvoir être considérés comme identiques avec la plante culti-
vée. Ils se rapportent au S, Fendleri^ que M. Asa Gray a con-
sidéré d'abord comme espèce propre et ensuite * comme une
forme du S. tujberosum ou du S, verrucosum.
Nous pouvons conclure de la manière suivante :
1° La pomme de terre est spontanée au Chili, sous une forme
qui se voit encore dans nos plantes cultivées.
2° Il est très douteux que l'habitation naturelle s'étende jus-
qu'au Pérou et à la Nouvelle-Grenade.
3° La culture était répandue, avant la découverte de l'Amé-
rique, du Chili à Nouvelle-Grenade.
4*^ Elle s'était introduite, probablement dans la seconde moitié
du xvi« siècle, dans la partie des Etats-Unis appelée aujourd'hui
Virginie et Caroline du Nord.
5« Elle a été importée en Europe, de 1580 à 1585, d'abord
par les Espagnols, et ensuite par les Anglais, lors des voyages
de Raleigh en Virginie ^.
Batate ou Patate, Siveet Potatoe (en anglais) — Convoi-
volus Batatas, Linné. Batalas edulis, Choisy.
1. André, dans Illustration horticole^ 1877, p. H4.
2. La forme des baies n'est pas encore connue dans les S. Colombianum
et immite.
3. Hemsley, 1. c.
4. Asa Gray, Synoptical flora of N. Am,^ II, p. 227.
5. Sur l'introduction successive dans différentes parties deFEurope, voir:
Clos, Quelques documents sur l'histoire de la pomme de terre, in-8, 1874,
dans Journal d*agric. pratiq. du midi de la France,
BATATE 43
Les racines de cette plante, renflées en tubercules, ressemblent
aux Pommes de terre, d'où il est résulté que les navigateurs du
XVI® siècle ont appliqué le même nom à ces deux espèces très
différentes. La Batate est de la»famille des Convolvulacées, la
Pomme de terre de celle de Solanées ; les parties charnues de la
première sont des racines, celles de la seconde des rameaux
souterrains *.
La Batate est sucrée, en même temps que farineuse. On la cul-
tive dans tous les pays intertropicaux ou voisins des tropiques,
plus peut-être dans le nouveau monde que dans l'ancien %
Son origine est douteuse d'après un grand nombre d'auteurs.
De Humboldt ^, Meyen *, Boissier ^, indiquent une origine amé-
ricaine; Bojer ^, Ghoisy ''y etc., une origine asiatique. La même
diversité se remarque dans les ouvrages antérieurs. La question
est d'autant plus difficile que les Convolvulacées sont au nom-
bre des plantes les plus répandues dans le monde, soit depuis
des époques très anciennes, soit par l'effet de transports mo-
dernes.
En faveur de l'origine américaine, il y a des motifs puissants.
Les 15 espèces connues du genre Batatas se trouvent toutes en
Amérique, savoir 11 dans ce continent seul et 4 à la fois en Amé-
rique et dans l'ancien monde, avec possibilité ou probabilité de
transports. La culture de la Batate commune est très répandue
en Amérique. Elle remonte à une époque reculée. Marcgraff ® la
cite pour- le Brésil, sous le nom de Jetica, Humboldt dit que le
nom Camote vient d'un mot mexicain. Le mot de Batatas (d'où
par transposition erronée on a fait Potatoe, pomme de terre) est
donné pour américain. Sloane et Hughes ^ parlent de la Batate
comme d'une plante très cultivée, ayant plusieurs variétés aux
Antilles. Ils ne paraissent pas soupçonner une origine étrangère.
Clusius, qui l'un des premiers a parlé de la Batate, dit en avoir
mangé dans le midi de l'Espagne, où l'on prétendait l'avoir
reçue du nouveau monde *°. 11 indique les noms de Batatas^ Ca-
motes, Amotes, Ajes ^\ qui étaient étrangers aux langues de
1. Turpîn a publié de bonnes figures qui montrent clairement ces faits»
Voy. Mémoires du Muséum^ in-4, vol. 19, pi. 1, 2 et 5.
2. Le Dr Sagot a donné des détails intéressants sur le mode de culture,
le produit, etc., dans le Jowmal de la Société d'hortic. de France, vol. 5,
5« série, p. 450-458.
3. Humboldt, Nouv. -Espagne, éd. 2, vol. 2, p. 470.
4. Meyen, Grundrisse Pflanz. geogr.y p. 373.
5. Boissier, Voyage botanique en Espagne,
6. Bojer, Hort. maurit., p. 225.
7. Choisy, dans Prodromus, 9, p. 338.
8. Marcgraff, Bres., p. 16, avec fig.
9. Sloane, Hist. Jam., I, p. 150 ; Hughes, Baj^b. p. 228.
10. Clusius, hist,, 11, p. 77.
11. Ajes était un nom de l'igname (Humb., Noiiv-Esp., 2« édit., vol. 2,
p. 467, 468;.
44 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
l'ancien monde. Son livre date de 1601. Humboldt * dit que,
d'après Gomara, Christophe Colomb, lorsqu'il parut pour la
•première fois devant la reine Isabelle, lui offrit divers produits
du nouveau monde, entre autres ^es Bâtâtes. Aussi, ajoute-t-il, la
culture de cette plante était-elle déjà commune en Espagne dès le
milieu du xvi« siècle. Oviedo *, qui écrivait en 1526, avait vu la
Batate très cultivée par les indigènes de Saint-Domingue, et
l'avait introduite lui-même à Avila, en Espagne. Rumphius ' dit
positivement que, selon l'opinion commune, les Batatas ont été
apportées par les Espagnols d'Amérique à Manille et aux Molu-
ques, d'où les Portugais les ont répandues dans l'archipel indien.
Il cite des noms vulgaires , qui ne sont pas malais et qui
indiquent une introduction par les Castillans. Enfin, il est cer-
tain que la Batate était inconnue aux Grecs, aux Romains et aux
Arabes ; qu'elle n'était pas cultivée en Egypte, et cela même il y
a quatre-vingts ans *, ce qui ne s'expliquerait guère si l'on sup-
pose une origine de l'ancien monde.
D'un autre côté, il y a des arguments pour une origine asiati-
que. L'Encyclopédie chinoise d'agriculture parle de la Batate
et mentionne diverses variétés ^ ; mais le D*^ Bretschneider ® a
constaté que l'espèce est décrite pour la première fois dans un
livre du ii<» ou me siècle de notre ère. D'après Thunberg ', la Ba-
tate a été apportée au Japon par les Portugais. Enfin la plante
cultivée à Taïti, dans les îles voisines et à la Nouvelle-Zélande,
sous les noms Ûmara^ Guman^a et Gumalla, décrite par Forster ^
sous le nom de Convolvolus chrysorhizus, est la Batate, d'après
sir Joseph Hooker ^. Seemann *^ fait observer que ces noms res-
semblent au nom quichuen de la Batate, en Amérique, qui est,
dit-il, Cumar. La culture de la Batate était répandue dans l'Inde
au xviii* siècle ". On lui attribue plusieurs noms vulgaires, et
même, selon Piddington *^, un nom sanscrit, Ruktaloo (prononcez
Roktalou)^ qui n'a d'analogie avec aucun nom à moi connu et
n'est pas dans le dictionnaire sanscrit de Wilson. D'après une
note que m'avait donnée Adolphe Pictet, Ruktaloo semble un
nom bengali composé du sanscrit Alu {Rutka^ plus a/w, nom
de l'Arum campanulatum). Ce nom, dans les dialectes modernes,
désigne l'Igname et la Pomme de terre. Cependant Wallich *^ in-
1. Humboldt, Nouv.-Esp., 1. c.
2. Oviedo, trad. de Ramusio, vol. III, part. IIL
3. Rumphius, Amboin., V, p. 368.
4. Forskal, p. 54 ; Delile, lit.
5. D'Hervey Saint-Denys, Rech. sur Vagric. des Chin,^ 1850, p. 109.
6. Study and value of chinese bot. works, p. 13.
7. Thunberg, Flora japon., p. 84.
8. Forster, Plantée escul.^y. 56.
9. Hooker, Handb. New Zealand. florOf-p. 194.
10. Seemann, Journal of bot., 1866, p. 328.
11. Roxburgh, édit. Wall., II, p. 69.
12. Piddington, Index.
13. Wallich, Flora Ind.y 1. c.
BATATE 45
dique plusieurs autres noms que Piddington omet. Roxburgh *
ne cite aucun nom sanscrit. Rheede * dit que la plante était cul-
tivée au Malabar. Il cite des noms vulgaires indiens.
Les motifs sont beaucoup plus forts, ce me semble, en faveur
de l'origine américaine. Si la Batate avait été connue dans
rinde à l'époque de la langue sanscrite, elle se serait répandue
dans l'ancien monde, car sa propagation est aisée et son uti-
lité évidente. Il parsût, au contraire, que les îles de la Sonde,
TEgypte, etc., sont restées étrangères pendant longtemps à cette
culture.
Peut-être un examen attentif ramènera-t-il à l'opinion de
G. P. W. Meyer, qui distinguait ' la plante asiatique des espèces
américaines. Cependant on n'a pas suivi généralement cet au-
teur, et je soupçonne que, s'il y a une espèce asiatique différente,
ce n'est pas, comme le croyait Meyer, la Bàtate décrite par Rum-
phius, que celui-ci dit apportée d'Amérique, mais la plante
indienne de Roxburgh.
On cultive des Bâtâtes en Afrique; mais, ou leur culture est
rare, ou les espèces sont différentes. Robert Brown * dit que le
voyageur Lockhardt n'avait pas vu la Batate, dont les mission-
naires portugais mentionnaient la culture. Thonning ^ ne Tin-
dique pas. Vogel a rapporté une espèce cultivée sur la côte
occidentale, qui est certainement, d'après les auteurs du Flora
Nigritiaruiy le Batatas paniculata Ghoisy. Ce serait donc une
plante cultivée pour ornement ou comme espèce officinale, car
la racine en est purgative®. On pourrait croire que, dans certains
pays de l'ancien ou du nouveau monde, Ylpomœa tuberosa L.
aurait été confondu avec la Batate; mais Sloane ^ nous avertit
que ses énormes racines ne sont pas bonnes à manger ®.
Une Gonvolvulacée à racine comestible qui peut bien être con-
fondue avec la Batate, mais dont les caractères botaniques sont
pourtant distincts , est VIpomœa mammosa , Ghoisy [Convoi-
tmliLS mammosuSy Loureiro Batata mammosa y Rumphius, Amb.^
1. 9, tab. 131). Gette espèce croit spontanément près d'Amboine
(Rumphius), où elle est aussi cultivée. Elle est estimée en Go-
chinchine.
Quant à la Batate [Batatas edulis)^ aucun botaniste, à ma con-
1. Roxburgh, éd. 1832, vol. i, p. 483.
2. Rheede, Mal., 7, p. 95.
3. Meyer, Primitise Fl. Esseq., p. 103.
2. Rheede, Ma/., 7, p. 95.
Fl. Esseq., p.
4. R. 'Brown, Bot. Congo, p. 55.
5. Thonning, PI. Guin,
6. Wallich, dans Roxburgh, Fl. Ind., II, p. 63.
7. Sloane, Jam., I, p. 152,
8. Plusieurs Convolvulacées ont des racines (plus exactement des souches)
volumineuses, mais alors c'est la base de la tige avec une partie de la
racine qui est épaissie, et oette souche radicale est toujours purgative
(Jalaps, Turbith, etc.), tandis que dans la Batate ce sont les racines laté-
rales, organe différent, qui s'épaississent.
46 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
naissance, ne dit Tavoir trouvée lui-même sauvage, ni dans
l'Inde, ni en Amérique *. Clusius ^ affirme, sur ouï-dire, qu'elle
croit spontanée dans le nouveau monde et dans les îles voisines.
Malgré la probabilité d'une origine américaine, il reste, comme
nous venons de le voir, bien des choses inconnues ou incertaines
sur la patrie primitive et le transport de cette espèce, qui joue
un rôle considérable dans les pays chauds. Quelle que fût son
origine, du nouveau ou de l'ancien monde, comment expliquer
qu'elleeût été transportée d'Amérique en Chine au commencement
de notre ère et dans les îles de l'océan Pacifique à une époque
ancienne, ou d'Asie et d'Australie en Amérique dans un temps
assez reculé pour que la culture s'en soit répandue jadis des
Etats-Unis méridionaux jusqu'au Brésil et au Chili? Il faut sup-
poser des communications préhistoriques entre l'Asie et l'Amé-
rique, ou se livrer à un autre genre d'hypothèses, qui, dans le
cas actuel, n'est pas inappliquable. Les Convolvulacées sont une
des rares familles de Dicotylédones dans lesquelles certaines
espèces ont une aire, ou extension géographique, très étendue
et même divisée entre des continents éloignés ^. Une espèce qui
supporte actuellement le climat de la Virginie et du Japon peut
avoir existé plus au nord avant l'époque de la grande extension
des glaciers dans notre hémisphère, et les hommes préhistoriques
l'auraient transportée vers le midi quand les conditions de climat
ont changé. Dans ces hypothèses, la culture seule aurait con-
servé l'espèce, à moins qu'on ne finisse par la découvrir sauvage
en quelque point de son ancienne habitation, peut-être, par
exemple, au Mexique ou en Colombie.
Betterave, Bette, Poirée. — Beta vulgaris eiB. mantîma,
Linné. — Beta vulgaris^ Moquin
Elle est cultivée tantôt pour ses racines charnues (Betterave)
et tantôt pour ses feuilles, employées comme légume (Bette,
Poirée), mais les botanistes s'accordent généralement à ne pas
distinguer deux espèces. On sait, par d'autres exemples, que des
plantes à racines minces dans la nature prennent facilement
des racines charnues par un effet du sol ou de la culture.
La forme appelée nette ^ à racines maigres, est sauvage dans
les terrains sablonneux, surtout du bord de la mer, aux îles
Canaries, et dans toute la région de la mer Méditerranée, jusqu'à
la mer Caspienne, la Perse et Babylone *, peut-être même dans
1. Le n<* 701 de Schomburgk, coll. 1, est spontané dans la Gayane.
Selon M. Choisy, c'est une variété du Batatas edulis; selon M. Bentham
(Hook, Journ, bot.,, V, p. 352\ c'est le Batatas paniculata. Mon échantillon,
assez imparfait, me semble différer des deux.
2. Clusms, Hist., 2, p. 77.
3. A. de Candolle, Géog. bot, raisonnée, p. 1041-1043 et p. 516, 518.
4. Mo^uin-Tandon, dans Prodromus, vol. 13, part. 2, p. 55 ; Boissier,
Flora orienlalis, 4, p. 898 ; Ledebour, F/, rossica, 3, p. 692.
MANIOC 47
l'Inde occidentale, d'après un échantillon rapporté par Jaque -
mont, sans que la qualité spontanée en soit certifiée. La flore
dellnde de Roxburgh, et celle, plus récente, du Punjab et du
Sindh, par Aitchison, ne mentionnent la plante que comme cul-
tivée.
Elle n'a pas de nom sanscrit *, d'où Ton peut inférer que les
Aryens ne l'avaient pas apportée de TAsie tempérée occidentale,
où elle existe. Les peuples de leur race émigrés en Europe anté-
rieurement ne la cultivaient probablement pas non plus, car je
ne vois pas de nom commun aux langues indo-européennes. Les
anciens Grecs, qui faisaient usage des feuilles et des racines, ap-
pelaient l'espèce Teutlion ^, les Romains Beta. M. de Heldreich *
donne aussi comme nom ancien grec Sevkle ou Sfekelie, qui
ressemble au nom arabe Selg, chez les Nabathéeris Silq *. Le
nom arabe a passé en portugais, Selga, On ne connaît point de
nom hébreu. Tout indique une culture ne datant pas de plus de
quatre à six siècles avant Tère chrétienne.
Les anciens connaissaient déjà les racines rouges et blanches,
mais le nombre des variétés a beaucoup augmenté dans les
temps modernes, surtout depuis qu'on a cultivé la Betterave en
grand, pour la nourriture des bestiaux et la production du sucre.
C'est une des plantes les plus faciles à améliorer par sélection,.
comme les expériences de Vilmorin l'ont prouvé ^,
Manioc. — Manlhot utilissimay Pohl. — Jatropha Manihot,
Linné .
Le Manioc est un arbuste ou arbrisseau de la famille des
Buphorbiacées, dont plusieurs racines se renflent dès la pre-
mière année, prennent une forme ellipsoïde irrégulière et ren-
ferment de la fécule (Tapioca), avec un suc plus ou moins véné-
neux.
La culture en est commune dans les régions équatoriales ou
tropicales, surtout en Amérique, du Brésil aux Antilles. En
Afrique, elle est moins générale et parait moins ancienne. Dans
certaines colonies asiatiques, elle est décidément d'introduction
moderne. On la pratique au moyen de boutures des tiges.
Les botanistes se sont divisés sur la convenance de regarder
les innombrables formes de Maniocs comme appartenant à une,
à deux ou même plusieurs espèces difl'érentes. Pohl ^ en admet-
tait plusieurs à côté de son Manlhot utilissima^ et le D"" J. Mûller "^^
1. Roxburgh, Flcyra indica^ 2, ç. 59 ; Piddington, Index.
2. Théophraste et Dioscoride cités par Lenz, Botanik der Griechen und
RÔmer, p. 446 ; Fraas, Synopsis fl. class., p. 233.
3. Heldreich, Die Nutzpflanzen Griecfienlands, p. 22.
4. Alawwftm, Agriculture nabathéenne (premiers siècles de l'ère chrét. ?),
d'après E. Meyer, Geschichte der Botanik, 3, p. 75.
5. Notices sur V améliorât ion des plantes par le semis, p. 15.
6. Pohl, Plantarum Brasilise icônes et descriptiones, in-folio, vol. 1.
7. J. Mûller, dans Prodromus, XV, sect. 2, p. 1062, 1064.
48 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
dans sa monographie des Euphorbiacées, rapporte à une espèce
voisine {M, palmata) la forme Aipi, qui est cultivée au Brésil
avec les autres et dont la racine n'est pas vénéneuse. Ce
dernier caractère n'est pas aussi tranché qu'on le croirait
d'après certains ouvrages et même d'après les indigènes. Le
D' Sagot S qui a comparé une douzaine de variétés de Manioc
cultivées à Gayenne, dit expressément : « Il y a des Maniocs plus
vénéneux les uns que les autres ; mais je doute qu'aucun soit
absolument exempt de principes nuisibles. »
On peut se rendre compte de ces singulières différences de
propriétés entre des plantes fort semblables par l'exemple de la
Pomme de terre. Le Manihot et le Solanum tuberosum appar-
tiennent tous deux à des familles suspectes (Euphorbiacées et
Solanacées). Plusieurs de leurs espèces sont vénéneuses dans
certains de leurs organes; mais la fécule, où qu'elle se trouve,
ne peut pas être nuisible, et il en est de même du tissu cellulaire
lavé de tout dépôt, c'est-à-dire réduit à la cellulose. Or dans la
préparation de la Cassave (farine de Manioc), on a grand soin
de racler Fécorce extérieure de la racine, ensuite de piler ou
écraser la partie charnue, de manière à en expulser le suc plus
ou moins vénéneux, et finalement on soumet la pâte à une cuis-
son qui chasse des parties volatiles *. Le tapioca est de la fécule
pure, sans mélange des tissus qui existent encore dans la cas-
save. Dans la pomme de terre, la pellicule extérieure prend des
qualités nuisibles quand on la laisse verdir en l'exposant à la lu-
mière, et il est bien connu que des tubercules mal mûrs ou
viciés, contenant une trop faible proportion de fécule avec beau-
coup de sucs, sont mauvais à manger et feraient positivement du
mal aux personnes, qui en consommeraient une certaine quan-
tité. Toutes les Pommes de terre, comme probablement tous les
Maniocs, renferment quelque chose de nuisible, dont on s'aper-
çoit jusque dans les produits de la distillation, et qui varie par
plusieurs causes; mais il ne faut se défier que des matières
autres que la fécule.
Les doutes sur le nombre des espèces à admettre dans les
Manihots cultivés ne nous embarrassent nullement pour la ques-
tion de l'origine géographique. Au contraire, nous allons voir
que c'est un moyen important de constater l'origine améri-
caine.
L'abbé Raynal avait répandu jadis l'opinion erronée que le
Manioc aurait été apporté d'Afrique en Amérique. Robert Brown
le niait en 1818 % sans donner des motifs à l'appui, et de Hum-
1. Sa^otj dans Bull, de la Société botanique de France du 8 décembre 1871.
2. J'indique la préparation dans ce qu'elle a d'essentiel. Les détails
diffèrent suivant les pays. Voir à cet égard : Aublet, Guyane^ 2, p. 67 ;
Descourtilz, Flore des Antilles, 3, p. 113 ; Sagot, /. c, etc.
3. R. Brown, Botany of Congo, p. 50.
MANIOC 49
boldt *, Moreau de Jonnes *, Auguste de Saint-Hilaire ' ont in-
sisté sur l'origine américaine. On ne peut guère en douter,
d'après les raisons suivantes :
1« Les Manihots étaient cultivés par les indigènes du Brésil,
de la Guyane et des parties chaudes du Mexique avant l'arrivée
des Européens, comme le témoignent tous les anciens voyageurs.
Aux Antilles, cette culture était assez commune dans le xvi® siècle,
d'après Acosta ^, pour qu'on puisse la croire également d'une
certaine ancienneté.
2° Elle est moins répandue en Afrique, surtout dans les régions
éloignées de la côte occidentale. On sait que le Manioc a été in-
troduit dans l'île de Bourbon par le gouverneur de Labour-
donnais ^. Dans les contrées asiatiques, où probablement une
culture aussi facile se serait propagée si elle avait été ancienne
sur le continent africain, on la mentionne çà et là, comme un
objet de curiosité d'origine étrangère ^.
3° Les indigènes d'Amérique avaient plusieurs noms anciens
pour les variétés de Maniocs, surtout au Brésil ^, ce qui ne pa-
rait pas avoir existé en Afrique, même sur la côte de Guinée *.
Ap Les variétés cultivées au Brésil, à la Guyane et aux Antilles
sont très nombreuses,, par où l'on peut présumer une culture
très ancienne. Il n'en est pas de même en Afrique.
5" Les 42 espèces connues du genre Manihot , en dehors
de M. utilissima, sont toutes spontanées en Amérique; la plu-
part au Brésil, quelques-unes à la Guyanne, au Pérou et au
Mexique ; pas une dans l'ancien monde *. 11 est très invraisem-
blable qu'une seule espèce, et encore celle qu'on cultive, fut
originaire à la fois de l'ancien et du nouveau monde, d'autant
plus que dans la famille des Euphorbiacées les habitations des
espèces ligneuses sont généralement restreintes et qu'une com-
munauté entre l'Afrique et l'Amérique est toujours rare dans
les plantes Phanérogames.
L'origine américaine du Manihot étant ainsi démontrée, on
peut se demander comment l'espèce a été introduite en Guinée
et au Congo. Probablement c'est un résultat des communications
fréquentes, au xvi« siècle, des trafiquants portugais et des négriers.
1. De Uumboldt, Nouvelle- Espagne, éd. 2, vol. 2, p. 398.
2. Histoire de VAcad. des sciences ^ 1824.
3. Giiillemin, Archives de botanique, 1, p. 239.
4. Acosta, Hist. nat. des Indes, trad. fraoç. 1598, p. 163,
5. Thomas, Statistique de Bourbon ^ 2, p. 18.
6. Le catalogue du jardin botanique de Buitenzorg, 1866, p. 222, dit
expressément que le Manihot utilissima vient de Bourbon et d Amérique.
*. Aypi, Mandioca, Manihot, Manioch, Yuca, etc., dans Pohl, Icônes et
descr., 1, p. 30, 33. Martius, Beitràge z. Ethnographie, etc., Brasilien's, 2,
p. 122, indique une quantité de noms.
8. Thonning (dans Schumacher, Plant, guin.), qui cite volontiers les noms
vulgaires, n'en donne aucun pour le Manihot.
9. J. MûUer, dans Prodromus, 15, sect. 1, p. 1057. ,
De Candolle. 4
80 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
Le Manihot utilissima^ et l'espèce voisine ou variété appelée
Aîfd, que Ton cultive également, n'ont pas été trouvés à Tétat
sauvage d'une manière certaine. Humboldt et Bonpland ont
bien recueilli sur les bords de la Magdalena, un pied de Manihot
utilissima qu'ils ont dit presque spontané *, mais le D*" Sagot
me certifie qu'on ne Ta point découvert à la Guyane, et les
botanistes qui ont exploré la région cbaude du Brésil n'ont pas
été plus heureux. Gela ressort des expressions de Pohl, qui a
beaucoup étudié ces plantes, qui connaissait les récoltes de
Martius et ne doutait pas de l'origine américaine. S'il avait re-
marqué une forme spontanée identique avec celles qu'on cul-
tive, il n'aurait pas émis l'hypothèse que le Manioc provient
de son Manihot pusilla ^ de la province de Goyaz, dont la stature
est minime et qu'on regarde comme une véritable espèce ou
comme une variété du Manihot palmata ^. De Martius déclarait
en 1867, c'est-à-dire après avoir reçu de nombreuses informa-
tions postérieures à son voyage, qu'on ne connaissait pas la
plante à l'état sauvage *. Un ancien voyageur, ordinairement
exact, Piso % parle d'un Mandihoca sauvage dont les Tapuyeris,
indigènes de la côte au nord de Rio-de- Janeiro, mangeaient les
racines. Il est, dit-il, « très semblable à la plante cultivée » ; mais
la figure qu'il en donne a paru bien mauvaise aux auteurs qui
ont étudié les Manihots. Pohl la rapporte à son M, Aïpi^ et le
D' Millier la passe sous silence. Quant à moi, je suis disposé à
croire ce que dit Piso, et sa planche ne me paraît pas absolu-
ment mauvaise. Elle vaut mieux que celle de Vellozo d'un Ma-
nihot sauvage qu'on rapporte avec doute au M, Aïpi *. Si l'on
ne veut pas accepter cette origine du Brésil oriental intertropical,
il faut recourir à deux hypothèses : ou les Manihots cultivés
proviennent de l'une des espèces sauvages modifiée par la cul-
ture ; ou ce sont des formes qui subsistent seulement par l'action
de l'homme, après la disparition de leurs semblables de la végé-
tation spontanée actuelle.
Ail. — Allium sativum^ Linné.
Linné, dans son Species^ indique la Sicile comme la patrie
de l'ail commun ; mais dans Ynortus cliffortianus^ où il est
ordinairement plus exact, il ne donne pas d'origine. Le fait
est que d'après les flores les plus récentes et les plus com-
plètes de Sicile, de toute l'Italie, de la Grèce, de France,
d'Espagne, et d'Algérie, l'ail n'est pas considéré comme indi-
1. Kunth, dans Humb. et B., Nova Gênera^ 2, p. 108.
2. Pohl, Icônes et descript., 1, p. 36, pi. 26.
3. MûUer, dans le Proaromus.
4. De Martius, Beitràge zur Ethnographie, etc. 1, p. 19, 136.
5. Piso, Historia naturalis BrasilÙBy m-folio, 1658, p. 55, cum icône.
6. Jatropia sylvestris VelL FI. flum., 16, t. 83. Voir Mûller, dans Pro-
dvomiis, 15 p. 1063,
AIL 81
gène, quoique çà et là on en ait recueilli des échantillons qui
avaient plus ou moins l'apparence de l'être. Une plante aussi
habituellement cultivée et qui se propage si aisément peut se
répandre hors des jardins et durer quelque temps, sans être d'ori-
gine spontanée. Je ne sais sur quelle autorité Kunth cite l'es-
pèce en Egypte *. D'après des auteurs plus exacts sur les plantes
•de ce pays ^, elle y est seulement cultivée. M. Boissier, dont
l'herbier est si riche en plantes d'Orient, n'en possède aucun
échantillon spontané. Le seul pays où l'ail ait été trouvé à l'état
sauvage, d'une manière bien certaine, est le désert des Kirghis
de Soongarie, d'après des bulbes rapportées de là et cultivées
à Dorpat ^ et des échantillons vus ensuite par Regel *. Ce der-
nier auteur dit aussi avoir vu un échantillon que Wallich avait
recueilli comme spontané dans l'Inde anglaise ; mais M. Baker **,
qui avait sous les yeux les riches herbiers de Kew, n'en parle
pas dans sa revue des AUium des Indes, de Chine et du Japon.
Voyons si les documents historiques et linguistiques confirment
une origine uniquement du sud-ouest de la Sibérie.
L'Ail est cultivé depuis longtemps en Chine sous le nom de
Suan, On l'écrit en chinois par un signe unique, ce qui est ordinai-
rement l'indice d'une espèce très anciennement connue et même
spontanée *. Les flores du Japon ^ n'en parlent pas, d'où je pré-
sume que l'espèce n'était pas sauvage dans la Sibérie orientale
et la Daourie,mais que les Mongols l'auraient apportée en Chine.
D'après Hérodote (Hist., 1. 2, c. i2o), les anciens Egyptiens en
faisaient grand usage. Les archéologues n'en ont pas trouvé la
preuve dans les monuments, mais cela tient peut-être à ce que
la plante était réputée impure par les prêtres *.
Il existe un nom sanscrit, Mahoushouda ', devenu Loshoun en
bengali, et dont le nom hébreu Schoum^ Schumin *®, qui a pro-
duit le Thoum ou Toum des Arabes, ne paraît pas éloigné. Le
nom basque, Baratchouria^ a été rapproché des noms aryens
par M. de Charencey **. A l'appui de son hypothèse, je airaî
que le nom berbère, Tiskert, est tout différent, et que par consé-
quent les Ibères paraissent avoir reçu la plante et son nom des
Aryens plutôt que de leurs ancêtres probables du nord de
l'Afrique. Les Lettons disent KiplohkSy les Esihoniens Krunslauk,
d'où probablement le Knoblauch des Allemands. L'ancien nom
1. Kunth. Enum., 4, p. 381.
2. Schwemfùrth et Ascherson, Aufzàhlung, p. 294.
3. Ledebour, Flora altaica, 2, p. 4; Flora rossica, 4, p. 162.
4. Regel, Allior. monogr., p. 44.
5. Baker, dans Joum. of. bot., 1874, p. 295.
6. Bretschneider, Study and valite, etc., p. 15, 47 et 7.
7. Thunberg, FI. jap.; Franchet et Savatier, Enumevatio, 1876, vol. 2.
82 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
grec paraît avoir été Scorodon, en grec moderne S cordon. Les
noms chez les Slaves d'Illyrie sont Bili^ Cesan. Les Bretons
disent Quinen J. Les Gallois Crafy Cenhinen ou Garlleg^ d'où
le Garlic des Anglais. L'Allium des Latins a passé dans les
langues d'origine latine *. Cette grande diversité de noms fait
présumer une ancienne connaissance de la plante et même
une ancienne culture dans l'Asie occidentale et en Europe.
D'un autre côté, si l'espèce n'avait existé que dans le pays
des Kirghis, où on la trouve maintenant, les Aryas auraient pu
la cultiver et l'avoir transportée dans l'Inde et en Europe ; mais
alors pourquoi tant de noms celtiques, slaves, grecs, latins, diffé-
rents du sanscrit ? Pour expliquer cette diversité, il faudrait sup-
Eoser une extension de la patrie primitive vers l'ouest de l'ha-
itation connue aujourd'hui, extension qui aurait été antérieure
aux migrations des Aryas.
Si le genre Allium était une fois, dans sa totalité, l'objet d'un
travail aussi sérieux que celui de J. Gay sur quelques-unes de ses
espèces ^, on trouverait peut-être que certaines formes sponta-
nées en Europe, comprises par les auteurs dans les A, arena-
rium L., ou A,arenarium Sm., ou A. ScorodoprasumL., ne sont
que des variétés de l'A. sativum. Alors tout concorderait ; les
peuples les plus anciens d'Europe et de l'Asie occidentale auraient
cultivé l'espèce telle qu'ils la trouvaient depuis la Tartarie
jusqu'en Espagne, en lui donnant des noms plus ou moins diffé-
rents.
Oignon. — Allium Cepa, Linné.
Je dirai d'abord ce qu'on savait en 1855 *. J'ajouterai ensuite
des observations botaniques récentes qui confirment ce qu'on
pouvait présumer d'après les données hnguistiques.
L'Oignon est une des espèces le plus anciennement cultivées.
Son habitation primitive est inconnue, d'après Kunth ^. Voyons
s'il est possible de la découvrir. Les Grecs modernes appellent
Krommudi l'AUium Gepa, qu'ils cultivent beaucoup®. G est une
bonne raison pour croire que le Krommuon de Théophraste ^ est
la même espèce , comme les auteurs du xvi® siècle le pensaient
1. Davies, Welsh botanology.
2. Tous ces noms vulgaires se trouvent dans mon dictionnaire compilé
par Moritzi, d'après les flores. J'aurais pu en citer un plus grand nomnre
et mentionner des étymologies probables d'après les philologues, par
exemple d'après l'ouvrage de Hehn, Kulturpflanzen -aus Asien, p. 171 et
suivantes; mais ce n'est pas nécessaire pour indiquer le fait crorigines^
géographiques multiples et de la culture ancienne en divers pays.
3. Annales des se. nat., 3» série, vol. 8.
4. A. de CandoUe, Géogr. bot, raisonnée, 2, p. 828,
5. Kunth, Enum., 4, p. .394.
6. Fraas, Syn. fl, class,, p. 291.
7. Théophraste?, HisL^ 1. 7, c. 4.
OIGNON 53
déjà ^ Pline ^ traduisait ce mot par Cœpa. Les anciens en con-
naissaient plusieurs variétés, qu'ils distinguaient par des noms de
pays : Gyprium, Gretense, Samothraciae, etc. On en cultivait une
en Egypte ', si excellente qu'elle recevait des hommages,
comme une divinité, au grand amusement des Romains *. Les
Egyptiens modernes désignent l'A. Gepa sous le nom de Basai ^
ou Bussul ^, d'où il est probable que le Betsalim ou Bezalim des
Hébreux est bien la même espèce, comme le disent les commen-
tateurs ^. Il y a des noms sanscrits tout à fait différents : Palandu^
Latarka, Sukandaka ®, et une foule de noms indiens modernes.
L'espèce est généralement cultivée dans l'Inde, en Gochinchine,
en Chine ^, et même au Japon *^. Les anciens Egyptiens en fai-
saient une grande consommation. Les dessins de leurs monu-
ments montrent souvent cette espèce '*. Ainsi la culture remonte
dans l'Asie méridionale et dans la région orientale de la mer
Méditerranée à une époque partout très reculée. En outre, les
noms chinois, sanscrits, nébreux, grecs et latins n'ont pas de
connexité apparente. De ce dernier fait, on peut déduire l'hy-
pothèse que la culture aurait été imaginée après la séparation
des peuples indo-européens, l'espèce se trouvant à portée dans
divers pays à la fois. Ge n'est pourtant pas l'état , actuel des
choses, car on trouve à peine des indices vagues de la qualité
spontanée de l'A. Cepa. Je n'en ait point découvert dans les
flores européennes ou du Caucase ; mais Hasselquist ** a dit : « Il
croit dans les plaines près de la mer, aux environs de Jéricho. »
Le docteur Wallich a mentionné dans sa Liste de plantes in-
diennes, no 5072, des échantillons qu'il a vus dans des localités du
Bengale, sans dire qulls fussent cultivés. Cette indication, quoi-
que peu suffisante, l'ancienneté des noms sanscrits et hébreux
et les communications qu'on sait avoir existé entre les peuples
de rinde et les Egyptiens me font présumer que l'habitation
était vaste dans l'Asie occidentale, s'étendant peut-être de la
Palestine à l'Inde. Des espèces voisines, prises quelquefois pour
ie Cepa, existent en Sibérie *^.
On connaît mieux maintenant les échantillons recueillis par
les botanistes anglo-indiens dont Wallich avait donné une pre-
1. J. Baiihin, Hist., 2, p. 548.
2. Pline, Hist., 1. 19, c. 6.
3. Plioe, 1. c.
4. Juvenalis, Sat., 15.
5. Forskal, p. 65.
6. Ainslies, Mat. med. Ind., 1, p. 269.
7. Hiller, Hieroph., 2, p. 36 ; Rosenmûller, Handb. bibl. Alterk.^ 4, p. 96.
8. Piddington, Index; Ainslies, /. c.
9. Roxburgh, FI. ind., 2; Loureiro, FI. cochinch., p. 249.
10. Thanberg, FI. jap.y p. 132.
11. Unger, Pflanzen d. Alt. j^gypt., p. 42, fig. 22, 23, 24.
12. Hasselquist, Voy. and trav., p. 279.
13. Ledebour, FI. ross., 4, p. 169.
84 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
mière notion. Stokes a découvert VAllium Cepa indigène dans
le Belouchistan. Il dit : « Sauvage sur le Chehil Tun. » Griffith Ta
rapporté de l'Afghanistan et Thomson de Lahore, sans parler
d'autres collecteurs qui ne se sont pas expliqués sur la nature
spontanée ou cultivée*. M. Boissier possède un échantillon spon-
tané recueilli dans les régions mon tueuses du Khorassan. Les
ombelles sont plus petites que dans la plante cultivée, mais d'ail-
leurs il n'y a pas de difTérence. Le D^ Regel fils l'a trouvé au
sud de Kuldscha, Sibérie occidentale ^. Ainsi mes conjectures
d'autrefois sont tout à fait justifiées; et il n'est pas improbable
que l'habitation s'étende jusqu'en Palestine, comme le disait
Hasselquist.
L'Oignon est désigné en Chine par un caractère unique (or-
thographié Tsung)^ ce qui peut faire présumer une ancienne
existence à titre de plante indigène ^. Je doute cependant beau-
coup que l'habitation s'étende aussi loin vers Test.
Humboldt ^ dit que les Américains connaissaient de tout temps
les oignons, en mexicain XonacatL « Gortès, dit-il en parlant des
comestibles qui se vendaient sur le marché de l'ancien Tenoch-
titlan, cite des oignons, des poireaux et de l'ail. » Je ne puis
croire cependant que ces divers noms s'appliquent à nos espèces
cultivées en Europe. Sloane, dans le xvii« siècle, n'avait vu
qu'un seul Allium cultivé à la Jamaïque (A. Cepa), et c'était dans
un jardin, avec d'autres légumes d'Europe ^. Le mot Xonacati
n'est pas dans Hermandez, et J. Acosta * dit expressément que
les Oignons et les Aulx du Pérou sont originaires d'Europe. Les
espèces du genre Allium sont rares en Amérique.
Ciboule commune. — Allium fistulosum, Linné.
Pendant longtemps, cette espèce a été mentionnée dans les
flores et les ouvrages d'horticulture comme étant d'une origine
inconnue ; mais les botanistes russes lont trouvée sauvage en
Sibérie, vers les monts Altaï, du pays des Kirghis au lac
Baïcal '.
Les anciens ne la connaissaient pas ^. Elle doit être arrivée
en Europe par la Russie, dans le moyen âge ou peu après. Un
auteur du xvi® siècle, Dodoens ®, en a donné une figure, peu
reconnaissable, sous le nom de Cepa oblonga,
1. Aitchison, A catalogue of the plants of Punjab and Sindh, iii-8, 1869,
p. 19 ; Baker, dans Journal of bot., 1874, p. 295.
2. m. hortic, 1877, p. 167.
3. Bretschneider, Study and value, etc, p. 47 et 7.
4. De Humboldt, Nouv.-Esp.j 2* édit., 2, p. 476.
5. Sloane, Jam., 1, p. 75.
6. Acosta, Hist. nat, des Indes, trad. franc., p. 165.
7. Ledebour, Flora rossica, 4, p. 169.
8. Lenz, Botanik dei^ ait Griechen und Rœme?', p. 295,
9. Dodoens, Pemptades, p. 687.
ÉCnALOTE 55
Echalote. — AlHum Ascalonicum, Linné.
On croyait, sur le dire de Pline S que le nom était tiré de la
ville d'Ascalon, en Judée ;mais M. le D** E. Fournier * pense que
Fauteur latin s'est trompé sur le sens du mot Askalônion de
Théophraste. Quoi qu'il en soit, ce nom s'est conservé dans nos
langues modernes sous la forme d'Echalote en français, Chalote
en espagnol, Scalogno en italien, Aschafuch ou Escklauck en
allemand, etc.
En 1855, j'avais parlé de cette espèce de la manière suivante ' :
« D'après Roxburgh *, on cultive beaucoup V AlHum Ascalo-
nicum dans l'Inde. On lui attribue le nom sanscrit de Pulandoo
(prononcez Poulandou)^ mot presque identique avec Palandxi^
attribué à V AlHum Cepa ^, Evidemment la distinction entre ces
deux espèces n'est pas claire dans les ouvrages indiens ou anglo-
indiens.
« Loureiro dit avoir vu V AlHum Ascalonicum cultivé en Go-
chinchine ®, mais il ne cite pas la Chine, et Thunberg n'indique
Ï>as cette espèce au Japon. Ainsi, vers la région orientale de
'Asie, la culture n'est pas générale. Ce fait et le doute sur le
nom sanscrit me font croire qu'elle n'est pas ancienne dans
l'Asie méridionale. Malgré le nom de l'espèce, je ne suis pas
persuadé qu'elle existât non plus dans l'Asie occidentale. Rau-
wolf, Forskal et Delile ne l'indiquent pas en Sibérie, en Arabie
et en Egypte. Linné ' cite Hasselquist comme ayant trouvé l'es-
pèce en Palestine. Malheureusement il ne donne pas de détails
sur la localité ni sur la condition de spontanéité. Dans les
Voyages de Hasselquist ®, je vois un Cepa montana croissant au
mont Thabor et sur une montagne voisine ; mais rien ne prouve
que ce soit l'espèce. Dans son article sur les Oignons et Aulx
des Hébreux (p. 290), il ne mentionne que V AlHum Cepa, puis
les Porrum et sativum, Sibthorp ne l'a pas trouvé en Grèce *, et
Fraas ne l'indique pas comme cultivé actuellement dans ce
pays ^^. D'après Koch ", il s'est naturalisé dans les vignes près
de Fiume. Toutefois M. de Visiani " n'en parle que comme cul-
tivé en Dalmatie.
« D'après l'ensemble des faits, je suis amené à l'idée que l'A/-
1. Pline, HisL, 1. 19, c. 6.
2. Il doit en parier dans une publication intitulée Cibaria, qui va
paraître.
3. Géographie bot. raisonnée, p. 829.
4. Roxburgh, FI. ind., éd. 1832, vol. 2. p. 142.
5. Piddington, Index.
6. Loureiro, FI. cochinch., p. 251.
7. Linné, Species, p. 429.
8. Hasselquist, Voy. and trav., 1766, p. 281, 282.
9. Sibthorp, Prodr,
10. Fraas, Syn. fl. class., p. 291.
11. Koch, Synops. fl. Germ., 2« éd., p. 833.
12. Visiani, Flora dalmat., p. 138.
86 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
Hum Ascalonicum n'est pas une espèce. Il suffit, pour concevoir
des doutes sur son existence primitive, de voir que : -1° Théo-
phraste et les anciens, en général, en ont parlé comme d'un état
de YAlHum Cepa, ayant même importance que les variétés culti-
vées en Grèce, en Thrace et ailleurs; 2° on ne peut pas prouver
qu'il existe à l'état sauvage ; 3» on le cultive peu ou point
dans les pays où l'on présume qu'il a pris naissance, comme la
Syrie, l'Egypte, la Grèce; 4° il est ordinairement sans fleurs, d'où
venait le nom de Cepa sterilis, donné par G. Bauhin, et la multi-
plicité des caïeux se lie tout naturellement à ce fait ; 5° lorsqu'il
fleurit, les organes de la fleur sont semblables à ceux du Cepa^
ou du moins on n'a pas découvert de difi'érence jusqu'à pré-
sent, et, d'après Koch *, la seule différence est d'avoir la hampe
et les feuilles moins renflées, quoique fîstuleuses. »
Telle était mon opinion ^. Les faits publiés depuis 1855 ne dé-
truisent pas mes doutes. Ils les justiflent au contraire. M. Regel,
en 1875, dans sa monographie des Allium, déclare qu'il a vu
l'échalote seulement à l'état cultivé. Aucher Eloy a distribué
une plante de l'Asie Mineure sous le nom d'A. Ascalonicum
(n° 2012), mais d'après mon échantillon ce n'est certainement
pas cette espèce. M. Boissier me donne l'information qu'il n'a
jamais vu l'A. Ascalonicum en Orient et n'en a pas dans son
herbier. La plante de Morée portant ce nom dans la flore de
Bory et Ghaubard est une espèce toute différente, nommée par
lui A. gomphrenoides, M. Baker ' dans sa revue des Allium des
Indes, de laGhine et du Japon, cite l'A. Ascalonicum dans des
localités du Bengale et du Punjab, d'après des échantillons de
Griffith et d'Aitchison ; mais il ajoute : « Probablement ce sont
des plantes cultivées. » Il rapporte h. V Ascalonicum V Allium
Sulvia Ham., du Népaul, plante peu connue et dont la qualité
de spontanée est incertaine. L'échalote produit beaucoup de
caïeux qui peuvent se propager ou se conserver dans le voisi-
nage des cultures et induire en erreur sur l'origine.
En définitive, malgré le progrès des investigations botaniques
en Orient et dans l'Inde, cette forme d'Alîium n'a pas été
trouvée sauvage d'une manière certaine. Elle me paraît donc
plus que jamais une modification du Cepa, survenue à peu près
au commencement de l'ère chrétienne, modification moms con-
sidérable que beaucoup de celles qu'on a constatées pour d'au-
tres plantes cultivées, par exemple dans les choux.
Rocambole. — Allium Scorodoprasum^ Linné,
Si l'on jette les yeux sur les descriptions et la synonymie de
l'A. Scorodoprasum dans les ouvrages de botanique depuis Linné
1 . Koch, Synops. fl. Germ.
2. A. de Candolle, Géogr. bot. raisonnée, p. 829.
S.Baker, dans/owm. ofbot,, 1874, p. 295.
CIBOULETTE 57
jusqu'à nos jours, on verra que le seul point sur lequel s'accor-
dent les auteurs est le nom vulgaire de Rocambole, Quant aux
caractères distinctifs, tantôt ils rapprochent et tantôt ils éloi-
gnent la plante de VAllium sativum. Avec des définitions aussi
différentes, il est très difficile de savoir dans quel pays se trouve,
à Tétat sauvage, la plante bien connue cultivée sous le nom de
Rocambole. D'après MM. Cosson et Germain, elle croît aux envi-
rons de Paris *. D'après Grenier et Godron *, la même forme
croît dans Test de la France. M. Burnat dit avoir trouvé Tespèce
bien spontanée dans les Alpes-Maritimes, Il en a donné des
échantillons à M. Boissier. MM. Willkomm et Lange ne la re-
gardent pas comme spontanée en Espagne ^, quoique F un des
noms français de la plante cultivée soit Ail ou Echalote d'Espa-
gne, Beaucoup d'autres localités européennes me paraissent
douteuses, vu l'incertitude sur les caractères spécifiques. Je note
cependant que, d'après Ledebour *, la plante qu'il nomme A,
Scorodoprasum est très commune en Russie, depuis la Finlande
jusqu'en Grimée. M. Boissier en a reçu un échantillon de la Do-
brutscha, communiqué par le botaniste Sintenis. L'habitation
naturelle de l'espèce viendrait donc toucher à celle de VAllium
sativum, ou bien une étude attentive de toutes les formes
prouvera qu'une seule espèce, comprenant plusieurs variétés,
s'étend sur une grande partie de l'Europe et de ses confins en
Asie.
La culture de la Rocambole ne parait pas très ancienne. Il
n'en est pas question dans les ouvrages sur la Grèce et Rome, ni
dans rénumération des plantes recommandées par Gharlemagne
aux intendants de ses jardins ^. Olivier de Serres n'en parle pas
non plus. On ne peut citer qu'un petit nombre de noms vulgaires,
originaux, chez des peuples anciens. Les plus distincts sont dans
le nord : Skovlôg en Danemark, Keipe et Rackenboll en Suède ^.
Rockenbolle, d'où vient le nom français, est allemand. Il n'a pas
le sens qui lui est attribué par Littré. Son étymologie est Bx)lle,
oignon, croissant parmi les rochers, Rocken '^,
[f Ciboulette, Civette. — Allium Schœnoprasum, Linné.
L'habitation de cette espèce est très étendue dans l'hémi-
sphère boréal. On l'indique dans toute l'Europe, de la Corse ou
la Grèce jusqu'à la Suède méridionale; en Sibérie jusqu'au
Kamtschatka, et aussi dans l'Amérique septentrionale, mais seu-
i. Cosson et Germain, Flore, 2, p. 553.
2. Grenier et Godron, Flore de France^ 3, p. 197.
3. Willkomm et Lange, Prodr. fl. hisp.^ 1, p. 885.
4. Ledebour, Flora rossica, 4, p. 163.
5. Le Grand d'Aussy, Histoire de la vie des Français, vol. 1, p. 122.
6. Nemnich, Polyglott, Lexicon, p. 187.
7. Nemnich, /. c.
88 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
lement près des lacs Huron, Supérieur et plus aii nord *, cir-
constance assez singulière, comparée à l'habitation européenne.
La forme qui se trouve dans les Alpes est la plus rapprochée de
celle qu'on cultive ^,
Les anciens devaient certainement connaître l'espèce, puis-
qu'elle est sauvage en Italie et en Grèce. Targioni croit que c'est
le Scorodon Schiston de Théophraste, mais il s'agit de mots
sans descriptions, et les auteurs spéciaux dans l'interprétation
des textes grecs, comme Fraas et Lenz, ont la prudence de ne
rien affirmer. Si les noms anciens sont douteux, le fait de la
culture à cette époque Test encore plus. Il est possible qu'on eût
l'habitude de récolter la plante dans la campagne.
Golocase. — Arum esculentum^ Linné. — Colocasia anti-
quorum^ Schott ^.
On cultive cette espèce, dans les localités humides de la plu-
part des pays intertropicaux, à cause du renflement de la partie
mférieure de la tige, qui forme un rhizome comestible, analogue
à la partie souterraine des Iris. Les pétioles et les jeunes feuilles
sont utilisés accessoirement comme légume.
Depuis que les différentes formes de l'espèce ont été bien
classées et qu'on possède des documents plus certains sur les
flores du midi de l'Asie, on ne peut plus douter que cette plante
ne soit spontanée dans l'Inde, comme le disait jadis Roxburgh*,
et plus récemment Wight *, et autres ; à Geylan ®, à Sumatra "^
et dans plusieurs îles de l'archipel indien ^.
Les livres chinois n'en font aucune mention avant un ou-
vrage de l'an 100 de notre ère ®. Les premiers navigateurs
européens l'ont vue cultivée au Japon et jusqu'au nord de la
Nouvelle-Zélande *^ , par suite probablement d'introductions
anciennes sans coexistence certame avec des pieds sauvages.
Lorsqu'on jette des fragments de la tige ou du tubercule ils
se naturalisent aisément au bord des cours d'eau. C'est peut-
être ce qui est arrivé aux îles Fidji et au Japon, d'après les
localités indiquées par les auteurs **. On cultive la Golocase çà
1. Asa Gray, Botany ofnorthern States, éd. 5, p. 534.
2. De Candolle, Flore française, 4, p. 227.
3. Arum Mgyptium, Columna, Ecphrasis 2, p. 1, tab. 1 ; Rumphias, Am-
hoin.y vol. 5, lab. 109. — Arum Colocasia et A. esculentum, Linné. — Colo-
casia antiquomfn, Schott, Melet., 1, 18; Engler in D, C, Monogr, Phaner.,
2, p. 491.
4. Roxburgh, FI. ind., 3, p. 495.
5. Wight, Icônes, t. 786.
6. Thwaites, Enum, plant. Zeytan., p. 335.
7. Miquel, Sumatra, p. 258.
8. Runiphius, Amboin., vol. 5, p. 318.
9. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical works, p. 12.
10. Fors ter. Planta escul.,ja. 58.
11. Franchet et Savatier, Enum., p. 8; Seemann, Flora Vitiensis, p. 284.
COLOCASE 89
et là aux Antilles et ailleurs dans TAmérique tropicale, mais
beaucoup moins qu'en Asie ou en Afrique, et sans la moindre
indication d'une origine américaine.
Dans les pays où l'espèce est spontanée, il y a des noms vul-
gaires, quelquefois très anciens, qui diffèrent complètement les
uns des autres, ce qui confirme une origine locale. Ainsi le
nom sanscrit est Kuchoo (prononcez Koutschou), qui subsiste
dans les langues modernes de l'Inde, par exemple dans le
bengali*. A Geylan, la plante sauvage se nomme Gahala, la
plante cultivée Kandalla *. Les noms malais sont Kelady ^,
Tallus, Tallas, Taies ou Taloes *^ duquel vient peut-être le nom
si connu des 0-taïtiens et Novo-Zélandais de Tallo ou Tarro ^,
aux îles Fidji Dalo •. Les Japonais ont un nom tout à fait distinct,
Imo ', qui montre une existence très ancienne, soit originelle
soit de culture.
Les botanistes européens ont connu la Golocase d'abord par
l'Egypte, où elle est cultivée depuis un temps qui n'est peut-être
pas très reculé. Les monuments des anciens Egyptiens n'en
ont fourni aucun indice, mais Pline ^ en a parlé sous le nom
d'Arum jEgyptium, Prosper Alpin l'avait vue dans le xvi^ siècle
et en parle longuement ^. 11 dit que le nom dans le pays est
Culcas, qu'il faut prononcer Coulcas, et que Delile *° a écrit Qolkas
et Koul/cas. On aperçoit dans ce nom arabe des Egyptiens
quelque analogie avec le sanscrit Koutschou, ce qui appuie
Phypothèse, assez probable, d'une introduction de l'Inde ou de
Geylan. De L'Ecluse *^ avait vu la plante cultivée en Portugal,
comme venant d'Afrique, sous le nom Alcoleaz, évidemment
d'origine arabe. Dans quelques localités du midi de l'Italie où
l'espèce a été naturalisée, elle se nomme Aro di Egitto^ selon
Parlatore *^
Le nom Colocasia donné par les Grecs à une plante dont la
racine était employée par les Egyptiens peut venir évidemment
de Colcas, mais par transposition à une autre plante que le vrai
Golcas. En effet, Dioscoride l'applique à la Fève d'Egvpte ou
Nelumbium *^, qui a une grosse racine ou plutôt un rhizome,
dans le sens botanique, assez filandreux et mauvais à manger.
1. Roxburgh, /. c.
2. Tbwaites, /. c.
3. Rumphius, /. c.
4. Miquel, Sumatra^ p. 258 ; Hasskarl, CataL horti bogor, alter, p. 55.
5. Forster, l. c.
6. Seemann, /. c.
7. Franchet et Savatier, /. c.
8. Pline, Hist., 1. 19, c. 5.
9. Alpinus, Hist. Mgypt. naturalisa éd. 2, vol. 1, p. 166 ; 2, p. 192.
10. Delile, Flora Egygt ilL, p. 28. De la Colocase des anciens, br. in-8, 1846.
11. Clusius, Historia, 2, p. 75.
12. Parlatore, FI. ital., 2, p. 255.
13. Prosper Alpinus, /. c; Coliimna; Delile, Ann, du Mus., 1, p. 375, De la
colocase des anciens ; Reynier, Economie des Egyptiens, p. 321.
60 PLANTES CULTIVÉES ï>OUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
Les deux plantes sont très différentes, surtout par la fleur.
L'une est une Aracée, l'autre une Nymphéacée; l'une est de la
classe des Monocotylédones , l'autre des Dicotylédones. Le
Nelumbium , originaire de l'Inde, a cessé de vivre en Egypte, tandis
que la Golocase des botanistes modernes s'est conservée. S'il y a
eu confusion chez les auteurs grecs, comme cela paratt probable,
il faut l'expliquer par le fait que le Colcas fleurit rarement, du
moins en Egypte. Au point de vue de la nomenclature bota-
nique il importe peu qu'on se soit trompé jadis sur les plantes
qui devaient s'appeler Golocase. Heureusement, les noms scien-
tifiques modernes ne s'appuient pas sur les définitions douteuses
des anciens, et il suffît de dire aujourd'hui, si l'on tient aux
étymologies, que Golocasia vient de Colcas, à la suite d'une
erreur.
Alocase à grande racine. — Alocasia macrorrhiza Schott.
— Arum 7nacrorr1iizum^ Linné [FL ZeyL, 327).
Cette Aracée, que Schott rapportait tantôt au genre Golocasia
et tantôt à l'Alocasia, et dont la synonymie est bien plus com-
pliquée qu'il ne semble d'après les noms indiqués ci-dessus *, est
cultivée moins souvent que la Golocase ordinaire, mais de la
même façon et à peu près dans les mêmes pays. Ses rhizomes
atteignent la longueur d'un bras. Ils ont une saveur acre bien
prononcée, qu'il est indispensable de faire disparaître au moyen
de la cuisson.
Les indigènes d'0-Taïti la nomment Apé et ceux des îles des
Amis Kappe *. A Ceylan, le nom vulgaire est Habara^ d'après
Thwaites ^ Elle a d'autres noms dans l'archipel indien, ce qui
fait présumer une existence plus ancienne que les peuples
actuels de ces régions.
La plante paraît sauvage surtout dans l'île d'0-Taïti *. Elle
l'est aussi à Ceylan, d'après M. Thwaites, qui a herborisé long-
temps dans cette île. On l'indique encore dans l'Inde ^ et même
en Australie ®, mais sans affirmer la qualité de plante sauvage,
toujours difficile à établir pour une espèce cultivée au bord des
ruisseaux et qui se propage par caïeux. En outre, elle est quel-
quefois confondue avec le Coîocasia indica Kunth, qui végète de
la même manière, qu'on trouve çà et là dans les cmtures, et qui
se voit, spontanée ou naturalisée, dans les fossés ou les ruis-
seaux de l'Asie méridionale, sans que son histoire soit encore
bien connue.
1. Voir Engler, dans nos Monographie Phanerogainirriy 2, p. 502.
2. Forster, De plantis esculentis insularum Oceani australis, p. 58.
3. Thwaites, Enum. plant. Zeyl., 336.
4. Nadeaud, Enum, des plantes indigènes^ p. 40.
^. Engler, /. c.
■6. Bentham, Flora austral 8, p. 155.
IGNAMES 61
KoDjak. — Amorphophallus Konjak, C. Koch. — Amorpho-
phallus Jtivieri, du Hieu, var. Konjak, Engler ^
Le Konjak, cultivé en grand par les Japonais, et sur lequel
le Dr Vidal a donné des détails agricoles très complets dans le
Bulletin de la Société d'acclimatation de îuillet 1877, est une
Klante bulbeuse de la famille des Aracées. Elle est considérée par
[. Engler comme une variété de TAmorphophallus Rivieri, de
Cochinchine, dont les journaux d'horticulture ont donné plusieurs
figures depuis quelques années *. On peut la cultiver dans le
midi de l'Europe, à la manière des Dahlias, comme une sorte de
curiosité ; mais, pour apprécier la valeur comestible des bulbes,
il faudrait leur faire subir la préparation au lait de chaux, usitée
par les Japonais, et s'assurer du produit en fécule pour une
surface donnée.
M. Vidal n'a pas de preuve que la plante du Japon soit sau-
vage dans le pays. Il le suppose d'après le sens du nom vulgaire,
qui est, dit-il, Konniyakou ou Yamagonnivakou, Yama signi-
fiant montagne. MM. Franchet et Savatier ** n'ont vu la plante
que dans les jardins. La forme cochinchinoise, qu'on croit de la
même espèce, est venue par les jardins, sans qu'on puisse affir-
mer qu'elle soit sauvage dans le pays.
Ignames. — Dioscorea sativa, D, Batatas^ D, japonica et
Z>. alata.
Les Ignames , plantes monocotylédones , de la famille des
Dioscorées, constituent le genre vioscorea, dont les botanistes
ont décrit à peu près deux cents espèces, répandues dans tous les
pays intertropicaux ou subtropicaux. Elles ont ordinairement
des rhizomes, c'est-à-dire des tiges ou ramifications de tiges sou-
terraines, plus ou moins charnues, qui grossissent quand la
partie aérienne et annuelle de la plante est près de finir *. Plu-
sieurs espèces sont cultivées en divers pays pour ces rhizomes
farineux, qu'on mange cuits, comme les pommes de terre.
La distinction botanique des espèces a toujours offert des diffi-
cultés, parce que les fleurs mâles et femelles sont sur des indi-
vidus différents et que les caractères à tirer des rhizomes et du
bas des tiges aériennes ne se voient pas dans les herbiers. Le
dernier travail d'ensemble est celui deKunth ^, qui date de 1850.
Il devrait être revu, à cause des nombreux échantillons rapportés
par les voyageurs depuis quelques années. Heureusement, lors-
1. Engler, dans DC. Monogr, Phaner., vol. 2, p. 313.
2. Gardener's Chronicle, 1873, p. 610; Flore des serres et Jardins ^ t. 1958»
1959 ; Hooker, Bot. mag., t. 6195.
3. Franchet et Savatier, Enum. plant, Japonix, 2, p. 7.
4. M. Sagot, Buli de la Soc. bot. de France^ 1871, p. 306, a très bien
décrit la manière de végéter et la culture des ignames, telle qu'il les a obser-
vées & Cavenne.
5. Kuntn, Enumeratio, vol. 5.
62 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
qu'il s'agit de Torigine des espèces cultivées, certaines considéra-
tions historiques et linguistiques peuvent guider, sans qu'il soit
absolument besoin de connaître et d'apprécier les caractères bo-
taniques de chacune.
Roxburgh énumère plusieurs Dipscoreas * cultivés dans l'Inde,
mais il n'en a trouvé aucun à l'état sauvage, et ni lui ni Pid-
dington * ne citent des noms sanscrits. Ce dernier point fait pré-
sumer une culture peu ancienne, ou jadis peu répandue dans
l'Inde, provenant soit d'espèces indigènes encore mal définies,
soit d'espèces étrangères cultivées ailleurs. Le nom générique
bengali et hindou est Aloo (prononcez A/om), précédé d'un nom
spécial pour chaque variété ou espèce, par exemple Kam Aloo,
pour Dioscorea alata. L'absence de noms distincts dans chaque
province fait encore présumer une culture peu ancienne. A Geylan
M. Thwaites * indique six espèces spontanées, et il ajoute que
les Dioscorea saliva L., D, alata L., et D, purpurea Roxb, sont
cultivés dans les jardins, mais non sauvages.
U Igname de Chine, Dioscorea Batatas de Decaisne *, cultivé
en grand par les Chinois, sous le nom de Sain-In et introduit
par M. de Montigny dans les jardins d'Europe, où il reste comme
un légume de luxe, n'a pas été trouvé sauvage en Chine jusqu'à
présent. D'autres espèces moins connues sont aussi cultivées
par les Chinois, en particulier le Chou-Yu, Tou-Tchou, Chan-Yu,
mentionné dans leurs anciens ouvrages d'agriculture et qui a
des rhizomes sphériques (au lieu des fuseaux pyriformes du
D. Batatas). Les noms signifient, d'après Stanislas Julien, Arum
de montagne, par où l'on peut inférer une plante véritablement du
pays. Le D"" Bretschneider ^ indique trois Dioscoreas comme
4îultivés en Chine {Dioscorea Batatas, alata, saliva), et il ajoute :
« Le Dioscorea est indigène en Chine, car ij est mentionné dans le
plus ancien ouvrage de matière médicale, celui de l'empereur
Schen-nung. »
Le Dioscorea japonica, Thunberg, cultivé au Japon, a été ré-
colté aussi dans les taillis de localités diverses, sans qu'on sache
positivement, disent MM. Franchet et Savatier *, jusqu'à quel
point il est indigène ou répandu par un effet de la culture. Une
autre espèce, plus souvent cultivée au Japon, se propage çà et
là dans la campagne, d'après les mêmes auteurs. Ils la rappor-
tent au Dioscorea sativa de Linné, mais on sait que l'illustre
Suédois avait confondu plusieurs espèces asiatiques et améri-
caines sous ce nom, qu'il faut ou abandonner, ou restreindre à
1 . Ce sont les D. globosa, alata, rubella, purpurea, fasciculata, dont deux
ou trois paraissent de simples variétés.
2. Pidaington, Index.
3. Thwaites, Envm. plant, Zeylan, p. 326.
4. Decaisne, Histoire et culture de tlgname de Chine, dans Revue horti-
cole, 1" juillet et déc. 1853 ; Flore des serres et jardins X, pi. 971.
î). Bretschneider, Study and value of chinese botanical works, p. 12.
6. Franchet et Savatier, Enum, plant, Japonia, 2, p. 47.
IGNAMES 63
Tune des esçèces de TArchipel indien. Si l'on adopte ce dernier
parti, le vrai D. sativa serait la plante cultivée à Geylan, dont
Linné avait eu connaissance, et que Thwaites nomme effective-
ment Dioscorea sativa^ Linné. Divers auteurs admettent l'identité
de la plante de Geylan avec d'autres cultivées au Malabar, à
Sumatra, à Java, aux Philippines, etc. Blume * prétend que le
D. sativa L., auquel il attribue la planche 51 de Rheede (Ma-
labar, vol. 8), croît dans les lieux humides des montagnes de Java
et du Malabar. Il faudrait, pour ajouter foi à ces assertions, que
la question de l'espèce eût été étudiée soigneusement, d'après des
échantillons authentiques.
L'Igname la plus généralement cultivée dans les îles de la mer
Pacifique, sous le nom de Ubi (prononcez Oubi), est le Dioscorea
alata de Linné. Les auteurs des xvii® et xviir siècles en parlent
comme étant très répandue à Taïti, à la Nouvelle-Guinée, aux
Moluques, etc. ^ On en distingue plusieurs variétés, suivant la
forme des rhizomes. Personne ne prétend avoir trouvé cette
espèce à l'état sauvage, mais la flore des îles d'où elle est proba-
blemenl originaire, en particulier celle des Gélèbes, de la Nouvelle-
Guinée, etc., est encore peu connue.
Transportons-nous en Amérique. Là aussi, plusieurs espèces
de ce genre croissent spontanément, par exemple au Brésil, dans
la Guyane, etc., mais il semble que les formes cultivées ont été
plutôt introduites. En effet, les auteurs indiquent peu de variétés
ou espèces cultivées (Plumier une, Sloane deux), et peu de noms
vulgaires. Le plus répandu est Yam^ Igname ou inhame, qui
est d'origine africaine, suivant Hugues, ainsi que la plante cul-
tivée de son temps aux Barbades ^.
Le mot Yam^ d'après lui, signifie manger^ dans les idiomes de
plusieurs des nègres de la côte de Guinée. Il est vrai que deux
voyageurs plus rapprochés de la découverte de l'Amérique, cités
par M. de Humboldt *, auraient entendu prononcer le nom
d Igname sur le continent américain : Vespucci, en 1497, sur la
côte de Paria; Gabral, en 1500, au Brésil. D'après celui-ci, le
nom s'appliquait à une racine dont on faisait du pain, ce qui
convienarait mieux au Manioc et me fait craindre une erreur,
d'autant plus qu'un passage de Vespucci, cité ailleurs par M. de
Humboldt ^, montre la confusion qu'il faisait entre le Manioc et
rigname. Le D, Cliffbrtiana Lam. croît sauvage au Pérou ^ et
au Brésil ', mais il ne m'est pas prouvé qu'on le cultive. Presl
1. Blume, Enum. plant, Javse, p. 22.
2. Forster, Plant, esculent.^ p. 56; Rumphius, Amboin.^ vol. o, pi. 120,
121 etc.
3! Hughes, Hist. nat, Barb-., p. 226 et 1750.
4. De Humboldt, Nouv, Esp,, 2« éd., vol. 2, p. 468.
5. De Humboldt, ihid», p. 403.
6. Hsenke, dans Presly Rel., p. 133.
7. Martius^ Flora brasiliensis, V, p. 43.
64 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS PARTIES SOUTERRAINES
dit « verosimiliter colitur », et le Flora brasiliensis ne parle pas
de culture.
Dans la Guyane française, d'après le D"" Sagot *, on cultive
surtout le Discorea triloba Lam, appelé Igname indien, qui est
répandu aussi au Brésil et aux Antilles. Le nom vulgaire fait
présumer une origine du pays, tandis qu'une autre espèce, D.
Cayennensls Kunth, aussi cultivée à la Guyane, mais sous le nom
d'Igname pays-nègre^ aurait été plutôt apportée d'Afrique, opi-
nion d'autant plus vraisemblable que sir W. Hooker assimile
au />. Cayennensls Tlgname cultivée en Afrique au bord du
Nun et du Quorra ^. Enfin V Igname franche de la Guyane est.
selon M. Sagot, le D, alata^ introduit de Tarchipel malais et de
rOcéanie.
En Afrique, il y a moins de Dioscoreas indigènes qu'en Asie ou
en Amérique, et la culture des Ignames est moins répandue. Sur
la côte occidentale, on ne cultive qu'une ou deux espèces d'après
Thonning ^. Lockhard, au Congo, n'en avait vu qu'une et dans
un seul endroit *. Pour l'île Maurice, Bojer ^ énumère 4 espèces
cultivées, qu'il dit originaires d'Asie, et une, le /). bulbifera Lam.,
qui serait de l'Inde, si le nom est exact. Il prétend qu'elle est venue
de Madagascar et s'est répandue dans les forêts, hors des plan-
tations. A Maurice, elle porte le nom de Cambare marron. Or
Cambare se rapproche assez du nom indien Kam, et marron
indique une plante échappée des cultures. Les anciens Egyptiens
ne cultivaient pas d'Ignames, ce qui fait présumer une culture
moins ancienne dans l'Inde que celle de la Golocase. Forskal et
Delile ne mentionnent pas d'Ignames cultivées en Egypte à l'épo-
que moderne.
En résumé, plusieurs Dioscoreas sauvages en Asie (surtout dans
l'archipel asiatique) et d'autres, moins nombreux, croissant en
Amérique et en Afrique, ont été introduits dans les cultures comme
plantes alimentaires, à des époques probablement moins reculées
que beaucoup d'autres espèces. Cette dernière conjecture repose
sur l'absence de nom sanscrit, sur la faible extension géogra-
phique des cultures et la date, qui ne paraît pas très ancienne,
des habitants des îles de la mer Pacifique.
Arro"W-root. — Maranla aymndinacea^ Linné.
Plante de la famille des Scitaminées, voisine du genre Canna^
dont les drageons souterrains * produisent l'excellente fécule
appelée arrow-root. On la cultive aux Antilles et dans plusieurs
autres pays intertropicaux de l'Amérique continentale. Elle a
\. Sagot, Bull. Soc. bot. France, 1871, p. 305.
2. Hooker, Flora nignt., p. 53.
3. Thonning, Plantée guineenses, p. 447,
4. Brown, Congo, p. 49.
5. Bojer, Hortus mauritianus.
6. Voir la description de Tusaac, Flore des Antilles, 1, p. 183.
ARROW-ROOT 65
•été introduite aussi dans l'ancien monde, par exemple sur la
côte de Guinée ^ .
Le Maranta arundinacea est certainement américain. D'après
les indications de Sloane 2, il avait été apporté de la Dominique
aux Barbades et de là à la Jamaïque, ce qui fait présumer qu'il
«l'est pas originaire des Antilles. Le dernier auteur qui ait étudié
le genre Maranta, Kôrnicke ^, a vu plusieurs échantillons re-
cueillis à la Guadeloupe, à Saint-Thomas, au Mexique, dans
l'Amérique centrale, à la Guyane et au Brésil ; mais il ne s'est
pas occupé de savoir s'ils venaient de plantes spontanées, culti-
vées ou naturalisées. Les collecteurs ne l'indiquent presque
jamais, et l'on manque pour le continent américain, excepté
pour les Etats-Unis, de flores locales et surtout de flores faites
par des botanistes ayant résidé dans le pays. D'après les ou-
vrages publiés, je vois l'espèce indiquée comme cultivée *, ou
venant dans les plantations ^, ou sans aucune explication. Une
localité du Brésil, dans la province peu habitée de Matto
grosso, citée par Kôrnicke, fait présumer l'absence de culture.
Seemann * indique l'espèce dans les endroits exposés au soleil
près de Panama.
On cultive aussi aux Antilles une espèce, Maranta indica^ que
Tussac dit avoir été apportée de l'Inde orientale. Kôrnicke lui
rapporte le M, ramosissima de Wallich, trouvé à Sillet, dans
l'Inde, et pense que c'est une variété du M. arundinacea. Sur
trente-six espèces plus ou moins connues du genre Maranta, une
trentaine au moins sont d'Amérique. Il est donc assez impro-
bable que deux ou trois autres soient asiatiques. Jusqu'à ce que
la Flore de l'Inde anglaise de sir J. Hooker soit achevée, ces ques-
tions sur les espèces de scitaminées et leurs origines seront très
obscures.
Les Anglo-Indiens tirent de l'arrow-root d'une autre plante de
la même famille qui croît dans les forêts du Deccan et au Ma-
labar^ le Curcuma angustifolia Roxhurgh '^. Je ne sais si on la
<5ultive.
1. Hooker^ Nigei^ flora^ p. 331.
2. Sloane, Jamaïca, 1707, vol. 1, p. 234.
3. Dans^i^//. Soc. des natur. de Moscou^ 1862, vol. 1, p. 34.
4. Aublet, Guyane^ 1, p. 3.
0. Meyer, Flotta Esseguebo., p. H.
6. Seemann, Boiaay of Heraldj p. 213.
7. Roxbur^h, FI. indica^ 1, p. 31 ; Porter, The tropical agricultuvist,
p. 241; Ainsbes, Materia medica, 1, p. 19.
De Candolle. t
o
CHAPITRE II
PLANTES CULTIVEES POUR LEURS TIGES OU LEURS FEUILLES-
Article 1. — E.ég;uiiies.
Chou ordinaire. — Brassica oleracea^ Linné.
Le Chou, tel qu'il est figuré dans ÏFnglish botany^ t. 637, le
Flora Danica^ t. 2056, et ailleurs, se trouve sur les rochers dti
bord de la mer : i® dans Tîle de Laland en Danemark, Tile
Heligoland, le midi de l'Angleterre et de l'Irlande, la Nor-
mandie, les îles de Jersey et Guernesey et la Gharente-Infé^
rieure * ; 2° sur la côte septentrionale de la Méditerranée,
près de Nice, Gênes et Lucques ^. Un voyageur du siècle der-
nier, Sibthorp, disait l'avoir trouvé au mont Athos, mais aucun
botaniste moderne ne l'a confirmé, et l'espèce parait étrangère
à la Grèce, aux bords de la mer Caspienne, de même qu'à
la Sibérie, où Pallas disait jadis l'avoir vue, et à la Perse ^.
Non seulement les nombreux voyageurs qui ont exploré ces
pays ne l'ont pas trouvée, mais les hivers paraissent trop
rigoureux pour elle dans l'Europe orientale et la Sibérie. La
distribution sur des points assez isolés, et dans deux régions
différentes de l'Europe, peut faire soupçonner ou que des pieds
en apparence indigènes seraient le résultât, dans plusieurs cas,
d'une dissémination provenant des cultures *, ou que l'espèce
aurait été autrefois plus commune et tendrait à disparaître. La
1. Pries, Summa, p. 29 ; Nylander, Conspectus, p. 46 ; Bentham, Bandb,
brit. flora^ éd. 4 p. 40 ; Mackay, FI. hibem., p. 28 ; Brebisson, Flore de
Normandie, éd. 2, p. 18; Babington, Primitiœ fl. sarnicae,^, 8; Clavaud^
Floi^e de la Gironde^ I, p. 68,
2. Bertoloni, Fl. ital.y 7, p. 146 ; Nylander, /. c.
3. Ledebour, Fl. ross.\ Grisebach, Spicilegium fl. rumel; Boissier, FL
or. y etc.
4. Watson, si attentif aux questions de ce genre, doute de i'indigénat
en Angleterre. (Compendium of the Cybele, p. 103), mais la plupart de»
auteurs de flores britanniques l'admettent.
LÉGUMES. — CHOU ORDINAIRE 67
présence dans les îles de l'Europe occidentale est favorable à
cette dernière hypothèse, mais l'absence dans celles de la mer
Méditerranée lui est contraire * .
Voyons si le^ données historiques et linguistiques ajoutent
quelque chose aux faits de la géographie botanique.
Et d'abord c'est en Europe que les variétés innombrables de
choux se sont formées ^, principalement depuis les anciens
Grecs. Théophraste en distinguait trois, Pline un nombre dou-
ble, Tournefort une vingtaine, de Gandolle plus de trente. Ce
n'est pas d'Orient que sont venues ces modifications, — nouvel
indice d'une ancienne culture en Europe et d'une origine euro-
péenne.
Les noms vulgaires sont également nombreux dans les lan-
gues européennes et rares ou modernes dans les asiatiques.
Sans répéter une foule de noms que j'ai cités autrefois ^, je dirai
qu'en Europe ils se rattachent à quatre on cinq racines dis-
tinctes et anciennes :
Kap ou Aaô, dans plusieurs noms celtiques et slaves. Notre
nom français Cabus en dérive. L'origine est évidemment la même
qae pour Caput, à cause de la forme en tète du chou.
Cauly Kohl^ de plusieurs langues latines {CauliSy signifiant
tige et chou), germaniques (Chôli en ancien allemand, Kokl en
allemand moderne, Kaal en danois) et celtiques {Cal en irlan-
dais, Kaol et Kol en breton) ^,
Bresic , Bresych^ Brassic^ des langues celtiques ^ et latines
(Brassica)^ d'où probablement Berza et Verza des Espagnols et
Portugais, Varza des Roumains ^.
Aza^ des Basques (Ibères), que M. de Gharencey ' regarde
comme propre à la langue euskarienne, mais qui diffère peu
des précédents.
Kramhai^ Crambe, des Grecs et des Latins.
La variété des noms dans les langues celtiques concorde avec
l'existence de l'espèce sur les côtes occidentales d'Europe. Si les
Aryens Celtes avaient apporté la plante d'Asie, ils n'auraient
probablement pas inventé des noms tirés de trois sources diffé-
rentes. Il est aisé d'admettre, au contraire, que les peuples
aryens, voyant le Chou indigène et peut-être employé déjà en
1. Les Brassica àalearica et Br, cretica sont vivafies, presque ligneux,
non bisannuels. On s'accorde à les séparer du Br. oleracea.
2. Aug. Pyr. de Gandolle a publié, sur les divisions et subdivisions du
Brassica oleracea, un mémoire spécial (Transactions of tke hortic. Soc,
vol. 5, traduit en allemand, et en français dans la Bihl. univ, agricult.,
vol. 8), qui est souvent cité comme un modèle dans ce genre.
3. Alpn. de Gandolle, Géogr, bot. maisonnée, p. 839.
4. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. i, p. 380.
5. Alph. de Gandolle, /. c. ; Ad. Pictet, /. c.
6. Brandza, Pi^odr, fl romane, p. 122.
7. De Gharencey, Recherches sur les noms basques, dans Actes de Ix So-
ciété philologique, 1" mars 1869.
68 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Europe par les Ibères od les Ligures, ont créé des noms ou se
sont servis de ceux des peuples plus anciens dans le pays.
Les philologues ont rattaché le Krambai des Grecs au nom
persan Karamby Karam^ Kalam. kourde Kalam, arménien Ga-
ghamb * ; d'autres à une racine de la langue mère supposée des
Aryens, mais ils ne s'accordent pas sur les détails. Selon Fick *,
Karambha, dans la langue primitive indo-germanique, signifie
« Gemusepflanze (légume), Kohi (chou), Karambha voulant dire
tige, comme caulis. » Il ajoute que Karambha en sanscrit est le
nom de deux légumes. Les auteurs anglo-indiens ne citent pas
ce nom prétendu sanscrit, mais seulement un nom des langues
modernes de l'Inde, Kopee '. Ad. Pictet, de son côté, parle du
mot sanscrit Kalamba^ « tige de légume, appliqué au chou. »
J'ai beaucoup de peine, je l'avoue, à admettre ces étymologies
orientales du mot gréco-latin Crambe, Le sens du mot sanscrit
est très douteux (si le mot existe), et, quant au mot persan, il
faudrait savoir s'il est ancien. J'en doute, car, si le chou avait
existé dans l'ancienne Perse, les Hébreux l'auraient connu *.
Par tous ces motifs, l'espèce me paraît originaire d'Europe.
La date de sa culture est probablement très ancienne, anté-
rieure aux invasions aryennes, mais on a commencé sans doute
par récolter la plante sauvage avant de la cultiver.
Cresson alénois. — Lepidium sativum^ Linné.
Cette petite Crucifère, usitée aujourd'hui comme salade, était
recherchée dans les temps anciens pour certaines propriétés des
graines. Quelques auteurs pensent qu'elle répond un Car-
damon de Dioscoride ; tandis que d'autres appliquent ce nom à
ÏErucaria aleppica ^. En l'absence de description suffisante, le
nom vulgaire actuel étant Cardamon ^, la première des deux
suppositions est vraisemblable.
La culture de l'espèce doit remonter à des temps anciens et
s'être beaucoup répandue, car il existe des noms très différents:
en arabe Heschad, en persan Turehtezuk ^, en albanais, langue
dérivée des Pelasges, Diéges *, sans parler de noms tirés de l'ana-
logie de goût avec le cresson {Nasturtium officinale). Il y a des
noms très distincts en hindoustani et bengali, mais on n'en con-
naît pas en sanscrit ^.
Aujourd'hui, la plante est cultivée en Europe, dans l'Afrique
1. Ad. Pictet. /. c.
2. Fick, Vorterb, d. indo-germ. Sprachen^ p. 34.
3. Piddington, Index ; Ainsiies, Mat, méd, ind,
4. Roseomûller, BibL Alterk., ne cite aucun nom.
5. VoirFraas, Syn. fl. class., p. 120, 124; Lenz, Bot. rf. Alteny p. 617.
6. Sibthorp, Proar. fl. graec, 2, p. 6; Heldreich, Nutzpfl, Griechenl., p. 47.
7. Ainsiies, Mat. méd. ind., 1, p. 95.
8. Heldreich, /. c,
0. Piddington, Index; Ainsiies, /. c.
LÉGUMES. — CRESSON. ~ POURPIER 69
septentrionale, TAsie occidentale, l'Inde et ailleurs ; mais, d'où
est-elle originaire ? C'est assez obscur.
Je possède plusieurs échantillons recueillis dans l'Inde, où sir
J. Hooker* ne regarde pas l'espèce comme indigène. Kotschy Ta
rapportée de l'île Karek ou Karrak , du golfe Persique. L'éti-
quette ne dit pas que ce fût une plante cultivée. M. Boissier^ en
parle, sans ajouter aucune réflexion, et il mentionne ensuite des
échantillons d'Ispahan et d'Jilgypte recueillis dans les cultures.
Olivier est cité pour avoir vu le Cresson alénois en Perse, mais
on ne dit pas si c'était à l'état vraiment spontané '. On répète
dans les livres que Sibthorp l'a trouvé dans l'île de Chypre, et,
quand on remonte à son ouvrage, on voit que c'était dans les
champs *. Poech ne l'a pas mentionné à Chypre ^. Unger et
et Kotschy ^ ne le disent pas spontané dans cette île. D'après
Ledebour '', Koch l'a trouvé autour du couvent du Mont Ararat,
Pallas près de Sarepta, Falk au bord de l'Oka, affluent du Volga;
enfin H. Martius l'a cité dans sa flore de Moscou; mais on n'a
pas de preuves de la spontanéité dans ces diverses localités.
Lindemann *, en 1860, ne comptait pas l'espèce parmi celles
de Russie, et, pour la Crimée, il l'indique seulement comme
cultivée *. D'après Nyman *°, le botaniste Schur l'aurait trouvée
sauvage en Transylvanie, tandis que les flores de l'Au triche-
Hongrie ne citent pas Fv^spèce, ou la disent cultivée ou croissant
dans les terrains cultivés.
Je suis porté à croire, d'après l'ensemble de ces données plus
ou moins douteuses, que la plante est originaire de Perse, d'où
elle a pu se répandre, après l'époque du sanscrit, dans les jar-
dins de l'Inde, de la Syrie, de la Grèce, de l'Egypte et jusqu'en
Abyssinie ".
Pourpier. — Portulaca oleracea, Linné.
Le pourpier est une des plantes potagères les plus répandues
dans l'ancien monde , depuis des temps très reculés. On l'a
transportée en Amérique, où elle se naturalise, comme en
Europe, dans les jardins, les décombres, au bord des che-
mins, etc. C'est un légume plus ou moins usité, une plante offi-
cinale et en même temps une excellente nourriture pour les
porcs.
1. Booker, FL brit. India, 1, p. 160.
2. Boissier. FI. orient., vol. 1.
3. De Candolle, Syst., 2, p. 533.
4. Sibthorp et Smith, Prodr. fl. gi^œcœ, 2, p. 6.
5. Poech, Enum. plant. Cypi^i^ 1842.
6. Unger et Kotschy, Inseln Cypern, p. 331.
7. Ledebour, F. ross., 1, p. 203.
8. Lindemann, Index plant, in Ross.,, Bull. Soc. nat. ilfo^c., 1860, vol. 33.
9. Lindemann, Prod7\ fl. Cherson. p. 21.
10. Nyman, Conspectus fl. europ., 1878, p. 65.
11. Schweinfurth, Beitr. fl. Mth., p. 270.
70 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
On lui connaît un nom sanscrit, Lonica ou Lounia, qui se re-
trouve dans les langues modernes de Tlnde *. Les noms grec
Andrackne et latin Fortulaca sont tout autres, de même que le
groupe des noms Cholza en persan, Khursa ou Koursa en hin-
doustani, Kourfa Kara-or en arabe, en tartare, qui paraissent
l'origine de Kurza-noga en polonais, Kurj-noha en bohème,
Kreusel en allemand, sans parler du nom Schrucha des Russes
et de quelques autres de l'Asie orientale *. Il n'est pas néces-
saire d'être linguiste pour voir certaines dérivations dans ces
noms, indiquant que les peuples asiatiques dans leurs migra-
tions diverses ont transporté leurs noms de la plante ; mais cela
ne prouve pas qu'ils l'aient transportée elle-même. Ils peuvent
l'avoir reconnue dans les pays où ils arrivaient. D'un autre côté
l'existence de trois ou quatre racines différentes fait présumer
que des peuples européens antérieurs aux migrations des Asia-
tiques avaient déjà des noms pour l'espèce, et que celle-ci, par
conséquent, est très ancienne en Europe comme en Asie.
L'état cultivé, naturalisé autour des cultures ou spontané est
bien difficile à connaître pour une plante si répandue et qui se
propage facilement au moyen de ses petites graines; en nombre
immense.
A l'est du continent asiatique, elle ne paraît pas aussi ancienne
que dans l'ouest, et jamais les auteurs ne disent que ce soit une
plante spontanée ^. Dans l'Inde, c'est bien différent. SirJ. Hooker
dit * : Croissant dans l'Inde jusqu'à 5000 p. dans l'Himalaya. II
indique aussi dans le nord-ouest de l'Inde la variété à tige
dressée qu'on cultive, avec l'ordinaire, en Europe. Je ne trouve
rien de positif sur les localités de Perse, mais on en mentionne
de si nombreuses et dans des pays si peu cultivés, sur les bords
de la mer Caspienne, autour du Caucase, et même dans la Russie
méridionale ^, qu'il est difficile de ne pas admettre Tindigénat
dans cette région centrale d'où les peuples asiatiques ont envahi
l'Europe. En Grèce, la plante est spontanée aussi bien que cul-
tivée ^. Plus loin, vers l'ouest, en Italie, etc., on recommence à
trouver dans les flores pour toute indication les champs, les
jardins, les décombres et autres stations suspectes ^.
Ainsi les documents linguistiques et botaniques concourent à
faire regarder l'espèce comme originaire de toute la région qui
s'étend de l'Himalaya occidental à la Russie méridionale et la Grèce.
1. PiddingtoD, Index to indian plants.
2. Nemnich, Polygl. Lexicon Naturgesch., % p. 1047.
3. Loureiro, FI. Cochinch. 1, p. 359 ; Franchet et Savatier, Enum. plant
Japon., i, p. 53; Bentham, Fl. Hongkong^ p. 127.
4. Hooker, Fl. brit. Ind., 1, p. 240.
5. Ledebour, FL ross., 2, p. 145. Lindemann, Prodr. fl. Chers., p. 74,
dit : fn desertis et arenosis inter Cherson et Berislaw, circa Odessam.
6. LeDz, Bot. d. Alt., p. 632 ; Heldreich, Fl. attisch. Ebene, p. 483.
7. Bertol., ^7. it.^ v. 5 ; Gussone, Fl. sic, vol. 1 ; Moris, Fl. sard,, v. 2;
Willkomm et Lange, Prodr. fl. hisp.^ v. 3.
LÉGUMES. — CÉLERI — CERFEUIL 71
Tétragone étalée. — Tetragonia expama^ Munray.
Les Anglais appellent cçtie plante Epmard de la Nouvelle-Zé-
iande^ parce qu elle avait été rapportée de ce pays et cultivée
par sir Joseph Banks, lors du célèbre voyage du capitaine
Gook, C'est une plante singulière, sous deux points de vue.
D'abord elle est la seule espèce cultivée qui provienne de la
Nouvelle-Zélande; ensuite elle appartient à une famille de
plantes ordinairement charnues, les Ficoïdes, dont aucune autre
«spèce n'est employée. Les horticulteurs * la recommandent,
•comme un léçume annuel, dont le goût est à peu près celui de
l'Epinard, mais qui supporte mieux la sécheresse et devient par
ce motif une ressource dans la saison où TEpinard fait défaut.
Depuis le voyage de Gook, on Ta trouvée sauvage, principale-
aiient sur les côtes de la mer, non seulement à la Nouvelle-Zé^
lande, mais en Tasmanie, dans le sud et Touest de TAustralie,
au Japon et dans TAmérique australe *. Reste à savoir si, dans
ces dernières localités, elle n'est pas naturalisée, car elle est in-
diquée près des villes, au Japon et au Chili '.
Céleri caltivé. — Apium graveolens, Linné.
Comme beaucoup d'Ombellifères, des lieux humides, le Céleri
«auvage a une habitation étendue. Il existe depuis la Suède
jusqu'à l'Algérie, l'Egypte, TAbyssinie, et en Asie depuis le
Caucase jusque dans le Belouchistan et les montagnes de l'Inde
anglaise *.
Il en est question déjà dans V Odyssée, sous le nom de Selinon,
et dans Théophraste ; mais plus tard Dioscoride et Pline ^ dis-
tinguent le Céleri sauvage et le Céleri cultivé. Dans celui-pi, on
fait blanchir les feuilles, ce qui diminue beaucoup l'amertume.
L'ancienneté de la culture fait comprendre pourquoi les variétés
de jardin sont nombreuses. Une des plus différentes de l'état
naturel est le Céleri rave, dont la racine charnue se mange
€uite.
Cerfeuil. — Scandix Cerefolium^ Linné. -^ Anthriscus Cere»
folium^ Hoffmann.
Il n'y a pas longtemps que l'origine de cette petite Ombel-
ilifère, si commune dans nos jardins, était inconnue. Gomme
1. Boianical magazine, t. 2362; Bon jardinier^ 1880, p. 567.
2. Sir J. Hooker, Handbook of New Zealand flora, p. 84 ; Bentham, Flo7'a
australiensis, 3, p. 327; Franchet et Savatier, Enum. plant. Japonix,
1, p. 177.
3. Cl. Gay, Flora chilena, 2, p. 468.
4. Friea, Summa veget. Scandinavie ; Munby, CataL Alger, ^ p. 11 ;
£oissier, Flora orientalis, 2, p. 856 ; Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung^
p. 272 ; Hooker, Flora of brii, India, 2 p. 679.
5. Dioscoride, Mat med.j l. 3, c. 67, 68; Pline, HisL, 1. 19, c. 7, 8; Lenz,
Bot d, alten Gi^iechen und Bœmery p. 557.
72 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
beaucoup d'espèces annuelles, on la voyait paraître dans les
décombres, les bords de haies, les .terrains peu cultivés, et
Ton ne savait pas s'il fallait la regarder comme spontanée. Dans
l'Europe occidentale et méridionale, elle semble adventive, plus
ou moins naturalisée; mais, dans le sud-est dé la Russie et dans
l'Asie occidentale tempérée, elle parait spontanée. Steven * l'in-
dique dans « les bois de la Grimée, çà et là ». M. Boissier * a reçu
plusieurs échantillons des provinces au midi du Caucase, de
Turcomanie et des montagnes de la Perse septentrionale, loca-
lités probablement naturelles de l'espèce. Elle manque aux
flores de l'Inde et de TAsie orientale.
Les auteurs grecs n'en ont pas parlé. La première mention
chez les anciens est dans Golumelle et Pline ', c'est-à-dire au
commencement de l'ère chrétienne. On la cultivait. Pline l'ap-
pelle Cerefolium. Probablement l'espèce s'était introduite dans
le monde gréco-romain depuis Théophraste, c'est-à-dire dans le
laps des trois siècles qui ont précédé l'ère actuelle.*
PersiL — Petroselinum sativum, Moench
Cette Ombellifère bisannuelle est sauvage dans le midi de
l'Europe, depuis l'Espagne jusqu'en Macédoine. On l'a trouvée
aussi à Tlemcen en Algérie et dans le Liban *.
Dioscoride et Pline en ont parlé sous le nom de Pet?'oselinon
et Petroselinum^ mais comme d'une plante sauvage et ofBci-
nale ^. Rien ne prouve qu'elle fût cultivée de leur temps.
Dans le moyen âge Gharlemagne la comptait parmi les plantes
qu'il ordonnait de cultiver dans ses jardins *. Olivier de Serres,
au xvie siècle, cultivait le Persil. Les jardiniers anglais l'ont reçu
en 1548 ^
Quoique la culture ne soit pas ancienne et importante, il s'est
produit déjà deux races, qu'on appellerait des espèces, si on les
voyait à l'état spontané : le Persil à feuilles frisées et celui dont
la racine charnue est comestible.
Ache ou Maceron. — Smyrnium Olus-atrum^ Linné.
De toutes les Ombellifères servant de légumes, celle-ci a été
une des plus communes dans les jardins pendant environ quinze
siècles, et maintenant elle est abandonnée. On peut suivre ses
commencements et sa fin. Théophraste en parlait comme d'une
plante officinale sous le nom de Ippos e linon ^ mais trois cents an»
1. Steven, Verzeichniss iaurischen Halbinseln, p. 183.
2. Boissier, Flora orient.^ 2, p. 913.
3. Lenz, Botanik der alten Griechen und Rœmer, p. 572.
4. Munby, Catal. Alger., éd. 2, p. 22; Boissier, Flora orientalis, 2 p., 857-
5. Dioscorides, Mat, médical 1. 3, c. 70 ; Pline, Hist., 1. 20, c. 12.
6. La liste de ces plantes est dans Meyer, Geschichte der Botanik j 3,
p. 401. "
7. Phillips, Companion to kitchen garden, 2, p. 35.
LÉGUMES. — PERSIL. — ACHE. — MACHE. — ARTICHAUT 73
plus tard Dioscoride * dit qu'on en mangeait la racine ou les
feuilles, à volonté, ce qui fait supposer une culture. Les Latins
l'appelaient Olus-atrum^ Charlemagne Olisatum, et il ordon-
nait d'en semer dans ses fermes ^. Les Italiens Font beaucoup
employée, sous le nom de Macerone '. A la fin du xviii» siècle,
la tradition existait en Angleterre que cette plante était jadis
cultivée ; ensuite les horticulteurs anglais ou français n'en par-
lent plus *.
Le Smyrnium Olus-atrum est spontané dans toute l'Europe
méridionale, en Algérie, en Syrie et dans l'Asie Mineure ".
Mâche ou Doucette. — Valerianella oHtoria, Linné.
Cultivée fréquemment pour salade, cette plante annuelle, de
la famille des Valérianées, se trouve à l'état spontané dans toute
l'Europe tempérée jusqu'au 60^ degré environ, dans l'Europe
méridionale, aux îles Canaries, Madère et Açores, dans le nord
de l'Afrique, l'Asie Mineure et les environs du Caucase ^. Elle y
est souvent dans les terrains cultivés , aux abords des vil-
lages, etc., ce qui rend assez difficile de savoir où elle existait
avant d'être cultivée. On la cite cependant, en Sardaigne et en
Sicile, dans les prés et pâturages de montagnes ^. Je soupçonne
qu'elle est originaire de ces îles seulement, et que partout ailleurs
elle est adventive ou naturalisée. Ce qui me le fait penser, c'est
qu'on n'a découvert chez les auteurs grecs ou latins aucun nom
qui paraisse pouvoir lui être attribué. On ne peut même citer,,
d'une manière certaine, aucun botaniste du moyen âge ou du
xvi° siècle qui en ait parlé. Il n'en est pas question non plus
parmi les légumes usités en France au xvii^ siècle, d'après le
Jardinier français de 1651 et l'ouvrage de Laurenberg, Horticul-
tura (Francfort, 1632). La culture et même l'emploi de cette
salade paraissent donc modernes, ce qui n'avait pas été re-
marqué.
Gardon. — Cynara Cardunculus^ Linné .
Artichaut. — Cynaî^a Scolymus, Linné. — C. CardunculuSy
var. sativa, Moris.
Depuis longtemps, quelques botanistes ont émis l'idée que
1. Theophrastes, Hist.y 1. 1, 9; 1. 2, 2; I. 7, 6 ; Dioscorides, Mat. med..
I. 3, c. 71.
2. E. Meyer, Geschichte der Botanik, 3, p. 401.
3. Targioni, Cenni storici, p. 58.
4. English botany, t. 230; Phillips, Companion to the kitchen garden; Le
bon jardinier.
5. Boissier, Flora orientalis, 2, p. 927.
6. Krok, Monographie des Valerianella, Stockolm, 1864, p. 88 ; Boissier,
Flora 07nent.f 3, p. 104.
7. Bertoloni, Flora ital., 1, p. 185; Moris, Flora sardoa, 2, p. 314; Gussone,
Synopsis fl. Siculse, éd. 2, vol. 1, p. 30.
74 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
l'artichaut est probablement une forme obtenue, par la cul-
ture, du Cardon sauvage *. Aujourd'hui, de bonnes obser-
vations en ont donné la preuve. Moris *, par exemple, ayant
cultivé, dans le jardin de Turin, la plante spontanée de Sar-
daigne à côté de l'Artichaut, afOrme qu'on ne pouvait plus les
distinguer par de véritables caractères. MM. Wilkomm et
Lange ^, qui ont bien observé, en Espagne, la plante spontanée
et l'Artichaut qu'on y cultive, ont la même opinion, D'iulleuES
l'Artichaut n'a pas été trouvé hors des jardins, et comme la
région de la Méditerranée, patrie de tous les Cynara, a été
explorée à fond, on peut affirmer qu'il n'existe nulle part spon-
tané.
Le Gardon dans lequel il faut comprendre le C, koî^rida, de
Sibthorp, est indigène à Madère et aux Gamaries, dans les mon-
tagnes du Maroc près de Mogador, dans le midi et l'orient de
la péninsule ibérique, le midi de la France, de l'Italie, de la
Grèce et dans les îles de la mer Méditerranée, jusqu'à celle de
Chypre *. Munby ^ n'admet pas le C. Cardunculus comme
spontané en Algérie, mais bien le Cynara humilis Linné, qui est
considéré par quelques auteurs comme une variété.
Le Gardon cultivé varie beaucoup au point de vue de la
division des feuilles, du nombre des épines et de la taille, diver-
sités qui indiquent une ancienne culture. Les Romains man-.
geaient le réceptacle qui porte les fleurs, et les Italiens le man-
gent aussi sous le nom de glrello. Les modernes cultivent le
Gardon pour la partie charnue des feuilles, usage qui n'est pas
i^ncore introduit en Grèce ^.
L'Artichaut présente moins de variétés, ce qui appuie Topinion
qu'il est une dérivation obtenue du Gardon. Targioni % dans un
excellent article sur cette plante, raconte que l'Artichaut a été
apporté de Naples à Florence en 1466, et il prouve que les
anciens, même Athénée, ne connaissaient pas l'Artichaut, mais
seulement les Gardons sauvages et cultivés. Il faut citer cepen-
dant, comme indice d'ancienneté dans le nord de l'Afrique, la
circonstance que les Berbères ont deux noms tout à fait particu-
liers pour les deux plantes : Addad pour le Gardon, Taga pour
l'artichaut ^.
On croit que les Kactos, Kinara et ScoHmos des Grecs et le
1. Dodoens, Hist, plant, p. 724; Linné, Species, p. 1159; de Gandolle'
Frodromus, 6, p. 620.
2. Moris, Flora sardoa, 2, p. 61.
.3. Willkomm et Lange, Prodr. fl. hisp.^ 2, p. 180.
4. Webb, PhyL Canar., 3, sect. 2, p. 384; Bail, Spicilegium fl. maroçc,
p. 524 ; Willkomm et Lange, /. c. ; Bertoloni, fl. ital., 9 p. 86 ; Boissiw,
fl. orient., 3, p. 357 ; Unger et Kotschy, Insein Cypern, p. 246.
5. Munby, CataL, éd. 2.
6. Heldreich, Nutzpflanzen Griechenland^s, p. 27.
7. Targioni, Cenm storici, p. 52.
8. Dictionnaire français-berbère, publié par le gouvernement, 1 vol. in-8.
LÉGUMES. — LAITUE 75
Carduus des horticulteurs romains étaient le Cynara Cardun-
culus *, quoique la description la plus détaillée, celle des Théo-
phraste, soit assez confuse. « La plante, disait-il, croît en
Sicile » ce qui est encore vrai; et il ajoutait : « non en Grèce. » 11
est donc possible que les pieds observés de nos jours dans ce
pays soient le résultat de naturalisations par le fait des cultures.
D'après Athénée * le roi d'Egypte Ptolomée Euergètes, du
II® siècle avant Jésus-Christ, avait trouvé en Lybie une grande
quantité de Kinara sauvages, dont ses soldats avaient profité.
Malgré la proximité de l'habitation naturelle de l'espèce je
doute beaucoup que les anciens Egyptiens aient cultivé le Gardon
ou l'artichaut. Pickering et Unger ^ ont cru le reconnaître dans
quelques dessins des monuments ; mais les deux figures que
Unger regarde comme le plus admissibles me paraissent extrê-
mement douteuses. D'ailleurs on ne connaît aucun nom hébreu,
et les Juifs auraient probablement parlé de ce légume s'ils
l'avaient vu en Egypte. L'extension de l'espèce doit s être faite
en Asie assez tardivement. 11 y a un nom arabe, Hirschuff ou Ker-
schouffei un nom persan, Kunghir *, mais pas de nom sanscrit,
et les Hindous ont pris le nom persan Kunjir ^, ce qui montre
l'époque tardive de l'introduction. Les auteurs chinois n'ont
mentionné aucun Cynara ^. En Angleterre, la culture de l'Arti-
chaut n'a été introduite qu'en 1548 ^ L'un des faits les plus
curieux dans l'histoire du Cynara Cardunculus est sa naturali-
sation, dans le siècle actuel, sur une vaste étendue des pampas
de Buenos-Ayres, au point de gêner les communications ^. Il
devient incommode également au Chili ®. On ne dit pas que
l'Artichaut se naturalise de cette manière nulle part, ce qui est
encore l'indice d'une origine artificielle.
Liaitiie. — Lactuca Scariola, var. sativa.
Les botanistes s'accordent à considérer la laitue cultivée
comme une modification de l'espèce sauvage appelée Lactuca
Scariola *®.
!. Theophrastes, Hiitt,^ 1. 6, c. 4 ; Pline, Hist., 1. 19, c. 8 ; Lenz, Botanik
der cUten Griechen und Rœmer, p. 480.
2. Athénée, Deipn,, 2, 84.
3. Pickering, Ùhronol. arrangement, p. 71 ; Unger, Pflanzen des alten
JSgyptens, p. 46, fig. 27 et 28.
4. Âinslies, Mat. méd. ind., 1, p. 22.
5. Piddington, Index.
6. Bretschneider, Study, etc., et Lettres de 1881.
7. Phillips, Companion to the kitchengarden^ p. 22.
8. Aug. de Saint-Hilaire, Plantes remarq. du Brésil, Introd., p. 58 ; Darwin,
Animais and plants under domestication, 2, p. 34.
9. Cl. Gay, Flora chilena, 4, p. 317.
10. L'auteur qui a examiné cette question avec le plus de soin est Bis-
chofif, dans ses Beitràge zur flora Deutschlands und dei" Schweiz, p. 184.
Voir aussi Moris, FI. sardoa, 2, p. 330.
76 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Celle-ci croît dans l'Europe tempérée et méridionale, aux îles
Canaries et Madère *, en Algérie *, en Abyssinie ' et dans
l'Asie occidentale tempérée. M. Boissier en cite des échantillons
de l'Arabie Pétrée jusqu'à la Mésopotamie et le Caucase *. Il
mentionne une variété à feuilles crispées, par conséquent ana-
logue à certaines laitues de nos jardins , que le voyageur
Hausknecht lui a apportée d'une montagne du Kurdistan. J'ai un
échantillon de Sibérie, près du fleuve Irtysch, et on sait main-
tenant d'une manière certaine que l'espèce croît dans l'Inde
septentrionale, du Cachemir au Nepaul ^. Dans tous ces pays,
elle est souvent près des cultures ou dans les décombres, mais
souvent aussi dans des rocailles, des taillis ou des prés, comme
une plante bien spontanée.
La laitue cultivée se sème fréquemment dans la campagne,
hors des jardins. Personne, à ma connaissance, ne l'a suivie
dans ce cas pendant quelques générations ou n'a essayé de
cultiver le Z. Scariola sauvage, pour voir si le passage d'une
forme à l'autre est facile. Ils se pourrait que l'habitation pri-
mitive de l'espèce se fût étendue par la diffusion de laitues
cultivées faisant retour à la forme sauvage. Ce qui est connu,
c'est l'accroissement du nombre des variétés cultivées, de[)uîs
environ 2000 ans. Théophraste en indiquait trois ^; Le Bon jar-
dinier^ de 1880, une quarantaine, existant en France.
Les anciens Grecs et les Romains cultivaient la laitue, sur-
tout comme salade. En Orient, la culture remonte peut-être
à une époque plus ancienne. Cependant, d'après les noms vul-
gaires originaux, soit en Asie, soit en Europe, il ne semble pas
que cette plante ait été généralement et très anciennement
cultivée. On ne cite pas de nom sanscrit, ni hébreu, ni de la
langue reconstruite des Aryens. Il existe un nom grec, Tridax;
latin, Lactuca ; persan et hindoustani, Kahu^ et l'analogue arabe
Chuss ou Chass, Le nom latin existe aussi, légèrement modifié,
dans plusieurs langues slaves et germaniques *^, ce qui peut
signifier ou que les Aryens occidentaux l'ont répandu, ou que
la culture s'est propagée plus tard, avec le nom, du midi au
nord de l'Europe.
Le D*" Bretschneider a confirmé ma supposition * que la
Laitue n'est pas très ancienne en Chine et qu'elle y a été intro-
duite de l'ouest. Il dit que le premier ouvrage où elle soit men-
tionnée date de 600 à 900 de notre ère ^
1. Webb, Phytoar, canar,, 3, p. 422 ; Lowe, FL of Madeii^a, p. 544.
2. Mnnbjr, Catal., éd. 2, p. 22, sous le nom de L. sylvestins.
3. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung ^ p. 285.
4. Boissier, FI. orient,, 3, p. 809.
5. Glarke, Compos, indicx, p. 263.
6. Theophrastes, 1. 7, caj). 4.
7. Nemnich, Polygl. Lexicon.
8. A. de Candolle, Géogr. bot. rais,, p. 843.
P. Bretschneider, Stuay and value of chinese botanical works, p. 17.
LÉGUMES. — CHICORÉES 77
Chicorée sauvage. — Cichonum Intyôusy Linné.
La Chicorée sauvage, vivace, qu'on cultive comme légume,
ue 1 I}iUrU|JC «Jiicutaic a X xxigAxaujLsi/Ciii et ic AJCiuuuiiisiclll , UailS
le Punjab et le Cachemir ^ et de la Russie au lac Baïkal en
Sibérie *. La plante est certainement spontanée dans la plupart
de ces pays; mais, comme elle croît souvent au bord des chemins
et des champs, il est probable qu'elle a été transportée par
rhomme en d'ehors de sa patrie primitive. Ce doit bien être le
cas dans Tlnde, car on ne cite aucun nom sanscrit.
Les Grecs et les Romains employaient cette espèce, sauvage et
cultivée **, mais ce qu'ils en disent est trop abrégé pour être clair.
D'après M. de Heldreich, les Grecs modernes emploient sous le
nom général de Lachana, comme légume et salade, dix-sept
Cichoracées différentes, dont il donne la liste ^. Selon lui, l'espèce
ordinairement cultivée est le Cichorium divaricatum, Schousboe
(C.pumilum, Jacquin), mais il est annuel, et la Chicorée dont
parl^ Théophraste était vivace.
Chicorée Endive. — Cichoriu7n Endivia^ Linné.
Les Chickorées blanches, Endives ou Scarole, des jardins, se dis-
tinguent du Cichorium Intybus en ce qu'elles sont annuelles et
d'une saveur moins amère. En outre, les lanières de leur aigrette
au-dessus de la graine sont quatre fois plus longues, et inégales,
au lieu d'être égales. Aussi longtemps qu'on comparait cette
plante avec le C. Intybus, il était difficile de ne pas admettre
deux espèces. On ne connaissait pas l'origine du C. Endivia.
Lorsque nous reçûmes, il y a quarante ans, des échantillons d'un
Cichorium de l'Inde appelé par Hamilton C, Cosmia, ils nous
parurent tellement semblables à l'Endive que nous eûmes l'idée
de voir l'origine de celle-ci dans l'Inde, comme on l'avait quel-
quefois supposé ^ ; mais les botanistes anglo-indiens disaient, et
ils affirment de plus en plus, que la plante indienne est seule-
ment cultivée ^. L'incertitude continuait donc sur l'origine géo-
graphique. Dès lors, plusieurs botanistes ® ont eu l'idée de
comparer l'Endive avec une espèce annuelle, spontanée dans la
1. Bail, Spicilegium FL marocc, p. 534; Munby, Catal., éd. 2, p. 21.
2. Boissier, /ï. orient., 3 p. 715.
3. Clarke, Compos. ind., p. 250.
4. Ledebour, FI. ross., 2, p. 774.
5. Dioscorides, II, cap. 160; Pline, XIX, cap. 8; Palladius, XI, cap. H. Voir
d'autres auteurs cités aans Leuz, Botanik d. Alten, p. 483.
6. Heldreich, Die Nutzpflanzen Griechenland's, p. 28 et 76.
7. Aug. ^yr. de Ganaolle, Prodr. 7 p. 84; Alph. de Candolle, Géoyr.
bot. p. 845.
8. Clarke, Compos. ind., p. 250.
9. De Visiani, F/ora dalmat., II, p. 97; Schultz, dans Webb, Phyt. canar.,
«ect. II, p. 391 ; Boissier, FI. orient., III, p. 716.
78 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
région méditerranéenne, le Cichorium pumilunij Jacquin (C. di-
varicatum, Schousboe), et les différences ont été trouvées si
légères que les uns ont soupçonné, les autres ont affirmé
l'identité spécifique. Quant à moi, après avoir vu des échantil-
lons sauvages, de Sicile, et comparé les bonnes figurés publiées
par Reichenbach {Icônes, vol. 19, pi. 1357 et 1358), je n'ai
aucune objection à prendre les Endives cultivées pour des
variétés de la même espèce que le C. pumilum. Dans ce cas, le
nom le plus ancien étant C. Fndivia, c'est celui qu'on doit con-
server, comme Ta fait Schultz. Il rappelle d'ailleurs un nom
vulgaire commun à plusieurs langues.
La plante spontanée existe dans toute la région dont la
Méditerranée est le centre, depuis Madère \ le Maroc a et
l'Algérie ', jusqu'à la Palestine *, le Caucase et le Turkestan ^
Elle est commune surtout dans les îles de la Méditerranée et en
Grèce. Du côté ouest, par exemple en Espagne et à Madère, il est
probable qu'elle s'est naturalisée par un effet des cultures, d'après
les stations qu'elle occupe dans les champs et au bord des routes.
On ne trouve pas, dans les textes anciens, une preuve positive
de l'emploi de cette plante chez les Grecs et les Romains®;
mais il est probable qu'ils s'en servaient comme de plusieurs
autres Chicoracées. Les noms vulgaires n'indiquent rien, parce
qu'ils ont pu s'appliquer aux deux espèces de Cichorium, Ils
sont peu variés ^ et font présumer une culture sortie du milieu
gréco-romain. On cite un nom hindou, Kasnl, et tamul, Koschi *,
mais aucun nom sanscrit, ce qui indique une extension tardive
de la culture dans l'est.
Epinard. — Spinacia oleracea^ Linné.
Ce légume était inconnu aux Grecs et aux Romains ^. Il était
nouveau en Europe au xvp siècle ^°,et l'on a discuté pour savoir
s'il devait s'appeler Spanachia, comme venant d'Espagne, ou
Spinacia^ à cause des épines du fruit **. La suite a montré que
le nom vient de l'arabe Isfânâdscky Esbanach ou Sebanach^
suivant les auteurs '*. Les Persans disent /sjoawy ou Ispanaj^^,ei
1. Lowe, Floy^a of Madeira^ p. 521.
2. Bail, Spicileg., p. 534.
3. Munby, Cat.y éd. 2, p. 21.
4. Boissier, /. c.
5. Bunge, Beitr. zur flora Russland's und Central-Asieri's, p. 197.
6. Lenz, Botanik der Alten^ p. 483, cite les passages des auteurs. Voir
aussi Heldreich, Die Nutzpflanzen Gviechenl.^ p. 74.
7. Nemnich, Polygl. Lextc, au mot Cichorium Endivia,
8. Royle, ///. HimaL, p. 247 ; Piddiugton, Index.
9. J. Bauhin, Hist., II, p. 964 ; Fraas, Syn, fl. class,; Lenz, Bot. d. Alten.
10. Brassavola, p. 176.
11. Malhioli, éd. Valçr. p. 343.
12. Ebn Baithar, ueberttz von Sondtheimer, I, p. 34 ; Forskal, Egypt,
p. 77 ; Delile, lU. JEgypt, p. 29.
13. Roxbur^h, Fl. tnd.j éd. 1832, v. III, p. 771, appliqué au Spinacia
tetrandra, qui parait, la même espèce.
LÉGUMES. — ÉPINARD 79
les Hindous Isfany ou Palak, d'après Piddington, ou encore
Pinnis^ d'après le même etRoxburgh. L'absenee de nom sans-
crit indique une culture peu ancienne dans ces régions. Loureiro
a vu TEpinard cultivé à Canton, et M. Maximowicz en Mand-
schourie * ; mais M. Brestschneider nous apprend que le nom
chinois signifie Herbe de Perse, et que les légumes occidentaux
ont été introduits ordinairement en Chine un siècle avant l'ère
chrétienne 2. Il est donc probable que la culture a commencé en
Perse depuis la civilisation gréco-romaine, ou qu'elle ne s'est
pas répandue promptement à l'est ni à l'ouest de son origine
persane. On ne connaît pas de nom hébreu, de sorte que les
Arabes doivent avoir reçu des Persans la plante et le nom. Rien
ne fait présumer qu'ils aient apporté ce légume en Espagne.
Ebn Baithar, qui vivait en 1235, était de Malaga ; mais les ou-
vrages arabes qu'il cite ne disent pas où la plante était cultivée,
si ce n'est Tun d'eux qui parle de sa culture commune à Ninive et
Babylone. L'ouvrage de Herrera sur l'agriculture espagnole ne
mentionne l'espèce que dans un supplément, de date moderne,
d'où il est probable que l'édition de 1513 n'en parlait pas. Ainsi
la culture en Europe doit être venue d'Orient à peu près dans le
xv« siècle.
On répète dans quelques livres populaires que l'Epinard est
originaire de l'Asie septentrionale, mais rien ne peut le faire
présumer. Il vient évidemment de l'ancien empire des Mèdes et
des Perses. D'après Bosc ', le voyageur Olivier en avait rapporté
des graines recueillies, en Orient, dans la campagne. Ce serait
une preuve positive si le produit de ces graines avait été exa-
miné par un botaniste pour s'assurer de l'espèce et de la variété.
Dans l'état actuel des connaissances, il faut convenir qu'on n'a
pas encore trouvé l'Epinard à l'état sauvage, à moins qu'il ne
soit une modification cultivée du Spinacia tetrandra Steven,
qui est spontané au midi du Caucase, dans le Turkestan, en
Perse et dans l'Afghanistan, et qu'on emploie comme légume
sous le nom de Schamum *.
Sans entrer ici dans une discussion purement botanique, je
dirai qu'en lisant les descriptions cité^ par M. Boissier, en re-
gardant la planche de Wight ^ du Spinacia tetrandra Roxb..
cultivé dans l'Inde, et quelques échantillons d'herbier, je ne
vois pas de caractère bien distinctif entre cette plante et l'Epi-
nard cultivé à fruits épineux. Le terme de tetrandra exprime
ridée que l'une des plantes aurait cinq et l'autre quatre éta-
mines, mais le nombre varie dans nos Epinards cultivés ^.
1. Maximowicz, Primitif fl, A^nuv,, p. 222.
2. Bretschneider, Study^ etc., of chinese bot. works, p. 17 et 15.
3. Dict. d'agric, V, p. 906.
4. Boissier, Fl. orient^ VI, p. 234.
:i. Wight, Icônes, t. 818.
G. Nées, Gen. plant, fl. germ., livr. 7, pi. 15.
60 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Si, comme cela paraît probable, les deux plantes sont deux
variétés, Tune cultivée, l'autre tantôt sauvage et tantôt cultivée,
le nom le plus ancien S, oleracea doit subsister, d'autant plus
que les deux plantes se voient dans les cultures du pays d'ori-
gine.
UEpinard de Hollande ou gros Ej)inard, dont le fruit n'a pas
d'épines, est évidemment un produit des jardins. Tragus, soit
Bock, en a parlé le premier dans le xvie siècle ^
Brède de Malabar. — Amarantus gangeticus, Linné.
Plusieurs Amarantes annuelles sont cultivées, comme légume
vert, dans les îles Maurice, Bourbon et Seychelles, sous le nom
de Bipède de Malabar *. Celle-ci paraît la principale. On la cul-
tive beaucoup dans l'Inde. Les botanistes anglo-indiens l'ont
prise pendant quelque temps pour VAmarantus oleraceus de
Linné, et Wight en a donné une ûgure sous ce nom ', mais on a
reconnu qu'elle en diffère et qu'elle se rapporte à l'A. gange-
ticus. Ses variétés, fort nombreuses, de taille, de couleur, etc.,
portent dans la langue télinga le nom de Tota Kura^ avec addi-
tion quelquefois d'un adjectif pour chacune. Il y a d'autres
noms en bengali et hindoustani. Les jeunes pousses remplacent
quelquefois les asperges sur la table des Anglais *. lu A, melan-
cholicus^ souvent cultivé dans les jardins d'Europe pour l'orne-
ment, est regardé comme une des formes de l'espèce.
Le pays d'origine est peut-être l'Inde, mais je ne vois pas
qu'on y ait récolté la plante à l'état spontané ; du moins les
auteurs ne l'afûrment pas. Toutes les espèces du genre Ama-
rante se répandent dans les terrains cultivés, les décombres, les
bords de routes, et se naturalisent ainsi à moitié, dans les pays
chauds comme en Europe. De là une extrême difficulté pour
distinguer les espèces et surtout pour deviner ou constater leur
origine. Les espèces les plus voisines du gangeticus paraissent
asiatiques.
L'A. aangeticus est indiqué comme spontané en Egypte et en
Abyssinie, par des auteurs très dignes de confiance ^ ; mais ce
n'est peut-être que le fait de naturalisations du genre de celles
dont je parlais. L'existence de nombreuses variétés et de noms
divers dans l'Inde rend l'origine indienne très probable.
Les Japonais cultivent comme légume les Amarantus cau-
datus , mangostanus et melanckolicus (ou gangeticus) , de
Linné ®, mais rien ne prouve qu'aucun d'entre eux soit indigène.
1. Bauhin, Hist.^ II, p. 965.
2. A. gangeticus, tristis et hybridus, de Linné, d'après Baker, Flora of
Mauritius, p. 266.
3. Wight, Icônes^ pi. 715.
4. Roxburgb, Flora indica, éd. 2, vol. III, p. 606.
5. Boissier, Flora orientalisy IV, p. 990 ; Schweinfurth et Ascherson,
Aufzàhlung, etc.^ p. 289.
6. Francnet et Savatier, Enum. plant. Japonix, I, p. 390.
FOURRAGES. — LUZERNE 81
A Java, on cultive VA. polystachyus, Blume, très commun dans
les décombres, au bord des chemins *, etc.
Je parlerai plus loin des espèces cultivées pour leurs graines.
Poireau ou Porreau. — A llium Ampeloprasum^ var. Porrum .
D'après la monographie très soignée de J. Gay *, le Porreau.
conformément aux soupçons d'anciens auteurs ', ne serait qu'une
variété cultivée de VAllium Ampeioprasum de Linné, si commun
en Orient et dans la région de la mer Méditerranée, spéciale-
ment en Algérie, lequel, dans l'Europe centrale, se naturalise
quelquefois dans les vignes et autour d'anciennes cultures *. Gay
semme s'être défié beaucoup des indications des flores du midi
de l'Europe, car, à l'inverse de ce qu'il fait pour les autres es-
pèces dont il énumère les localités hors de l'Algérie, il ne cite
dans le cas actuel que les localités algériennes, admettant néan-
moins la synonymie des auteurs pour d'autres pays.
La forme du Porrum cultivé n'a pas été trouvée sauvage. On
la cite seulement dans des localités suspectes, comme les vignes,
les jardins, etc. Ledebour ^ indique, pour -l'A. Ampeioprasum^
les confins de la Grimée et les provinces au midi du Caucase.
Wallich en a rapporté un échantillon de Kamaon, dans l'Inde ^,
mais on ne peut pas être sûr qu'il fût spontané. Les ouvrages
sur la Cochinchine (Loureiro), la Chine (Bretschneider), le Japon
(Franchet et Savatier) n'en parlent pas.
Article 9. — fourrage».
Liuzeme. — Medicago sativa, Linné.
La Luzerne était connue des Grecs et des Romains. Ils l'appe-
laient en grec Médical^ en latin Medlca ou Herba medica^ parce
qu'elle avait été apportée de Médie, lors de la guerre contre les
Perses, environ 470 ans avant l'ère chrétienne ^. Les Romains
la cultivaient fréquemment, du moins depuis le commencement
du i«' ou 11^ siècle. Gaton n'en parle pas ^, mais bien Varron,
Golumelle, Virgile, etc. De Gasparin ^ fait remarquer que Gres-
cenz, en 1478, n'en faisait pas mention pour l'Italie, et qu'en
1. Uasskarl, Plantœ javan. rariores^ p. 431.
2. Gay, Ann, des se. nat., 3® série, vol. 8.
3. Linné, Species; de Candolle, FI. franc. ^ III, p. 219.
4. Koch, Synopsis fl, germ. ; Babington, Monual of Irit, fl, ; English bo-
tany, etc., etc.
5. Ledebour, Flora ross., IV, p. 163.
6. Baker, Journal of bot., 1874, p. 295.
7- Strabon, 12, p. 560 ; Pline, livre 18, chap. 10.
8. Hehn, Cultwrpflanzen, etc., p. 355.
9. Gasparin, Cours d'agric, iV, p. 424.
De Candolle. 6
8â PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
1711 Tull ne Tavait pas vue au delà des Alpes. Targioni cepen-
dant, qui n'a pas pu se tromper sur ce point, dit que la
culture de la Luzerne s'est maintenue en Italie, surtout en
Toscane, depuis les anciens*. Dans la Grèce moderne, elle est
rare *.
Les cultivateurs français ont souvent appliqué à la Luzerne le
nom de Sainfoin (jadis Sain foin), qui est celui de VOnobrychis
sativa , et cette transposition existe encore aux environs de Ge-
nève, par exemple. Le nom de Luzerne a été supposé venir de la
vallée de Luzerne, en Piémont, mais il y a une autre origine
plus probable. Les Espagnols avaient un ancien nom , Eruye,
cité par J. Bauhin ', et les Catalans disent llserdas *, d'où vient
peut-être le nom patois du midi de la France, Laouzerdo^ très
voisin de Luzerne, La culture en était si commune en Espagne
que les Italiens ont quelquefois appelé la plante Herba spagna ^.
Les Espagnols, outre les noms indiqués, disent Mielga ou Melga^
qui paraît venir de Medica, mais ils emploient surtout les noms
tirés de l'arabe Alfafa^ Alfasafat^ Alfalfa, Dans le xiii« siècle,
le célèbre médecin Abn Baithar, qui écrivait à Malaga, emploie
le mot arabe Fisftsat^ qu'il rattache au nom persan Isftst ®.
On voit que si l'on se fiait aux noms vulgaires l'origine de la
plante serait ou l'Espagne, ou le Piémont, ou plutôt la Perse.
Heureusement les botanistes peuvent fournir des preuves directes
et positives sur la patrie de l'espèce.
Elle a été recueillie spontanée, avec toutes les apparences
d'une plante indigène , dans plusieurs provinces de l'Anatolie,
au midi du Caucase, dans plusieurs localités de Perse, en Afgha-
nistan, dans le Belouchistan ^ et en Cachemir ^. D'autres loca-
lités dans le midi de la Russie, indiquées par les auteurs, sont
peut-être le résultat des cultures, comme cela se voit dans l'Eu-
rope méridionale. Les Grecs peuvent donc avoir tiré la plante
de l'Asie Mineure aussi bien que de la Médie, qui s'entendait
surtout de la Perse septentrionale.
Cette origine, bien constatée, de la Luzerne, me fait aperce-
voir, comme une chose singulière, qu'on ne lui connaît aucun
nom sanscrit ®. Le Trèfle et le Sainfoin n'en avaient pas non plus,
ce qui fait supposer que les Aryens n'avaient pas de prairies
artiiicielles.
1. Targioni, Cenni storici, p. 34.
2. Fraas, Synopsis florœ classicsBy p. 63 ; Heldreich, Die Nutzpflanzen
ChnechenlandSf p. 70.
3. Bauhin, Htst, plant,, II, p. 381.
4. Colmeiro, Catal,
5. Tozzetti, Dizion. bot,
6. Ebn Baithar, Heil und Nahrungsmitiel, trad. de l'arabe par Sontheimer,
vol. 2, p. 257.
7. Boissier, FI, orient., II, p. 94.
8. Royle, ///. Himal., p. 197.
9. Piddington, Index,
FOURRAGES. SAINFOIN 83
Sainfoin. Esparcette. — Hedysarum Onobryckis , Linné.
— Ombrychis saliva. Lamarck.
Cette Légumineuse, dont l'utilité est incontestable dans les
terrains secs et calcaires des régions tempérées, n'est pas d'un
usage ancien. Les Grecs ne la cultivaient pas, et aujourd'hui
encore leurs descendants ne Font pas introduite dans leur agri-
culture *. La plante nommée Onobryckis dans Dioscoride et
Pline est V Onobryckis Caput-Galli des botanistes modernes ^,
espèce sauvage en Grèce et ailleurs, qu'on ne cultive pas. L'E'.s*-
parcette^ Lupinella des Italiens, était fort estimée, comme four-
rage, dans le midi de la France, à l'époque d'Olivier de Serres ^,
c'est-à-dire au xvi® siècle; mais en Italie c'est surtout dans
le xviii* que la culture s'en est répandue, particulièrement en
Toscane *.
L'Esparcette ou Sainfoin (autrefois Sain foin) est une plante
vivace qui croît spontanément dans l'Europe tempérée, au
midi du Caucase, autour de la mer Caspienne ^ et même au
■delà du lac Baïkal ^. Dans le midi de l'Europe, elle est seulement
sur les collines. Gussone ne la compte pas dans les espèces spon-
tanées de Sicile, ni Moris dans celles de Sardaigne, ni Munby
dans celles d'Algérie.
On ne connaît pas de nom sanscrit, persan ou arabe. Tout
indique pour la culture une origine du midi de la France, peut-
être aussi tardive que le xv® siècle.
Sulla ou Sainfoin d'Espagne. — Hedysaimm coronarium,
Linné.
La culture de cette Légumineuse, analogue au Sainfoin, dont
on peut voir une bonne figure dans la Flore des sentes et des jar-
dins^ vol. 13, pi. 1382, s'est répandue, dans les temps modernes,
•en Italie, en Sicile, à Malte et dans les îles Baléares ^ Le mar-
quis Grimaldi, qui l'a signalée le premier aux agriculteurs, eu
1766, l'avait vue à Seminara, dans la Calabre ultérieure ; de
Oasparin ® la recommande pour l'Algérie, et il est probable que
les agriculteurs de pays analogues en Australie, au Cap et dans
t'Amérique méridionale ou le Mexique feraient bien de l'essayer
La plante a péri aux environs d'Orange par un froid de — 6** C.
h' Hedysarum coronarium croit en Italie, depuis Gènes jusqu'à
1. Heidreich, Nutzpflanzen Griechenlands^ p. 72.
2. Fraas, Synopsis n, class., p. 58 ; Lenz, Boi, ait, Griechen und Rœmet\
p. 731.
3. 0- de Serres, Théâtre de Cagric, p. 242,
4. Targioni Tozzetti, Cenni storici, p. 34.
5. Ledebour, FI. ross., I, ç. 708; Boissier, FI, or,, p. 532.
6. Turczaninow, Flora baical. Dahur., 1, p. 340.
7. Targioni Tozzetti, Cenni storici, p. 35; Mares et Vigineix, Catal, des
Baléares, p. 100.
S. De Gasparin, Cours d'agric, 4, p. 472.
84 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
la Sicile et la Sardaigne S dans le midi de UEspagne * et en Al-
gérie, où elle est indiquée comme rare '. C'est donc une espèce
assez limitée quant à son aire géographique.
Trèfle. — TrifoUum pratense, Linné.
La culture du Trèfle n'existait pas dans l'antiquité, quoique
sans doute la plante fût connue de presque tous les peuples d'Eu-
rope et de l'Asie tempérée occidentale. L'usage s'en est introduit
d'abord dans les Flandres, au xvi® siècle, peut-être même plus tôt,
et, d'après Schwerz, les protestants expulsés par les Espagnols la
portèrent en Allemagne, où ils s'établirent sous la protection de
l'Electeur palatin. C'est aussi de Flandre que les Anglais la reçu-
rent, en 1633, par l'influence de Weston, comte de Portland,
lord Chancelier *.
Le Trifolium pratense est indigène dans toutes les parties de
l'Europe, en Algérie ^, sur les montagnes de l'Anatolie, en Armé-
nie et dans le Turkestan *, en Sibérie vers l'Altaï ', et dans le
Cachemir et le Garwall ^
L'espèce existait donc, en Asie, dans la région des peuples
aryens, mais on ne lui connaît pas de nom sanscrit, d'où l'on
peut inférer qu'elle n'était pas cultivée.
Trèfle incarnat ou Farouch — Trifoliumincarnatum^ Linné.
Fourrage annuel, dont la culture, dit Vilmorin, longtemps li-
mitée à quelques-uns des départements méridionaux, devient tous
les jours plus générale en France ^ De Candolle, au commence-
ment du siècle actuel, ne l'avait vue effectivement que dans
l'Ariège *°. Elle existe, depuis à peu près soixante ans, aux en-
vironè de Genève. Targioni ne pense pas qu'elle soit ancienne
en Italie **, et le nom très insignifiant de Trafogliolo di^^mQ cette
opinion.
Les noms catalans Fé^ Fench *^, et des patois du midi de la
France*^ Farrac^e (Roussillon), Farratage{Ldiï\g\]iQàoQ)^Féroutgé
(Gascogne), d'où le nom de Farouche ont au contraire une ori-
1. Bertoloni, Flora itaL, 8, p. 6.
2. Willkomm et Lauge, Prodr. fl. hisp,, 3, p. 262.
3. Munby, Catal., éd. 2, p 12.
4. De Gasparin, Cours d'agriculture , 4, p. 445, d'après Schwerz et
A. Young.
5. Munby, Catal., éd. 2, p. 11.
6. Boissier, Flora orient,, 1, p. 115.
7. Lodebour, Flora ross., 1, p. 548.
8. Baker, dans, Hooker, Flora of brit, India, 2, p. 86.
9. Bon jardinier, 1880, part. 1, p. 618.
10. De Candolle, Flm^e franc, 4, p. 528.
11. Targioni, Cenni storici, p. 35.
12. Costa, Introd. fl. di Catal., p. 60.
13. Moritzi, Dict. mss. rédigé d'après les flores publiées avant ïe milieu da
siècle actuel .
FOURRAGES. — TRÈFLES. — ERS 88
ginalité qui dénote une culture ancienne autour des Pyrénées. Le
terme, usité quelquefois, de Trèfle du Boussillon,\e montre éga-
lement.
La plante spontanée existe en Galice, dans la Biscaie et la Ca-
talogne *, mais non dans les îles Baléares *; elle est en Sardai-
gne ' et dans la province d'Alger *. On l'indique dans plusieurs
localités de France, d'Italie, deDalmatie, de la région danubienne
et de la Macédoine, sans savoir, dans beaucoup de cas, si ce
n'est point l'effet des cultures voisines. Une localité singulière,
qui paraît naturelle, au dire des auteurs anglais, est la côte de
Gornouaille, près de la pointe de Lizard. Il s'agit dans ce cas,
dit M. Bentham, de la variété jaune pâle, qui est vraiment sau-
vage sur le continent, tandis que la variété cultivée à fleurs rouges
est seulement naturalisée, en Angleterre, par suite des cultures^.
Je ne sais jusqu'à quel point cette observation de M. Bentham
sur la spontanéité de la seule forme à couleur jaunâtre (var.
Molinerii, Seringe) sera confirmée dans tous les pays où croît
l'espèce. Elle est la seule indiquée en Sardaigne par Moris et en
Dalmatie par Visiani *, dans des localités qui paraissent natu-
relles (in pascuis collinis, in montanis, in herbidis). Les auteurs
du Bon jardinier ^ affirment, comme M. Bentham, que le Trèfle
Molinerii est spontané dans le nord de la France, celui à fleurs
Touges étant importé du midi, et, tout en admettant l'absence de
i)onne distinction spécifique, ils notent que, dans la culture, la
forme Molinerii est d'une végétation plus lente, souvent bisan-
nuelle, au lieu d'être annuelle.
Trèfle d'Alexandrie. — Trifolium alexandrinum^ Linné.
On cultive beaucoup en Egypte, comme fourrage, cette espèce
annuelle de Trèfle, dont le nom arabeest J9ersym ou Berzun ^. Rien
ne prouve que ce soit un usage ancien. Le nom n'est pas dans
les livres sur la botanique des Hébreux ou des Araméens.
L'espèce n'est pas sauvage en Egypte, mais elle l'est certaine-
jnent en Syrie et dans l'Asie Mineure ^.
Ers. — Er\)um Ervilia^ Linné. — Vicia Frvilïa, Willdenow.
Bertoloni *° ne mentionne pas moins de dix noms vulgaires ita-
liens, Ervo^ Lero, Zirlo, etc. C'est un indice de culture générale
1. AVillkomm et Lange, Prodr. fl. hisp., 3, p. 366.
2. Mares et Virgineix, Catal. 1880.
3 Moris, Flora sardoa^ 1, p. 467.
4. Munby, Catal.^ éd. 2.
5. Bentham, Handbook of bristish flora^ éd. 4, p. 117.
6. Moris, Flora sardoa, 1, p. 467; Visiani, Fl. aalmat,, 3, p. 290.
7. Bon jardinier, 1880, p. 619.
8. Forstal, Flora segypt., P» 71; Delile, Plant, cuit, en Egypte, p. 10;
^^ilkinson, Manners and cusioms of ancient Egyptians, 2, p. 398,
9. Boissier, Flora orient., 2, p. 127.
10. Bertoloni, FL it., 7, p. 500.
86 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
et ancienne. M. de Heldreich * dit que les Grecs modernes culti-
vent la plante en abondance, pour fourrage. Ils la nomment
liobai, de l'ancien grec Orobos, de même que Ervo% vient du
latin Èrvum. La culture de l'espèce est indiquée dans les auteurs
de l'antiquité grecque et latine ^. Les anciens Grecs se servaient
des graines, car on en a retrouvé dans les fouilles de Troie ^
On cite beaucoup de noms vulgaires en Espagne, même des
noms arabes * ; mais l'espèce y est moins cultivée depuis quel-
ques siècles^. En France, elle Test si peu que bien des ouvrages
modernes d'agriculture n'en parlent pas. Elle est inconnue dans^
rinde anglaise ^.
Les ouvrages généraux indiquent V Ervum Brvi lia comme
croissant dans l'Europe méridionale; mais, si l'on prend l'une
après l'autre les flores plus estimées, on voit qu'il s'agit de loca-
lités telles que les champs, les vignes ou les terrains cultivés.
De même dans l'Asie occidentale, où M. Boissier* parle d'échan-
tillons de Syrie, de Perse et de l'Afghanistan. Quelquefois, dans
des catalogues abrégés ^, la station n'est pas indiquée, mais nulle
part je ne rencontre l'assertion que la plante ait été vue spon-
tanée dans des endroits éloignés des cultures. Les échantillons
de mon herbier ne sont pas plus probants à cet égard.
Selon toute vraisemblance, l'espèce étaitjadis sauvage en Grèce,
en Italie, et peut-être en Espagne et en Algérie, mais la fréquence
de sa culture, dans les terrains mêmes où elle existait, empêche
de voir maintenant des pieds sauvages.
Vesce. — Vicia sativa, Linné.
Le Vicia saliva est une Légumineuse annuelle, spontanée dans
toute l'Europe, à l'exception de la Laponie. Elle est commune
également en Algérie **^ et au midi du Caucase, jusqu'à la province
de Talysch". Roxburgh la donne pour indigène dans le nord de
l'Inde et au Bengale; ce que sir Joseph Hooker admet seulement
en ce qui concerne la variété appelée angustifolià *^. On ne lui
connaît aucun nom sanscrit, et dans les langues modernes de
l'Inde seulement des noms hindous *^ Targioni croit que c'est le
1. Heldreich, f^utzpflanzen Gnechenlands, p. 71.
2. Voir Lenz, Botanik d, Alten, ^. 727; Fraas, FL class., p. 54.
3. Wittmack, Sitzungsber. bot. Vereins Brandenburg, 19 déc. 187ÎT.
4. Willkomm et Lange, Prodr. fl, hisp,, 3, p. 308.'
0. Baker, dans Hooker, FI. brit. India.
6. Herrera, Agricultura, éd. 1819, 4, p. 72.
7. Baker, dans Hooker, FI. brit. India,
8. Boissier, FI. orient.^ 2, p. 595.
9. Par exemple : Munby, Catal. plant. Algeriœ, éd. 2, p. 12.
10. Munby, Catal., éd. 2.
11. Ledebour, FI. ross. 1, p. 666; Hohenacker, Emim, plant. Talych,
p. 113; C.-A. Meyer, Verzeichniss^^, 147.
12. Roxburgh, FI. ind., éd. 1832, v. 3, p. 323; Hooker, FI. brit. India, 2,
p. 178.
13. Piddington, Index^ eu indique quatre.
FOURRAGES. — VESCE. — JAROSSE 87
ILetsach des Hébreux *. J'ai reçu des échantillons du Cap et de
Californie, L'espèce n'y est certainement pas indigène , mais
naturalisée hors des cultures.
Les Romains semaient cette plante, comme fourrage et pour
les graines, déjà du temps de Gaton *, Je n'ai pas découvert de
preuve d'une culture plus ancienne. Le nom Vik^ d'où Vicia, est
d*une date très reculée en Europe, car il existe dans l'albanais ',
qu'on regarde comme la langue des Pélasges, et chez les peuples
slaves, suédois et germains, avec de légères modifications. Cela
ne prouve pas que l'espèce fût cultivée. Elle est assez distincte
et assez utile aux herbivores pour avoir reçu de tout temps des
noms vulgaires.
»
Jarosse, Garousse, Gessette. — Lathyrus Cicera, Linné.
Légumineuse annuelle, estimée comme fourrage, mais dont la
graine, prise comme aliment dans une certaine proportion, pré-
sente des dangers ^.
On la cultive en Italie sous le nom deMochî°. Quelques auteurs
soupçonnent que c'est le Cicera de Columelle et ïErvilïa de
Varron, mais le nom vulgaire italien est très différent de ceux-ci.
L'espèce n'est pas cultivée en Grèce ^ Elle l'est, plus ou moins,
en France et en Espagne, sans indice que l'usage y remonte à
des temps anciens. Cependant M. Wittmack ^ lui attribue, avec
doute, certaines graines rapportées par M. Virchow des fouilles
de Troie.
D'après les flores, elle est évidemment spontanée dans des
endroits secs, hors des cultures, en Espagne et en Italie ^. Elle
l'est aussi dans la basse Egypte, d'après MM. Schweinfurth et
Ascherson *° ; mais on n'a aucun indicé d'ancienne culture dans
ce pays ou par les Hébreux. Vers l'orient, la qualité spontanée
devient moins certaine. M. Boissier indique la plante dans «les
terrains cultivés depuis la Turquie d'Europe et l'Egypte jusqu'au
midi du Caucase et à Babylone ** ». Elle n'est mentionnée dans
l'Inde ni comme spontanée ni comme cultivée ** et n'a pas le
nom sanscrit.
1. Targioni, Cenni storici,^. 30.
2. Cato, De re rustica, éd. 153o, p. 34; Pline, 1. 18, c. 15.
3. fleldreich, Nutzpflanzen GriecUenlands , p. 71. Dans la langue an-
térieure aux Indo-Européens Vik a un autre sens, celui de hameau (Fick,
Vorterb. indo-germ,y p. 189).
4. y iXvDiOnn, Bon jardinier, 1880, p. 603.
5. Targioni, Cenni storici, p. 31; Bertoloni, F. ital, 7, p. 444, 447.
6. Lenz, Botanik d. Alten, p. 730.
7. Fraas, FI. class. ; Heldreich, Nutzftanzen Griechenlands,
8. Wittmack, Sitz. bef\ bot. Vereins Brandenburg, 19 déc. 1879.
9. Willkomm et Lange, Prodr. fl. hisp., 3, p. 313; Bertoloni, U c,
10. Schweinfurth et Ascherson, Aufàhlung^ etc., p. 257.
11. Boissier, FL orient, 2, p. 605.
12. J. Baker, dans Hooker, Fl. of bvit. India,
88 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Probablement, Tespèce est originaire de la région comprise
entre TEspagne et la Grèce, peut-être aussi d'Algérie *, et une
culture, pas très ancienne, Ta propagée dans l'Asie occidentale.
Gesse. — Lathyrus sativus, Linné.
Légumineuse annuelle, cultivée dans le midi de l'Europe,
depuis un temps fort ancien, comme fourrage et accessoirement
pour les graines. Les Grecs la nommaient Lathyros * et les
Latins Cicercuia '. On la cultive aussi dans l'Asie occidentale
tempérée et même dans l'Inde septentrionale * ; mais elle n'a
pas de nom hébreu ^ ni sanscrit *, ce qui fait présumer que la
culture n'en est pas très ancienne dans ces régions.
Presque toutes les flores du midi de l'Europe et <l'Algérie
donnent la plante comme cultivée et presque spontanée, rare-
ment, et pour quelques localités seulement, comme spontanée.
On comprend la difficulté de reconnaître la spontanéité quand
il s'agit d'une espèce souvent mélangée avec les céréales et qui
se maintient aisément ou se répand àla suite des cultures. M. de
Heldreich n^admet pas. l'indigénat en Grèce ^. C'est une assez
forte présomption que dans le reste de l'Europe et en Algérie
la plante est sortie des cultures.
Les probabilités me paraissent en sens contraire pour l'Asie
occidentale. Les auteurs mentionnent en effet des localités assez
sauvages, dans lesquelles l'agriculture joue un rôle moins con-
sidérable qu'en Europe. Ainsi Ledebour ^ a vu des échantillons
récoltés dans le désert près de la mer Caspienne et dans la pro-
vince de Lenkorar. C.-A. Meyer ^ le confirme pour Lenkoran.
Baker, dans la flore de l'Inde, après avoir indiqué l'espèce
l'omme répandue çà et là dans les provinces septentrionales,
ajoute « souvent cultivée », d'où l'on peut croire qu'il la regarde
comme indigène, au moins dans le nord. M. Boissier n'affirme
rien à l'égard des localités de Perse qu'il mentionne dans sa
flore d'Orient *^
En somme, je regarde comme probable que l'espèce existent,
ayant d'être cultivée, du midi du Caucase ou de la mer Cas-
pienne jusqu'au nord de l'Inde, et qu'elle s'est propagée vers
l'Europe, à la suite d'anciennes cultures, mélangée peut-être
avec les céréales.
1. Munby, Catal,
2. Theophrastes, Hist. plant., 8, c. 2, 10.
3. Columella, De t*e?nistica, 2, c. 10; Pline, 18, c. 13, 32.
4. Roxburgh, FI. irid., 3; Hooker, FI. hrit. India, 2, p. 178.
5. Rosenmûller, Hand6. hiàl. Alterk.YoX,, 1.
6. Piddin^lon, Index,
7. Heldreich, Pflanzen d. attisch. Ebene^ p. 476; Nutzpflanzen Griechen-
landsy p. 72.
8. Ledebour, Floi^a rossica, 1, p. 681,
9. C.-A. Meyer, Verzeichniss^ p 148,
10. Boissier, FL orient.^ 2, p. 606.
FOURRAGES. — GESSE. -— FENU GREC 89
Grosse Ochras. — Pisum Ochrus^ Linné. — Lathyrus Ochrus^
de Gandolle.
Cultivée comme fourrage annuel en Catalogne, sous le nom
de Tapisots *, et en Grèce, particulièrement dans Tîle de Crète,
sous celui de Ochros ^, mentionné dans Théophraste ^, mais
sans la moindre description. Les auteurs latins n'en parlent
pas, ce qui fait présumer une culture locale et rare dans l'anti-
quité.
L'espèce est certainement spontanée en Toscane *. Elle paraît
l'être aussi en Grèce et en Sardaigne, où elle est indiquée dans
les haies ^, et en Espagne, où elle croît dans des lieux incultes ®,
mais, quant au midi de la France, à l'Algérie et la Sicile, les
auteurs ne s'expliquent pas sur la station ou indiquent ordi-
nairement les champs et les terrains cultivés. Vers l'Orient, on
ne connaît pas la plante plus loin que la Syrie ^, où probable-
ment elle n'est pas spontanée.
La belle planche publiée par Sibthorp, Flora grseca, t. 689,
fait penser que l'espèce mériterait d'être cultivée plus souvent.
Fenu grec. — TrigoneilaFœnnm'grœcu7n, Linné,
La culture de cette Légumineuse annuelle était fréquente chez
les anciens, en Grèce et en Italie *, comme fourrage de prin-
temps ou comme donnant des graines officinales. Abandonnée
presque partout en Europe, notamment en Grèce ', elle con-
tinue en Orient et dans l'Inde *®, où probablement elle remonte
à une époque très ancienne, et dans toute la région du Nil **.
L'espèce est spontanée dans le Punjab et le Cachemir **, dans
les déserts de la Mésopotamie et de la Perse *^, et dans l'Asie
Mineure **, où cependant les localités indiquées ne paraissent pas
assez distinctes des terrains cultivés. On l'indique aussi *^ dans
plusieurs endroits de l'Europe méridionale, comme le mont
Hy mette et autres localités de Grèce, les collines au-dessus de
Bologne et de Gènes, quelques lieux incultes en Espagne ; mais
1. Willkomm et Lange, Prodr, FL hisp., 3, p. 312.
2. Lenz, BoL d, Alterth., p. 730; Heldreich, Nutzpfl, Griechenl, p. 72.
3. Lenz, 1. c.
4. Caruel, FL iosc, p. 193; Gussone, Syn, fl. sic. éd. 2.
5. Boissier, fl. orient. 2, p. 602; Moris, fL sardoa, 1, p. 382.
6. Willkomm et Lange, t. c.
7. Boissier, /. c.
8. TheophvasieSt Hist plant, f 8, c. 8; Columella, De re 7'ust., 2, c. 10;
Pline, HisL, 18, c. 16.
9. Fraas, Svn. fl. class.^ p. 63; Lenz, Bot. d. Alterth., p. 719.
10. Baker, dans Hooker, FL brit. Ind.y II, p. 57.
11. Schweinfurth, Beitr. z. FL Mthiop. p. 258. ^
12. Baker, Le.
13. Boissier, FL orient. II, p. 70.
14. Boissier, ibid,
15. Sibthorp, Fl. grœca^ t. 766; Lenz, /. c; Bertoloni, FL itaL^ 8, p. 250;
Willkomm et Lange, Prodr, fl. hisp., 3, p. 390.
90 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
plus on avance vers Fouest, plus les stations mentionnées sont
les champs, les terrains cultivés, etc. ; aussi les auteurs attentifs
ont-ils soin de noter que l'espèce est probablement sortie des
cultures *. Je ne crains pas de dire qu'une plante de cette sorte
si elle était originaire de l'Europe méridionale, y serait beau-
coup plus commune et ne manquerait pas, par exemple, aux
flores insulaires, comme celles de Sicile, d'Ischia et des Baléares*.
L'ancienneté de l'espèce et de son emploi dans Tlnde est
appuyée par l'existence de plusieurs noms différents, selon les
peuples, et surtout d'un nom sanscrit et hindou moderne, Methi '.
Il existe un nom persan, Schemlit, et un nom arabe, Helbeh *,
très connu en Egypte; mais on ne cite aucun nom hébreu **.
L'un des noms de la plante en grec ancien, Tailis (TtjXiç), sera
peut-être pour les philologues un dérivé du nom sanscrit ®, ce
dont je ne suis pas juge. L'espèce pourrait avoir été introduite
par les Aryens et le nom primitif n'avoir laissé aucune trace
dans les langues du nord, parce qu'elle ne peut vivre que dans
le midi de l'Europe.
Serradelle. — Ornithopus sativus^ — Brotero. — 0, isthmo-
carpus^ Cosson.
La véritable Serradelle, spontanée et cultivée en Portugal, a
été décrite pour la première fois, en 1804, par Brotero ', et
M. Cosson l'a distinguée plus clairement des espèces voisines*.
Quelques auteurs l'avaient confondue avec Y Ornithopus roseus
de Dufour, et les agriculteurs lui ont attribué quelquefois le
nom d'une espèce bien différente, VO, perpusillus^ qui serait
par son extrême petitesse impropre à la culture. Il suffit de
voir le fruit ou légume de VO, sativus pour être certain de
l'espèce, car il est, à maturité, étranglé de place en place et
arqué fortement. S'il y a dans les champs des individus de
même apparence, mais à légumes droits et non étranfçlés, ils
doivent provenir de quelque mélange de graines avec VO. roseus,
et, si le légume est courbé, mais non étranglé, ce serait VO.
compressus. D'après l'aspect de ces plantes, elles paraissent
f)ouvoir être cultivées semblablement et auraient, je le suppose,
es mêmes avantages.
1. Caruel, FI. tosc.y p. 256; Willkomm et Lange, /. c.
2. Les plantes qui se répandent d'un pays à l'autre arrivent plus difftci*
lement dans les îles, selon les observations que j'ai publiées autrefois
{Géogr. bot. raisonnée, p. 706).
3. Piddington, Index.
4. Ainslie, Mat. med. ind., I, p. 130.
5. Rosenmùller, Bibl. Alterkunde.
6. Comme d'ordinaire le dictionnaire classique de Fick, des langues
indo-européennes, ne mentionne pas le nom de cette plante, que les An-
glais disent être sanscrit.
7. Brotero, Flora lusUanica, II, p. 160.
8. Cosson, Notes sur quelques plantes nouvelles ou critiques du midi de
V Espagne f p. 36.
FOURRAGES. — SERRADELLE. — SPERGULE 91
La Serradelle ne convient que dans les terrcdns sablonneux
et arides. C'est une plante annuelle, qui fournit en Portugal un
fourrage très précoce au printemps. Sa culture, introduite dans
la Gampine, a bien réussi *.
hO. sativus parait spontané dans plusieurs localités de Por-
tugal et du midi de l'Espagne. J'en ai un échantillon de Tanger
(Salzmann}, et M. Gosson l'a récolté en Algérie. Souvent on le
trouve dans des champs abandonnés et même ailleurs. Il peut
être difficile de savoir si les échantillons ne sont point échappés
des cultures, mais on cite des localités où cela n'est pas probable,
par exemple un bois de pins, près de Ghiclana, dans le midi de
1 Espagne (WiUkomm).
Spergnleou Spargoule. — Spergula arvensls^ Linné.
Gette plante annuelle, sans apparence, de la famille des Ga-
Abyssinie * et dans TAsie occidentale jusque
rinde ' et même à Java ^. Il est difficile de savoir dans quelle
étendue de l'ancien monde elle était primitivement indigène.
Pour beaucoup de localités, on ignore si elle est vraiment spon-
tanée ou si elle provient des cultures. Quelquefois on peut soup-
çonner une introduction récente. Dans. l'Inde, par exemple, on
en a recueilli depuis quelques années de nombreux échantillons
mais Roxburgh n'a pas mentionné l'espèce, lui qui avait tant
herborisé à la fin du siècle dernier et au commencement de
celui-ci. On ne lui connaît aucun nom sanscrit ou de l'Inde mo-
derne *, et on ne l'a pas récoltée dans les pays entre l'Inde et
la Turquie.
Les noms vulgaires peuvent indiquer quelque chose sur l'ori-
gine de l'espèce et sa culture.
On ne connaît aucun nom grec ni des auteurs latins. Gelui de
Spergula, en italien Spergola, a toute l'apparence d'un nom
vulgaire ancien en Italie. Un autre nom italien, Erba renaiolay
indique seulement la croissance dans le sable {rena). Les noms
français, espagnol {Esparcillas), portugais {Èsparguta), alle-
mand (Spark) ont la même racine. Il semble que dans tout
le midi de l'Europe l'espèce ait été portée de pays en pays par
les Romains, avant la division des langues latines. Dans le
nord, c'est toute autre chose. Il y a un nom russe, Toritsa "
6 .
1. Bùn jardinier, 1880, p. 512.
2. Boissier, F/, or. 1, p. 731.
3. Hooker, FI. brit. India, 1, p. 243, et plusienrs échantillons des Nilghi-
ries et de Ceylan dans mon herbier.
4. Zollinger, nO 2556, dans mon herbier.
5. Piddington, Index,
6. Sobolewski, Flora pelrop . , p. 109.
92 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
plusieurs noms danois, Humb ou Hum^ Girr ou Kirr *, et sué-
dois, Knutt, Fryle, Nàgde^ Skorff *. Cette grande diversité montre
que lattention s'était portée depuis longtemps sur la plante
dans cette partie de l'Europe, et fait présumer que la culture
y est ancienne. Elle était pratiquée autour de Montbelliard
dans le xvi* siècle ^, et Ton ne dit pas qu'elle y fût récente. Pro-
bablement elle a pris naissance dans le midi de l'Europe à
l'époque de l'empire romain, et dans le nord peut-être plus tôt.
En tout cas, la patrie originelle doit avoir été l'Europe.
Les agriculteurs distinguent une forme plus haute de Sper-
gule *, mais les botanistes s'accordent à ne pas lui trouver des
caractères suffisants pour la séparer comme espèce, et plusieurs
n'en font pas même une variété.
m
Herbe de Guinée. — Panicum maxhnunij Jacquin ".
La Graminée vivace, dite Herbe de Guinée {Guinea grass des
Anglais), a une grande réputation dans les pays intertropicaux
comme fourrage nutritif, aisé à cultiver. Avec un peu de soin,
on peut faire durer un pré jusqu'à vingt ans ^.
La culture parait avoir commencé dans les Antilles. P. Browne
en parle dans son ouvrage sur la Jamaïque au milieu du siècle
dernier, et après lui Swartz.
Le premier mentionne le nom Guinea grassy sans aucune
réflexion sur la provenance de l'espèce. Le second dit : « apporté
autrefois des côtes d'Afrique aux Antilles ». Il s'est fié probable-
ment à l'indication donnée par le nom vulgaire, mais nous savons
à quel point les origines indiquées de cette manière sont quel-
ijuefois fausses, témoin le blé dit de Turquie, qui vient d'Amé-
rique.
Swartz, excellent botaniste, dit que la plante croît « dans les
pâturages cultivés secs des Indes occidentales, où elle est aussi
cultivée », ce qui peut s'entendre d'une espèce naturalisée dans
des terrains qui ont été cultivés. Je ne vois pas qu'aux Antilles
on ait constaté un état vraiment spontané. Il en est autrement
au Brésil. D'après les documents recueillis par de Martius et
étudiés par Nées ^, documents augmentés depuis et encore mieux
1. Reihïj Danmarks flora^ 2, p. 799.
2. Wahlenberg, cité dans Moritzi, Dict. ms. ; Sveïisk Botanik, t. 308.
3. Bauhin, Hist, plant. ^ 3, p. 722.
i. Spergula maxima Bœhninghausen, figurée sans Reichenbach, Plantât
crii., 6, p. 513.
5. Panicum maximum Jacq., Coll. 1, p. 71 (en 1786); Jacq. icônes, 1,
t. 13; Swartz, FI. hidiœ occ, 7, p. 170. P. polygamum Swartz, Pi^odr,
p. 24 (1788). P. jumentorum Persoon Ench., l,p. 83 (1805). P. altissimum,
de quelaues jardins et auteurs modernes. D'après la règle, le nom le plus
ancien doit être adopté.
6. A la Dominique, d'après Imray, dans Kew Report for 1879, p. 16.
7. Nées, dans Martius, Tl. brasiL, in-8«, vol. 2, p. 166.
THÉ 93
étudiés par M. Dœll * , le Panicuni maximum croît dans les
éclaircies des forêts voisines de l'Amazone, près de Santarem,
dans les provinces de Bahia, Geara, Rio-de-Janeiro et Saint-Paul.
Quoique la plante soit souvent cultivée dans ces pays, les loca-
lités citées, par leur nature et leur multiplicité, font présumer
l'indigénat. M. Dœll a vu aussi des échantillons de la Guyane
française et de la Nouvelle-Grenade.
Voyons ce qui concerne l'Afrique.
Sir W. Hooker ^ mentionnait des échantillons rapportés de
Sierra Leone, d'Aguapim, des bords du Quorra et de TUe de
Saint- Thomas, dans l'Afrique occidentale. Nées ' indique Tes-
pèce dans plusieurs localités de la colonie du Gap, même dans
des broussailles et dans des pays montueux, A. Richard * men-
tionne des localités d'Abyssinie, qui paraissent aussi en dehors
des cultures, mais il convient n*être pas très sûr de l'espèce.
M. Anderson, au contraire, n'hésite pas en indiquant le P. maxi-
mum, comme rapporté des bords du Zambèze et de Mozambique
par le voyageur Peters ^.
On sait positivement que l'espèce a été introduite à l'île Mau-
rice par l'ancien gouverneur Labourdonnais ^, et qu'elle s'y est
répandue hors des cultures, de même qu'à Rodriguez et aux
Seychelles ^. L'introduction en Asie ne peut pas être ancienne,
car Roxburgh {FI. ind,) et Miquel [FL ind.-bat,) ne mentionneat
pas l'espèce. A Geylan, elle est uniquement cultivée ^.
En définitive, il y a un peu plus de probabilité, ce me semble,
en faveur de l'origine africaine, conformément à l'indication du
nom vulgaire et à Fopinion générale, mais peu aprofondie, des
auteurs. Cependant, puisque la plante se répand si aisément, il
est singulier qu'elle ne soit pas arrivée d'Abyssinie ou de Mozam-
bique en Egypte et qu'on l'ait reçue si tard dans les îles de
l'Afrique orientale. Si l'existence, antérieurement aux cultures,
d'une môme espèce [phanérogame en Afrique et en Amérique
n'était une chose extrêmement rare, on pourrait la supposer;
mais c'est peu vraisemblable pour une plante cultivée, dont la
diffusion est évidemment très facile.
Article 8. — Emplois diTers des tiges ou des feuilles»
Thé. — Thea sinensis, Linné.
Au milieu du xvni® siècle, lorsqu'on connaissait encore très peu
1. Dœll, dans Flora brasil., in- fol., vol. 2, part. 2.
2. Sir W. Hooker, Niger flora, p. 560.
3. Nées, Florse Africx austr, Graminese, p. 36.
4. A. Richard, Aoyssinie, 2, p 373.
5. Peters, Reise, Èotanik, p. 346.
6. Boier, Hortus mauritianus, p. 565.
7. BaKer, Flora of Mauritius and Seychelles, p. 436.
8. Thwaites, Enum, plant. Ceylonœ.
94 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
l'arbuste qui produit le thé, Linné le nomma Thea sinensis.
Bientôt après, dans la seconde édition du Speciesplantatum, il
crut mieux faire en distinguant deux espèces, Thea Bohea et
Thea viridis^ qu'il croyait répondre à la distinction commer-
ciale des thés noirs et verts. On a prouvé depuis qu'il n'y a
qu'une espèce, comprenant plusieurs variétés, et qu'on obtient
des thés noirs ou verts au moyen de toutes les variétés, selon les
procédés de fabrication. Cette question était réglée lorsqu'il s'en
est élevé une autre sur la réalité du genre Thea, en tant que dis-
tinct du Camellia. Quelques auteurs font du Thea une section
de l'ancien genre Camellia ; mais, si Ton réfléchit aux caractères
indiqués d'une manière très précise par Seemann *, il est permis,
ce me semble, de conserver le genre Thea, avec la nomenclature
ancienne et usitée de l'espèce principale.
On mentionne souvent une légende japonaise racontée par
Ksempfer *. Un prêtre venu de l'Inde en Chine, dans l'année 519
de notre ère, ayant succombé au sommeil lorsqu'il voulait veiller
et prier, aurait coupé ses deux paupières, dans un mouvement
d'indignation, et elles se seraient changées en un arbuste, le
Thé, dont les feuilles sont éminemment propres à empêcher de
dormir. Malheureusement pour les personnes qui admettent
volontiers les légendes en tout ou en partie, les Chinois n'ont
jamais entendu parler de celle-ci, quoique l'événement se fût
passé chez eux. Le thé leur était connu bien avant l'année 519, et
probablement il n'avait pas été apporté de l'Inde. C'est ce que
nous apprend le D^ Bretschneider, dans son opuscule, riche de
faits botaniques et linguistiques ^. Le Pent-sao^ dit-il, men-
tionne le Thé 2700 ans avant Jésus-Christ , le Rya 5 à
600 ans aussi avant Jésus-Christ, et le commentateur de ce der-
nier ouvrage, au quatrième siècle de notre ère, a donné des dé-
tails sur la plante et sur l'emploi de ses feuilles en infusion.
L'usage est donc très ancien en Chine. Il l'est peut-être moins
au Japon, et s'il existe depuis longtemps en Cochinchine, ce qui
est possible, on ne voit aucune preuve qu'il se soit répandu
jadis du côté de l'Inde ; les auteurs ne mentionnent aucun nom
sanscrit, ni même des langues indiennes modernes. Le fait
paraîtra singulier quand on verra ce que nous avons à dire sur
l'habitation naturelle de l'espèce.
Les graines de Thé se répandent souvent hors des cultures et
mettent les botanistes dans le doute sur la qualité spontanée des
pieds qu'on a rencontrés çà et là. Thunberg croyait l'espèce
sauvage au Japon, mais MM. Franchet et Savatier * le nient com-
1. Seemann, dans Transactions of the linnœan Society, 22, p. 337, pi. 61.
2. Kœmpfer, Amœn, Japon.
3. Bretschneider, On the siudy and value of chinese botanical works,
p. 13 et 45.
4. Franchet et Savatier, Enum. plant, Jap.y I, p. 61.
LIN 98
plètement. Fortune * , qui a si bien examiné la culture du Thé
en Chine, ne parle pas de la plante spontanée. M. H. Fonta-
nier * affirme que le Thé croît généralement à Tétat sauvage en
Mandschourie. Il est probable qu'il existe dans les districts
montueux du sud-ouest de la Chine, où les naturalistes n*ont pas
pénétré jusqu'à présent. Loureiro le dit « cultivé et non cultivé»
en Gochmchine *. Ce qui est plus certain, les voyageurs anglais
l'ont recueilli dans l'Assam supérieur * et la province de
Cachar ^ Ainsi le Thé doit être indigène dans les pays montueux
qui séparent les plaines de Tlnde de celles de la Chine, mais
l'emploi des feuilles n'était pas connu jadis dans Tlnde.
La culture du Thé, introduite aujourd'hui dans plusieurs
colonies, donne des résultats admiranles à Assam. Non seule-
ment le produit y est d'une qualité supérieure à la moyenne des
thés de Chine, mais la quantité obtenue augmente rapidement.
En 1870, on a récolté dans l'Inde anglaise treize millions de
livres de thé, en 1878 trente-sept millions, et l'on espérait pour
1880 une récolte de soixante et dix millions de livres ^ I Le Thé
ne supporte pas la gelée et souffre par la sécheresse. Comme je
l'ai dit une fois ^, les conditions qui le favorisent sont tout à fait
l'opposé de celles qui conviennent à la vigne. On m'a objecté
que le thé prospère aux îles Açores, où l'on a du bon vin ® ; mais
on peut cultiver dans les jardins ou sur une petite échelle bien
des plantes qui ne donnent pas, en grand, des produits rému-
nérateurs. On a de la vigne en Chine, et la vente des vins y joue
un très petit rôle. Inversement aucun pays de vignobles n'a
donné du thé pour l'exportation. Après la Chine, le Japon et
Assam^ c'est à Java, à Ceylan et au Brésil qu'on fait le plus de
thé, et assurément on n'y cultive pas du tout ou fort peu la
vigne, tandis que les vins de régions sèches, comme l'Australie,
le Cap, etc., se répandent déjà dans le commerce.
Ldn* — Linum usitatissimum^ Linné.
La question de l'origine du Lin, ou plutôt des Lins cultivés,
est une de celles qui ont donné lieu aux recherches les plus inté-
ressantes.
Pour comprendre les difficultés qu'elle présente, il faut
d'abord se rendre compte des formes, très voisines, que les au-
!. Fortune, Three years wandering in China, 1 vol. iii-8».
2. Fontanier, Bulletin soc, d'acclimatation, 1870, p. 88.
3. Loureiro, FL cochinch., p. 414.
4. Griffith, Reports; Wallich, cité par sir J. Hooker, Flora of brit. India,
I, p. 293.
5. Anderson, cité par sir J. Hooker.
6. The colonies and India, d'après le Gardener*s Chronicle^ 1880, I,
p. 659.
7. Discours au congrès bot. de Londres, en 1866.
8. Flora, 1868, p. 64.
96 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
leurs désignent tantôt comme espèces distinctes du genre
Linum et tantôt comme variétés d'une seule espèce.
Le premier travail important sur ce point a été fait par
M. J.-E. Planchon, en 1848 *. Il a montré clairement les diffé-
rences des Linum usitatissimum, humile, et angustifolium^ qu'on
connaissait mal. Ensuite M. Oswald Heer ^, à l'occasion de re-
cherches approfondies sur les anciennes cultures, a revu les carac-
tères indiqués, et en ajoutant Tétude de deux formes intermé-
diaires, ainsi que la comparaison de nombreux échantillons, il
est arrivé à Tidée d'admettre une seule espèce composée de plu-
sieurs états légèrement différents. Je transcrirai, en français,
son résumé latin des caractères, avec la seule addition de mettre
un nom pour chaque forme distincte, suivant Tusage dans les
livres de botanique.
Linum usitatissimum,
1. Annuum (annuel). Racine annuelle ; tige unique, droite; capsules de 7
à 8 mill. de longueur ; graines de 4 à 6 mill., terminées par un bec. a. Vul-
gare (ordinaire). Capsules de 7 mill. ne s'ouvrant pas à maturité, et offrant
des replis intérieurs glabres. — Chez les Allemands : Schliesslein, Dres-
chlein. p. Humile (petit). Capsules de 8 mill., s'ouvrant à maturité d'une ma-
nière brusque, à replis intérieurs ciliés. — Linum humile Miller. L. cre-
pitans Bœninshausen. Chez les Allemands : Klanglein, Springlein.
2. Hyemale (d'hiver). Racine annuelle ou bisannuelle ; tiges nombreuses,
diffuses à la base, arquées; capsules de 7 mill., terminées par un bec. —
Linum hyemale romanum. Eu allemand : Winterlein.
3. Anibiguum (ambigu). Racine annuelle ou vivace; tiges nombreuses;
feuilles acuminées; capsules de 7 mill., à replis peu ciliés; graines de
4 mill., terminées par un court bec. — Linum ambiguum, Jordan.
4. Angustifolium (à feuilles étroites). Racine annuelle ou vivace: tiges
nombreuses, diffuses à la base, arquées; capsules de 6 mill., à replis ci-
liés; graines de 3 mill., à peine crochues au sommet. — Linum angustifo-
lium Hudson.
On voit combien de passages existent entre les formes. La
qualité de plante annuelle, bisannuelle ou vivace, dont M. Heer
soupçonnait le peu de fixité, est assez vague, en particulier
pour V angustifolium, car M. Loret, qui a observé ce Lin aux en-
virons de Montpellier, s'exprime ainsi ^ : « Dans les pays très
chauds, il est presque toujours annuel, et c'est ce qui a lieu en
Sicile, d'après le témoignage de Gussone ; chez nous il est annuel,
bisannuel ou même vivace, selon la nature physique du sol où il
croît, et l'on peut s'en assurer en l'observant sur le littoral, no-
tamment à Maguelone. On y remarquera que le long des sentiers
fréquemment piétines il a une durée plus longue que dans le»
1. Planchon, dans Hooker, Journal of botany, vol. 7, p. 165.
2. Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten, in-4% Zurich, 1865, p. 35; Ueber
den Flachs und die Flachskultur, in-4'', Zurich, 1872.
3. Loret, Observations critiques sur plusieurs plantes montpelliéraineSf
dans la Revue des se. nat , 1875.
LIN 97
sables, où le soleil dessèche promptement ses racines et où
Taridité du sol ne lui permet de vivre qu'une seule année. »
Lorsque des formes ou des états physiologiques passent de
î'un à l'autre et se distinguent par des caractères variables selon
les circonstances extérieures, on est conduit à les considérer
comme constituant une seule espèce, quoique ces formes ou
états aient un certain degré d'hérédité et remontent peut-être à
des temps très anciens. Nous sommes cependant obligés, dans
des recherches sur les origines, de les considérer séparément.
J'indiquerai d'abord dans quels pays on a trouvé chaque forme
à Tétat spontané ou quasi spontané. Ensuite je parlerai des cul-
tures, et nous verrons jusqu'à quel point les faits géographiques
ou historiques confirment l'opinion de l'unité d'espèce.
Le Lin annuel ordinaire n'a pas encore été trouvé dans un
état spontané parfaitement certain. Je possède plusieurs échan-
tillons de l'Inde, et M. Planchon en avait vu d'autres dans les
herbiers de Kew, mais les botanistes anglo-indiens n'admettent
pas que la plante soit indigène dans leur région. La flore
récente de sir Joseph Hooker en parle comme d'une espèce
cultivée, principalement pour l'huile qu'on tire des graines, et
M. G.-B. Glarke, ancien directeur du jardin de Calcutta, m'écrit
que les échantillons récoltés doivent venir des cultures, très fré-
quentes en hiver, dans le nord de l'Inde. M. Boissier * mentionne
un L, humile à feuilles étroites, que Kotschy a récolté « près
de Schiraz, en Perse, au pied de la montagne Sabst Buchom. »
Voilà peut-être une localité bien en dehors des cultures, mais je
ne puis donner à cet égard des informations suffisantes. Hohe-
Tiacker a trouvé le L. usitatissimum a subspontané » dans la
province de Talysch, au sud du Caucase, vers la mer Caspienne ^.
Steven est plus affirmatif pour la Russie méridionale '. Selon
lui, le L, usitatissimum « se trouve assez souvent sur les collines
^stériles de la Crimée méridionale, entre Jalta et Nikita, et le
professeur Nordmann l'a récolté sur la côte orientale de la mer
Noire. » En avançant vers l'ouest dans la Russie méridionale
ou la région de la mer Méditerranée, on ne cite plus l'espèce
'que rarement et comme échappée des cultures ou quasi spon-
tanée. Malgré ces doutes et la rareté des documents, je regarde
comme très possible qne le lin annuel, sous l'une ou l'autre de
ses deux formes, soit spontané dans la région qui s'étend de la
Perse méridionale à laCrimée, au moins dans certaines localités.
Le Lin d'hiver est connu seulement comme cultivé, dans quel-
tjues provinces d'Italie *.
1. Boissier, Flora orient,, 1, p. 851. C'est le L, usitatissimum de Kotschy,
II» 164.
2. Boissier, ibid,; Hohenli., Eniun, Talysch, p. 168.
3. Steven, Verzeichniss der auf d'ir taurischen Halbinseln wildwachsenden
J^flanzen, Moscou, 1857, p. 91.
4. Heer, t/6. d. Flachs, p. 17 et 22.
De Candolle. 7
98 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Le Linum ambiguum de Jordan croît sur la côte de Provence
et du Languedoc, dans les endroits secs *.
Enfin le Linum angustifolïum, dont le précédent diffère à
peine, présente une habitation bien constatée et assez vaste. I!
croit spontanément, surtout sur les collines, dans toute l'éten-
due de la région dont la mer Méditerranée est le centre, savoir
dans les îles Canaries et Madère, au Maroc 2, en Algérie ' et
jusque dans la Gyrénaïque ^, au midi de l'Europe jusqu'en
Angleterre ^, jusqu'aux Alpes et aux Balkans, et enfin en Asie,
du midi du Caucase ^ au Liban et à la Palestine ^ Je ne le vois
pas mentionné en Crimée, ni au delà de la mer Caspienne.
Voyons ce qui concerne la culture, destinée le plus souvent à
fournir une matière textile, souvent aussi à donner de Thuile ou,
chez certains peuples, une matière nutritive au moyen des
graines. Je me suis occupé de la question d'origine, en 1855 *.
Elle se présentait alors de la manière suivante :
Il était démontré surabondamment que les anciens Egyptiens
et les Hébreux se servaient d'étoff*es de lin. Hérodote l'affir-
mait. On voit d'ailleurs la plante figurée dans les dessins de
l'ancienne Egypte, et l'examen au microscope des bandelettes
qui entourent les momies ne laisse subsister aucun doute ®. La
culture du Lin était ancienne en Europe, par exemple chez les
Celtes, et dans l'Inde, d'après les notions historiques. Enfin des
noms vulgaires très diff'érents indiquaient aussi une culture an-
cienne ou des usages anciens dans divers pays. Le nom celte Lin
et gréco-latin Linon ou Linum n'a aucune analogie avec le nom
hébreux Pischta ^^ ni avec les noms sanscrits Ooma (prononcez
Ouma)y Atasi, Utasi^^, Quelques botanistes citaient le Lin comme
« à peu près spontané » dans le sud-est de la Russie, au midi du
Caucase et dans la Sibérie occidentale, mais on ne connaissait
pas une véritable spontanéité. Je résumais alors les probabilités
en disant : « L'étymologie multiple des noms, l'ancienneté de la
culture en Egypte, en Europe et dans le nord de l'Inde à la fois,
1. Jordan, cité dans Walpers, Annal,, vol. 2, et dans Heer, /. c, p. 22.
2. Bail, Spicilegium fl. marocc,,^. 380.
3. Munby, Catal., éd. 2, p. 7.
4. Rohlf, d'aprtîs Cosson, HulL Soc, bot, de Fi\, 1875, p. 46.
5. Planchon. /. c. ; Bentliam, Handhook of brit, fl. éd. 4, p. 89.
6. Planchon, /. c.
7. Boissier, Fl. or., 1, p. 861.
8. A. de CandoUe, Géogr. bot, raisonnée, p. 833.
9. Thomson, Annals of philos, juin 1834; Dutrochet, Larrey et Gostaz,.
Comptes rendus de VAcad. des se. y Paris, 1837, sem. 1, p. 739; Unger, Bot,
Stretf'zûge, 4, ç. 62.
10. On a traauit d'autres mots Uébreux par lin, mais celui-ci est le plus
certain. Voir Hamilton, La botanique de la Bible, Nice, 1871, p. 58.
11. Piddington, Index Ind. plants; Roxburgh, Fl. ind , éd. 1832, 2, p. 110.
Le nom Matusee (prononcez Matousi) indiqué par J*iddington, appartient
h d'autres plantes, d'après Ad. Pictet, Origines indo-europ., éd. 2, vol. 1,
p. 396.
LIN 99
la circonstance que dans ce dernier pays on cultive le Lin seule-
ment pour faire de Thuile, me font croire que deux ou troi&
espèces d'origine différente, confondues sous le nom de Linum
usitatissimum parla plupart des auteurs, ont été cultivées jadis
dans divers pays, sans imitation ou communication de Tun à
l'autre Je doute, en particulier, que Tespèce cultivée par
les anciens Egyptiens fut Tespèce indigène en Russie et en
Sibérie. »
Une découverte très curieuse de M. Oswald Heer, est venue,
dix ans après, confirmer mes prévisions. Les habitants des pala-
fittes de la Suisse orientale, à une époque où ils n'avaient que
des instruments de pierre et ne connaissaient pas le chanvre^
cultivaient déjà et tissaient un lin qui n'est pas notre lin ordi-
naire annuel, mais le lin vivace appelé Li?ium angustifolium
spontané au midi des Alpes. Gela résulte de l'examen des cap-
sules, des graines et surtout de la partie inférieure d'une plante
extraite soigneusement du limon de Robenhausen *. La figure
publiée par M. Heer montre clairement une racine surmontée de
deux à quatre tiges, à la manière des plantes vivaces. Les tiges
avaient été coupées, tandis qu'on arrache notre Lin ordinaire,
ce qui prouve encore la qualité persistante de la plante. Avec les
restes du Lin de Robenhausen se trouvaient des graines du Silène
cretica^ espèce également étrangère à la Suisse, qui abonde en
Italie dans les champs de Lin ^. M. Heer en a tiré la conclusion
que les lacustres suisses faisaient venir des graines de Lin d'Italie.
H semble en effet que ce devait être. nécessaire, à moins de sup-
poser jadis un autre climat en Suisse que celui de nptre époque,
car le Lin vivace ne supporterait pas habituellement aujourd'hui
les hivers de la Suisse orientale^. L'opinion de M. Heer est appuyée
par le fait, assez inattendu, que le Lin n'a pas été trouvé dans les
restes lacustres de Laybach et Mondsee, des Etats autrichiens,
qui renferment du bronze *. L'époque tardive de l'arrivée du
Lin dans cette région empêche de supposer que les habitants de
la Suisse l'aient reçu de l'Europe orientale, dont ils étaient
séparés d'ailleurs par d'immenses forêts.
Depuis les observations ingénieuses du savant de Zurich, on a
découvert un Lin employé par les habitants des tourbières
préhistoriques de Lagozza, en Lombardie; et M. Sordelli a
constaté, que c'était celui de Robenhausen , le L. angiis^
1. Heer, Die Pflanzen der Pfahlbauten, br. iii-4o, Zurich, 1865, p. 35:
Ueber den Flachsund die FlachscuUur in Altherthum, br. in- 4°, Zurich, 1872..
2. Bertoloni, Flora ital., 4, p. 612.
3. Nous avons vu qu'il avance vers le nord-ouest de TEurope, mais il
manque au nord des Alpes. Peut-être l'ancien climat de la Suisse était-il
plus égal qu'à présent, avec plus de neiges pour abriter les plantes vi-
vaces.
4. Mittheil. anihropol, Gesellsrhaft . Wien. vol. 6, p. 122, 161; Abhandl.
Wien, Akad,, 84, p. 488.
100 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
tifolium *. Ces anciens habitants ne connaissaient pas le Chanvre
m les métaux, mais possédaient les mêmes céréales que les
lacustres de Tâge de pierre .en Suisse et mangeaient comme eux
les glands de Chêne Rouvre. Il y avait donc une civilisation,
déjà un peu développée, en deçà et au delà des Alpes, avant
que les métaux, même le bronze, y fussent d'un usage habituel,
et que le chanvre et la poule domestique y fussent connus 2. Ce
serait avant l'arrivée des Aryens en Europe, ou un peu après '.
Les noms vulgaires du Lin dans les anciennes langues d'Burope
peuvent jeter quelque jour sur cette question.
Le nom Lin, Lliriy Linu, Linon, Linum, Lein, Lan, existe dans
toutes les langues européennes, d'origine aryenne, du centre
et du midi de l'Europe, celtiques, slaves, grecques ou latines.
Ce n'est pas un nom commun avec les langues aryennes de
rinde; par conséquent, dit avec raison Ad. Pictet *, la culture
du Lin doit avoir commencé par les Arvens occidentaux et avant
leur arrivée en Europe. J'ai fait cepenaant une réflexion qui m'a
conduit à une nouvelle recherche, mais sans résultat. Puisque
le Lin, me suis-je dit, était cultivé par les lacustres de Suisse et
d'Italie avant l'arrivée des peuples aryens, il l'était probable-
ment par les Ibères, qui occupaient alors l'Espagne et la Gaule,
et il en est resté peut-être quelque nom spécial chez les Basques,
qu'on suppose descendre des Ibères. Or, d'après plusieurs dic-
tionnaires de leur langue ^, Liho, Lino ou Li, suivant les dia-
lectes, signifient Lin, ce qui concorde avec le nom répandu dans
toute l'Europe méridionale. Les Basques paraissent donc avoir
reçu le Lin des peuples d'origine aryenne, ou peut-être ils ont
perdu un ancien nom auquel ils auraient substitué celui des
Celtes et des Romains. Le nom Flachs ou Fldx, des langues ger-
maniques, vient de l'ancien allemand Flahs *. Il y a aussi, dans le
nord-ouest de l'Europe , des noms particuliers pour le lin :
Pellawa^ Aiwina en finlandais ^; Hor^ Hôr, Hkrr en danois *;
1 . Sordelli, Sulle piante délia torbiera e délia stazione preistorica délia
Lagozza, p. 37 et 51, imprimé à la suite de Castelfranco, Notizie ail, sta-
zione lacustre délia Lagozztty in-8', Atti délia Soc. ital. se. nat., 1880.
2. La poule a été introduite d'Asie en Grèce dans le vi« siècle avant
J.-C, d'après Heer, Ueb. d. Plachs^ p. 25.
3. Ces découvertes dans les tourbières de Lagozza et autres lieux, en
Italie, montrent à quel point M. V. Hehn {Kulturpfl., éd. 3, 1877, p. 524)
s'est trompé en supposant les lacustres suisses des Helvétiens rapprochés
du temps de César. Les hommes de la même civilisation qu'eux au midi
des Alpes étaient évidemment plus anciens que la république romaine,
peut-être plus que les Ligures.
4. Ad. Picteiy Origines indo-eurojp , , éd. 2, vol. 1, p. 396.
5. Van Eys, uict, basqiœ- français, 1876; Gèze, Eléments de grammaire
basque suivis d*un vocabulaire y Bayonne, 1873; Salaberry, Mots basques
navarraiSy Ba.jonn.ey 1856; Lécluse, Vocabul. français basque, 1826.
6. Ad. Pictet, l. c.
7. Nemnich, Polygl. Lexicon d. Naturgesch., 2, p. 420; Rafn, Danmark
flora, 2, p 390.
8. Nemnich, ibid.
LIN 101
Hôr et Tone en vieux goth *. Haar existe aussi dans rallemand
de Salzburg 2, Sans doute on peut expliquer ce mot par le sens
ordinaire en allemand de fil, cheveu, comme le nom de Li peut
être rattaché à une même racine que ligare, lier, et comme Hôr^
au pluriel Hôrvar, est rattaché par les érudits ^ à Harva^ radi-
cal allemand pour Flachs^ mais le fait n'en existe pas moins que
dans les pays Scandinaves et en Finlande on a employé d'autres
expressions que dans tout le midi de l'Europe. Cette diversité
inaique l'ancienneté de la culture et concorde avec le fait que
les lacustres de Suisse et d'Italie cultivaient un Lin avant
les premières invasions des Aryens. Il est possible, je dirai
même probable, que ceux-ci ont apporté le nom Li^ plutôt que
la plante ou sa culture ; mais, comme aucun Lin n'est spontané
dans le nord de l'Europe, ce serait un ancien peuple, les Finnois,
d'origine touranienne, qui auraient introduit le Lin dans le nord
avant les Aryens. Dans cette hypothèse, ils auraient cultivé le
Lin annuel^ car le Lin vivace ne supporterait pas les rigueurs des
pays septentrionaux, tandis que nous savons à quel point le
climat de Riga est favorable en été à la culture du Lin ordinaire
annuel. La première introduction dans la Gaule, en Suisse et en
Italie a pu venir du midi, par les Ibères, et en Finlande par les
Finnois; après quoi les Aryens auraient répandu les noms les
plus habituels chez eux, celui de Lin dans le midi et de flahs
dans le nord. Peut-être eux et les Finnois avaient-ils apporté
d'Asie le Lin annuel, qu'on aurait vite substitué au Lin vivace,
moins avantageux et moins adapté aux pays froids. On ne sait
pas exactement à quelle époque la culture du Lin annuel a rem-
placé, en Italie, celle du Linum angustifolium vivace, mais ce
doit être avant l'ère chrétienne, car les auteurs parlent d'une
culture bien établie, et Pline dit qu'on semait le Lin au printemps
et qu'on l'arrachait en été ''. On ne manquait pas alors d'instru-
ments de métal, ainsi on aurait coupé le Lin s'il avait été vivace.
D'ailleurs celui-ci semé au printemps n'aurait pas été mûr avant
l'automne.
Par les mêmes raisons, le Lin cultivé chez les anciens Egyptiens
devait être annuel. On n'a pas trouvé jusqu'à présent dans les
catacombes des plantes entières ou des capsules nombreuses, de
nature à donner des preuves directes et incontestables. Seulement
Unger ' a pu examiner une capsule tirée des briques d'un mo-
nument que Lepsius attribue au xiii^ ou xiv® siècle avant J. -G., et
il l'a trouvée plus semblable à celles du Z. usitatissimum que du
1. Nemnich, ibid,
2. Nemnich, ibid.
3. Fick, VergL Worterbuch Ind, germ. 2« éd., 1, p. 722. Le môme fait
Tenir le nom Lina du latin Linum, mais ce nom remonte plus haut, étant
commun à plusieurs langues aryennes européennes.
4. Plinius, 1. 19, cap. 1 : Vere satum xstate vellitur.
5. Unger, Botanische Streifzûge, 1866, n» 7, p. 15.
102 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
L. angustifolium. Sur trois graines que Braun * a vues dans le
musée de Berlin, mélangées avec d'autres de plantes diverses
cultivées, une lui a paru appartenir au Z. angustifolium et les
deux autres au L. humile^ mais il faut convenir qu'une seule
graine, sans la plante ou la capsule, n'est pas une preuve suffi-
sante. Les peintures de l'ancienne Egypte montrent qu'on ne
récoltait pas le Lin comme les céréales avec une faoïcille. On
l'arrachait *. En Egypte, le Lin est une culture d'hiver, car la sé-
cheresse de l'été ne permettrait pas plus d'une variété persistante
que le froid dans les pays septentrionaux où l'on sème au prin-
temps pour récolter en été. Ajoutons que le Lin annuel, de la
forme appelée kumik, est le seul cultivé de nos jours en Abys-
sinie, le seul également que les collecteurs modernes aient vu
cultivé en Egypte ^. • -
M. Heer soupçonne que les anciens Egyptiens auraient cultivé
le Linum angustifolium, de la région méditerranéenne, en le
semant comme une plante annuelle *. Je croirais plutôt qu'ils ont
emporté ou reçu leur Lin d'Asie, et déjà sous la forme de Vhut-
mue. Les usages et les figures montrent que leur culture du Lin
-datait d'une antiquité très reculée. Or, on sait maintenant que
les Egyptiens des premières dynasties avant Ghéops apparte-
naient à une race proto-sémitique, venue par l'isthme de Suez •.
Le Lin a été retrouvé dans un tombeau de l'ancienne Ghaldée,
antérieur à Babylone *, et son emploi dans cette région se perd
dans la nuit des temps. Ainsi les premiers Egyptiens de la race
blanche ont pu transporter le Lin cultivé, et, à défaut, leurs suc-
cesseurs immédiats ont pu le recevoir d'Asie avant l'époque des
•colonies phéniciennes en Grèce et avant les rapports directs de
la Grèce avec l'Egypte sous la XIV® dynastie '.
Une introduction très ancienne d'Asie en Egypte n'empêche
ipas d'admettre des transports successifs de l'est à l'ouest dans
des temps moins anciens que les premières dynasties égyptiennes.
Ainsi les Aryens occidentaux et les Phéniciens ont pu transpor-
ter en Europe le Lin, ou un Lin plus avantageux que le L, angus-
tifolium^ pendant la période de 2500 à 1200 ans avant notre ère.
L'extension par les Aryens aurait marché plus au nord que
^elle par les Phéniciens. En Grèce, dans le temps de la guerre
de Troie, on tirait encore les belles étoffes de Lin de la Golchide,
1. A. Braiin, Die Pflanzenreste des Egyptischen Muséums in BetHin, in-
80, 1877, p. 4.
2. Rosellini, pi. 35 et 36, cité par Unger, Bot. Streifzûge, n® 4^ p. 62.
3. W. Schimper, Ascherson, Boissier, Schweinfurth, citéB dans Al.
BrauD, /. c, p. 4.
4. Heer, Ueb. d. Flachs, p. 26.
0. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, éd. 3, Paris, 1878,
p. 13 et suivantes.
6. Journal of the royal asiatic soc, vol. 15 p. 271, cité dans Heer,
U, c, p. 6.
7. Maspero, p. 213 et suivantes.
JUTE 103
c'est-à-dire de cette région au pied du Caucase, où Ton a trouvé
de nos jours le Lin annuel ordinaire sauvage. Il ne semble pas
que les Grecs aient cultivé la plante à cette époque i. Les Aryens
en avaient peut-être déjà introduit la culture dans la région voi-
sine du Danube. Cependant j'ai noté tout à l'heure que les restes
des lacustres de Laybach et Mondsee n'ont indiqué aucun Lin.
Dans les derniers siècles avant l'ère chrétienne, les Romains
tiraient de très beau Lin d'Espagne ; cependant les noms de la
plante dans ce pays ne font pas présumer que les Phéniciens en
•aient été les introducteurs. Il n'existe pas en Europe un nom
oriental du Lin, venant ou de l'antiquité ou du moyen âge. Le
nom arabe Kattan^ Kettane ou Kittane, d'origine persane *, s'est
propagé vers l'ouest seulement jusqu'aux Kabiles d'Algérie ^
L'ensemble des faits et des probabilités me paraît conduire
à quatre propositions, acceptables jusqu'à nouvelles découvertes :
1. Le Linum angustifolium, ordinairement vivace, rarement
bisannuel ou annuel, spontané depuis les îles Canaries jusqu'à
la Palestine et au Caucase, a été cultivé en Suisse et dans le
nord de l'Italie par des populations plus anciennes que les con-
quérants de race aryenne. Sa culture a été remplacée par celle
<lu lin annuel.
2. Le Lin annuel {L. usitatisslmum), cultivé depuis 4 ou 5000 ans
au moins dans la Mésopotamie, l'Assyrie et l'Egypte était spon-
tané et Test encore dans des localités comprises entre le golfe
Persique, la mer Caspienne et la mer Noire.
3. Ce Lin annuel paraît avoir été introduit dans le nord de
l'Europe par les Finnois (de race touranienne) ; ensuite dans le
«•este de l'Europe par les Aryens occidentaux, et peut-être, çà et
là, par les Phéniciens ; enfin dans la péninsule indienne par les
Aryens orientaux, après leur séparation des occidentaux.
4. Ces deux formes principales ou états du Lin existent dans
les cultures et sont probablement spontanées dans leurs localités
actuelles depuis au moins 5000 ans. Il n'est pas possible de
deviner leur état antérieur. Leurs transitions et variations sont si
nombreuses qu'on peut les considérer comme une espèce, pour-
vue de deux ou trois races ou variétés héréditaires, ayant elles-
jnêmes des sous-variétés.
Jute. — Cor chorus capsularis et Corchorus olitorius, Linné.
Les fils 'de Jute, qu'on importe en grande quantité depuis
quelques années, surtout en Angleterre, se tirent de la tige de
ces deux Corchorus, plantes annuelles de la famille des Tiliacées.
On emploie aussi leurs feuilles comme légume.
1. Les textes grecs sont cités surtout dans Lenz, Botanik der Alten Grie-
<hen und Rœmer, p. 672; Hehn, CiUturpflanzen und Hausthiere, éd. 3,
p. 144.
2. Ad. Pictet, l. c.
3. Dictionnaire français- berbère, 1 vol. in-S®, 1844.
404 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Le C, capsularis a un fruit presque sphérique, déprimé au
sommet et bordé de côtes longitudinales. On peut en voir une
bonne figure coloriée dans Touvrage de Jacquin fils, Eclogx,
pi. 119. Le C. olitoriusy au contraire, a un fruit allongé, comme
une silique de crucifère. Il est figuré dans le Botam'c al magazine,
t. 2810, et dans Lamarck, Jilustr,^ t. 478.
Les espèces du genre sont distribuées assez également dans les
régions cbaudes d'Asie , d'Afrique et d'Amérique ; par consé-
quent, l'origine de chacune ne peut pas être présumée. Il faut 1»
chercher dans les flores et les herbiers, en s'aidant de données
historiques ou autres.
Le Corchorus capsularis est cultivé fréquemment dans les îles
de la Sonde, à Ceylan, dans la péninsule indienne, au Bengale^
dans la Chine méridionale, aux îles Philippines * ; en général
dans l'Asie méridionale. Forster n'en parle pas dans son volume
sur les plantes usitées par les habitants des îles de la mer Paci-
fique, d'où l'on peut inférer que, lors du voyage de Gook, il y
a un siècle, la culture ne s'en était pas répandue dans cette direc-
tion. On peut même soupçonner, d après cela, qu'elle ne date pas-
d'une époque très reculée dans les îles de l'archipel Indien.
Blume dit que le Corchorus capsularis croît dans les terrains
marécageux de Java, près de Parang *, et je possède deux échan-
tillons de Java qui ne sont pas donnés pour cultivés ^. Thwaites
l'indique à Ceylan comme « très commun » ^. Sur le continent
indien, les auteurs en parlent plutôt comme d'une espèce cul-
tivée au Bengale et en Chine. Wight, qui a donné une bonne
figure de la plante , n'indique aucun lieu de naissance.
Edgeworth ^ , qui a vu de près la flore du district de
Banda, indique « les champs ». Dans la flore de l'Inde anglaise,.
M. Masters, qui a rédigé l'article des Tiliacées, d'après les her-
biers de Kew, s'exprime ainsi : « Dans les parties les plus chaudes
de rinde; cultivé dans la plupart des pays tropicaux ®. » J'ai»
un échantillon du Bengale qui n'est pas donné pour cultivé.
Loureiro dit : «sauvage, et cultivé dans la province de Canton en-
Chine % » ce qui signifie probablement sauvage en Cochinchine
et cultivé dans la province de Canton. Au Japon, la plante croit-
dans les terrains cultivés *. En somme, je ne suis pas persuadé
que l'espèce existe, à l'état vraiment spontané, au nord de Cal-
cutta. Elle s'y est peut-être semée çà et là par suite des cultures.
1. Rumphius, Amboin., vol. 5. p. 212; Roxburgh, FL indica, 2, p. 581 »
Loureiro, FI. cochinch., 1, p. 408, etc., etc.
2. Blume, Bijdragen, 1, p. 110.
3. Zollinger, n«« 1698 et 2761.
4. Thwaites, Enum, Zeylan., p. 31.
5. Edgeworth, Linnsan Soc, journ., IX.
6. Masters, dans Hooicer, FL ind., 1, p. 397.
7. Loureiro, FI. cochinch., 1, p. 408.
8. Franchet et Savatier, Enum,, i, p. 66.
JUTE 105
Le C. capsularis a été introduit dans divers pays intertropi-
caux d'Afrique ou même d'Amérique, mais il n'est cultivé en
grand, pour la production des fils de jute, que dans l'Asie méri-
dionale, surtout au Bengale.
Le Corchorus olitorius est plus usité comme légume que pour
les fibres. Hors d'Asie, il est employé uniquement pour les feuilles.
C'est une des plantes potagères les plus communes des Egyptiens
et Syriens modernes, qui la nomment en arabe Melokychy mais il
n'est pas probable que les anciens en aient eu connaissance, car
on ne cite aucun nom hébreu *. Les habitants actuels de la
Crète la cultivent sous le nom de Mouchlia *, évidemment tiré de
l'arabe, et les anciens Grecs ne la connaissaient pas.
D'après les auteurs *, ce Corchorus est spontané dans plu-
sieurs provinces de l'Inde anglaise. Thwaites dit qu'il est com-
mun dans les parties chaudes de Ceylan, mais à Java Blume
l'indique seulement dans les décombres (in ruderatis). Je ne le
vois pas mentionné en Cochinchine et au Japon. M. Boissier
(FL or,) a vu des échantillons de Mésopotamie, de l'Afghanistan,
de Syrie et d'Anatolie, mais il donne pour indication générale i
• Culta et in ruderatis subspontanea. » On ne connaît pas de nom
sanscrit pour les deux Corchorus cultivés *.
Quant à l'indigénat en Afrique, M. Masters, dans Oliver, Flora
of tropical Africa (1, p. 262), s'exprime ainsi : « Sauvage, ou cul-
tivé comme légume dans toute l'Afrique tropicale. » Il rapporte
à la même espèce deux plantes de Guinée que G. Don avait dé-
crites comme différentes et sur la spontanéité desquelles il ne
savait probablement rien. J'ai un échantillon du Cordofan re-
cueilli par Kotschy, n» 45, « au bord des champs de Sorgho. ».
Le seul auteur, à ma connaissance, qui affirme la spontanéité est
Peters. Il a trouvé le C. olitorius « dans les endroits secs et
aussi dans les prés aux environs de Sena et de Tette. » Schwein-
furth ne l'indique dans toute la région du Nil que comme cul-
tivé *. Il en est de même dans la flore de Sénégàmbie de Guille-
min, Perrotet et Richard.
En résumé, le C. olitorius paraît spontané dans les régions
d'une chaleur modérée de l'Inde occidentale, du Cordofan et
probablement de quelques pays intermédiaires. Il se serait ré-
pandu du côté de Timor et jusque dans l'Australie septentrionale
(Bentham^ FI, austr,)^ en Afrique et vers l'Anatolie à la suite d'une
culture qui ne date peut-être pas de plus loin que l'ère chré-
tienne, même dans son point d'origine.
Malgré ce qu'on répète dans beaucoup d'ouvrages, la culture de
1. Rosenmûller, Bibl. Naturgeschichte.
2. Von Heidreich, Die Nutzpflanzen Griechenlands, p. 53.
3. Masters, dans Hooker, FI. brit, India^ 1, p. 397; Aitchison, CataL
Punjabf p. 23; Roxburgb, FL ind.j 2, p. 581.
4. Piddinçton, Index.
5. Schwemfurth, Beitràge z. FI. ASthiop.y p. 264.
106 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
<îette plante est rarement indiquée en Amérique. Je note cepen-
dant que, d'après Grisebach *, elle a amené à la Jamaïque une
naturalisation hors des jardins, comme cela se présente souvent
pour les plantes annuelles cultivées.
Sumac. — Rhus Coriaria^ Linné.
On cultive cet arbuste en Espagne et en Italie ^, pour faire
sécher les jeunes branches, avec les feuilles, et en faire une pou-
dre, qui se vend aux tanneurs. J'en ai vu naguère une planta-
tion en Sicile, dont les produits s'exportaient en Amérique.
€omme les écorces de chêne deviennent plus rares et qu'on re*
cherche beaucoup les matières tannantes, il est probable que
cette culture s'étendra; d'autant plus qu'elle convient aux loca-
lités sèches et stériles. En Algérie, en Australie, au Gap, dans la
république Argentine, ce serait peut-être une introduction à
essayer ^.
Les anciens se servaient des fruits comme assaisonnement, un
peu acide, de leurs mets, et l'usage s'en est conservé çà et là; mais
je ne vois pas de preuve qu'ils aient cultivé l'espèce.
Elle croît spontanément aux Canaries et à Madère, dans la
région de la mer Méditerranée et de la mer Noire, de préfé-
rence sur les rocailles et dans les terrains desséchés. En Asie,
son habitation s'étend jusqu'au midi du Caucase, à la mer Cas-
pienne et la Perse ^. L'espèce est assez commune pour qu'on ait
commencé à l'employer avant de la cultiver.
Sumach est le nom persan et tartare ^, Rous^ Rhus (prononcez
Rhous) l'ancien nom chez les Grecs et les Romains ^. Une preuve
de la persistance de certains noms vulgaires est qu'en français
•on dit le Roux ou Roure des corroyeurs.
Cat, — Catha edulls^ Forskal. — Celastrus eduliSy Vahl.
Cet arbuste, de la famille des Gélastracées, est cultivé beau-
coup en Abyssiriie, sous le nom de Tchut ou Tchat^ et dans
l'Arabie Heureuse sous celui de Cat ou Gat. On mâche ses
feuilles, à l'état frais, comme celles du Coca en Amérique. Elles
ont les mêmes propriétés excitantes et fortifiantes. Celles des
pieds non cultivés ont un goût plus fort et peuvent même eni-
vrer. Botta a vu dans le Yemen des cultures de Cat aussi impor-
1 . Grisebach, Flora of british India^ p. 97.
2. Bosc, Dictionn. (Tagric, au mot Sumac.
3. Les conditions et procédés de culture du Sumac ont fait Tobjet d'un
mémoire important de M. Inzenga, traduit dans le Bulletin de la Société
d acclimatation de février 1877. Dans les Transactions of the bot. Soc. of
Edinburghy 9, p. 341^ on peut voir l'extrait d'un premier mémoire de l'au-
teur sur le même sujet.
4. Ledebour, FI. ross., 1, p. 509; Boissier, FI. orient,^ 2, p. 4.
5. Nemnich, PolygL Lextcon, 2, p. 1156; Ainslie, Mat, med. ind., 1,
p. 414.
C. Fraas, Syn. fl, rlass., p. 85.
SUMAC, CAT, MATÉ, COCA 107
tantes que celles du café, et il note qu'un cheikh obligé de
recevoir poliment beaucoup de visiteurs achetait pour 100 francs
de feuilles par jour ^. En Abyssinie, on emploie aussi les feuilles
en infusion comme, une sorte de thé ^. Malgré la passion avec
laquelle on recherche les excitants, cette espèce ne s'est pas
répandue dans les pays voisins où elle réussirait, comme le
Belouchistan, llade méridionale, etc.
Le Gatha est spontané en Abyssinie ^. On ne Ta pas encore
trouvé tel en Arabie. Il est vrai que Tintérieur du pays est à peu
près inconnu aux botanistes. Les pieds non cultivés dont parle
Botta sont-ils spontanés et aborigènes, ou échappés des cul-
tures et plus ou moins naturalisés ? C'est ce qu'on ne peut dire
d'après son récit. Peut-être le Catha a-t-il été introduit d' Abys-
sinie avec le caféier, qu'on n'a pas vu davantage spontané en
Arabie.
Maté. — llex paraguariensis^ Saint-Hilaire.
Les habitants dxi Brésil et du Paraguay font usage, depuis un
temps immémorial, des feuilles de cet arbuste, comme les Chi-
nois de celles du thé. Ils les récoltent surtout dans les forêts hu-
mides de l'intérieur^ entre les 20e et 30e degrés de latitude sud,
et le commerce les transporte séchées, à de grandes distances^
dans la- plus grande partie de l'Amérique méridionale. Ces
feuilles renferment, avec de l'arôme et du tannin, un principe
analogue à celui du thé et du café ; cependant on ne les aime
guère, dans les pays où le thé de Chine est répandu. Les planta-
tions de Maté ne sont pas encore aussi importantes que l'exploi-
tation des arbustes sauvages, mais elles pourront augmenter à
mesure que la population augmentera. D'ailleurs la préparation
^st- plus facile que celle du thé, parce qu'on ne roule pas les
feuilles.
Des figures et descriptions de l'espèce, avec de nombreux dé-
tails sur son emploi et ses propriétés, se trouvent dans les
ouvrages de Saint-Hilaire, sir W. J. Hooker et de Martius *.
Coca. — Erythroxylon Coca, Lamarck.
Les indigènes du Pérou et des provinces voisines, du moins
dans les parties chaudes et humides, cultivent cet arbuste, dont
ils mâchent les feuilles, comme on fait dans l'Inde pour le
Bétel. L'usage en est très ancien. Il s'était répandu même dans
1. Forskai, Flora œgypto-arab., p. 65; Richard, Tentamen fl, abyss., 1,
p. 134, t. 30; Botta, Archives du Muséum, 2, p. 73.
2. Hochstetter, dans FlorUy 1841, p. 663.
3. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung, p. 263; Oliver, Flora of tro-
pical Africa, 1, p. 364.
4. Aug. de Saint-Hilaire, Mém. du Muséum, 9, p. 351, Ann, se, nat.,
3* série, 14, p. 52; Hooker, London journal of botany, 1, p. 34; de Martius,
Flora brasiliensiSj vol. lï, part. 1, p. 119.
108 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
les régions élevées, où l'espèce ne peut pas vivre. Depuis qu'on
a su extraire la partie essentielle du Coca et qu'on a reconnu
ses avantages comme tonique, propre à faire supporter des fati-
gues sans avoir les inconvénients des boissons alcooliques, il
est probable qu'on essayera d'en répandre la culture, soit en
Amérique, soit ailleurs. Ce sera, par exemple, dans la Guyane,
l'archipel Indien ou les vallées de Sikkim et Assam, dans l'Inde,
car il faut de l'humidité dans l'air et de la chaleur. La gelée
surtout est nuisible à l'espèce. Les meilleures localités sont sur
les pentes de collines, où Teau ne séjourne pas. Une tentative
faite autour de Lima n'a pas réussi, à cause de la rareté de&
pluies et peut-être d'une chaleur insuffisante *.
Je ne répéterai pas ici ce qu'on peut trouver dans plusieurs
excellentes publications sur le Coca * ; je dirai seulement que la
patrie primitive de l'espèce, en Amérique, n'est pas encore suf-
fisamment certaine. Le D'* Gosse a constaté que les anciens
auteurs, tels que Joseph de Jussieu, de Lamarck et Gavanilles,
n'avaient vu que des échantillons cultivés. Mathews en avait
récolté au Pérou dans le ravin (quebrada) de Chinchao ', ce qui
parait devoir être une localité hors des cultures. On cite aussi
comme spontanés des échantillons de Guchero, rapportés par
Poeppig * ; mais le voyageur lui-même n'était pas assut'é de la
condition spontanée ^. D'Orbigny pense avoir vu le Coca sau-
vage sur un coteau de la Bolivie orientale *. Enfin M. André a
eu l'obligeance de me communiquer les Erythroxylon de son
herbier, et j'ai reconnu le Coca dans plusieurs échantillons de la
vallée de la rivière Cauca, dans la Nouvelle-Grenade, portant
l'indication : en abondance^ spontané ou subspontané, M. Triana
cependant ne reconnaît pas l'espèce comme spontanée dans son
pays, la Nouvelle- Grenade ^. L'extrême importance au Pérou,,
sous le régime des Incas, comparée à la rareté de l'emploi à la
Nouvelle-Grenade, fait penser que les localités de ce dernier
pays sont en eff'et des cultures, et que l'espèce est originaire
seulement de la partie orientale du Pérou et de la Bolivie, con-
formément aux indications de divers voyageurs susnommés.
Indigotier des teinturiers. — Indigofei^a tinctoria, Linné.
Il a un nom sanscrit, Nili ®. Le nom latin Indicum montre
que les Romains connaissaient l'indigo pour une substance*
1. Martinet^ dans le Bull, de la Soc, d'acclimatation, 1874, p. 449.
2. En particulier dans le résumé très bien fait dn D^ Gosse, intitulé :.
Monographie de V Erythroxylon Coca, br. in-8«, 1861 (tirée à part des Mém^
de VÂcad, de Bruxelles, vol . 12) .
3. Hooker, Companion to the Bot. mag,, 2, p. 25.
4. Peyritsch, dans Flora brasil,, fasc. 81, p. 156.
5. Hooker, /. c.
6. Gosse, Monogr,, p. 12.
7. Triana et Planchon, dans Ann. se. nat.^ sér. 4, vol. 18, p. 338.
8. Roxburgh, Flof^a indica, 3, p. 379.
INDIGOTIERS, HENNÉ 109
^ plante comme
cultivée *. Plusieurs autres Indigofera sont spontanés dans l'Inde.
On a trouvé celui-ci dans les sables du Sénégal *, mais il n*est
pas indiqué dans d'autres localités africaines, et il est souvent
cultivé au Sénégal, ce qui me fait présumer une naturalisation.
L'existence d'un nom sanscrit rend l'origine asiatique assez pro-
bidi)le.
Indigrotier argenté. — Indigofera argentea, Linné.
Celui-ci est décidément spontané en Abyssinie, Nubie. Kor-
dofan et Sennaar '. On le cultive en Egypte et en Arabie. D'après
cela, on pourrait croire que c'est l'espèce dont les anciens Egyp-
tiens tiraient une couleur bleue *, mais ils faisaient peut-être
venir l'indigo de l'Inde, car la culture en Egypte ne remonte
probablement pas au delà du moyen âge ^.
Une forme un peu différente que Hoxburgh désignait comme
espèce (Indigofera cserulea), et qui paraît plutôt une variété, est
sauvage dans les plaines de la péninsule indienne et du Belou-
chistan.
Indigotiers d'Amérique.
11^ existe probablement un ou deux Indigofera originaires
d'Amérique, mais mal définis, souvent mélangés dans les cul-
tures avec les espèces de Fancien monde et naturalisés hors des
cultures. La synonymie en est trop incertaine pour que j'ose
faire quelque recherche sur leur patrie. Quelques auteurs ont
pensé que 1'/. Anil de Linné était une de ces espèces. Linné dit
cependant que sa plante était de l'Inde (Mantissa, p. 273). La
teinture bleue des anciens Mexicains était tirée d'un végétal
bien différent des Indigofera, d'après ce que raconte Hernandez ^.
Henné. — Lawsonia alba , Lamarck [Lawsonia Inermis et
spinosa de divers auteurs).
L usage des femmes de l'Orient de se teindre les ongles en
1. Wight, IconeSf t. 365; Royle, ///. Hitnal, t. 195; Baker, dans Flora
of briiisfi India, 2, p. 98; Brandis, Forest flora, p. 136.
2. Guillemin, Perrottet et Richard, Florm Seneg. tentamen, p. 178.
3. Richard, Tentamen fl. abyss., 1, 184; Oliver, FI. of trop. Africa, 2,
p. 97; Schweiufurth et Ascherson, Aufzdhlung, p. 256.
4. Unger, Pflanzend. alten JEgyptens, p. 66; Pickering, Chronol. an^ang.
p. 443.
5. Reynier, Economie des Juifs, p. 439; des Egyptiens, p. 354.
6. Hernandez, Thés,, p. 108.
dlO PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
rouge avec le suc tiré des feuilles du Henné remonte à une
grande antiquité. La preuve en est dans les anciennes peintures
et momies égyptiennes.
Il est difficile de savoir quand et dans quel pays on a com-
mencé à cultiver Tespèce pour subvenir aux nécessités de cette
mode aussi ridicule que persistante, mais cela peut remonter à
une époque très ancienne, puisque les habitants de Babylone,
de Ninive et des villes d'Egypte avaient des jardins. Les érudils
pourront constater si l'usage de teindre les ongles a commencé
en Egypte sous telle ou telle dynastie, avant ou après certaines
communications avec les peuples orientaux. Il suffît, pour nôtre
but , de savoir que le Lawsonia , arbuste de la famille des
Lythracées, est plus ou moins spontané dans les régions chaudes
de l'Asie occidentale et de l'Afrique, au nord de l'équateur.
J'en possède des échantillons venant de l'Inde, de Java, de
Timor, même de Chine ' et de Nubie, qu'on ne dit pas recueillis
sur des pieds cultivés, et d'autres échantillons de la Guyane
et des Antilles, qui proviennent sans doute d'importations de
l'espèce. Stoks l'a trouvé indigène dans le Belouchistan *. Rox-
burgh le regardait aussi comme spontané sur la côte de Goro-
mandel ^, et Thwaites * l'indique pour Ceylan d'une manière
qui fait supposer une espèce spontanée. M. Glarke ^ la dit « très
commune et cultivée dans l'Inde, peut-être sauvage dans la
partie orientale ». Il est possible qu'elle se soit répandue dans
l'Inde, hors de la patrie primitive, comme cela est arrivé
au xvii" siècle à Amboine ^ et plus récemment peut-être aux
Antilles ^, à la suite de cultures, car la plante est recherchée
pour le parfum de ses fleurs, outre la teinture, et se propage
beaucoup par ses graines . Les mômes doutes s'élèvent sur l'in-
digénat en Perse, en Arabie, en Egjpte (pays essentiellement
cultivé), en Nubie et jusqu'en Guinée, où des échantillons ont
été recueillis ®. Il n'est pas fort improbable que l'habitation de
cet arbuste s'étendit de l'Inde à la Nubie ; cependant c'est tou-
jours un cas assez rare qu'une telle distribution géographique.
Voyons si les noms vulgaires indiquent quelque chose.
On attribue à l'espèce un rtom sanscrit, Sakachera ® ; mais^
comme il n'a laissé aucune trace dans les divers noms des lan-
gues modernes de l'Inde, je doute un peu de sa réalité. Le nom
f)ersan Hanna s'est répandu et conservé plus que les autres
Hina des Indous, Henné h et Alhenna des Arabes, Kinnn des
1. Fortune, n» 32.
2. Aitchison, Catal. ofPunjahy etc., p. 60; Boissier, FI. or,, 2, p. 744.
3. Roxburgh, FI. ind., 2, p. 258.
4. Thwaites, Enum. CeyL, p. 122.
5. Clarkc, dans llooker, FI. brit. India, 2, p. 573.
6. Rnmphius, Amb., 4, p. 42.
7. Gri?ebacb, FI. brit. VV. Ind., 1, p. 271.
8. Oliver, FI, oftrop. Africa, 2, p. 483.
9. Piddington, Index to plants of India.
TABAC m
Grecs modernes). Geluide Cyjoros, usité par les Syriens du temps
de Dioscoride *, n'a pas eu la même faveur. Ce détail vient à
Tappui de l'opinion que Tespèce était originairement sur les
confins de la Perse et de Tlnde, ou en Perse, et que Tusage,
ainsi que la culture, ont avancé jadis de Test à l'ouest, d'Asie
en Afrique.
Tabac. — Nicotiana Tabacum^ Linné, et autres Nicotiana,
A l'époque de la découverte de l'Amérique, l'usage de fumer,
de priser ou chiquer était répandu dans la plus grande partie
de ce vaste continent. Les récits des premiers voyageurs, re-
cueillis d'une manière très complète par le célèbre anatomiste
Tiedemann •, montrent que dans l'Amérique méridionale on ne
fumait pas, mais on prisait ou chiquait, excepté dans la région
de la Plata, de l'Uruguay et du Paraguay, où le Tabac n'était
employé d'aucune manière. Dans l'Amérique du Nord, depuis
l'isthme de Panama et les Antilles jusqu'au Canada et en Cali-
fornie, l'usage de fumer était général, avec des circonstances qui
indiquent une grande ancienneté. Ainsi on a trouvé des pipes
dans les tombeaux des Atztecs au Mexique ^ et dans les tertres
[mounds) des Etats-Unis. Elles y sont en grand nombre et d'un
travail extraordinaire. Quelques-unes représentent des animaux
étrangers à l'Amérique du Nord *.
Gomme les Tabacs sont des plantes annuelles, qui donnent
une immense quantité de graines, il était aisé de les semer et
de les cultiver ou de les naturaliser plus ou moins dans le voi-
sinage des habitations, mais il faut remarquer qu'on employait
des espèces différentes du genre Nicotiana, dans diverses région?
de rAmérique, ce qui indique des origines différentes.
Le Nicotiana Tabacum^ ordinairement cultivé, était l'espèce
la plus répandue et quelquefois la seule usitée dans l'Amérique
méridionale et aux Antilles. Ce sont les Espanols qui ont intro-
duit l'usage du tabac dans la Plata, l'Uruguay et le Paraguay ^; •
par conséquent il faut chercher l'orgine de la plante plus au
nord. De Martius ne pensait pas qu'elle fût indigène au Brésil ^,
et il ajoute que les anciens Brésiliens fumaient les feuilles d'une
espèce de leur pays appelée par les botanistes Nicotiana Lang-
sdorffîi. Lorsque j'ai examiné la question d'origine en 1855 ',
■
1. Dioscorides, 1, cap. 124; Lenz, Bot. d, AUerk,, p. 177.
2. Tiedemann, Geschichte des Tabacks in-8", 1854. Pour le Brésil, voir
Martius, Beitràge zur Ethnographie und Sprachkunde Amerikas, i, p. 719.
3. Tiedemann, p. 17, pi. 1.
4. Les dessins de ces pipes sont reproduits dans l'ouvrage récent do
M. de Nadaillac, Les premiers hommes et les tetnps préhistoriques, vol. 2,
p. 45 et 48.
5. Tiedemann, p. 38, 39.
6. Martius, Syst. mat. med. bras., p. 120; FI. bras., vol. X, p. 191.
7. A. de CandoUe, Geogr. bot. raisonnée, p. 849.
H2 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
je n^avais pu connaître d'autres échantillons de N. l'abacum
paraissant spontanés que ceux envoyés par Blanchet, de la pro-
vince de Bania, sous le n" 3223, a. Aucun auteur, avant ou
après cette époque, n'a été plus heureux, et je vois que MM. Flûc-
kiger et Hanbury, dans leur excellent ouvrage sur les drogues
d'origine végétale *, disent positivement : « Le tabac commua
est originaire du nouveau monde, et cependant on ne l'y trouve
pas aujourd'hui à l'état sauvage. » J'oserai contredire cette
assertion, quoique la qualité de plante spontanée soit toujours
contestable quand il s'agit d'une espèce aussi facile à répandre
hors des plantations.
Je dirai d'abord qu'on rencontre dans les herbiers beaucoup
d'échantillons récoltés au Pérou, sans indication qu'ils fussent
cultivés ou voisins des cultures. L'herbier de M. Boissier en
contient deux, de Pavon, venant de localités différentes ^. Pavon
dit dans sa flore (vol. 2, p. 16) que l'espèce croît dans les forêts
humides et chaudes des Andes péruviennes, et qu'on la cultive.
Mais, ce qui est plus significatif, M. Edouard André a recueilli
dans la république de l'Equateur, à Saint-Nicolas, sur la pente
occidentale du volcan Gorazon, dans une forêt vierge, loin
de toute habitation, des échantillons, qu'il a bien voulu me
communiquer et qui sont évidemment le N. Tabacum à taille
élevée (2 à 3 mètres) et à feuilles supérieures étroites, longue-
ment acuminées, comme on les voit dans les planches de Hayne
et de Miller^. Les feuilles inférieures manquent. La fleur, qui
donne les vrais caractères de l'espèce, est certainement du
A^. Tabacum^ et il est bien connu que cette plante varie dans les
cultures sous le rapport de la taille et de la largeur des feuilles*.
La patrie primitive s'étendait-elle au nord jusqu'au Mexique,
au midi vers la Bohvie, à l'est dans le Venezuela? C'est très
possible.
Le Nicotiania rustica^ Linné, espèce à fleurs jaunâtres, très
différente du Tabacum ^, et qui donne un tabac grossier, était
plus souvent cultivé chez les anciens Mexicains et les indigènes
au nord du Mexique. Je possède un échantillon rapporté de
Californie par Douglas, en 1839, époque à laquelle les colons
étaient encore rares, mais les auteurs américains n'admettent
1. Flûckiger et Hanbury, Histoire des drogues d'origine végétale, traduc-
tion en français, 1878, vol. 2, p. 150.
2. L'un d'eux est classé sous le nom deNicot, fruticosa, qui, selon moi,
est la même espèce, à taille élevée, mais non ligneuse, comme le nom le
ferait croire. Le N. auriculata Bertero est aussi le Tabacum, d'après mes
échantillons authentiques.
3. Hayne, Arzneikunde Gewachse, vol. 12, t. 41; Miller, Gardener's dict.,
«gures, t. 186, f. 1.
4. La capsule est tantôt plus courte que le calice et tantôt plus longue,
sur le même individu, dans les échantillons de M. André.
"i. Voir les figures de N, rustica dans Plée, Types de familles naiureUen
de France, Solanées; BuUiard, Herbier de France, t. 289.
TABAC H3
pas la plante comme spontanée, et le D»* Asa Gray dit qu'elle se
sème dans les terrains vagues *. C'est peut-être ce qui était
arrivé pour des échantillons de l'herbier Boissier, que Pavon a
récoltés au Pérou et dont il ne parle pas dans la flore péru-
vienne. L'espèce croît abondamment autour de Gordova, dans
la république Argentine*, mais on ignore depuis quelle époque.
D'après l'emploi ancien de la plante et la patrie des espèces les
Slus analogues, les probabilités sont en faveur d'une origine du
[exique, du Texas ou de Californie.
Plusieurs botanistes, même des Américains, ont cru l'espèce
de l'ancien monde. C'est bien certainement une erreur, quoique
la plante se répande çà et là, même dans nos forêts et quelque-
fois en abondance ^, à la suite des cultures. Les auteurs du
XVI* siècle en ont parlé comme d'une plante étrangère, in-
troduite dans les jardins et qui en sortait quelquefois *. On la
trouve dans quelques herbiers sous les noms de N, tatarica^
turcica ou sibirica^ mais il s'agit d'échantillons cultivés dans les
jardins^ et aucun botaniste n'a rencontré l'espèce en Asie ou sur
les confins de l'Asie, avec l'apparence qu'elle fût spontanée.
Ceci me conduit à réfuter une erreur plus générale et plus
tenace, malgré ce que j'ai démontré en 1855, ceUe de considérer
quelques espèces mal décrites d'après des échantillons cultivés,
comme origmaires de l'ancien monde, en particulier d'Asie. Les
preuves de l'origine américaine sont devenues si nombreuses et
si bien concordantes que, sans entrer dans beaucoup de détails,
je puis les résumer de la manière suivante :
A. Sur une cinquantaine d'espèces du genre Nicotiana trouvées
à l'état sauvage, deux seulement sont étrangères à l'Amérique,
savoir : 1" le ÎV. suaveolens^ de la Nouvelle-Hollande, auquel on
réunit maintenant le iV. rotundifolia du même pays, et celui que
Ventenat avait appelé par erreur N. undulata; 2® le N, fragram
Hooker {Bot, mag., t. 4865), de l'île des Pins, près de la Nou-
velle-Calédonie, qui diffère bien peu du précédent.
B. Quoique les peuples asiatiques soient très amateurs de tabac
et que dès une époque reculée ils aient recherché la fumée de
cerrtaines plantes narcotiques, aucun d'eux n'a employé le Tabac
antérieurement à la découverte de l'Amérique. Tiedemann Ta
très bien démontré par des recherches approfondies dans les écrits
des voyageurs du moyen âge ^, Il cite même pour une époque
moins ancienne et qui a suivi de près la découverte de TAmé-
rique, celle de 1540 à 1603, plusieurs voyageurs dont quelques-
1. Asa Gray, Synopiical flora of N. A. (1878), p. 241.
2. Martin ae Moussy, Descript. de la rép. Argentine, 1, p. 196.
3. Bulliard, /. c.
4. Gaesalpinus, lib. VIII, cap. 44; Bauhin, Hist., 3, p. 630.
5. Tiedemann, Geschichte des Tabaks (1854), p. 208. Deux ans aupara-
vant, Volz, Beitràge zur Cultur geschichte, avait réuni déjà un très grand
nombre de faits sur l'introduction du Tabac dans divers pays.
De Gandolle. 8
114 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
uns étaient des botanistes, tels que Belon et Rauwolf, qui ont
parcouru Tempire turc et la Perse, observant les coutumes avec
beaucoup d'attention, et qui n'ont pas mentionné une seule fois
le Tabac. Evidemment il s'est introduit en Turquie au commen-
cement du XVII® siècle, et les Persans l'ont reçu très vite par les
Turcs. Le premier Européen qui ait dit avoir vu fumer en Perse
est Thomas Herbert, en 1626. Aucun des voyageurs suivants n'a
oublié de mentionner l'usage du narguilé comme bien établi.
Olearius décrit cet appareil, qu'il avait vu en 1633. La première
mention du Tabac dans l'Inde est de 1605 % et il est probable
que l'introduction en est venue par les Européens. Elle com-
mençait à Arracan et au Pégu en 1619, d'après le voyageur
Methold *. Il s'est élevé quelques doutes à l'égard de Java, parce
que Rumphius, observateur très exact, qui écrivait dans la
seconde moitié du xvip siècle, a dit ^ que, selon la tradition,
de quelques vieillards, le tabac était employé comme médica-
ment avant l'arrivée des Portugais en 1496, et que l'usage de
fumer avait seul été communiqué par les Européens. Rum-
phius ajoute, il est vrai, que le nom Tabaco ou Tambuco, ré-
pandu dans toutes les localités, est d'origine étrangère. Sir
Stamford Raffles * , à la suite de nombreuses recherches histo-
riques sur Java, donne au contraire l'année 1601 pour la date
de l'introduction du tabac à Java. Les Portugais avaient bien
découvert les côtes du Brésil de 1500 à 1504; mais Vasco de
Gama et ses successeurs allaient en Asie par le Gap ou la mer
Rouge, de sorte qu'ils ne devaient guère établir des communica-
tions fréquentes ou directes entre l'Amérique et Java. Nicot avait
vu la plante en Portugal en 1560; ainsi les Portugais l'ont portée
en Asie probablement dans la seconde moitié du xvi« siècle.
Thunberg affirme * que l'usage du Tabac a été introduit au
Japon par les Portugais, et, d'après d'anciens voyageurs que cite
Tiedemann, c'était au commencement du xvii® siècle. Enfin les
Chinois n'ont aucun signe original et ancien pour indiquer le
Tabac; leurs dessins sur porcelaines, dans la collection de
Dresde, montrent fréquemment depuis l'année 1700 et jamais
auparavant des détails relatifs au Tabac *; enfin les sinologues
s'accordent à dire que les ouvrages chinois ne mentionnent pas
cette plante avant la fin du xvi« siècle ''. Si Ton fait attention à
la rapidité avec laquelle l'usage du tabac s'est répandu partout
où il a été introduit, ces renseignements sur l'Asie ont une force
incontestable.
1. D'après un auteur anonyme indien, cité par Tiedemann, p. 229.
2. Tiedemann, p. 234.
3. Rumphius, iterb, Amboin,, 5, p. 225.
4. Raffles, Description of Java, p. 85.
5. Thunberg, Flora japonica, p. 91.
6. Klemm, cité dans Tiedemann, p. 256.
7. Stanislas Julien, dans de Gandolle, Géographie bot, rais.^ p. 851 ; Bret-
Bchneider, Study and value ofchinese botanical works^ p. 17,
TABAC 115
C. Les noms vulgaires du Tabac confirment une origine améri-
caine. S'il y avait eu des espèces indigènes dans l'ancien monde,
il existerait une infinité de noms différents; mais au contraire
les noms chinois, japonais, javanais, indiens, persans, etc.,
dérivent des noms américains J^e^wm, ou Tabaky Tabok, Tamboc,
légèrement modifiés. Piddington, il est vrai, cite des noms
sanscrits, Dhumrapatra et Tamrakouta * ; mais je tiens d'Adolphe
Pictet que le premier de ces noms, qui n'est pas dans le diction-
naire de Wilson, signifie feuille à fumer et paraît d'une compo-
sition moderne, tandis que le second n'est probablement pas
plus ancien et semble quelque modification moderne des noms
américains. Le mot arabe Docchan veut dire simplement fumée ^.
Enfin nous devons chercher ce que signifient deux Nicotiana
qu'on prétend asiatiques. L'une, appelée par Lehmann Nicotiana
ckinensis^ venait du botaniste russe Fischer, qui la disait de
Chine. Lehmann l'avait vue dans un jardin; or on sait à quel
point les origines des plantes cultivées par les horticulteurs sont
fréquemment erronées, et d'ailleurs, d'après la description, il
semble que c'était simplement le N. Tabacum^ dont on avait
reçu des graines, peut-être de Chine ^. La seconde espèce est le
N. persica^ de Lindîey , figurée sans le Botanical register (pi. 1592) ,
dont les graines avaient été envoyées d'Ispahan à la Société
d'horticulture de Londres comme celles du meilleur Tabac
cultivé en Perse, celui de Schiraz. Lindley ne s'est pas aperçu
que c'était exactement le N, alata^ figuré trois ans auparavant
par Link et Otto * d'après une plante du jardin de Berfin.
Celle-ci venait de graines du Brésil méridional, envoyées par
Selle. C'est une espèce certainement brésilienne , à corolle
blanche, fort allongée, voisine du N, suaveolens de la Nouvelle-
Hollande. Ainsi le Tabac cultivé quelquefois en Perse, concur-
remment avec l'ordinaire et qu'on a dit supérieur pour le
parfum, est d'origine américaine, comme je l'avais prévu dans
ma Géographie botanique en 1855. Je ne m'explique pas com-
ment cette espèce a été introduite en Perse. Ce doit être par des
graines tirées d'un jardin ou venues, par hasard, d'Amérique,
et il n'est pas probable que la culture en soit habituelle en Perse,
car Olivier et Bruguière, ainsi que d'autres naturalistes qui ont
vu les cultures de Tabac dans ce pays, n'en font aucune mention.
Par tous ces motifs, il n'existe point d'espèce de Tabac
1. Piddington, Index,
2. Forskal, p. 63.
3. Lehmann, Historia Nicotinarum, p. 18. L'expression de suffruticosa
«st une exagération appliquée aux Tsibacs, qui sont toujours annuels. J'ai
déjà dit que le iV. suffruticosa des auteurs est le N, Taoacum.
4. Link et Otto, Icônes plant, rar. horti àer., in-4, p. 63, t. 32. Sen-
dtner, dans Flora brasil . ^ vol. 10, p. 167, décrit la même plante de Sello,
à ce qu'il semble, d'après des échantillons envoyés par ce voyageur,
et Grisebach, Symholm /Z. argent., p. 243, mentionne le iV. alata dans la
provipce 4!£ntrerios de la république Argentine.
116 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
originaire d'Asie. Elles sont toutes d'Amérique, excepté les
N, suaveolenSy de la Nouvelle Hollande, et N, fragrans, de Tîle
des Pins, au sud de la Nouvelle-Calédonie.
Plusieurs Nicotiana, autres que les Tabacum et rustica^ ont été
cultivés çà et là par des sauvages ou, cdmme curiosité, par des
Européens. Il est singulier qu'on s'occupe si rarement de ces essais,
au moyen desquels on obtiendrait peut-être des tabacs très
Earticuliers. Les espèces à fleurs blanches donneraient proba-
lement des tabacs légers et parfumés, et comme certains
fumeurs recherchent les tabacs les plus forts, les plus désagréa-
bles possible aux personnes qui ne fument pas, je leur recom-
manderai le Nicotiana angustifolia^ du Chili, que les indigènes
appellent Tàbaco del Diablo *.
Gannelier. — Cinnamomum zeylanicum, Breyn.
Le petit arbre, de la famille des Lauracées, dont l'écorce des
jeunes rameaux est la cannelle du commerce, existe en grande
quantité dans les forêts de Ceylan. Certaines formes qui se
trouvent sauvages dans l'Inde continentale étaient regardées
autrefois comme autant d'espèces distinctes, mais les botanistes
anglo-indiens s'accordent à les réunir avec celle de Ceylan 2.
Les écorces du Cannelier et d'autres Cinnomomum non cul-
tivés , qui produisent le cassia ou cassia de Chine , ont été
l'objet d'un commerce important dès les temps les plus reculés,
MM . Flûckiger et Hanbury ^ ont traité ce point historique avec
une érudition si complète que nous devons simplement renvoyer
à leur ouvrage. Ce qui nous importe, à notre point de vue, c est
de constater combien la culture du cannelier est moderne relati-
vement à l'exploitation de l'espèce. C'est seulement de 1765
à 1770 qu'un colon de Ceylan, appelé de Koke, soutenu par le
gouverneur de l'Ile, Falck, fit des plantations qui réussirent à
merveille. Elles ont diminué depuis quelques années à Ceylan;
mais on en a fait ailleurs, dans les ^ays tropicaux de l'ancien
et du nouveau monde. L'espèce se naturalise facilement hors
des cultures *, parce que les oiseaux en recherchent les fruit»
avec avidité et sèment les graines dans les forêts.
Bamié. — China grass, des Anglais, — Boehmeria nivea^
Hooker et Arnott.
La culture de cette précieuse Urticacée a été introduite dans
le midi des Etats-Unis et de la France, depuis une trentaine
d'années ; mais le commerce avait fait connaître auparavant^la
i. Bertero, dans Prodr,, XIIj sect. 1, p. 568.
2. Thwaites, Enum, Zeylanis, p. 252; Brandis, For est flora of India,.
p. 375.
3. Flûckiger et Hanbury, Histoire des drogues d*origine végétale^ trad..
franc., 2, p. 224; Porter, The tropical agricuiturist, p. 268.
4. Brandis» /. c. Grisebach, Fl, of brit, W, India islands, p. 179.
gânnelier, ramié, chanvre 117
valeur extraordinaire de ses fibres, plus tenaces que le chanvre
et, dans certains cas, flexibles comme la soie. On peut lire dans
plusieurs ouvrages des détails intéressants sur la manière de
cultiver la plante et d'en extraire les fils *. Je me bornerai à
préciser ici, le mieux que je pourrai, l'origine géographique.
Dans ce but, il ne faut pas se fier aux phrases assez vagues de
la plupart des auteurs, m aux étiquettes des échantillons dans
les herbiers, car il est arrivé souvent qu'on n'a pas distingué
les pieds cultivés , échappés des cultures ou véritablement
sauvages, et qu'on a oublié aussi la diversité des deux formes
Boehmeria nivea [Urtica nivea, Linné, et Boehmena tenacissima,
Gaudichaud, ou B, candicans, Hasskarl), qui paraissent deux
variétés d'une même espèce, à cause des transitions notées par
quelques botanistes. Il y a même une sous-variété, à feuilles
vertes des deux côtés, cultivée par les Américains et par M. de
Malaftic dans le midi de la France.
La forme anciennement connue {Urtica nivea L.), à feuilles
très blanches en dessous, est indiquée comme croissant en
Chine et dans quelques pays voisins. Linné dit qu'elle se trouve
sur les murs en Chine, ce qui s'appliquerait à une plante des
décombres, originaire des cultures; mais Loureiro^ dit : Habitat^
et abundanter colitur in Cochinchina et China^ et, selon M. Ben-
tham ', le collecteur Champion l'a trouvée, en abondance, dans
les ravins de l'île de Hong-Kong. D'après MM. Franchet et
Savatier ^, elle existe au Japon, dans les taillis et les haies (m
fruticetis umbrosis et sepibus), Blanco ^ la dit commune aux îles
Philippines. Je ne trouve aucune preuve qu'elle soit spontanée
à Java, Sumatra et autres îles de l'archipel Indien. Rumphius *
ne la connaissait que comme plante cultivée. Roxburgh ' la
croyait native de Sumatra, ce que Miquel ^ ne confirme pas.
Les autres formes n'ont été trouvées nulle part sauvages, ce
qui appuie l'idée que ce sont des variétés survenues dans les
cultures.
Chanvre. — Cannabis sativa^ Linné.
'Le chanvre est mentionné, avec ses deux états, mâle et
femelle, dans les plus anciens ouvrages chinois, en particulier
dans le Shu-King^ écrit 500 ans avant Jésus-Christ ^. Il a des
1. Comte de Malartic, Journal dagric, praliqne^ 7 déc. 1871, 1872, v. 2,
n» 31; de La Rocpie, tôid., n. 29, Bull. Soc, d'acclimat., juillet 1872, p. 463;
Vilmorin, Bon jardinier, 1880, part. 1, p. 700; Vetillart, Etudes sur les
fibres végét. textiles, p. 99, d1. 2.
2. Loureiro, Flora cochinch,, 2, p. 683.
3. Bentham, Flm^a Hongkong , p. 33,1.
4. Franchet et Savatier" Enum, plant. Jap., 1, p. 439.
5. Blanco, Flora de Filip., éd. 2, p. 484.
'6. Rumphius^ Amboin.y 5, p. 214.
7. Roxburgh, FI. ind., 3, p. 590.
8, Miquel, Sumatra, éd. atlem., p. 170.
•9. Bretschneider, Valu^ ofchinese botdnical works, p. 5, 10, 48.
H8 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
noms sanscrits, Banga et Gangika * orthographiés Bhanga et
Gunjika par Piddington '. La racine de ces noms ang ou an se
retrouve dans toutes les langues indo-etiropéennes et sémitiques
modernes : Bang en hindou et persan, Ganga en bengali ', Hanf
en allemand, Iiemp en anglais, Kanas en celtique et bas-breton
moderne *, Cannabis en grec et en latin, Cannab en arabe ^.
D'après Hérodote (né en 484 avant Jésus-Christ), les Scythes
employaient le Chanvre, mais de son temps les Grecs le connais-
saient à peine ^. Hiéron II, roi de Syracuse, achetait le chanvre
de ses cordages pour vaisseaux dans la Gaule, et Lucilius est le
premier écrivain romain qui ait parlé de la plante (100 ans avant
Jésus Christ). Les livres hébreux ne mentionnent pas le Chanvre ^.
Il n'entrait pas dans la composition des enveloppes de momies
chez les anciens Egyptiens. Même à Ja fin du xviii® siècle, on ne
cultivait le Chanvre, en Egypte, que pour le hackich, matière
enivrante ^. Le recueil des lois judaïques appelé Mischna^ fait
sous la domination romaine, parle de ses propriétés textiles
comme d'une chose peu connue ®. Il est assez probable que
les Scythes avaient transporté cette plante de l'Asie centrale
et de la Russie à l'ouest, aans leurs migrations, qui ont eu lieu
vers l'an 1500 avant Jésus-Christ, un peu avant la guerre de
Troie. Elle aurait pu s'introduire aussi par les invasions anté-
rieures des Aryens en Thrace et dans l'Europe occidentale; mais
alors l'Italie en aurait eu connaissance plus tôt. On n'a pas
trouvé le Chanvre dans les palafîttes des lacs de Suisse *** et du
nord de l'Italie ".
Ce qu'on a constaté sur l'habitation du Cannabis sativa con-
corde bien avec les données historiques et linguistiques. J'ai eo
l'occasion de m'en occuper spécialement dans une des mono»-
graphies du Prodromus^ en 1869 *^.
L'espèce a été trouvée sauvage, d'une manière certaine, au
midi de la mer Caspienne ^^, en Sibérie, près de l'Irtysch, dans le
désert des Kirghiz, au delà du lac Baical, en Daourie (gouver-
nement d'Irkutsk). Les auteurs l'indiquent dans toute la Russie
méridionale et moyenne, et au midi du Caucase^*, mais la qualité
1. Roxburgh, Flora indica, éd. 2, voL 3, p. 772.
2. Piddington, Index,
3. Roxburgh, ibid.
4. Reynier, Economie des Celtes, p. 448; Legonidec, Dictionn. bas-bretotr.
5. J. Humbert, autrefois professeur d'arabe à Genève, m'a indiqué Kan-
nab, Kon-nab, Hon-nab, Heii-nab^ Kanedir, selon les localités.
6. Athénée, cité par Hehn, Culturpflanzen, p. 168.
7. Rosenmûller, Handb. bibl. Alterk,
8. Forskal, Flora; Delile, Flore d Egypte,
9. Reynier, Economie des Arabes, p. 434.
10. Heer, Ueber d, Flachs, p. 25.
11. Sordelli, Notizie suU. staz, di Lagozza, 1880.
12. Vol. XVI, sectio 1, p. 30.
13. De Bunge, Bull. Soc, bot, de Fr., 1860, p. 30.
14. Ledéhour, Flora rossica, 3, p. 634.
MURIER BLANC 119
spontanée y est moins sûre, attendu que ces pays sont peuplés
et que les graines de Chanvre peuvent se répandre aisément hors
jardins. L'ancienneté de la culture en Chine me fait croire que
l'habitation s'étend assez loin vers l'est, quoique les botanistes
ne l'aient pas encore constaté *. M. Boissier indique l'espèce
en Perse comme t presque spontanée ». Je doute qu'elle y soit
indigène, parce que les Grecs et les Hébreux l'auraient connue
plus tôt si elle l'était.
Mûrier blanc. — Morus alba, Linné.
Le Mûrier dont on sert le plus communément en Europe pour
l'éducation des vers à soie est le Morus alba. Ses variétés, très
nombreuses, ont été décrites avec soin par Seringe • et plus
récemment par M. Bureau ^ La plus cultivée dans llnde, le
Morus indica^ Linné {Morus alba, var. indica, Bureau), est sauvage
dans le Punjab et à Sikim, d'après Brandis, inspecteur général
des forêts de l'Inde anglaise *. Deux autres variétés, serrata et
cuspidata, sont aussi indiquées comme sauvages dans diverses
provinces de l'Inde septentrionale ^. L'abbé David a trouvé en
Mongolie une variété parfaitement spontanée, décrite sous le nom
de Mongolica par M. Bureau, et le D^'Bretschneider ® cite un nom
Yen, d'anciens auteurs chinois, pour le Mûrier sauvage. Il ne
dit pas, il est vrai, si ce nom s'applique au Mûrier blanc : Pe
(blanc)-*Sa«^ (Mûrier), des cultures chinoises ^ L'ancienneté de
la culture en Chine ^ et au Japon, ainsi que la quantité de
formes différentes qu'on y a obtenues, font croire que la patrie
primitive s'étendait à l'est jusqu'au Japon, mais on connaît peu
la flore indigène de la Chine méridionale, et les auteurs les plus
dignes de confiance pour les plantes japonaises n'affirment pas
la qualité spontanée. MM. Franchet et Savatier ® disent : « cul-
tivé depuis un temps immémorial et devenu sauvage çà et là. »
Notons aussi que le Mûrier blanc paraît s'accommoder surtout
des pays montueux et tempérés, par où Ton peut croire qu'il
aurait été jadis introduit du nord de la Chine dans les plaines du
midi. On sait que les oiseaux recherchent ses fruits et en portent
les graines à de grandes distances dans des localités incultes, ce
qui empêche de constater les habitations vraiment anciennes.
1. M. de Bunge a trouvé le Chanvre dans le nord de la Chine, mai»
dans des décombres {Enum., n« 338).
2. Seringa, Descrivtion et culture des Mûriers.
3. Bureau, dans ae Candolle, Prodromus, 17, p. 238.
4. Brandis, The forest flora of north-west and central India, 1874, p. 408.
Cette variété a le irait noir, comme le Morus nigra.
5. Bureau, l, c, d'après des échantillons de divers voyageurs.
6. Bretschneider, Study and value of chinese bot. vmrks, p. 12.
7. Ce nom est dans le Pent-sao, d'après Ritter, Erdkunde, 17, p. 489.
8. D'après Platt, Zeitschrift d. Gesellsch. Erdkunde, 1871, p. 162, la cul-
ture remonte à 4000 ans avant J.-C.
9. Franchet et Savatier, Enumeratio planta?'um Japoniœ, 1, p. 433.
120 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
Cette facilité de naturalisation explique sans doute la présence,
à des époques successives, du Mûrier blanc dans l'Asie occi-
dentale et le midi de TEurope. Elle a dû agir surtout depuis que
des moines eurent apporté le ver à soie à Constantinople, sous
Justinien, dans le vi« siècle, et que graduellement la sériculture
s'est propagée vers l'ouest. Cependant Targioni a constaté que
le mûrier noir, M, nigra^ était seul connu en Sicile et en Italie,
lorsque l'industrie de la soie s'est introduite en 1148 en Sicile et
deux siècles plus tard en Toscane ^ D'après le même auteur,
l'introduction du Mûrier blanc en Toscane date, au plus tôt, de
l'année 1340. De la même manière, l'industrie de la soie peut
avoir commencé en Chine, parce que le ver à soie s'y trouvait
naturellement ; mais il est très probable que Tarbre existait aussi
dans l'Inde septentrionale, où tant de voyageurs l'ont trouvé à
l'état sauvage. En Perse, en Arménie et dans l'Asie Mineure, je
le crois plutôt naturalisé depuis une époque ancienne, contrai-
rement à Topinion de Grisebach, qui le regarde comme origi-
naire de la région de la mer Caspienne ( Végét, du globe, trad.
française, I, p. 424). M. Boissier ne le cite pas comme spontané
dans ces pays ^. M. Buhse ^ Ta trouvé en Perse, près d'Erivan
et de Baschnaruschin, et il ajoute : « naturalisé en abondance
dans le Ghilan et le .Masenderan. i> La flore de Russie par
Ledebour * indique de nombreuses localités autour du Caucase,
sans parler de spontanéité, ce qui peut signifier une espèce na-
turalisée. En Crimée, en Grèce et en Italie, il est seulement à
l'état de culture ^. Une variété tatarica, souvent cultivée dans le
raidi de la Russie, s'est naturalisée près du Volga *.
Si le Mûrier blanc n'existait pas primitivement en Perse et
vers la mer Caspienne, il doit y avoir pénétré depuis longtemps.
Je citerai pour preuve le nom de Tut, Tuth, Tuta, qui est
persan, arabe, turc et tartare. Il y a un nom sanscrit, Tula ',
qui doit se rattacher à la même racine que le nom peirsan ; mais
on ne connaît pas de nom hébreu, ce qui vient à l'appui de
l'idée d'une extension successive vers l'Asie occidentale.
Ceux de mes lecteurs qui désirent des renseignements plus
détaillés sur l'introduction des Mûriers et des vers à soie les
trouveront surtout dans les savants ouvrages de Targioni et
de Ritter que j'ai cités. Les découvertes faites récemment
par divers botanistes m'ont permis d'ajouter des données plus
1. Ant. Targioni, Cenni storici sulla introd. di varie piante nelV agricolt.
toscana, p. 188.
2. Boissier, Flora orient,, 4, p. 1153.
3. Buhse, Aufzàhlung der Transcaucasien und Persien Pfîanzen, p. 203.
4. Ledebour, FI. ross., 3, p. 643.
5. Steven, Verzeichniss d. taurisch. Halbins, p. 313; Heidreich, Pflanzen
des attischen Ebene, p. 508; Bertoloni, FI. ital., 10, p. 177; Carue», FI. Tos-
canttf p. 171.
6. Bureau, /. c.
7. Roxburgh, FI. ind.; Piddington, Index,
MURIER NOIR lâl
précises qae celles de Ritter sur rorigine, et, s'il y a quelques
contradictions apparentes entre nos opinions sur d'autres points^
cela vient surtout de ce que Tillustre géographe a considéré une
foule de variétés comme des espèces, tandis que les botanistes
les ont réunies après un examen attentif.
Mûrier noir. — Morus nigra^ Linné.
Il est plus recherché pour ses fruits que pour ses feuilles, et,
d'après cela, je devrais Ténumérer dans la catégorie des arbres
fruitiers. Cependant on ne peut guère séparer son histoire de
celle du Mûrier blanc. D'ailleurs on emploie sa feuille dans
beaucoup de pays pour Félève des vers à soie, sans se laisser
arrêter par la cpalité inférieure du produit.
Le Mûrier noir se distingue du blanc par plusieurs caractères,
indépendamment de la couleur noire du fruit, qui se trouve
également chez certaines variétés du M, alba *. Il n'a pas une
iminité de formes comme celui-ci, ce qui peut faire présumer
une culture moins ancienne, moins active, et une patrie primi-
tive moins étendue.
Les auteurs grecs et latins, même les poètes, ont souvent
mentionné le morm nigra, qu'ils comparaient au Ficus Syco-
morus j et qu'ils confondaient même dans l'origine avec cet
ftri>re égyptien. Les commentateurs répètent depuis deux siècles
une foiue de passages qui ne laissent aucun doute à cet égard,
mais ne présentent guère d'intérêt en eux-mêmes *. Us ne four-
nissent aucune preuve sur l'origine de l'espèce, qu'on présume
de Perse, à moins de prendre au sérieux la fable de Pyrame
et Thisbé, dont la scène était en Babylonie, d'après Ovide.
Les botanistes n'ont pas constaté d'une manière bien certaine
l'indigénat en Perse. M. Boissier, qui possède plus de matériaux
que personne sur l'Orient, se contente de citer Hohenacker
comme ayant trouvé le M. nigra dans lés forêts de Lenkoran,
«ur la côte méridionale de la nier Caspienne, et il ajoute : « pro-
bablement spontané dans la Perse septentrionale vers la mer
Caspienne ' ». Avant lui, Ledebour, dans sa flore de Russie,
indiquait, d'après divers voyageurs, la Grimée et les provinces
au midi du Caucase *; mais Steven nie que l'espèce existe en
Grimée autrement qu'à l'état de culture ^. M. de TchihatchefF et
C. Koch ® ont trouvé des pieds de Mûrier noir dans des localités
i. Reichenbacb a publié de bonnes figures des deux espèces dans ses
icônes flor» germ,, t. 657 et 658.
2. Fraas, Synopsis fl, class.^ p. 236; Lenz, Botanik d. alten Griechen und
Rœmer, p. 419; Kitter, Erdkunde^ 17, p. 482; Hehn, Cultwyflanzen, éd. 3,
p. 336, sans parler d'auteurs plus anciens.
3. Boissier, Flora orient, y 4, p. 1153 (publiée en 1879).
4. Ledebour, Fl. ross,^ 3, p. 641.
5. Steven, Verzeichniss d. taurischen Halbins. Pflanzen^ p. 313.
6. Tcbihatcheff, traduction de Grisebach, Végétation du globe, 1, p. 424.
122 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
élevées et sauvages d'Arménie. Il est bien probable que, dans la
région au midi du Caucase et de la mer Caspienne, le Morus
nigra est spontané, originaire, plutôt que naturalisé. Ce qui me
le fait croire, c'est : 1** qu'il n'est pas connu, même à l'état cul-
tivé, dans l'Inde, en Chine ou au Japon; 2" qu'il n'a aucun nom
sanscrit; 3° qu'il s'est répandu de bonne heure en Grèce, pays
dont les communications avec l'Arménie ont été anciennes.
Le Morus nigra s'était si peu propagé au midi de la Perse
qu'on ne lui connaît pas, d'une manière certaine, un nom hébreu
ni même un nom persan distinct de celui du Morus alba. On le
cultivait beaucoup en Italie, jusqu'à ce qu'on eût reconnu la
supériorité du Mûrier blanc pour la nourriture des vers à soie.
En Grèce, le Mûrier noir est encore le plus cultivé *. Il s'est na-
turalisé çà et là dans ces pays et en Espagne *.
Maguey. — Agave americana, Linné.
Cette plante ligneuse, de la famille des Amaryllidées, est
cultivée, depuis un temps immémorial, au Mexique, sous les
noms de Maguey ou Metl^ pour en extraire, au moment où se
développe la tige florale, le vin dit pulque, Humboldt a décrit
clairement cette culture ^, et il nous dit ailleurs * que l'espèce
croit dans toute l'Amérique méridionale, jusqu'à 1600 toises
d'élévation. On la cite ^ dans la Jamaïque, à Antigua, à la Domi-
nique, à Cuba;mais il faut remarquer qu'elle se multiplie facile-
ment de drageons et qu'on la plante volontiers loin des habitations,
pour en former des haies ou en tirer le fil appelé pite, ce qui em-
pêche de savoir dans quel pays elle existait primitivement.
Transportée depuis longtemps dans la région de la mer Médi-
terranée, on la rencontre avec toutes les apparences d'une e^èce
indigène, quoique son origine ne soit pas douteuse ®. Probable-
ment, d'après les emplois variés qu'on en faisait au Mexique avant
l'arrivée des Européens, c'est de là qu'elle est sortie.
Canne à sucre. — Saccharum officinarum, Linné.
Les origines de la Canne à sucre, de sa culture et de la fabri-
cation du sucre ont été l'objet d'un travail très remarquable du
géopraphe Karl Ritter \ Je n'ai pas à le suivre dans les détails
1. Heldreich. Nutzpflanzen Griechenlands, p. 19.
2. Bertoloni, F/ora ital., 10, p. 179; Visiani, FI. dalmat,, i, p. 220; Will-
komm et Lange, Prodr. fl, hisp,, 1, p. 250.
3. De Humboldt, Nouvelle-Espagne, éd. 2, p. 487.
4. De Humboldt, dans Kuntn, Nova Gênera, 1, p. 297.
5. Grisebach, Flora ofbrit. W. India, p. 582.
6. Alph. de CandoUe, Géogr. bot. raisonnée, p. 739; H. Hoffmann, dan»
Regel, Gartenflcïray 1875, p. 70.
7. K. Ritter, Uebei" die geographische Verbreitung des Zuckerrohrs, 1840,
in-4, 108 pag. (d'après Pritzel, Thés. lit. bot.); Die cultur des Zuckerrohrs^
Saccharum, in Asten, Geogr. Verbreitung, etc., etc., in-8», 64 pages, sans
date. C'est une monographie pleine d'érudition et de jugement, digne de
AGAVE, CANNE A SUCRE 123
uniquement agricoles et économiques; mais pour l'habitatioa
primitive de Fespèce, qui nous intéresse particulièrement, c^est
le meilleur guide, et les faits observés depuis quarante ans ap-
puient, en général, ou confirment ses opinions.
La Canne à sucre est cultivée aujourd'hui dans toutes les régions
chaudes du globe, mais il est démontré par une foule de témoi-
gnages historiques qu'elle a été employée d'abord dans TAsie
méridionale, d'où elle s'est répandue en Afrique et plus tard en
en Amérique. La question est donc de savoir dans quelles parties
du continent, ou des îles du midi de l'Asie, la plante existe ou
existait quand on a commencé à s'en servir.
Ritter a procédé selon les bonnes méthodes pour arriver à
une solution.
Il note d'abord que toutes les espèces connues à l'état sau-
vage et rapportées, avec sûreté, au genre Saccharum, croissent
dans rinde, excepté une qui est en Egypte *. On a décrit depuis
cinq espèces des îles de Java, la Nouvelle-Guinée, Timor ou les
Philippines *. La probabilité est toute en faveur de l'origine en
Asie si l'on part des données de la géographie botanique.
Malheureusement aucun botaniste n'avait trouvé à l'époque
de Ritter et n'a encore trouvé le Saccharum ofHcinarum sauvage
dans l'Inde, dans les pays adjacents ou dans l'Archipel au midi
de l'Asie. Tous les auteurs anglo-indiens, Roxburgh, Wallich,
Royle, etc., et plus récemment Aitchison ' ne mentionnent la
plante que comme cultivée. Roxburgh, qui a herborisé si long-
temps dans l'Inde, dit expressément : « Where wild I do not
know. » Va famille des Graminées n'a pas encore paru dans la
flore de sir J. Hooker. Pour l'île de Ceylan, Thwaites a si peu
trouvé l'espèce spontanée qu'il ne l'énumère pas même comme
plante cultivée *. Rumphius, qui a décrit soigneusement la culture
dans les possessions hollandaises, ne dit rien sur la patrie de
l'espèce. Miquel, Hasskarl, Blanco {FI. Filip,) ne parlent d'aucun
échantillon sauvage dans les îles de Sumatra, Java ou les Phi-
lippines. Grawfurd aurait voulu en découvrir et n'y est pas par-
venu ^. Lors du voyage de Cook, Forster ne trouva la Canne à
sucre qu'à l'état de plante cultivée dans les petites îles de la
mer Pacifique ^. Les indigènes de la Nouvelle Calédonie cultivent
une quantité de variétés de la Canne et en font un usage con-
la belle époçiue de la science allemande, lorsque les ouvrages anglais ou
français étaient cités par tous les auteurs, avec le même soin que les
allemands.
1. Kunth, Enumeratio plantanim (1838), vol. 1, p. 474. Il n'existe pas de
travail descriptif moins ancien pour la famille des Graminées, ni pour le
genre Saccharum.
2. Miquel, Flora Indix batavœ (1855) vol., 3, p. 511.
3. Aitchison, Catalogue of PuDJab and Sindn plants, 1869, p. 173.
4. Thwaites, Enum. Ceyloniœ.
5. Grawfurd, Indian archip., 1, p. 475.
6. Forster, Plantœ esculentœ.
424 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
tinuel en suçant la matière sucrée ; mais Vieillard * a eu soin de
dire : « De ce qu'on rencontre fréquemment au milieu des brous-
sailles et même sur les montagnes des pieds isolés de Saccharum
officinarum^ on aurait tort d'en conclure que cette plante est
indigène, car ses pieds, faibles et rachi tiques, accusent simple-
ment d'anciennes plantations, ou proviennent de fragments de
Cannes oubliés par les naturels, qui voyagent rarement sans avoir
un morceau de canne à sucre à la main. » En 1861, M. Ben-
tham, qui avait à sa disposition les riches herbiers de Kew,
s'exprimait ainsi dans la flore de l'île de Hongkong: « Nous
n'avons aucune preuve authentique et certaine d'une localité
où la Canne à sucre ordinaire soit spontanée. »
Je ne sais cependant pourquoi Ritter et tout le monde a
négligé une assertion de Loureiro dans la flore de Gochînchine * :
« Habitat, et colilur abundantissime in omnibus provinciis regni
'Cochinchinensis : simul in aliquibus imperii sinensis, sed minori
copia. » Le mot habitat^ séparé du reste par une virgule, est
bien affirmatif. Loureiro n'a pas pu se tromper sur le Saccharum
officinarum^ qu'il voyait cultivé autour de lui et dont il énumère
les principales variétés. H doit avoir vu des pieds spontahés, au
moins en apparence. Peut-être venaient-ils de quelque culture
du voisinage, mais je ne connais rien qui rende invraisemblable
la spontanéité dans cette partie chaude et humide du continent
asiatique.
Forskal ® a cité l'espèce comme spontanée dans les montagnes
de l'Arabie Heureuse, sous un nom qu'il croit indien. Si elle était
d'Arabie, elle se serait répandue depuis longtemps en Egypte, et
les Hébreux l'auraient connue.
Roxburgh avait reçu au jardin botanique de Calcul ta, en 1796,
et avait introduit dans les cultures du Bengale, un Saccharum
qu'il a nommé S. sinense et dont il a publié une figure dans son
grand ouvrage des Plantae Coromandelianœ (vol. 3, pi. 232).
Ce n'est peut-être qu'une forme du S. officinarum^ et d ailleurs,
comme elle n'est connue qu'à l'état cultivé, elle n'apprend rien
sur la patrie soit de cette forme, soit des autres.
Quelques botanistes ont prétendu que la canne à sucre fleurit
plus souvent en Asie qu'en Amérique ou en Afrique, et même
que sur les bords du Gange elle donne des graines *, ce qui se-
rait, d'après eux, une preuve d'indigénat. Macfadyen le dit sans
fournir aucune preuve. C'est une assertion qu'il a reçue, à la
Jamaïque, de quelque voyageur; mais sir W. Hooker a soin
d'ajouter en note : « Le D' Roxburgh, malgré sa longue rési-
dence au bord du Gange, n'a jamais vu de graines de la canne à
1. Vieillard, Ann. des se. nat., série 4, vol. 16, p. 32.
2. Loureiro, FI. Cochinch.y éd. 2, vol. 1, p. 66.
3. Forskal, FI, Mgypto-arabica, p. 103.
4. Macfadven, On the botanical characters of the sugar cane^ dans Hooker,
Bot, miscell. 1, p. 101 ; Maycock, FL Barbad,, p. 50]
CANNE A SUCRE 135
sucre. » Elle fleurit et surtout fructifie rarement, comme en gé-
néral les plantes qu'on multiplie par boutures ou drageons, et,
si quelque variété ae la canne était disposée à donner des graines,
elle serait probablement moins productive de sucre, et bien vite
on l'abondonnerait. Rumphîus, meilleur observateur que beau-
coup de botanistes modernes et qui a si bien décrit la canne
cultivée dans les lies hollandaises, fait une remarque intéres-
sante ^ « Elle ne produit jamais de fleurs ou de graines, à moins
qu'elle ne soit restée pendant quelques années dans un endroit
pierreux. » Ni lui, ni personne, à ma connaissance, n'a décrit
ou figuré la graine. Au contraire, les fleurs ont été souvent figu-
rées, et j'en ai un bel échantillon de la Martinique •. Schacht
est le seul qui ait donné une bonne analyse de la fleur, y compris
le pistil ; il n'a pas vu la graine mûre '. De Tussac ^, qui a donné
une analyse fort médiocre, parle de la graine, mais il ne l'a vue
que jeune, à l'état d'ovaire.
A défaut de renseignements précis sur Tindigénat, les moyens
accessoires, historiques et linguistiques, de prouver l'origine
asiatique, ont de l'intérêt. Ritter les donne avec soin. Je me con-
tenterai de les résumer.
Le nom de la canne à sucre en sanscrit était Ikshu, Ikshura
ou Ikshava; mais le sucre se nommait Sarkara ou Sakkara, et
tous les noms de cette substance dans nos langues européennes
d'origine aryenne, à partir des anciennes comme le grec, en
sont clairement dérivés. C'est un indice de l'origine asiatique
et de l'ancienneté du produit de la canne dans les régions méri-
dionales de l'Asie avec lesquelles le pleuple parlant le vieux
sanscrit pouvait avoir eu des rapports commerciaux. Les deux
mots sanscrits sont restés en bengali sous la forme delk et Akh °.
Mais dans les autres langues, au delà de l'Indus, on trouve un&
variété singulière de noms, du moins quand elles ne descendent
pas de celle des Aryens, par exemple : Panchadara en telinga,
&yam chez les Birmans, Mia en Gochinchinois, Kan et Tche ou
Tsche en chinois, et plus au midi, chez les peuples malais, Tubu
ou Tabu^ pour la plante, et ffw/a, pour le produit. Cette diver-
sité montre une ancienneté très grande de la culture dans les^
régions asiatiques, où déjà les indications botaniques font pré-
sumer l'origine de l'espèce.
L'époque d'introduction de la culture en divers pays concorde
avec l'idée d'une origine de l'Inde, de la Gochinchine ou de
l'archipel Indien.
En effet, les Chinois ne connaissent pas la canne à sucre depuî»
un temps très reculé, et ils l'ont reçue de l'ouest. Ritter contredit
1. Rumphias, Amboin, vol. 5, p. 186.
2. Hahn» n* 480.
3. Schacht, Madeira und Tenenffe, t. l.
4. Tussac (de), Flore des Antilles^ i, p. 153, pi. 23.
5. PiddJDgtoD, Index,
126 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS TIGES OU FEUILLES
les auteurs qui avaient admis une culture très ancienne, et j'en
vois la confirmation la plus positive dans l'opuscule du D*" Bret-
Schneider, rédigé àPéking avec les ressources les plus complètes
sur la littérature chinoise ^ «Je n'ai pu découvrir, dit-il, aucune
allusion à la canne à sucre dans les plus anciens livres chinois
(les cinq classiques). » Elle paraît avoir été mentionnée pour la
première fois par les auteurs du ii® siècle avant J.-G. La pre-
mière description se trouve dans le Nan-fang-tsao-mu-chuang,
au IV® siècle : « Le Chê-chê, Kan-chê (fCan, doux; che, Bambou]
croit, dit-il, en Gochinchine {Kiaochi), Il a plusieurs pouces de
circonférence et ressemble au Bambou. La tige, rompue pai
fragments, est mangeable et très douce. Le jus qu'on en tire est
séché au soleil. Après quelques jours, il devient du sucre (ici un
caractère chinois composé), qui se fond dans la bouche.... Dans
l'année 286 (de Tère chrétienne), le royaume de Funan (dans
rinde, au delà du Gange) envoyait du sucre en tribut. » Selon
le Pent-sao, un empereur qui a régné dans les années 627 à 65C
de notre ère avait envoyé un homme dans la province indienne
de Bahar, pour apprendre la manière de fabriquer le sucre.
Il n'est pas question dans ces ouvrages de spontanéité eu
Chine, et au contraire l'origine cochinchinoise , indiquée pai
Loureiro, se trouve appuyée d'une manière inattendue. L'habi-
tation primitive la plus probable me paraît avoir été de la Go-
chinchine au Bengale. Peut-être s'étendait-elle dans les îles de
la Sonde et les M oluques, dont le climat est très semblable ; mais
il y a tout autant de raisons de croire à une introduction an-
cienne venant de Gochinchine ou de la péninsule malaise.
La propagation de la canne à sucre à l'occident de l'Inde esl
bien connue. Le monde gréco-romain avait une notion approxi-
mative du roseau (calamus), que les Indiens se plaisaient à sucei
et duquel ils obtenaient le sucre ^. D'un autre côté, les livres
hébreux ne parlent pas du sucre ', d'où l'on peut inférer que la
culture de la canne n'existait pas encore à l'ouest de l'Indus à
Tépoque de la captivité des JuifsàBabylone. Ge sont les Arabes,
dans le moyen âge, qui ont introduit cette culture en Egypte,
en Sicile et dans le midi de l'Espagne *, où elle a été florissante,
jusqu'à ce que l'abondance du sucre des colonies ait obligé d'>
renoncer. Don Henrique transporta la canne à sucre de Sicile â
Madère, d'où elle fut portée aux îles Ganaries en 1503 ^. De c€
1. Bretschneider, On the study and value of chinese botan. works, etc,
p. 45-47.
2. Voir les citations de Strabon, Dioscoride, Pline, etc., dans Lenx
Botanik der Griechen und Rômer, 1859, p. 267; FiDgerhut, dans Flora, 1839
vol. 2, p. 529; et beaucoup d'autres auteurs.
3. Rosenmûller, Handbuch bibl. Alterk.
4. Calendrier imral de Harib, écrit dans le x* siècle pour TEspagne, tra-
duit par Dureau de La MaUe, dans sa Climatologie de ntalie et de l'Anda'
loîisie, p. 71.
5. Von Buch, Canar. Insein,
CANNE A SUCRE iH
point, elle fut introduite au Brésil dans le commencement du
XVI* siècle *. Elle a été portée à Saint-Domingue vers Tan 1520
et peu après au Mexique '; à la Guadeloupe en 1644, à la Mar-
timque vers 1650, à Bourbon dès Torigine de la colonie ^. La va-
riété dite d'O'taïti — (jui n'est point spontanée dans cette île —
et qu'on appelle aussi de Bourbon, a été introduite dans les
colonies françaises et anglaises à la fin du siècle dernier et au
commencement du siècle actuel *.
Les procédés de culture et de préparation du sucre sont dé-
crits dans un très grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels
on peut recommander les suivants : en français : de Tussac,
Flore des Antilles, 3 vol. in-folio, Paris, 1808, vol. 1, p. 151-182;
en anglais : Macfadyen, dans Hooker, Botanical miscellanies,
in.8% 1830, vol. 1, p. 103-H6.
1. Piso, Brésil, p. 49.
2. Hnmboldt, Nouv .-Espagne, éd. 2, vol. 3, p. 34.
Z, Notices s f atistiq . sur les colonies françaises, 1, p. 207, 29, 83.
4. Macfodyen, dans Hooker, Misceîl., 1, p. iOl; Maycock, FI, Barbad,,
p. 50.
CHAPITRE III
PLANTES CULTIVÉES POUR LES FLEURS OU LES ORGANES
QUI LES ENVELOPPENT
Giroflier. — Caryophyllus aromaticus, Linné.
La partie de cette Myrtacée qu'on emploie dans l'éconoinie
domestique sous le nom de clou de girofle est le calice, surmonté
du bouton de la fleur.
Quoique la plante ait été souvent décrite et très bien figurée,
d'après des échantillons cultivés, il y a du doute sur sa nature
à 1 état sauvage. J'en ai parlé dans ma Géographie botanique
raisonnée en 1855, mais il ne paraît pas que la question ait lait
le moindre progrès depuis cette époque , ce qui m'engage à
reproduire simplement ce que j'avais dit.
« Le Giroflier doit être originaire des Moluques, ainsi que le
dit Rumphius *, car la culture en était limitée il y a deux siècles
à quelques petites îles de cet archipel. Je ne vois cependant
aucune preuve qu'on ait trouvé le véritable Giroflier, à pédon-
cules et boutons aromatiques, dans un état spontané. Rum-
phius regarde comme la même espèce une plante qu'il décrit et
figure * sous le nom de Caryophyllum sylvestre et qui se trouve
spontanée dans toutes les Moluques. Un indigène lui avait dit que
les Girofliers cultivés dégénèrent en cette forme, et Rumphius
lui-même avait trouvé un de ces Girofliers sylvestres dans une
ancienne plantation de Girofliers cultivés. Cependant sa planche
3 diffère de la planche i du Giroflier cultivé, par la forme des
feuilles et des dents du calice. Je ne parle pas de la planche %
qui paraît une monstruosité du Giroflier cultivé. Rumphius dit
que le Giroflier sylvestre n'a aucune qualité aromatique (p. 13);
or, en général, les pieds sauvages d'une espèce ont les propriétés
aromatiques plus développées que celles des pieds cultivées.
Sonnerat ' publie aussi des figures du vrai Giroflier et d'un faux
1. II, p. 3.
3. II, tab. a.
3. Sonnerat, Voy, Nouv.-Guinée, tab. 19 et 20.
GIROFLIER — HOUBLON 129
Giroflier, d'une petite lie voisine de la terre des Papous. Il est aisé
de voir que son faux Giroflier difl^ère complètement par les feuilles
obtuses du vrai Giroflier et aussi des deux Girofliers de Rum-
phius. Je ne puis me décider à réunir ces diverses plantes, sau-
vages et cultivées, comme le font tous les auteurs *. Il est sur-
tout nécessaire d'exclure la planche 120 de Sonnerat, qui est
admise dans le Botanical Magazine. On trouve dans cet ouvrage,
dans le Dictionnaire (T agriculture et dans les dictionnaires d'his-
toire naturelle l'exposé historique de la culture du Giroflier et
de son transport en divers pays.
S'il est vrai, comme le dit Roxburgh ^, que la langue sans-
crite avait un nom, Luvunga^ pour le clou de girofle, le com-
merce de cette épice daterait d'une époque bien ancienne, même
en supposant que le nom fût plus moderne que le vrai sanscrit.
Je doute de sa réalité, car les Romains auraient eu connaissance
d'un objet aussi facile à transporter, et il ne paraît pas qu'on en
ait reçu en Europe avant l'époque de la découverte des Molu-
ques par les Portugais.
Houblon. — Humulus Lupulus, Linné.
Le Houblon est spontané en Europe depuis l'Angleterre et la
Suède jusque sur les montagnes de la région de la mer Méditer-
ranée, et en Asie jusqu'à Damas, jusqu'au midi de la mer Caspienne
et de la Sibérie orientale ^; maison ne l'a pas trouvé dans l'Inde,
le nord de la Chine et la région du fleuve Amour.
Malgré l'apparence tout à fait sauvage du Houblon en Europe,
dans des localités éloignées des cultures, on s'est demandé quel-
quefois s'il n'est pas originaire d'Asie ^, Je ne pense pas qu'on puisse
le prouver, ni même que cela soit probable. La circonstance
que les Grecs et les Latins n'ont pas parlé de l'emploi du Hou-
blon pour la bière s'explique aisément par le fait qu'ils connais-
saient bien peu cette boisson. Si les Grecs n'ont pas mentionné
la plante, c'est simplement peut-être parce qu'elle est rare dans
leur pays. D'après le nom italien, Lupulo, on soupçonne que Pline
en a parlé, à la suite d'autres légumes, sous le nom de Lupus sa-
lictarius *. Que l'usage de brasser avec le Houblon se soit répandu
seulement dans le moyen âge, cela ne prouve rien, si ce n'est
Sue l'on employait jadis d'autres plantes, comme on le fait encore
ans certaines localités. Les Celtes, les Germains, d'autres peuples
1. Thunberg, Dm., II, p. 326; de GandoUe, Prodr., Ill, p. 262 ; Hooker,
Bot. mag.f tab. 2749 ; Hasskarl, Cat. h. Bogor. alt.y p. 261.
2. RoS)urgii. Flora indica, éd. 1832, vol. 2, p. 494.
3. Alph. de CandoUe, dans Prodromus^ vol. 16, sect. i, p. 29; Boissier.
PI, orient,^ 4, p. 1152; Hohenacker, Enum. plant, Talysch, p. 30 ; Buhse,
Aufzàhlung Transcaucasierij p. 202.
4. Hehn. Nutzpflanzen una Haiisthiere in ihren ûbergang aus Asien, éd. 3,
p. 415.
5. Pline, Hist, 1. 21, c. 15. Il mentionne à cet endroit l'Asperge, et Ion
sait que les jeunes pousses de Houblon se mangent de la même manière.
De Cândolle. 9
130 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FLEURS
du Nord et même des peuples du Midi qui avaient la vigne fai-
saient de la bière ^ soit d'orge, soit d'autres grains fermentes,
avec addition, dans certains cas, de matières végétales diverses,
par exemple d'écorce de chêne, de Tamarix, ou de fruits du
^fy7nca Gale *. Il est très possible qu'ils n'aient pas remarqué
de bonne heure les avantages du Houblon et qu'après en avoir
eu connaissance ils aient employé le Houblon sauvage avant de
le cultiver. La première mention d'une houblonnière est dans
l'acte d'une donation faite par Pépin, père de Gharlemagne, en
768 ^. Au XIV® siècle, c'était une culture importante en Allemagne,
mais en Angleterre elle a commencé seulement sous Henri VIII *.
Les noms vulgaires du Houblon ne fournissent que des indi-
cations en quelque sorte négatives sur l'origine. Il n'y a pas de
nom sanscrit ^, ce qui concorde avec l'absence de Pespèce dans
la région de l'Himalaya et fait présumer que les peuples aryens
ne l'avaient pas remarquée et utilisée. J'ai cité jadis ^ quelques-
uns des noms européens, en montrant leur diversité, quoique
certains d'entre eux puissent dériver d'une souche commune.
M. Hehn a traité de leur étymologie en philologue et a montré
combien elle est obscure ; mais il n'a pas mentionné des noms
tout à fait éloignés de Bumle, Hopf ou Hop et Chmeli, des lan»
gués Scandinaves, gothiques et slaves, par exemple Apini en
lette, Apirynis en lithuanien, Tapen esthonien, B lus t en illyrien',
qui ont évidemment d'autres racines. Cette diversité vient à
l'appui de l'idée d'une existence de l'espèce en Europe antérieu-
rement à l'arrivée des peuples aryens. Plusieurs populations
différentes auraient distingué, nommé et utilisé successivement
la plante, ce qui confirme l'extension en Europe et en Asie avant
Pusage économique.
Garthame. — Carihamus tinctorius^ Linné.
La Composée annuelle appelée Carthame est une des plus
anciennes espèces cultivées. On se sert de ses fleurs pour colorer
en jaune ou en rouge, et les graines donnent de l'huile.
Les bandes qui entourent les momies des anciens Egyptiens
sont teintes de Carthame ^, et tout récemment on a trouvé des
fragments de la plante dans les tombeaux découverts à Deir el
Bahari ^. La culture doit aussi être ancienne dans l'Inde, paia-
1. Tacite, Go^mania^ cap. 25 ; Pline, L 18, c. 7 ; Hehn, Kulturpflanzfirif
etc., éd. 3, p. 125-137.
2. Volz, Éeitràge ziii' CuUurgpschichle, p. 149.
3. Volz, ibid,
\. Beckuiann, Erfindunfjienf cité par Volz.
5. Piddiiifïton, Index; Fick, Wôf'ierb. Indo-Gei*m, Sprachen^ 1, Ursproche.
6. A. do CandoUe, Géogr. bot. rais., p. 857.
7. Dictionnaire manuscrit compilé d'après les flores, par Moritzi.
8. Ung<T, Die Pflanzen des alten JEgyptens, p. 47.
9. Srhweinfurth, lettre adressée à M. Boissier, en 1882.
CARTHAME — SAFRAN 131
Kju'on indique deux noms sanscrits, Cusumbha et Kamalottara,
dont le premier a laissé plusieurs descendants dans les langues
actuelles de la péninsule *. Les Chinois ont reçu le Garthame
seulement au ii« siècle avant Jesus-Ghrisl. C'est Chang-kien qui
le leur a apporté de la Bactriane ^. Les Grecs et les Latins ne
l'ont probablement pas connu, car il est très douteux que ce
soit la plante dont ils ont parlé sous le nom de Cnikos ou
Cnicus ^.^lus tard, les Arabes ont beaucoup contribué à ré-
pandre la culture du Garthame, qu'ils appellent Qorton. Kurtum,
d'où Carthame, ou Usfui\ ou Ikrldk, ou Morabu *, diversité
quiindique une existence ancienne dans plusieurs contrées de
TAsie occidentale ou de l'Afrique. Les progrès de la chimie me-
nacent cette culture, comme beaucoup d'autres ; mais elle sub-
siste encore dans le midi de l'Europe, en Orient, dans l'Inde et
dans toute la région du Nil ^.
Aucun botaniste n'a trouvé le Garthame dans un état vrai-
ment spontané. Les auteurs l'indiquent avec doute comme ori-
ginaire ou de l'Inde ou d'Afrique, en particulier d'Abyssinie ;
mais ils ne l'ont vu absolument qu'à l'état cultivé ou avec
l'apparence d'être échappé des cultures *^. M. Clarke ^ ancien
directeur du jardin de Calcutta, qui a revu depuis peu les Com-
posées de l'Inde, admet l'espèce à titre de cultivée seulement.
Le résumé des connaissances actuelles sur les plantes de la
région du Nil, en y comprenant l'Abyssinie, par MM. Schwein-
furth et Ascherson ^, indique également l'espèce comme cultivée,
et les listes de plantes du voyage récent de Rohlfs n'indiquent
pas non plus le Garthame spontané ^.
L'espèce n'ayant été trouvée sauvage ni dans l'Inde ni en
Afrique et sa culture ayant existé cependant depuis des mil-
liers d'années dans ces ceux pays, j'ai eu l'idée de chercher l'ori-
gine dans la région intermédiaire. Ce procédé m'a réussi dans
d'autres cas .
Malheureusement, l'intérieur de TArabie est presque inconnu,
et Forskal, qui a visité les côtes du Yemen, n'apprend rien sur
le Garthame. Il en est de même des opuscules publiés sur les
plantes de Botta et de Bové. Mais un Arabe, Abu Anifa, cité par
JEbn Baithar, auteur du xni® siècle, s'est exprimé comme suit *^ :
1. Piddington, Indnx.
2. Bretschneider, i>tudy and valwu etc. y p. 15.
3. Voir Targioni, Ceuni storiri, p. 108.
4. Forskal, Flo7^a œqypt.^ p. 73; Ebn B.iitliar, trad. allemande, :2, p. 100,
293; 1, p. 18.
o. Voir Gasparin, Coiu\<i d'agrinidturfi, 4, p. 217.
6. Boissier, FI. orient., 3J p. 710 ; Oliver, Flora of tropical Afrira,
3, p. 439.
7. Clarke, Composite indicœ, 1876, p. 244.
8. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung, p. 283.
9. Rohlfs, Kufra, iii-8, 1881.
10. Ebn Baithar, 2, p. 196.
132 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FLEURS
« Usfur. Cette plante fournit des matériaux pour la teinture.
Il y en a de deux sortes, une cultivée et une sauvage, qui crois-
sent toutes les deux en Arabie et dont on appelle les graines
Elkurthum, ^^ Abu Anifa peut bien avoir eu raison.
Safran. — Crocus satlvus, Linné.
La culture du Safran est très ancienne dans l'Asie occidentale.
Les Romains vantaient le Safran de Cilicie; ils le préféraient à
celui cultivé en Italie *. L'Asie Mineure, la Perse et le Cachemir
sont depuis longtemps les pays qui en exportent le plus. L'Inde
le reçoit aujourd'hui du Cachemir ^. Roxburgh et Wallich ne
l'indiquent pas dans leurs ouvrages. Les deux noms sanscrits
mentionnés par Piddington 3 s'appliquaient probablement à la
substance du Safran importé de l'ouest, car le nom Kasmira-
jamma semble indiquer le pays d'origine, Cachemir. L'autre
nom est Kunkuma. On traduit ordinairement le mot hébreu
Karkom par Safran, mais il doit s'appliquer plutôt au Carthame,
d'après le nom actuel de cette dernière plante en arabe. D'ail-
leurs, on ne cultive pas le Safran en Egypte ou en Arabie *. Le
nom grec est ^ Krokos. Safran^ qui se retrouve dans toutes nos
langues modernes d'Europe, vient de l'arabe Sahafaran ^,
Zafran \ Les Espagnols, plus près des Arabes, disent Azafran.
Le nom arabe lui-même vient de Assfar, jaune.
De bons auteurs ont indiqué le C sativus comme spontané en
Grèce ^, et en Italie, dans les Abruzzes ^. M. Maw, qui prépare
une monographie du genre Crocus, basée sur de longues obser-
vations dans les jardins et les herbiers, rapporte au C. sativus
six formes spontanées dans les montagnes, d'Italie au Kurdistan.
Aucune, selon lui *^, n'est identique avec la plante cultivée; mais
certaines formes, décrites sous d'autres noms (C. Orsinti, C. Cart-
wrightianus, C. Thomasii) en diffèrent à peine. Elles sont dltalie
et de Grèce.
La culture du Safran, dont les conditions sont exposées dans
le Cours d'agriculture de Gasparin et dans le Bulletin de la So-
ciété d^ acclimatation de 1870, devient de plus en plus rare en
Europe et en Asie ". Elle a eu quelquefois pour effet de natu-
raliser, au moins pendant quelques années, l'espèce dans des
localités où elle semble sauvage.
\. Pline, L 21, c. 6.
2. Royle, ///. H/m., p. 372.
3. Index, p. 23.
4. D'après Forskal, Delil^s Reynier, Schweinfurth et Ascherson [Aufzàhlung).
5. Théophraste, Hist.. 1. 6, c. 6.
6. J. Bauhin, llist.. Il, p. 637.
7. Royle, /. c.
8. Sibthorp, Prodr.; Fraas, Sj/n. fL class., p. 292.
9. J. Gay, cité par Babiugtou, Man, Hrit. fL
10. Maw, dans Gardeners" chronicle^ 1881, vol. 16.
11. Jacquemont, Voy.^ HT. p. 238.
CHAPITRE IV
PLANTES CULTIVEES POUR LEURS FRUITS
Pomme Ganelle. — Anona squamosa^ Linné. — En anglais
Stveet sopy Sugar apple *.
La patrie de cette espèce et d'autres Anona cultivés a suscité
des doutes qui en font un problème intéressant. Je me suis
efforcé de les résoudre en 1855. L'opinion à laquelle je m'étais
arrêté alors se trouve confirmée par les observations des voya-
geurs faites depuis, et, comme il est utile de montrer à quel
point des probabilités basées sur de bonnes méthodes condui-
sent à des assertions vraies, je transcrirai ce que j'ai dit ^; après
quoi je mentionnerai ce qu'on a trouvé plus récemment.
« Robert Brown établissait en 1818 le fait que toutes les
espèces du genre Anona, excepté VAnona senegalensis, sont
d'Amérique et aucune d'Asie. Aug. de Saint-Hilaire * dit que,
d'après Vellozo, TA. squamosa a été introduit au Brésil, qu'il y
est connu' sous le nom de Pinha, venant de la ressemblance
avec les cônes de pins, et d'Ata, évidemment emprunté aux
noms Attoa et AHs, qui sont ceux de la même plante en Asie
et qui appartiennent aux langues orientales. Donc, ajoute de
Saint-Hilau'e, les Portugais ont transporté VA . squamosa de
leurs possessions de l'Inde dans celles d'Amérique, etc. » Ayant
fait en 1832 une revue de la famille des Anonacées ^, je fis re-
marquer combien l'argument botanique de M. Brown devenait
1. Le mot fruit est employé ici dans le sens vulgaire, pour toute j)artie
charnue qui grossit après la floraison. Dans le sens strictement botanique,
les Anones, Fraises, Pommes d'Acajou, Ananas et le fruit de l'Arbre à pain
ne sont pas des fruits.
2. Dans l'Inde anglaise Custard apple; mais c'est le nom de VAnona mu-
ricata en Amérique. ÙA squatnosa est figuré dans Descourtilz, Flore des
Antilles, 2, pi. 83 ; Ilooker, Botanical magazine, t. 3095, et Tussac, Flot-e
des Antilles. 3, pi. 4.
3. A. de Candblle, Géographie botanique raisonnée, p. 850.
4. Aug. de Saint-Hilaire, Plantes umelles des Brésiliens, 6« livr., ç. 5.
5. Alpn. de GandoUe, dans Mém. Soc, phys, et d*Mst. nat. de Genève.
134 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
de plus en plus fort, car, malgré Taugmentation considérable
des Anonacées décrites, on ne pouvait citer aucun Anona et
même aucune Anonacée à ovaires soudés qui fût originaire
d'Asie. J'admettais * la probabilité que l'espèce venait des Antil-
les ou de la partie voisine du continent américain; mais par
inattention j'attribuai cette opinion à M. Brown, qui s'était
borné à revendiquer une origine américaine en général ^.
« Depuis, des faits de diverse nature ont confirmé cette ma-
nière de voir.
« L' Anona squamom a été trouvé sauvage en Asie, avec l'ap-
parence plutôt d'une plante naturalisée; en Afrique, et surtout
en Amérique, avec les conditions d'une plante aborigène. En
effet, d'après le D*" Royle ^, cette espèce a été naturalisée dans
plusieurs localités de l'Inde ; mais il ne Ta vue, avec l'appa-
rence d'une plante sauvage, que sur les flancs de la montagne
où est le fort de Adjeegurh, dans le Bundlecund, parmi des
pieds de Teck. Lorsqu'un arbre aussi remarquable, dans un pays
aussi exploré par les botanistes, n'a été signalé que dans une
seule localité hors des cultures, il est bien probable qu'il n'est
pas originaire du pays. Sir Joseph Hooker l'a trouvé dans l'île
de Santiago, du Cap-Vert, formant des bois sur le sommet des col-
lines de la vallée de Saint-Dominique *. Gomme l'A. squaynosa
n'est qu'à l'état de culture sur le continent voisin ^; que même
il n'est pas indiqué en Guinée par Thonning ^, ni au Congo '', ni
dans la Sénégambie ^, ni en Abyssinie ou en Egj'pte, ce qui
montre une introduction récente en Afrique; enfin, comme les
îles du Gap- Vert ont perdu une grande partie de leurs forêts
primitives, je crois dans ce cas à une naturalisation par des
graines échappées de jardins. Les auteurs s'accordent à dire
l'espèce sauvage à la Jamaïque. On a pu autrefois négliger l'as-
sertion de Sloane ° et de P. Brown *^, mais elle est confirmée
par Mac-Fadyen **. De Martius a trouvé l'espèce dans les forêts
de Para ^*, localité assurément d'une nature primitive. Il dit
même : « Sylvescentem in nemoribus paraënsibus inveni, » d'où
l'on peut croire que les arbres formaient à eux seuls une forêt.
Splitgerber ^^ l'avait trouvée dans les forêts de Surinam, mais il
1. Mém. Soc. phy. et d'hist. nat. de Genève^ p. 10 du mém. tiré à part.
2. Voyez Botany of Congo et la traduction allemande des œuvres de
Brown, qui a des tables alphabétiques.
3. Royle, ///. IlhnaL, p. 60.
4. Wcbb, dans FI. Nigr., p. 97.
5. Ibid,, p. 204.
6. Thonning, PI. Guin.
7. Brown, Congo, p. 6.
8. Guillemin, Perrottet et Richard, Tontamen fl. Seneg.
9. Sloane, Jam., II, p. 168.
10. P. Brown, Jam., p. 257.
11. Mac-Fadyen, Fl. Jam., p. 9.
12. De Martms, Fl. Bras., lasc. 2, p. 15.
13. Splitgerber, Nrdrrl. Kruidk. Arch., 1, p. 230.
POMME GANELLE 135
dit an spontanea? Le nombre des localités dans cette partie de
TAmérique est assez significatif. Je n'ai pas besoin de rappeler
qu'aucun arbre, pour ainsi dire, vivant ailleurs que sur les côtes,
n'a été trouvé véritablement aborigène à la fois dans l'Asie,
l'Afrique et l'Amérique intertropicales ^ L'ensemble de mes re-
cherches rend un fait pareil infiniment peu probable, et, si un
arbre était assez robuste pour offrir une telle extension, il serait
excessivement commun dans tous les pays intertropicaux.
« D'ailleurs les arguments historiques et linguistiques se sont
aussi renforcés dans le sens de l'origine américaine. Les détails
donnés par Rumphius ^ montrent que VAfiona squartiosa était
une plante nouvellement cultivée dans la plupart de îles de
l'archipel Indien. Forster n'indique aucune Anonacée comme
cultivée dans les petites îles de la mer Pacifique ^. Rheede * dit
l'A. squamosa étranger au Malabar, mais transporté dans
l'Inde, d'abord par les Chinois et les Arabes, ensuite par les
Portugais. Il est certain qu'il est cultivé en Chine et en Gochin-
chine ^, ainsi qu'aux Philippines ^; mais depuis quelle époque?
C'est ce que nous ignorons. Il est douteux que les Arabes le
cultivent \ Dans Hnde on le cultivait du temps de Roxburgh ®,
qui n'avait pas vu l'espèce spontanée, et qui ne mentionne
qu'un seul nom vulgaire de langue moderne (bengali), le nom
Ata^ qui est déjà dans Rheede. Plus tard, on a cru reconnaître
le nom Gunda-Gatra comme sanscrit ^ ; mais le D'" Royle *®
ayant consulté le célèbre Wilson, auteur du dictionnaire sans-
crit, sur l'ancienneté de ce nom, il répondit qu'il avait été
tiré du Sabda chanrika^ compilation moderne comparative-
ment. Les noms 4c Ata^ Ati se trouvent dans Rheede et Rum-
phius *^ Voilà sans doute ce qui a servi de base à l'argumenta-
1. A. de Gandolle, Géogr, bot, raisonnécy chap. X.
2. Rumphius, 1, p. 139.
3. Forster, Plantœ esculentœ,
4. Rheede, Malab,, III, p. 22.
5. Loureiro, FI. coch., p. 427.
6. Blanco, FI. Filip.
7. Cela dépend de l'opinion qu'on se formera sur ÏA. glahra, Forsk.
(A.asiatica B. Dun., Anon., p. 71 ; A. Forskalii, D C..Si/stf. 1, p. 472), qui était
cultivé quelquefois dans les jardins de l'Egypte, lorsque Forskal visita ce
pays, sous le nom de Keschta, c'est-à-dire lait coagulé. La rareté de sa cul-
ture et le silence des anciens auteurs montrent que c'était une introduction
moderne en Egypte. Ebn Baitliar (trad. allem. de Sontheimer, 2 vol., 1840)
médecin arabe du xm' siècle, ne parle d'aucune Anonacée et ne mentionne
pas de nom de Keschta. Je ne vois pas comment la description et la figure
de Forskal {Descr.j p. 102, ic. tab. 15) diffèrent de VA. sqiuirnosa. L'échan-
tillon de Coquebert, cité dans le Systema, concorde assez avec la planche
de Forskal; mais, comme il est en fleur et que la planche donne le fruit,
l'identité ne peut être bien prouvée.
8. Roxburgh, FI. Ind., éd. 1832, v. 2. p. 6u7
9. Piddington Index, 6 p.
10. Royle, ///. Him., p. 60.
11. Rheede et Rumphius, 1, p. 139.
136 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS "
tion de Saint-Hilaire ; mais un nom bien voisin est donné au
Mexique à VAnona squamosa. Ce nom est Ate^ Ahate de Pa-
nucho, qui se trouve dans Hernandez * avec deux figures assez
semblables et assez médiocres, qu'on peut rapporter ou à VA.
squamosa, avecDunal *, ou à VA. Cherimolia, avec de Martius '.
Oviedo emploie le nom de Anon *. Il est très possible que le
nom de Ata soit venu au Brésil du Mexique et des pays voisins.
Il se peut aussi, je le reconnais, qu'il vienne des colonies portu-
gaises des Indes orientales. De Martius dit cependant l'espèce
importée des Antilles ^. Je ne sais s'il en a eu la preuve ou si
elle résulte de l'ouvrage d'Oviedo, qu'il cite et que je ne puis
consulter. L'article d'Oviedo, transcrit dans Marcgraf ^, décrit
l'A. squamosa sans parler de son origine.
« L ensemble des faits est de plus en plus favorable à l'origine
américaine. La localité où Tespèce s'est montrée le plus spon-
tanée est celle des forêts de Para. La culture en est ancienne en
Amérique, puisque Oviedo est un des premiers auteurs (1535)
2ui aient écrit sur ce pays. Sans doute la culture est aussi d'une
ate assez ancienne en Asie, et voilà ce qui rend le problème
curieux. Il ne m'est pas prouvé cependant qu'elle soit antérieure
à la découverte de l'Amérique, et il me semble qu'un arbre
fruitier aussi agréable se serait répandu davantage dans l'an-
cien monde, s'il y avait existé de tout temps. On serait d'ailleurs
fort embarrassé d'expliquer sa culture en Amérique au com-
mencement du xvi« siècle en supposant une origine de l'ancien
monde.
Depuis que je m'exprimais ainsi , je remarque les faits sui-
vants publiés par divers auteurs.
1° L'argument tiré de ce qu'aucune espèce du genre Anona
n'est asiatique est plus fort que jamais. L'A. asiaticay Linné,
reposait sur des erreurs (voir ma note, dans Géogr, bot,^
p. 862). L'A. obtusifolia^ Tussac, FL des Antilles ^ I. p. 191,
pi. 28, cultivé jadis à Saint-Domingue, comme d'origine asia-
tique, est peut-être fondé sur une erreur. Je soupçonne qu'on a
dessiné la fleur d'une espèce (A. muricaid) et le fruit d'une autre
(A. squamosa). On n'a point découvert d 'Anona en Asie, mais
on en connaît aujourd'hui quatre ou cinq en Afrique, au lieu
d'une ou deux ', et un nombre plus considérable qu'autrefois
en Amérique.
1. Hernandez, p. 348 et 434.
2.'Dunal, Mém. Anon., p. 70.
3. De Martius, FL bras., fasc. 2, p. 13.
4. De là vient le nom de genre Anona ^ que Linné a changé en Annona,
(provision), parce qu'il ne voulait aucun nom des langues barbares et
qu'il ne craignait pas les jeux de mots.
3. De Martius, /. c.
6. Marcftraf, Brasil, p. 94.
7. Voir Baker, Flora of Mauritius, p. 3. L'identité admise par M. Oliver,
Flora oftrop. Africa, 1, p. 16, de Y A. palustris d'Amériqi
[ue avec celui de
COROSSOL 137
2«> Les auteurs de flores récentes d'Asie n'hésitent pas à con-
sidérer les Anona, en particulier VA. squajnosa, qu'on rencontre
çà et là avec l'apparence spontanée, comme naturalisés autour
des cultures et des établissements européens *.
3^ Dans les nouvelles flores africaines déjà citées, l'A. squa-
mosa et les autres, dont je parlerai tout à l'heure, sont indiqués
toujours comme des espèces cultivées.
4** L'horticulteur Mac Nab a trouvé l'A. squamosa dans les
plaines sèches de la Jamaïque ^, ce qui confirme les anciens
auteurs. Eggers ^ dit cette espèce commune dans les taillis
("tliickets) des îles Saint-Croix et Vierges. Je ne vois pas qu'on
Tait trouvée sauvage à Cuba.
S"* Sur le continent américain, on la donne pour cultivée *.
Cependant M. André m'a communiqué un échantillon, d'une
localité pierreuse de la vallée de la Magdelena, qui paraît ap-
pstrtenir à cette espèce et être spontané. Le fruit manque, ce
cjuii rend la détermination douteuse. D'après la note sur l'éti-
quette, c'est un fruit délicieux, analogue à celui de l'A. squa-
^^ic$a. M. Warming ^ cite l'espèce comme cultivée à Lagoa-
So.nta, du Brésil. Elle parait donc plutôt cultivée ou naturalisée
^ Para, à la Guyane et dans la Nouvelle-Grenade, par un effet
<ies cultures.
En définitive, on ne peut guère douter, ce me semble, qu'elle
*^G soit d'Amérique et même spécialement des Antilles.
OorossoL — Anona muricata^ Liriné. — En Anglais Sour sop.
Cet arbre fruitier ^, introduit dans toutes les colonies des
P^ys tropicaux, est spontané aux Antilles; du moins, on a cons-
^^té son existence dans les îles de Cuba, Saint-Domingue, la
''^raaïque et dans plusieurs des petites îles '. Il se naturalise
quelquefois sur le continent de l'Amérique méridionale, près
^^s habitations ®. M. E. André en a rapporté des échantillons
^éaégambie, me paraît très extraordinaire, quoiqu'il s'agisse d'une espèce
^ï'oissant dans des marais, c'est-à-dire otîrant peut-être une habitation
. 1- Hooker, Flora of hrlt. India, 1, p. 78; Miquel, Flora indo-hatava,
h Pojt. 2, p. 33; Kurz, forest flora of brit. Burma, 1, p. 46 ; Stewart et
"''aiïclia, Forest of India, p. 6.
2- Grisebach, Flora of orit. W. India,p. 5.
?" ï^gers, Flora of St-Croix and Vhujin islands, p. 23.
*- Triana et Planchon, Prodr. fl. noco-granatensù, p. 29 ; Sagot, Jowm.
«oc. cthortic, 1872.
2" Warming, Symholœ ad fl. bras., 16, p. 434.
Kl' ï'iguré dans Descourtilz, F/, méd, des Antilles, 2, pi. 87, et dans Tussac,
''«• ctes Antilles, 2, pi. 24.
p'- Richard, Plafiies vasculaires de Cuba, p. 29; Swartz, Obs., p, 221:
y Brown, Jamaïque, p. 255; Mac-Fadyen, Fl. Jamaïq., p. 7; Eggers,
''-of Sainte-Croix, p. 23 ; Grisebach Fl. brit. W. India, p. 4.
J^\ Martius, Fl. brasil., fasc. 2, p. 4; Splitgerber, Plant, de Surinam, dans
^^^d.Kruidk, Arch., 1, p. 226.
138 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
de la région de la Cauca, dans la Nouvelle-Grenade, mais il
n'affirme pas qu'ils soient spontanés, et je vois que M. Triana
(Prodr. fl. granat.) le mentionne comme cultivé seulement.
Cœur de bœuf. — Anona reikulata^ Linné. — En anglais Cus-
tard apple (dans les Antilles), Bullocks* heart (dans l'Inde).
Cet Anona^ figuré dans Descourtilz, Flore médicale des An-
tilles^ 2, pi. 82 et dans le Botanical magazine, pi. 2912, est spon-
tané aux Antilles, par exemple dans les îles de Cuba, la
Jamaïque, Saint-Vincent, la Guadeloupe, Saint-Croix, les Bar-
bades * et encore dans File de Taboga, de la baie de Panama -
et dans la province d'Antioquia, de la Nouvelle-Grenade '. Si
dans ces dernières localités il est aussi sauvage que dans le*
Antilles, son habitation s'étend probablement dans plusieurs des
Etats de l'Amérique centrale et de la Nouvelle-Grenade.
Quoique le fruit du Cœur de bœuf soit peu estimé, on a intro-
duit respèce dans la plupart des colonies des régions tropicales.
Rheede et Rumphius l'avaient vu déjà dans les plantations de
l'Asie méridionale. D'après Welwitsch, il se naturalise, hors des
jardins, dans le pays d'Angola, de l'Afrique occidentale ^, ce
qui est arrivé aussi dans l'Inde anglaise ^.
Gherimolia. — Anona Ckerimolia, Lamarck.
Le Gherimolia^ ou Chirimoya^ n'est pas cultivé dans les colo-
nies aussi généralement que les espèces précédentes, malgré
l'excellence de son fruit. C'est probablement ce qui fait qu on
n'a pas encore publié du fruit même une figure moins mauvaise
que celle de Fouillée (Obs. 3, pi. 17), tandis que la fleur est bien
représentée dans la planche 2011 du Boiamcal magazine^ sous
le nom d'^. tripetala.
Voici comment je m'exprimais en -1853 sur l'origine de l'es-
pèce ^ :
« Le Gherimolia est indiqué, par de Lamarck et Dunal, comme
croissant au Pérou ; mais Feuillée, qui en a parlé le premier ',
le mentionne comme cultivé. Mac-Fadyen ^ le dit abondant sur
les montagnes de Port-Royal, de la Jamaïque; mais il ajoute
qu'il est originaire du Pérou et doit avoir été introduit depuis
longtemps, d'où il semble que l'egpèce est cultivée dans les
plantations des parties élevées plutôt que spontanée. Sloane n'en
1. Richard, /. c. ; Mac-Fadyea, /. c; Grisebacli, /. c. ; Eggers, L c. ;
Swartz, Obs.^ p. 222 ; Mavcock, Fl. Bai^bad., p. 233.
2. Seeman, Botany of llfrald, p. 75.
3. Triana et Plancnon, Prodr. Fl. Novo-fjrajiatefisis, p. 29.
4. Oliver, Flora of tropical Africa^ 1, p. 15.
5. Sir J. Hooker, Flora brit. India, l,p. 78.
6. De Candollc, Géocjr. bot. rais., p. 863.
7. Feuillée, Obs., III, p. 23, t. 17.
8. Mac-Fadyen, Fl. Jarn., p. 10.
ORANGERS ET CITRONNIERS 139
parle pas. MM. de Humboldt et Bonpland l'ont vu cultivé dans
le Venezuela et la Nouvelle-Grenade ; de Martius au Brésil *, oh les
graines en avaient été obtenues du Pérou. L'espèce est cultivée
aux îles du Cap- Vert et sur la côte de Guinée ^ ; mais il ne paraît
pas qu'on l'ait répandue en Asie. Son origine américaine est
évidente. Je n'oserais pourtant pas aller plus loin et affirmer
qu'elle est du Pérou, plutôt que de la Nouvelle-Grenade ou
même du Mexique. On la trouvera probablement sauvage dans
une de ces régions. Meyen ne Ta pas rapportée du Pérou '. »
Mes doutes sont diminués aujourd'hui, grâce à une communi-
cation obligeante de M. Ed. André. Je dirai d'abord que j'ai vu
des échantillons du Mexique, recueillis par Botteri et par Bour-
geau, et que les auteurs indiquent souvent l'espèce dans cette
région, aux Antilles, dans l'Ainérique centrale et la Nouvelle-
Grenade. Ils ne disent pas, il est vrai, qu'elle y soit sauvage. Au
contraire, ils notent qu'elle est cultivée, ou qu'elle s'échappe des
jardins et se naturalise *. Grisebach alTinne qu'elle est spon-
tanée du Pérou au Mexique, sans en donner la preuve. M. André
a récolté, dans une vallée du sud-ouest de l'Equateur, des
échantillons qui se rapportent bien à l'espèce, autant qu'on
peut l'affirmer sans voir les fruits. Il ne dit rien de la qualité
spontanée, mais le soin avec lequel il indique dans d'autres cas
les plantes cultivées ou venant peut-être des cultures me fait
croire qu'il a regardé ses échantillons comme spontanés. Claude
Gay dit que l'espèce est cultivée au Chili depuis un temps immé-
morial ^. Cependant Molina, qui mentionne plusieurs arbres
fruitiers des anciennes cultures du pays, n'en parle pas ^.
En résumé je regarde comme très probable que l'espèce est
indigène dans l'Equateur et peut-être, dans lé voisinage, au
Pérou.
Orangers et citronniers. — Citrus, Linné.
Les différentes formes de citrons, limons, oranges, pample-
mousses, etc., cultivés dans les jardins ont été l'objet de travaux
remarquables de quelques horticulteurs, parmi lesquels il faut
citer en première ligne Gallesio et Risso ^ Les difficultés étaient
très grandes pour observer et classer tant de formes. On avait
obtenu d'assez bons résultats, mais il faut convenir que la mé-
thode péchait par la base, puisque les végétaux observés étaient
1. De Martius, FL brasil., fasc. IL p. 15.
2. Hooker, FI. Nigr., p. 205.
3. Nov. act. nat. cu7\, XIX, suppl. 1.
4. Richard, Plant, vase, de Cula ; Grisebach. FL hrlL W, Ind. islands;
Hemsley, Biologia centrali-ampr., p. 118; Kunth, in Humb. et Bonpland.
Nova Gen., 5, p. 57 ; Triana et Planchon., Ptodr. /?. Novo-Granat.. p. 28.
•5. Gay, Floi^a chil.j 1, p. 66.
6. Molina, traduction française.
7. Gallesio, Traité du Citrus, in-8, Paris, 1811 ; Risso et Poiteau, Histoire
naturelle des Orangers. 1818, in-folio, 109 planches.
140 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
uniquement cultivés, c'est-à-dire plus ou moins factices et
peut-être, dans certains cas, hybrides. Les botanistes sont plus
heureux maintenant. Grâce aux découvertes des voyageurs aans
rinde anglaise, ils peuvent distinguer des espèces spontanées,
par conséquent réelles et naturelles. D'après sir Joseph Hooker *,
qui a lui-même herborisé dans llnde, c'est à Brandis * qu'on
doit le meilleur travail sur les Gitrus de cette région. Il le suit
dans sa flore. Je ferai de même, à défaut d'une monographie
du genre, et en remarquant aussi qu'il reste à rapporter le
mieux possible aux espèces spontanées la multitude des formes
qui ont été décrites dans les jardins et figurées depuis deux
siècles ^.
Les mêmes espèces, et d'autres peut-être, existent probable-
ment à l'état sauvage en Gochinchine et en Ghine ; mais" on ne
l'a pas encore constaté sur place ni au moyen d'échantillons
examinés par des botanistes. Peut-être les ouvrages importants
de M. Pierre, qui commencent à paraître, nous feront-ils savoir
ce qu'il en est pour la Gochinchine. Quant à la Ghine, je citerai
le passage suivant du D"* Bretschneider ^, qui a de l'intérêt, vu
les connaissances spéciales de l'auteur : « Les oranges, dont il y
a une grande variété en Ghine, sont comptées par les Chinois
dans le nombre des fruits sauvages. On ne peut pas douter que
la plupart ne soient indigènes et cultivées depuis des temps an-
ciens. La preuve en est que chaque espèce ou variété porte un
nom distinct, est en outre représentée le plus souvent par un
caractère particulier, et se trouve mentionnée dans les Shu-king,
Rh-ya et autres anciens ouvrages. »
Les hommes et les oiseaux dispersent les graines d'Aurantia-
cées, d'où résultent des extensions d'habitation et des naturali-
sations dans les régions chaudes des deux mondes. On a pu le
remarquer en Amérique dès le premier siècle après la con-
quête ^, et maintenant il s'est formé des bois d'orangers même
dans le midi des Etats-Unis.
Pompelmouse. — C'Urus decumana, Willdenow. — Skad-
dock^ des Anglais.
Je parlerai d'abord de cette espèce, parce qu'elle a- un carac-
tère botanique plus distinct que les autres. Elle devient un
1. Hooker, Flora ofhritish India^ 1, p. 515.
2. Stewart et Brandis, The forest of north-ivest and central India, 1 vol.
in-8, p. 50.
3. Pour arriver à uu travail de ce genre, le premier pas serait de publier
de bonnes figures des espèces spontanées, montrant en particulier leurs
fruits, qu'on ne voit pas dans les herbiers. On pourrait alors dire quelles
sont, dans les planches de Risso, de Duhamel et autres, celles qui s'appro-
chent le plus des types sauvages.
4. Bretschneider, On tke stuay and value of chinese hotanical works^ p. 55.
5. Acosta, Hist. nat. des Indes, traduction française, 1598, p. 187.
CÉDRATIER, CITRONNIER, LIMONIER 441
J)lus grand arbre, et elle est seule à avoir les jeunes pousses et
e dessous des feuilles pubescents. Le fruit est sphérique ou à
peu près, plus gros qu'une orange, quelquefois même aussi gros
qu'une tête d'homme. Le jus est d'une acidité modérée, la peau
remarquablement épaisse. On peut voir de bonnes figures du
fruit dans le nouveau Duhamel, 7, pi. 42, et dans Tussac, flore
des Antilles, 3, pi. 17, 18.
Le nombre des variétés dans l'archipel du midi de l'Asie in-
dique une ancienne culture. On ne connaît pas encore d'une
manière bien précise le pays d'origine, parce que des pieds qiii
paraissent indigènes peuvent venir de naturalisations, suites
d'une culture fréquente. Roxburgh dit qu'à Calcutta on avait
reçu l'espèce de Java *, et Rumphius * la croyait originaire du
midi de la Chine. Ni lui ni les botanistes modernes ne l'ont vue
à l'état sauvage dans l'archipellndien '. En Chine, l'espèce a un
nom simple, Yu ; mais le signe caractéristique * parait trop com-
pliqué pour une plante véritablement indigène. Selon Loureiro,
cet arbre est commun en Chine et en Cochincliine, ce qui ne
veut pas dire qu'il y soit spontané ^. C'est dans les îles à 1 est de
l'archipel Indien qu'on trouve le plus d'indices d'une exis-
tence sauvage. Forster ^ disait déjà autrefois de cette espèce :
« très commune dans les îles des Amis. » Seemann ^ est plus
affirmatif pour les îles Fidji : « Extrêmement commune, dit-il,
et couvrant le bord des rivières. »
11 serait singulier qu'un arbre aussi cultivé dans toute l'Asie
méridionale se fût naturalisé à ce point dans certaines îles de là
mer Pacifique, tandis que cela n'a guère été vu ailleurs. Il en
est probablement originaire, ce qui n'empêche pas qu'on le
trouvera peut-être sauvage dans d'autres îles plus rapprochées
de Java.
Le nom de Pompelmouse est hollandais {Pompelmoes), Celui
de Shaddock vient de ce qu'un capitaine de ce nom avait ap-
porté le premier l'espèce aux Antilles ^.
Cédratier, Citronnier^ Limonier. — Citrus medica, Linné.
Cet arbre, de même que l'Oranger ordinaire, est glabre dans
toutes ses parties. Son fruit, plus long que large, est surmonté,
dans la plupart des variétés, par une sorte de mamelon. Le suc
est plus ou moins acide. Les jeunes pousses et les pétales sont
<^
1. Roxburgh, Flora indica, éd. 1832, 3, p. 393.
2. Rumphius, Ilortus amboinensis, 2, p. 98.
3. Miquel, Flora indo-hatava, 1, part. 2, p. 526.
4. Bretschneider, /. c.
5. Loureiro, FL Cochinch., 2, p. 572. Pour une autre espèce du genre il
sait bien dire qu'elle est cultivée et non cultivée, p. 569.
6. Forster, De plantis esculentis ocoani australis, p. 35.
7. Seemann, Flora Vitiensis, p. 33.
8. Plukenet, Almagestes^ p. 239; Sloane, Jamaïque, 1, p. 41.
142 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRiJITS
fréquemment teintés de rouge. La peau du fruit est souvent bos-
selée, très épaisse dans certaines sous-variétés *.
Brandis et sir Joseph Hooker distinguent quatre variétés cul-
tivées ;
1» Citrus medica proprement dit (Cédratier des Français ; Citron des
Anglais; Cedro des Italiens); à gros fruit non sphérique, dont la peau, très
îiromatique, est couverte de bosselures, et dont le suc, peu abondant,
n'est pas très acide. D'après Brandis, il se nommait Vijapûra en sanscrit
• 2* Citrus medica Limonum (Citronnier des Français ; Lemon des Anglais] ;
h fruit moyen, non sphérique, et suc abondant, acide.
30 C. medica acida \C. acida Roxburgh) ; à petites fleurs, fruit ordinaire-
ment petit, de forme variable, et suc très acide. D'après Brandis, il se
nommait Jamhira en sanscrit.
4» Citrus medica Limetta (C. Limetta et C, Lumia de Risso); à fleurs
semblables à celles de la variété précédente, mais à fruit sphérique et suc
doux, pas aromatique. Dans l'Inde, on le nomme Svoeet Lime, crest-à-dire
Limon doux.
Le botaniste Wight affirme que cette dernière variété est
sauvage dans les monts Nilghiris, de la péninsule indienne.
D'autres formes, qui se rapportent plus ou moins exactement
aux trois autres variétés, ont été trouvées par plusieurs bota-
nistes anglo-indiens ^, à l'état sauvage, dans les régions chaudes
au pied de l'Himalaya, du Garwal au Sikkim, dans le sud-est à
Chittagong et Burma, enfin au sud-ouest dans les Ghats occiden-
taux et les monts Satpura. Il n'est pas douteux, d'après cela,
que l'espèce ne soit originaire de l'Inde, et même sous diffé-
rentes formes, dont l'ancienneté se perd dans la nuit des temps
préhistoriques.
Je doute que sa patrie s'étende vers la Chine ou les îles de
l'archipel asiatique. Loureiro mentionne le Cltriis medica^ en
Cochinchine, seulement comme cultivé, et Bretschneider nous
apprend que le Lemon a des noms chinois qui n'existent pas
dans les anciens ouvrages et qui ont des signes compliqués
dans l'écriture, ce qui indique une espèce plutôt étrangère. Il
peut, dit-il, avoir été introduit. Au Japon, l'espèce est seulement
cultivée '. Enfin plusieurs des figures de Rumphius montrent
des variétés cultivées dans les îles de la Sonde, mais dont aucune
n'est considérée par l'auteur comme vraiment sauvage et origi-
naire du pays. Pour indiquer la localité, il se sert quelquefois
de l'expression in hortis sylvestribus^ qu'on peut traduire par
« les bosquets ». En parlant de Sbn Lemon Sussu (vol. 2, pi. 25],
qui est un Citrus medica à fruit ellipsoïde acide, il dit qu'on 1 a
introduit à Amboine, mais qu'il est plus commun à Java : « le
1. Cédrat à gros fruit du nouveau Duhamel, 7, p. 68, pi. 22.
2. Royle, III. Hitnalaya, p. 129 ; Brandis, Forest ftora, p. 52 ; Hooker»
Flora offrit, India, i, p. 514.
3. Franchet et Savatier, Enum. plant. Japonise, p. 129.
CÉDRATIER, CITRONNIER, LIMONIER 143
plus souvent dans les forêts. » Ce peut être Teflet d'une natura-
lisation accidentelle, par suite des cultures. Miquel, dans sa
flore moderne des Indes hollandaises \ n'hésite pas à dire que
les C. medica et Limonum sont seulement cultivés dans TArchipel.
La culture des variétés plus ou moins acides s'est répandue
de bonne heure dans TAsie occidentale, du moins dans la Méso-
Dotamie et la Médie. On rie peut guère en douter, puisque deux
formes avaient des noms sanscrits, et que d'ailleurs les Grecs
ont eu connaissance du fruit par les Mèdes, d'où est venu le
nom de Citrus medica, Théophraste * en a parlé le premier,
sous le nom de Pomme de Médie et de Perse, dans une phrase
souvent répétée et commentée depuis deux siècles '. Elle s'ap-
plique évidemment au Citrus medica; mais, tout en expliquant
de quelle manière on sème la graine dans <Ies vases, pour les
transplanter ensuite, l'auteur ne dit pas si cela se prati({uait en
Grèce ou s'il décrivait un usage des Mèdes. Probablement, les
Grecs ne cultivaient pas encore le Cédratier, car les Romains ne
l'avaient pas dans leurs jardins au commencement de r<*Te
chrétienne. Dioscoride , né en Cilicie et qui écrivait dans
le i^*" siècle, en parle * à peu près dans les mômes termes que
Théophraste. On estime que l'espèce a été cultivée en Italie
dans le m® ou le iv® siècle, après des tentatives multipliées ^*.
Palladius, dans le v« siècle, en parle comme d'une culture bien
établie.
L'ignorance des Romains de l'époque classique au sujet des
plantes étrangères à leur pays les a fait confondre, sous le nom
de iignum citreum, le bois du Citrus, avec celui du Cedrus, dont
on faisait de fort belles tables, et qui était un Cèdre ou un
Thuya, de la famille toute différente des Conifères.
Les Hébreux ont dû avoir connaissance du Cédratier avant
les Romains, à cause de leurs rapports fréquents avec la Perse,
la Médie et les contrées voisines. L'usage des Juifs modernes de
se présenter à la synagogue, le jour des Tabernacles, un cé-
drat à la main, avait fait croire que le mot IJadar du Lévitique
signifiait citron ou cédrat ; mais Risso a montré, par la compa-
raison des anciens textes, que ce mot signifie un beau fruit ou le
fruit d'un bel arbre. Il croit même que les Hébreux ne connais-
saient pas le Citronnier ou Cédratier au commencement de notre
ère, parce que la version de Septante traduit Hadar par fruit d'un
très Del arbre. Toutefois les Grecs ayant vu le Cédratier en Médie
et en Perse du temps de Théophraste, trois siècles avant Jésus-
Ghrist, il serait singulier que les Hébreux n'en aient pas eu
1. Miquel, Flora indo-hat., 1, part. 2, p. 528.
2. Theophrastes, 1. 4, c. 4.
3. Bodœus dans Tlieoplirastes, éd. 1644, p. 322, 343; llisso, Traité du
Citruxj p. 198 ; Targioni, Cenni sto?nci, p. 196.
4. Dio^corides, 1, p. 166.
"). Targioni, /. c.
144 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
connaissance lors de leur captivité à Babylone. D'ailleurs l'his-
torien Josèphe (lit que, de son temps, les Juifs portaient à leur
fête des pommes de Perse, malum persicum, et c'est un des
noms du cédrat chez les Grecs.
Les variétés à fruit très acide, comme le Limonum et Vacida^
n'ont peut-être pas attiré l'attention aussi promptement que le
Cédratier, cependant l'odeur aromatique intense, dont parlent
ThéophrasteetDioscoride, parait les indiquer. Ce sont les Arabes
qui ont étendu beaucoup la culture du Limonier (Citronnier
des Français) en Afrique et en Europe. D'après Gallesio, ils l'ont
portée, dans le x^ siècle de notre ère, des jardins de l'Oman en
Palestine et en Egypte. Jacques de Vitry, dans le xiii® siècle,
décrit très bien le limon, qu'il avait vu en Palestine. Un auteur,
appelé Falcando, mentionne, en 1260, des « Lumias » très aci-
des, qu'on cultivait autour de Palerme, et la Toscane les avait
aussi à la même époque *. .
Oranger. — Citrus Aurantium^ Linné (excl. var. y). Citms
Aurantium Ilisso.
Les Orangers se distinguent des Pompelmouses (C. decumana)
par l'absence complète de poils sur les jeunes pousses et sur les
feuilles, par un fruit moins gros, toujours de forme sphérique,
par la peau de ce fruit moins épaisse ; et des Cédratiers (C. me-
aica] par les fleurs entièrement blanches, le fruit jamais allongé,
sans mamelon au sommet, à peau peu ou point bosselée, mé-
diocrement adhérente avec la partie juteuse.
Ni Risso dans son excellent traité du Citrus, ni les auteurs mo-
ranger pr
prement dit, à fruit doux. Cette difl'érence me paraissait si peu
de chose, au point de vue botanique, lorsque j'ai étudié la ques-
tion d'origine en 1855, que j'inclinais à considérer, avec Risso,
les deux sortes d'Orangers comme de simples variétés. Les au-
teurs actuels anglo-indiens font de même. Ils ajoutent une
troisième variété, qu'ils nomment Bergamia^ pour la. Bergamote^
dont la fleur est plus petite et le fruit sphérique ou pyriforme,
plus petit que l'orange commune , aromatique et légèrement
acide.
Cette dernière forme n'a pas été trouvée sauvage et me parait
plutôt un produit de la culture.
On demande souvent si les oranges douces donnent quand on
les sème des oranges douces, et les bigarades des oranges amè-
res. C'est assez indifl*érent au point de vue de la distinction en
espèces ou variétés, car nous savons que, dans les deux règnes,
tous les caractères sont plus ou moins héréditaires, que certaines
1. Targioni, /. /•., p. 217.
ORANGER 145
variétés le sont si habituellement qu'il faut les nommer des
races et que la distinction en espèces doit, par conséquent, se
baser sur d'autres considérations, comme l'absence de formes
intermédiaires ou le défaut de fécondation croisée donnant des
produits eux-mêmes féconds. La question ne manque cependant
pas d'intérêt dans le cas actuel, et je répondrai que les expé-
riences ont donné des résultats parfois contradictoires.
Gallesio, excellent observateur, s'exprime de la manière sui-
vante : « J'ai semé pendant une longue suite d'années des pépins
<i'orange douce, tantôt pris sur des arbres francs, tantôt sur
des orangers greffés sur bigaradier ou sur limonier. J'ai tou-
jours eu des arbres à fruits doux. Ce résultat est constaté depuis
plus de soixante ans par tous les jardiniers du Finalais. Il n'y a
pas un exemple d'un bigaradier sorti de semis d'orange douce,
ni d'un oranger à fruits doux sorti de la semence de bigara-
dier En 1709, la gelée ayant fait périr les orangers de Finale,
on avait pris l'habitude d'élever des orangers à fruits doux de
semences; il n'y eut pas une seule de ces plantes qui ne portât
des fruits à jus doux ^ »
Mac-Fadyen dit, au contraire, dans sa flore de la Jamaïq-ue :
« C'est un fait établi, familier à tous ceux qui ont vécu quelque
temps dans cette île, que la graine des oranges douces donne
très souvent des arbres à fruits amers (bitter), ce dont des exem-
ples bien prouvés sont arrivés à ma connaissance personnelle.
Je n'ai pas ouï dire cependant que des graines d'orange amère
aient jamais donné des fruits doux Ainsi, continue judi-
cieusement l'auteur, l'oranger amer était le type primitif*. » Il
prétend que dans les sols calcaires l'oranger doux se conserve de
graines, tandis que dans les autres sols, à la Jamaïque, il donne
des fruits plus ou moins acides (sour) ou amers (bitter). Duchas-
saing dit qu'à la Guadeloupe les graines d'oranges douces donnent
souvent des fruits amers ', tandis que, d'après le D** Ernst, à
Caracas, elles donnent quelquefois des fruits acides, mais non
amers *. Brandis raconte qu à Khasia, dans Tlnde, autant qu'il
a pu le vérifier, les vergers très étendus d'orangers doux vien-
nent de graines. Ces diversités montrent le degré variable de
rhérédité et confirment l'opinion qu'il faut voir dans les deux
«ortes d'orangers deux variétés, non deux espèces.
Je suis obligé cependant de les énumérer l'une après l'autre,
pour expliquer leur origine et l'extension de leur culture à di-
verses époques.
1® Bigaradier , Arancio forte des Italiens , Pomeranze des
Allemands. — Cltrus vulgarlsy Risso — C. Au?'antium vâr. Biga-
radia^ Brandis et Hooker.
1. Gallesio, Traité du Ciirus, p. 32, 67, 355, 357.
2. Mac-Fadyen, Flora of Jamaica^ p. 129 et 130.
3. Cité dans Grisebach, Veget, Karaiben, p. 34.
4. Emst, dans Seeman, Joum. of bot.f 1867, p. 272.
De Candolle. 10
146 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
Il était inconnu aux Grecs et aux Romains, de même que
Toranger doux. Comme ils avaient eu des relations avec l'Inde
et Geylan, Gallesio présume que ces arbres n'étaient pas culti-
vés de leur temps dans la partie occidentale de l'Inde. Il a
étudié, sous ce point de vue, les anciens voyageurs et géogra-
phes, tels que Diodore de Sicile, Néarque, Arianus, et n'a
trouvé chez eux aucune mention des orangers. Cependant le
sanscrit avait un nom pour l'orange, Nagarunga^ Nagrunga '.
C'est même de là qu'est venu le mot Orange, car les Hindous en
ont fait Narungee (prononcez Naroudji) d'après Royle, Nerunga
d'après Piddington, les Arabes Narunj, diaprés Gallesio^ les Ita-
liens ISaranzi^ Arangi, et dans le moyen âge on a dit en latin
Arancium^ Arangiu7n, puis Aurantium ^. Mais le nom sanscrit
s'appliquait-il à l'orange amère ou à l'orange douce? Le philo-
logue Adolphe Pictet m'a donné jadis un renseignement curieux
sur ce point. Il avait cherché dans les ouvrages sanscrits les noms
significatifs donnés à l'orange ou à l'oranger et en avait trouvé
17, qui tous font allusion à la couleur, l'odeur, la qualité acide
(dantacatha, nuisible aux dents), le lieu de croissance, etc., jamais-
à une saveur douce ou agréable. Cette multitude de noms ana-
logues à des épithètes montre un fruit anciennement connu,,
mais d'une saveur bien différente de l'orange douce. D'ailleurs
les Arabes, qui ont transporté les orangers vers l'Occident, ont
connu d'abord l'orange amère, lui ont appliqué le nom Narunj ^^
et leurs médecins, dès le x^ siècle, ont prescrit le suc amer du
Bigaradier \ Les recherches approfondies de Gallesio montrent
que l'espèce s'était répandue depuis les Romains du côté du golfe
Persique, et à la fin du ix« siècle en Arabie, par l'Oman, Bas-
sora, Irak et la Syrie, selon le témoignage de l'auteur arabe
Massoudi. Les croisés virent le Bigaradier en Palestine. On le
cultivait en Sicile dès l'année 1002, probablement à la suite
des incursions des Arabes. Ce sont eux qui l'ont introduit en
Espagne, et vraisemblablement aussi dans l'Afrique orientale.
Les Portugais le trouvèrent établi sur cette côte lorsqu'ils dou-
blèrent le Cap, en 1498 ^
Rien ne peut faire présumer que l'orange amère ou douce
existât en Afrique avant le moyen âge, car la fable du jardin
des Hespérides peut concerner une Aurantiacée quelconque, et
chacun peut la placer où il veut, l'imagination des anciens étant
d'une fertilité singulière.
1. Roxburgh, FI. ind., éd. 1832, v. 2, p. 392 ; Piddington, Index,
2. Gallesio, p. 122.
3. Dans les langues modernes de l'Inde, le nom sanscrit a été appliqué à
Torange douce, selon le témoignage (Je Brandis,, par une de ces transpo-
sitions qui sont fréquentes dans le langage populaire.
4. Gallesio, p. 122, 247, 248.
0. Gallesio, p. 240. M. Goeze, Beittag zur Kenntniss der Orangengewachse^
80, 1874, p. 13, cite d'anciens voyageurs portugais pour le même fait»
ORANGER 147
Les premiers botanistes anglo-indiens tels que Roxburgh,
Royie, Griffîth, Wight, n'avaient pas rencontré le Bigaradier
sauvage ; mais toutes les probabilités indiquaient la région orien-
tale de rinde comme sa patrie primitive. Le D"^ Wallich a men-
tionné la localité de Sillet *, sans affirmer la spontanéité. Après
lui, sir Joseph Hooker * a vu l'oranger amer bien certainement
spontané dans plusieurs districts au midi de THimalaya , de
Garwal et Sikkim à Khasia. Son fruit était sphérique ou un
peu déprimé, de deux pouces de diamètre, très coloré, non
mangeable", d'une saveur (si je me souviens bien, dit l'auteur)
dégoûtante (mawkish) et amère. Le Citrus fiisca, de Loureiro ^,
semblable, d'après lui, à la planche 23 de Rumphius, et spontané
en Gochinchine et en Chine, pourrait bien être le Bigaradier,
dont l'habitation s'étendrait vers l'est.
2" Oranger à fruit doux, Aranclo dolce des Itahens, Apfekine
des Allemands — Citrus Aurantium sinense, Gallesio,
Selon Royle *, il existe des oranges douces, sauvages, à Sillet
et dans les Nilghiries, mais l'assertion n'est pas accompagnée
de détails qui permettent de lui donner de l'importance. D'après
le même auteur, l'expédition de Turner avait cueilli des oranges
sauvages < délicieuses » à Buxedwar, localité au nord-est de
Rungpoor, dans le Bengale. D'un autre côté, les botanistes
Brandis et sir Joseph Hooker ne mentionnent pas l'oranger
doux comme spontané dans l'Inde anglaise. Ils le disent seule-
ment cultivé. Kurz n'en parle pas du tout dans sa flore fores-
tière du pays Burman anglais. Plus à l'est, en Gochinchine,
Loureiro ^ a décrit un C. Aurantium à pulpe moitié acide
moitié douce (acido-dulcis), qui parait être l'oranger à fruits
doux et qui « habite à l'état cultivé et non cultivé en Gochin-
chine et en Ghine ». Je rappelle que les auteurs chinois consi-
dèrent les orangers, en général, comme des arbres de leur pays;
mais on manque d'informations précises sur chaque espèce ou
variété, au point de vue de Tindigénat.
D'après l'ensemble de ces documents, l'oranger à fruit doux
paraît originaire de la Ghine méridionale et de la Gochinchine,
avec une extension douteuse et accidentelle, par un efl'et des
semis, dans la région de l'Inde.
Gherchons dans quels pays sa culture a commencé et com-
ment elle s'est propagée. Il en résultera peut-être plus de lu-
mière sur l'origine et sur la distinction des Orangers propre-
ment dits d'avec les Bigaradiers.
Un fruit aussi gros et aussi agréable au goût que l'orange
1. Wallich, List, n- 6384.
2. Hooker, FI. of brit. India, 1, p. 515.
3. Loureiro, FI. cochinch., p. 571.
4. Royle, Illustr. of Himalaya, p. 160. Il cite Turner, Voyage au Thihel,
p. 20 et 387.
o. Loureiro, FI. cochinch, p. 569. ^ J
148 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
douce n'a guère pu exister dans une région sans que Thomine
ait essayé de le cultiver. Les semis en sont faciles et donnent
presque toujours la même qualité recherchée. Les anciens voya-
' geurs ou historiens ne peuvent pas non plus avoir négligé l'impor-
tation d'un arbre fruitier aussi remarquable. Sur ce point histo-
rique, les études faites par Gallesio, dans les anciens ouvrages, ont
donné des j*ésultats extrêmement intéressants.
Il prouve d'abord que les orangers apportés de l'Inde, par les
Arabes, en Palestine, en Egypte, dans le midi de l'Europe et sur
la côte orientale de l'Afrique, n'étaient pas l'oranger à fruit doux.
Jusqu'au xv® siècle, les ouvrages arabes et les chroniques ne
parlent que d'oranges amères ou aigres. Cependant, lorsque les
Portugais arrivèrent dans les îles de l'Asie méridionale, ils trou-
vèrent des orangers à fruits doux, et ce ne fut pas pour eux, à
ce qu'il semble, une nouveauté. Le Florentin qui accompagnait
Vasco de Gama et qui a publié la relation du voyage dit : < Sorivi
melarancie assai^ ma tut te dolci » (Il y a beaucoup d'oranges,
mais toutes douces). Ni ce voyageur ni ceux qui suivirent ne
témoignèrent de la surprise en goûtant un fruit aussi agréable.
Gallesio en infère que les Portugais n'ont pas été les premiers
à rapporter les oranges douces de l'Inde, où ils arrivèrent en 1498,
ni de Chine, où ils parvinrent en 1518. D'ailleurs une foule
d'écrivains du commencement du xvi® siècle parlent de l'orange
douce comme d'un fruit déjà cultivé en Italie et en Espagne. Il
y a plusieurs témoignages pour les années 1523 et 1525. Gallesio
s'arrête à l'idée que l'orange douce a été introduite en Europe
vers le commencement du xv® siècle * ; mais Targioni cite, d'après
Valeriani, un statut de Fermo, du xiv« siècle, dans lequel il est
question de cédrats, oranges douces^ etc. ^, et les renseignements
recueillis récemment sur l'introduction en Espagne et dans le
Portugal par M. Goeze ', d*après d'anciens auteurs, concordent
avec cette même date. Il me parait donc probable que les oran-
ges reçues plus tard, de Chine, par les Portugais, étaient seule-
ment meilleures que celles connues auparavant en Europe, et
que les noms vulgaires d'oranges de Portugal et de Lisbonne
sont dus à cette circonstance.
Si l'orange douce avait été cultivée très anciennement dans
rinde, elle aurait eu un nom spécial en sanscrit, les Grecs en au-
raient eu connaissance dès l'expédition d'Alexandre, et les Hé-
breux l'auraient reçue de bonne heure par la Mésopotamie. On
aurait certainement recherché, cultivé et propagé ce fruit dans
l'empire romain, de préférence au Limonier, au Cédratier et au
1. Gallesio, p. 321.
2. La date de ce Statuto est donnée par Targioni à la page 205 des Cenni
storici comme étant Tannée 1379, et à la page 213 comme 1309. L*errata
ne dit rien sur cette différence.
3. Goeze, Ein Beitrag zur Kenntniss der Oranqenqewàchset Uambourff.
1874, p. 26.
MANGOSTAN 149
Bigaradier. Son existence dans Tlnde doit donc être moins an-
cienne.
Dans l'archipel Indien, l'oranger doux était considéré comme
venant de Chine *. Il se trouvait peu répandu dans les îles de la
mer Pacifique à l'éçoc^ue du voyage de Gook *.
Nous revenons ainsi, par toutes les voies, à l'idée que la va-
riété douce de l'oranger est sortie de Chine et de Cochinchine,
et qu'elle s'est répandue dans l'Inde peut-être vers le commen-
cement de l'ère chrétienne. A la suite des cultures, elle a pu
se naturaliser dans beaucoup de localités de l'Inde et dans tous
les pays tropicaux, mais nous avons vu que les semis ne don-
nent pas toujours l'oranger à fruit doux. Ce défaut d'hérédité,
dans certains cas, est à l'appui d'une dérivation du Bigaradier
en Oranger doux, qui serait survenue, à une époque lointaine,
en Chine ou en Cochinchine , et aurait été propagée soigneuse-
ment à cause de sa valeur horticole.
• Mandarines. — Citrus nobilis, Loureiro.
Cette espèce, caractérisée par son fruit plus petit que l'orange
ordinaire, bosselé à la surface, sphérique, mais déprimé en
dessus, et d'une saveur particulière, est maintenant recherchée
en Europe, comme elle l'a été dès les temps les plus anciens en
Chine et en Cochinchine. Les Chinois la nomment Kan ^. Rum-
phius l'avait vue cultivée dans toutes les îles de la Sonde *
et dit qu'elle venait de Chine, mais elle ne s'était pas répandue
dans l'Inde. Roxburgh et sir Joseph Hooker ne la mentionnent
pas, mais M. Clarke m'apprend que sa culture a pris une grande
extension dans le district de Khasia. Elle était nouvelle dans les
jardins d'Europe, au commencement du xix® siècle, lorsque
Andrews en puJblia une bonne figure dans le Botanist y^epository
(pi. 608).
D'après Loureiro ^, cet arbre, d'une taille moyenne, habite en
Cochinchine, et aussi, ajoute-t-il, en Chine, bien qu'il ne l'ait
pas vu à Canton. Ce n'est pas une information précise sous le
rapport de la qualité spontanée, mais on ne peut pas supposer
une autre origine. Selon Kurz *, l'espèce est seulement cultivée
dans la Birmanie anglaise. Si cela se confirme, la patrie serait
bornée à la Cochinchine et à quelques provinces de la Chine.
Mangostan. — Garcinia Man^ostana, Linné.
Le Botanical magazine a publié une bonne figure (pi. 4847)
1. Rumphius, Amboin,, 2, c. 42.
2. Forster, Plantée esculentse, p. 35.
3. Bretschueider, On the value of chinese bot, works, P. 11«
4. Rumphius, Amboin., 2, pi. 34, 35, où cependant la forme du fruit u'est
pas celle de notre Mandarine.
5. Loureiro, FI. cochinch,, p. 570.
6. Kurz, Foj^est flotta of british Burma.
180 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
de cet arbre, de la famille des Guttifères, dont le fruit est consi-
déré comme un des meilleurs qui existent. Il exige un climat
très chand, car Roxburgh n'a pas pu l'obtenir au delà du 23^ 1/2
degré de latitude dans l'Inde *, et transporté à la Jamaïque, il n'a
donné que des fruits médiocres *. On le cultive dans les îles de
la Sonde, la péninsule malaise et à Geylan.
L'espèce est certainement spontanée dans les forêts des îles
de la Sonde ^ et de la péninsule malaise *. Parmi les plantes cul-
tivées, c'est une des plus locales, soit pour l'habitation originelle,
soit dans la culture. Il est vrai qu'elle appartient à l'une de ces
familles où l'aire moyenne des espèces est le plus restreinte.
Abricotier d'Amérique. — Mammea americana, Jacquin.
De la famille des Guttifères, comme le Mangostan, cet arbre
exige aussi beaucoup de chaleur. Les Anglais l'appellent Mamey
ou Mammee, Quoique fort cultivé dans les Antilles et dans les
parties les plus chaudes du Venezuela ^, on ne l'a guère trans-
porté ou il n'a pas réussi en Asie et en Afrique, si l'on en juge
par le silence de la plupart des auteurs.
Il est certainement indigène dans les forêts de la plupart des
Antilles^. Jacquin l'indique aussi sur le continent voisin, mais je
n'en vois pas de confirmation chez les auteurs modernes.
La meilleure figure publiée est celle de la Flaire des Antilles de
Tussac, 3, pi. 7, à l'occasion de laquelle l'auteur donne beau-
coup de détails sur l'emploi du fruit.
Gombo. — Hibiscus esculenius, Linné.
Les fruits, encore jeunes, de cette Malvacée annuelle sont ua
<les légumes les plus délicats des pays tropicaux. La Flore des
Antilles de Tussac contient une belle planche de l'espèce et
donne tous les détails qu'un gourmet peut désirer sur la ma-
nière de préparer le caloulou^ si cher aux créoles des îles fran-
çaises.
Lorsque j'ai essayé autrefois ^ de comprendre d'où vient cette
plante, cultivée dans l'ancien et le nouveau monde, l'absence de
tout nom sanscrit et le fait que les premiers auteurs sur la flore
indienne ne l'avaient pas vue spontanée m'avaient fait écarter
rhypothèse d'une origine asiatique. Cependant la flore moderne
1. Royle, ///. Himalaya, p. 133, et Roxburgh, Flora indica, 2, p. 618.
2. Mac-Fadyen, Floi'a ofJamaïca, p. 134.
3. Rumphius, Amboin,, 1, p. 133; Miquel, Plantx Junghun,, 1, p. 290;
Flora indo-batava, 1, part. 2, p. 506.
i. Hooker, FL ofbritish India, 1 p. 260.
5. Ernst, dans Seemann, Journal of botany, 1867, p. 273; Triana et Plan-
chon, Prodr. fl, Novo-Granat,, p. 285.
6. Sloane, /amafca, 1. p. 123; Jacquin, Amer., p. 268; Grisebach, FL of
hrit, W, India, p. 118.
7. A. de CandoUe, Géogr. bot. ravtonnép, p. 768.
VIGNE 161
<ie l'Inde anglaise * l'ayant indiquée comme « probablement
native d'origine », j'ai dû faire de nouvelles recherches.
Quoique l'Asie méridionale ait été bien explorée depuis trente
^ns, on ne cite aucune localité dans laquelle le Gombo serait
■spontané ou quasi spontané. Il n'y a même pas d'indice d'une
•culture ancienne en Asie. C'est donc entre l'Afrique et l'Ame-,
jrique qu'il faut hésiter.
La plante a été vue spontanée aux Antilles par un bon obser-
■vateur *, mais je ne découvre aucune assertion semblable venant
cl'un autre botaniste, soit pour les îles, soit pour le continent
américain. Le plus ancien auteur sur la Jamaïque, Sloane ',
n'avait vu l'espèce qu'à l'état de culture. Marcgraf * l'avait
observée dans les plantations du Brésil, et comme il mentionne
lin nom du Congo et d'Angola, Quillobo^ dont les Portugais
avaient fait Quingombo, l'origine africaine se trouve par cela
même indiquée.
MM. Schweinfurth et Ascherson ^ ont vu la plante spontanée
<ians la région du Nil, en Nubie, Kordofan, Sennaar, Abyssinie
«t dans le Bahr-el-Abiad, où on la cultive, il est vrai. D'autres
voyageurs sont mentionnés pour des échantillons recueillis en
Afrique ®, mais on ne dit pas si les plantes étaient cultivées ou
spontanées et loin des habitations. Nous serions toujours dans
ie cioute si MM. Fliickiger et Hanbury ^ n'avaient fait une décou-
ve r-te bibiïographique qui tranche la question. Les Arabes appel-
le rxt le Gombo Baynyah ou Bâmiat, et Abul-Abbas-Elnabati, qui
^vaiit visité l'Egypte bien avant la découverte de l'Amérique, en-
1^*6, a décrit très clairement le Gombo, cultivé alors par les
^Syp tiens.
Alalgré Torigine, certainement africaine, il ne semble pas que
l'espèce ait été cultivée dans la basse Egypte avant l'époque de
^ comination arabe. On n'en a pas trouvé de preuve dans les
«monuments anciens, quoique Rosellini ait cru reconnaître la
plante dans une ligure, qui en est bien différente, selon Unger ^.
L'existence d'un seul nom dans les langues modernes de l'Inde,
d*a.près Piddington , appuie l'idée d'une propagation vers
^'^rient depuis l'ère chrétienne.
Vî§^e. — Vitis vlnifera^ Linné.
La. vigne croit spontanément dans l'Asie occidentale tempérée,
^* ^lora ofbritish Indta, 1, p. 343.
^* 'I requin, Observationes^ 3, p. 11.
y Sloane, Jamaica^ 1, p. 223.
^- ^larcgraf, Hist. plant., p. 32, avec figures.
^' Scihweinfurth et Ascherson, Aufzàhlunq, p. 265, sous le nom d'Abel-
^. Oliver, Flora of tropical Africa, 1, p. 207.
]• B'iùckiger et Hanbury, Drogues., trad. franc., 1, p. 182. La description
.est a^ns Eon Baithar, trad. de Soudtheimer, 1, p. 118.
^' XJnger, Die Pflanz^n ffes alten .lilgyptens, p. 50.
152 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
l'Europe méridionale, l'Algérie et le Maroc *. C'est surtout dans
le Pont, en Arménie^ au midi du Caucase et de la mer Caspienne,
qu'elle présente l'aspect d'une liane sauvage, qui s'élève sur de
grands arbres et donne beaucoup de fruits, sans taille ni cul-
ture. On mentionne sa végétation vigoureuse dans l'ancienne
Bactriane, le Caboul, le Cachemir et même dans le Badak-
chan, situé au no^*d de l'Indou-Kousch *. Naturellement, on
se demande là, comme ailleurs, si les pieds que l'on rencontre
ne viennent pas de graines transportées des plantations par les-
oiseaux. Je remarque cependant que les botanistes les plus-
dignes de confiance, ceux qui ont le plus parcouru les provinces
transcaucasiennes de la Russie, n'hésitent pas sur la spontanéité
et l'indigénat de l'espèce dans cette région. C'est en s' éloignant
vers l'Inde et l'Arabie, l'Europe et l'Afrique septentrionale qu'on
trouve le plus souvent dans les flores l'expression que la vigne
est « subspontanée », peut-être sauvage, ou devenue sauvage
(verwildert, selon le terme expressif des Allemands).
La dissémination par les oiseaux a dû commencer de très
bonne heure, dès que les baies de l'espèce ont existé, avant la
culture, avant la migration des plus anciens peuples asiatiques,
peut-être avant qu'il existât des nommes en Europe et même en
Asie. Toutefois la fréquence des cultures et la multitude des
formes de raisins cultivés ont pu étendre les naturalisations et
introduire dans les vignes sauvages des diversités tirant leur
origine de la culture. A vrai dire, les agents naturels, comme les
oiseaux, le vent, les courants, ont toujours agrandi les habita-
tions des espèces, indépendamment de l'homme, jusqu'aux
limites qui résultent, dans chaque siècle, des conditions géogra-
phiques et physiques et de l'action nuisible d'autres végétaux et
d'animaux. Une habitation absolument primitive est plus oh
moins un mythe ; mais des habitations successivement étendues
ou restreintes sont dans la force des choses. Elles constituent
des patries plus ou moins anciennes et réelles, à condition que
l'espèce s'y soit maintenue sauvage, sans l'apport incessant de
nouvelles graines.
Pour ce qui concerne la vigne, nous avons des preuves d'une
ancienneté très grande en Europe, comme en Asie.
Des graines de vigne ont été trouvées sous les habitations
lacustres de Castione, près de Parme, qui datent de l'âge du
bronze ', dans une station préhistorique du lac de Varèse *, et
1 . Grisebach, La végétation du globe, traduct. française par de Tchihat-
clieft, 1, p. 162, 163, 442; Miinby, Catal, Alger, \ BaU, FI. maroccanm spici'
legium, p. 392.
2. Adolphe Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, voL l,p. 295, cite
plusieurs voyageurs pour ces régions, entre autres Wood, Joumey to the
sources of the uxus,
3. EUes sont figurées dans Heer, Die Pflanzen der Pfahlhauten, p. 24, f. 11.
4. Ragazzoni, dans Rivista arch. délia prov. di Como, 1880, fasc. 17, p. 3<^
et suivantes.
VIGNE 183
ans la station lacustre de Wangen, en Suisse, mais dans ce der-
ier cas à une profondeur incertaine *. Bien plus! Des feuilles
3 vigne ont été trouvées dans les tufs des environs de Mont-
3llier, où elles se sont déposées probablement avant l'époque
istorique ^, et dans ceux de Meyrargue, en Provence, certaine-
lent préhistoriques, quoique postérieurs à l'époque tertiaire des
^ologues *.
Dans le pays qu*on peut appeler le centre et qui est peut-être
plus ancien séjour de l'espèce, le midi du Caucace, un bota-
iste russe, Kolenati *, a fait des observations très intéressantes
ir les différentes formes de vignes, soit spontanées, soit culti-
ves. Je regarde son travail comme d'autant plus significatif
je l'auteur s'est attaché à classer les variétés suivant les carac-
res de la pubescence et de la nervation des feuilles, choses
jsolument indifférentes aux cultivateurs et qui doivent repré-
nter, par conséquent, beaucoup mieux les états naturels de
îspèce. D'après lui, les vignes sauvages, dont il a vu une im-
anse quantité entre la mer Noire et la mer Caspienne, se grou-
înt en deux sous-espèces, qu'il décrit, qu'il assure pouvoir
(connaître à dislance, et qui seraient le point de départ des
gnes cultivées, au moins en Arménie et dans les environs. Il
s a reconnues autour du mont Ararat, dans une zone où l'on
î cultive pas la vigne, où même on ne pourrait pas la cultiver,
'autres caractères, par exemple la forme et la couleur des rai-
as, varient dans chacune des deux sous-espèces. Nous ne pou-
>n8 entrer ici dans les détails purement botaniques du mé-
oire de Kolenati, non plus que dans ceux du travail plus
cent de Regel sur le genre Vitis ^ ; mais il est bon de constater
i*une espèce cultivée depuis un temps très reculé et qui a
aintenant peut-être 2000 formes décrites dans les ouvrages
fre, quand elle est spontanée dans la région où elle est très
icienne, et a probablement offert avant toute culture, au moins
(ux formes principales, avec d'autres d'une importance moin-
e. Si l'on étudiait avec le même soin les vignes spontanées de
Perse et du Gachemir, du Liban et de Grèce, on trouverait
ut-être d'autres sous-espèces d'une ancienneté probablement
éhistorique.
l. Heer, /. c.
î. Planchon, Etude sur les tufs de Montpellier, 1864, p. 63.
\. De Saporta, La flore des tufs quaternaires de Provence, 1867, p. 15 et 27.
L Kolenati, dans Bulletin de la Société impériale des naturalistes de
}SCOU, 1846, p. 279.
5. Regel, dans Acta horti imp. petrop., 1873. Dans cette revue abrégée du
tnre, M. Regel énonce l'opinion que les Vitis vinifera sont le produit
'bride et altéré par la culture de deux espèces sauvages, V. vulpina et
. Labrusca; mais il n'en donne pas de preuves, et ses caractères pour les
snx espèces sauvages sont bien peu satisfaisants. H est fort à désirer
16 les vignes d'Asie et d'Europe, spontanées ou cultivées, soient compa-
tes dans leurs graines, qui fournissent d'excellentes distinctions, d'après
8 travaux d'Engelmann sur les Vignes d'Amérique.
154 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
L*idée de recueillir le jus des raisins et de profiter de sa fer-
mentation a pu naître chez différents peuples, principalement
dans l'Asie occidentale, où la Vigne abondait et prospérait.
Adolphe Pictet \ qui a discuté, après de nombreux auteurs, mais
d'une manière plus scientifique, les questions d'histoire, de lin-
guistique et même de mythologie concernant la Vigne chez les
peuples de l'antiquité, admet que les Sémites et les Aryas ont
également connu l'usage du vin, de sorte qu'ils ont pu l'intro-
duire dans tous les pays où ils ont émigré, jusqu'en Egypte,
dans rinde et en Europe. Ils ont pu le faire d'autant mieux qu'ils
trouvaient la plante sauvage dans plusieurs de ces contrées.
Pour l'Egypte, les documents sur la culture de la Vigne et la
vinification remontent à 5 ou 6000 ans ^. Dans l'ouest, la propa-
gation de la culture par les Phéniciens, les Grecs et les Romains
est assez connue ; mais, du côté oriental de l'Asie, elle s'est faite
tardivement. Les Chinois, qui cultivent à présent la Vigne dans
leurs provinces septentrionales, ne la possédaient pas antérieu-
rement à Tannée 122 avant notre ère ^. On sait qu'il existe plu*
sieurs Vignes spontanées dans le nord de la Chine, mais je ne puis
admettre avec M. Regel que la plus analogue à notre Vigne, le
Vitis Amurensis^ de Ruprecht, appartienne à notre espèce. Les
graines dessinées dans le Gartenflora^ 1861, pi. 33, en sont trop
différentes. Si le fruit de ces vignes de l'Asie orientale avait
quelque valeur, les Chinois auraient bien eu l'idée d'en tirer
parti.
Jujubier commun. — Zizyphusvulgaris^ Lamarck.
D'après Pline "*, le Jujubier aurait été apporté de Syrie à
Rome, par le consul Sextus Papinius, vers la fin du règne d'Au-
guste. Les botanistes remarquent cependant que l'espèce est
commune dans les endroits rocailleux d'Italie -' et que d'ailleurs
— chose singulière — on l'a pas encore trouvée sauvage en
Syrie, bien qu'elle y soit cultivée, de même que dans toute la
région qui s'étend de la mer Méditerranée à la Chine et au
Japon ^.
La recherche de l'origine du Jujubier, comme arbre spon-
tané, vient à l'appui du dire de Pline, malgré les objections que
je viens de mentionner. D'après les collecteurs de plantes et les
1. Ad. Pictet, Les ovUjines indo-européennes^ édition 2, vol. 1, p. 298 à 321.
2. M. Delchevalerie, dans V l llustration horticole, 1881, p. 28. Il men-
tionne surtout le tombeau de Phtah-Hotep, qui vivait à Memphis, quatre
mille ans avant Jésus-Christ.
3. Bretschneider, On the value and stiidtj of chinese botanical works, p. 16.
4. Pline, Hist.^h 15, c. U.
5. Bertoloni, FI. ital., 2, p. 66o ; Gussone, Synopsis FI. siculsp, 2 p. 276.
6. Wiiikomm et Lan^e, Prodr. FI. hispanic/p, 3 p. 480 ; Desfontaines,
FI. Atlajit., l,p. 200; Boissier, FI. orient., 2, p. 12; J. Hooker, FL of brit.
India, 1, p. 633; Bunge, Enum. plant, chin., p. J4; Franchet et Savatier,
Emtm. plant. Japon. , 1, p. Si.
JUJUBIER COMMUN 155
auteurs de flores l'espèce paraît plus spontanée et anciennement
cultivée à Test qu'à Touest de sa grande habitation actuelle.
Ainsi, pour le nord de la Chine, M. de Bunge dit qu'elle est
a très commune et très incommode (à cause de ses épines) dans
les endroits montueux. » Il a vu la variété sans épines dans les
jardins. Le D"" Bretschneider * mentionne les jujubes comme un des
fruits les plus recherchés par les Chinois, qui appellent l'espèce
"du nom simple de Tsao, Il indique aussi les deux formes, épi-
neuse et non épineuse ; la première sauvage ^. L'espèce manque
au midi de la Chine et dans Tlnde proprement dite , à cause
de la chaleur et de l'humidité du climat. On la retrouve sauvage
dans le Punjab au nord-ouest de l'Inde anglaise, puis en Perse
^t en Arménie.
Brandis * énumère sept noms difTérents du Jujubier commun
{ou de ses variétés ?) dans les langues modernes de l'Inde, mais
on ne connaît aucun nom sanscrit. D'après cela, l'espèce a peut-
être été introduite de Chine dans l'inae, à une époque pas très
éloignée, et des cultures elle serait devenue sauvage dans les
provinces très sèches de l'ouest. Le nom persan est Anob^ chez
les Arabes Unah. On ne connaît pas de nom hébreu, nouvel in-
dice que l'espèce n'est pas très ancienne dans l'Asie occidentale.
Les anciens Grecs n'ont pas parlé du Jujubier commun, mais
seulement d'une autre espèce, Zizyphus Lotus. C'est du moins
l'opinion du commentateur et botaniste moderne Lenz *. Il
, faut convenir que le nom grec moderne, Pritzuphuia., n'a aucun
rapport avec les noms attribués jadis dans Théophraste ou Dios-
coride à quelque Zizyphus, mais approche du nom latin Zizy-
phus (le fruit Zizyphum) de Pline, qui n'est pas dans les auteurs
plus anciens et semble d'une nature orientale plus que latine.
M. de Heldreich ^ n'admet pas que le Jujubier soit spontané en
Grèce, et d'autres le disent « naturalisé, subspontané, » ce qui
confirme l'hypothèse d'une existence peu ancienne. Les mêmes
motife s'appliquent à l'Italie. L'espèce peut donc s'y être natu- .
ralisée depuis l'introduction dans les jardins dont Pline a parlé.
En Algérie, le Jujubier est seulement cultivé ou « subspon-
tané ® ». De même en Espagne. Il n'est pas mentionné dans le
Maroc, ni aux îles Canaries, ce qui fait supposer une existence
peu ancienne dans la région de la mer Méditerranée.
Il me paraît donc probable que l'espèce est originaire du
nord de la Chine; qu'elle a été introduite et s'est naturalisée
dans l'Asie occidentale après l'époque de la langue sanscrite, il
y a peut-être 2500 ou 3000 ans; que les Grecs et les Romains
i' Bretschneider, On the study, etc., p. 11.
^' Le Zizyphus chinensis de plusieurs auteurs est la même espèce.
3. Braudis, Forest flora of brit, India, p. 84.
J- Lenz, Botanik der Âlten, p. 651.
^- Heldreich, Nutzpflanzen Griechenlands, p. 57.
*• Munby, Catal., éd. 2, p. 9.
486 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
l'ont reçue au commencement de notre ère, et que ces dernierj
Font portée en Barbarie et en Espagne, où elle s*est naturalisée
partiellement, d'une manière souvent douteuse, à la suite dci
cultures.
Jujubier Lotus. — Zlzyphus Lotus, Desfontaines.
Le fruit de ce Jujubier ne mérite pas d'attirer Fattention, si
ce n'est au point de vue historique. G était, dit-on, la nourriture
des Lotophages, peuple de la côte de Lybie, dont Homère et
Hérodote * ont parlé avec plus ou moins d'exactitude. Il fallait
qu'on fût bien pauvre ou bien sobre dans cette contrée, car une
baie de la grosseur d'une petite cerise, fade ou médiocrement
sucrée, ne contenterait pas des hommes ordinaires.
Rien ne prouve que les Lotophages eussent l'habitude de cul-
tiver ce petit arbre ou arbuste. Hs en recueillaient sans douti
les fruits dans la campagne, car l'espèce est assez communi
dans l'Afrique septentrionale. Une édition de Théophraste porti
cependant qu'il y avait des Lotos sans noyaux, ce qui supposa
une culture ^. On les plantait dans les jardins, comme cela w
fait encore de nos jours en Egypte * ; mais il ne semble pas qu<
l'usage en ait été fréquent, même chez les anciens.
Du reste, il a été émis des opinions très différentes sur h
Lotos des Lotophages *, et il ne faut pas insister sur un poin
aussi obscur, où l'imagination d'un poète et l'ignorance popu-
laire ont pu jouer un grand rôle.
Le Jujubier Lotus est sauvage maintenant, dans les localités
arides, depuis l'Egypte jusqu'au Maroc, dans le midi de l'Espa
gne, àTerracine et autour de Palerme ^ Dans ces localilés ita-
liennes isolées, c'est le résultat probablement de cultures.
Jujubier de l'Inde ^. — Zizyphns Jujuba, Lamarck. — Ber
des Hindous et Anglo-Indiens. — Masson, à l'île Maurice.
Ce Jujubier est cultivé plus au midi que le commun, maù
dans une étendue de pays non moins grande. Le fruit ressembla
tantôt à une cerise avant maturité, tantôt à une olive, comm^
on peut le voir dans la planche publiée par Bouton daa
Hooker, Journal of bofany, 1, pi. 140. Le nombre des variété
1. Odyssée, 1. 1, t*. 84; Hérodote, 1. 4, p. 177; traduits dans Léo
Botanik der Alien, p. 653.
2. Théopbraste, Hist, I. 4, c. 4, éd. de 1644. L'édition de 1613 ne coi
tient pas les mots relatifs à ce détail.
3. Schweinfurth et Asclierson, Beitr,, zur Flora éthiopiens, p. 263.
4. Voir l'article sur le Caroubier.
5. Desfontaines, FI. atlant., 1, p. 200; Munby, CataL Alger,, éd. 2. p-
Ball, Spicil. FI, Maroc, p. 301 ; WMlkomm et Lange, Prodr. fl. htsp^y
p. 481 ; Bertoloni, Fl. ital., 2, ç. 664.
6. Ce nom, peu usité, est déjà dans Bauhin, sous la forme de Jujt€^
indica.
JUJUBIER DE L'INDE 157
connues indique une très ancienne culture. Celle-ci s'étend au-
jourd'hui de la Chine méridionale, de l'archipel indien et de
Queensland en Australie, par F Arabie et TEgypte, jusqu'au
Maroc et même au Sénégal, en Guinée et dans l'Angola *. Elle
se voit également à Tile Maurice, mais il ne paraît pas qu'on
l'ait introduite jusqu'à présent en Amérique, si ce n'est au Brésil,
d'après un échantillon de mon herbier *. Le fruit est préférable
à la jujube ordinaire, d'après ce que disent les auteurs.
Quelle était l'habitation de l'espèce avant toute culture? Ce
n'est pas aisé à savoir, parce que les noyaux se sèment facile-
ment et naturalisent la plante hors des jardins ^.
Si nous nous laissons guider par la fréquence à l'état sau-
vage, il semble que le pays des Burmans et l'Inde anglaise
seraient la patrie ancienne. Je possède dans mon herbier plu-
sieurs échantillons recueillis par Wallich dans le royaume bur-
man, et Kurz l'a vue fréquemment dans les forêts sèches de ce
pays, autour d'Ava et de Prome *. Beddone admet l'espèce
comme spontanée dans les forêts de l'Inde anglaise, mais Brandis
l'a trouvée seulement dans des localités de ce genre où il y avait
eu des établissements d'indigènes ^. Avant ces auteurs, dans le
xw siècle, Rheede ^ décrivait cet arbre comme spontané au
Malabar, et les botanistes du xvi® siècle l'avaient reçu du Bengale.
A l'appui de cette origine indienne, il faut mentionner l'exis-
tance de trois noms sanscrits et de onze autres noms dans les
langues indiennes modernes ' .
L'introduction à Amboine, dans la partie orientale de l'Ar-
chipel, était récente lorsque Rumphius y séjournait ®, et il dit
lui-même que l'espèce est indienne. Peut-être était-elle ancien-
nement à Sumatra et dans d'autres îles rapprochées de la
péninsule malaise. Les anciens auteurs chinois n'en ont pas
parlé ; du moins Bretschneider ne Ta pas connu. L'extension et
les naturalisations au midi et à Test du continent indien parais-
sent donc peu anciennes.
En Arabie et en Egypte, l'introduction doit être encore plus
récente. Non seulement on ne connaît aucun nom ancien, mais
Forskal, il y a cent ans, et Delile, au commencement du siècle
actuel, n'ont pas vu l'espèce, dont Schweinfurth a parlé récem-
^^t comme cultivée. Elle doit s'être répandue d'Asie à Zan-
. *'.Sir J. Hooker, Flora of brit. India, 1, p. 632 ; Brandis, Forest flora of
/J**^» ^)P.87; Bentham, F/, austral,, 1, p. 412; Boissier, FL orient,^ 2, p. 13;
<^avep, rt. of tropical Africa, 1, p. 379.
5* Venant de Martius, n» 1070, du Cabo frio.
f' «outOQ, /. c. ; Baker, FL of Mauritius, p. 61 ; Brandis, /. c.
î* ^Urz, Forest flora of Burma, 1^ p. 266.
va» ^^ddone, Forest flora of India, i, pi. 149 (représentant le fruit sau-
*f ®> Plus petit que le cultive) ; Brandis, /. c.
S* gJtieede, 4, pi. 141.
«• ^iddington, Index.
^' Humphius, Amb,^ 2, pi. 36.
158 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
guebar, et de proche en proche au travers de l'Afrique ou par
la navigation des Européens jusqu'à la côte occidentale. Ce
serait même assez récent , puisque Robert Brown {Bot. of
Congo) et Thonning n'ont pas eu connaissance de l'espèce en
Guinée *.
Pommier d'Acajou. — Anacardium occidentale^ Linné. —
CasheWj des Anglais.
Les assertions les plus fausses ont été émises autrefois sur
l'origine de cet arbre ^, et, malgré ce que j'en ai dit en 1855 *,
je les vois reproduites çà et là.
Le nom français de Pommier d'Acajou est aussi ridicule que
possible. Il s'agit d'un arbre de la famille des Térébintacées (soit
Anacardiacées), très différente des Rosacées et des Méliacées
auxquelles appartiennent les Pommiers et l'Acajou. La partie
que l'on mange ressemble plus à une poire qu'aune pomme, et,
botaniquement parlant, ce n'est pas un fruit, mais le pédoncule
ou support du fruit, lequel ressemble à une grosse fève. Les
deux noms, français et anglais, dérivent d'un nom des indi-
gènes du Brésil, Acaju, Acajaiba, cité par d'anciens voyageurs *.
L'espèce est certainement spontanée dans les forêts de l'Amé-
rique interlropicale et même dans une grande étendue de cette
région, par exemple au Brésil, à la Guyane, dans Tisthme de
Panama et aux Antilles ^. Le D"" Ernst ^ la croit originaire
seulement de la contrée voisine du fleuve des Amazones, bien
qu'il la connaisse aussi de Cuba, Panama, l'Equateur et la Nou-
velle-Grenade. Il se fonde sur ce que les auteurs espagnols du
temps de la conquête n'en ont pas parlé, preuve négative,
qu'il faut prendre pour une simple probabilité.
Rheede et Rumphius avaient aussi indiqué cet arbre dans
l'Asie méridionale. Le premier le dit commun au Malabar ".
L'existence d'une même espèce tropicale arborescente en Asie
et en Amérique était si peu probable qu'on a soupçonné d'abord
quelque différence spécifique ou au moins de variété, qui ne
s'est pas confirmée. Divers arguments, historiques et linguisti-
ques, m'avaient démontré une origine étrangère à l'Asie. D'ail-
leurs Rumphius, toujours exact , parlait d'une introduction
1. Le Zizyphiis abyssiniens y Hochst., pardt une espèce différente.
3. Géographie botanique raisonnée, p. 873.
4. Pisô et Marcgraf, tîistoria rerum naturalium Brasilise, 1648, p. 37.
5. Voir Piso et Marcgraf, /. c. ; Aiiblet, Guyane^ p. 392 ; Seeman, Bâtait ^^
ofthe Herald, p. 106 ; Jacquin, Amérig., p. 124 ; ivfac Fadyen, PL Jatnaïo-^^
p. 119 ; Grisebach, FI. of brit. W. India, p. 176.
6. Ernst, dans Seemann, Journal ofbot., 1867, p. 273.
7. Rheede. Malabar, 3, pi. 54.
MANGUIER ISg*
ancienne, par les Portugais, d'Amérique dans l'archipel asiati-
que *. Le nom malais qu'il cite, Cadju, est américain; celui
usité à Amboine signifiait fruit de Portugal ; celui de Macassar
était tiré d'une ressemblance avec le fruit du Jambosa. L'es-
pèce, dit Rumphius, n'était pas très répandue dans les îles;
Garcia ab Orto ne l'avait pas trouvée- à Goa en 1550, mais
Acosta l'avait vue ensuite à Gouchin, et les Portugais l'avaient
multipliée dans l'Inde et l'Archipel indien. D'après Blume et
Miguel, l'espèce est seulement cultivée à Java. Rheede dit, il
est vrai, qu'elle abonde au Malabar (provenit ubique), mais il
cite un seul nom qui paraisse indien, Kapa-rnava, et les autres
dérivent du nom américain. Piddington n'indique aucun nom
sanscrit. Enfin les botanistes anglo-indiens, après avoir hésité
sur l'origine, admettent aujourd'hui l'importation d'Amérique
à une époque déjà ancienne. Ils ajoutent que l'espèce s'est natu-
ralisée dans les forêts de l'Inde anglaise *.
L'indigénat en Afrique est encore plus contestable, et il est
aisé d'en montrer la fausseté. Loureiro ^ avait vu l'espèce sur la
côte orientale de ce continent, mais il la supposait d'origine
américaine. Thonningne l'a pas vue en Guinée, et Brown ne
l'indiquait pas au Congo *. Il est vrai que l'herbier de Kew a
reçu des échantillons de ce dernier pays et des îles du golfe de
Guinée, mais M. Oliver parle de l'espèce comme cultivée ^. Un
arbre dont l'habitation est vaste en Amérique, et qui s'est natu-
ralisé dans plusieurs régions de l'Inde depuis deux siècles, exis-
terait dans une grande étendue de l'Afrique intertropicale s'il
était indigène dans cette partie du monde.
Mangaier. — Mangifera indica, Linné.
Be la même famille que le Pommier d'Acajou, cet arbre
donne cependant un véritable fruit, de la forme et de la couleur
à peu près de l'abricot ^.
On ne peut douter qu'il ne soit originaire de l'Asie méri-
dionale ou de l'archipel indien quand on voit la multitude des
variétés cultivées dans ces pays, la quantité des noms vulgaires
anciens, en particulier un nom sanscrit'^, et l'abondance dans
^es jardins du Bengale, de la péninsule indienne et de Geylan,
môme à l'époque de Rheede. Du côté de la Ghine la culture en
«lait moins répandue, car Loureiro la mentionne seulement en
Gochinchine'. D'après Rumphius % elle avait été introduite, de
J- Rumphius, Herb. Amboin., 1, p. 177, 178.
*• Beddone, Flora sylvatica, t. 163 ; Hooker, Flora of brit, India, 2, p. 20.
^' Loureiro, FL cochinch., p. 304.
*• Brown, Congo, p. 12 et 49.
«• Oliver, Flora of tropical Africa, 1, p. 443.
j Voir la planche 4510 du Botanical magazine.
g 2^oxburgh, Flora indica, éd. 2, vol. 2, p. 435; Piddington, Index.
• ^Umphius, Herb, Amboin,, 1, p. 95.
160 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
mémoire d'homme, dans certaines îles de Tarchipel asiatique.
Forster ne la mentionne pas dans son opuscule sur les fruits des
îles de la mer Pacifique, lors de l'expédition de Gook. Le nom
vulgaire aux Philippines, Manga *, montre une origine étran-
gère, car c'est le nom malais et espagnol. Le nom vulgaire à
Ceylan est Ambe^ analogue au sanscrit Amra et d'où viennent
les noms persan et arabe Amb^^ les noms modernes indiens, et
peut-être les noms malais Mangka^ Manga^ Manpelaan, indiqués
par Rumphius. Il y a cependant d'autres noms usités dans les
îles de la Sonde, des Moluques et en Gochinchine. La variété de
€es noms fait présumer une introduction ancienne dans l'ar-
chipel Indien, contrairement à l'opinion de Rumphius.
Les Mangifera que cet auteur avait vus sauvages dans l'île de
Java et le Mangifera sylvatica que Roxburgh avait découvert à
Sillet sont d'autres espèces; mais le véritable Manguier est
indiqué par les auteurs modernes comme spontané dans les
forêts de Ceylan, les districts au pied de FHimalaya, surtout
vers l'est, dans l'Arracan, le Pégu et les îles Anda'man ^. Miquel
ne l'indique comme sauvage dans aucune des îles de l'archipel
malais. Malgré l'habitation à Ceylan et les indications moins
affirmatives,. il est vrai, de sir J. Hooker, dans la Flore de l'Inde
anglaise, l'espèce est probablement rare ou seulement natura-
lisée dans la péninsule indienne. La grosseur des graines est
telle que les oiseaux ne peuvent pas les transporter, mais la
fréquence de la culture amène une dispersion par l'homme. Si
le Manguier est seulement naturalisé dans l'ouest de l'Inde
anglaise, ce doit être depuis longtemps, vu l'existence d'un nom
sanscrit. D'un autre côté les peuples de l'Asie occidentale doi-
vent l'avoir connu assez tard, puisqu'ils n'ont pas transporté
l'espèce en Egypte ou ailleurs vers l'ouest.
Aujourd'hui, on la cultive dans l'Afrique intertropicale et
même aux îles Maurice et Seychelles, où elle s'est un peu natu-
ralisée dans les forêts *.
L'introduction en Amérique a eu lieu d'abord au Brésil, car
c'est de là qu'on fit venir des graines à la Barbade dans le milieu
du siècle dernier ^. Un vaisseau français transportait des pieds
de cet arbre de Bourbon à Saint-Domingue, en 1782, iorsquii fut
pris par les Anglais, qui les portèrent à la Jamaïque, où il
réussit à merveille. Quand les plantations de café furent aban-
données, lors de l'émancipation des esclaves, le Manguier, dont
1. Blanco, FI. filip., p. 181.
2. Rumphius, l. c. ; ForskaL p. cvii.
3. Thwaites, Enum. plant. Ceyl.^ p. 75 ; Stuart et Brandis, Forest flora^
p. 126; Hooker, Flora of brit. India, 2 p. 13; Kurz, Forest flora of brii.
Burma, 1, p. 304.
4. Oliver, Flora of ty^opical Africa, 1, p. 442 ; Baker, Flora of Mauritius^
and Seychelles, p. 63.
5. Hughes, Barbadoes, p. 177.
FRAISIER 161
les nègres jetaient partout des noyaux, forma dans cette île des
forêts, qui sont devenues une richesse à cause de leur ombrage
et comme moyen de nourriture *. Il n'était pas encore cultivé à
Cayenne dans le tenrps d'Aublet, à la fin du xviii« siècle, mais
actuellement il y a des mangues de première qualité dans cette
colonie. Elle sont greffées et Ton observe que leurs semis don-
nent des fruits meilleurs que ceux tirés des pieds francs ^.
Evi. — Spondias dulcis, Forster.
Arbre de la famille des Anacardiacées, indigène dans les îles
de la Société, des Amis et Fidji ^. Les naturels faisaient une
grande consommation de ses fruits à Tépoque de l'expédition du
capitaine Gook. Us ressemblent à un gros pruneau, couleur de
pomme, et contiennent un noyau hérissé de longues pointes
crochues *. Le goût en est excellent, disent les voyageurs. Ce
n'est pas un des arbres fruitiers le plus répandus dans les co-
lonies tropicales. On le cultive pourtant aux îles Maurice et
Bourbon, sous le nom primitif polynésien Evi ou Hévl ^, et aux
Antilles. Il a été introduit à la Jamaïque, en 1782, et de là à
Saint-Domingue. L'absence dans beaucoup de contrées chaudes
d'Asie et Afrique tient probablement à ce que l'espèce a été dé-
couverte seulement il y a un siècle, dans de petites îles sans
communications avec l'étranger.
Fraisier. — Fragaria vesca, Linné.
Notre Fraisier commun est une des plantes les plus répandues
dans le monde, en partie, il est vrai, grâce à la petitesse de ses
graines que les oiseaux, attirés par le corps charnu sur lequel
elles se trouvent, transportent à de grandes distances.
11 est spontané en Europe, depuis les îles Shetland et la La-
ponie • jusque dans les parties montueuses du midi : à Madère,
en Espagne, en Sicile et en Grèce '. On le trouve aussi en Asie,
depuis la Syrie septentrionale et l'Arménie ^, jusqu'en Daourie.
Les fraisiers de l'Himalaya et du Japon ^, que divers auteurs ont
rapportés à cette espèce, n'en sont peut-être pas *°, et cela me
1. Mac-Fadyen, Flora ofJatnaïca, p. 221 ; sir J. Hooker, Discours à V Insti-
tution royale, traduit dans Ann. se, nat., série 6, vol. 6, p. 320.
2. Sagot, Jouimal de la Soc, centr, d'agric. de France, 1872.
3. Forster, De plantis esculentis insularum oceani australis, p. 33 ; See
maiin, Flora Vitiensis, p. 51 ; Nadaud, Enum. des plantes de Taïti, p. 75.
4. Voir bonne figure coloriée, dans Tussac, Flore des Antilles, 3, pi. 28.
5. Bojer, Hortus mauritianus^ p. 81.
6. H.-C. Watson, Compendium Cybele brit., 1 p. 160; Pries, Summa
^eg, Scand,, p. 44.
7. Lowe, Manual fL of Madeira, p. 246 ; Willkomm et Lange, Prodr. fl.
him, 3, p. 224 ; Moris, Fl. sardoa, 2, p. 17.
8. Boissier, /. c.
9. Ledebour, FL rossica, 2, p. 64.
10. Gay, ibid,; Hooker, FLorit. India, 2, p.3344 ; Franchet et Savatier,
^num. pL Japon., 1, p. 129.
De Gandolle. |ll
162 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
fait douter de Thabitation en Chine donnée par un mission-
naire *. Il est spontané en Islande *, dans le nord-est des États-
Unis ^, autour du fort Guraberland et sur la côte nord- ouest *,
peut-être même dans la Sierra Nevada de Californie ^. L'habita-
tion s'étend donc autour du pôle arctique, à Texception de la
Sibérie orientale et delà région du fleuve Amour, puisque l'espèce
n'est pas citée par M. Maximowicz dans ses Primitide florœ amu-
rensis. En Amérique l'habitation se prolonge sur les hauteurs du
Mexique, car le Fragaria mexicana, cultivé au Muséum et exa-
miné par J. Gay, est le F, vesca. Il existe aussi autour de Quito,
d'après le même botaniste, très compétent dans la question *.
Les Grecs et les Romains n'ont pas cultivé le fraisier. C'est
probablement dans le xv*^ ou le xvi® siècle que la culture s'en
est introduite. Champier, au xvi® siècle, en parlait comme d'une
nouveauté dans le nord de la France ^ mais elle existait déjà
dans le midi et en Angleterre ®.
Transporté dans les jardins des colonies, le fraisier s'est natu-
ralisé dans quelques localités fraîches, loin des habitations.
C'est arrivé à la Jamaïque ®, dans l'île Maurice *°, et plus encore
dans l'île de Bourbon, où des pieds avaient été mis par Com-
merson dans la plaine élevée dite des Cafres. Bory Saint- Vin-
cent raconte qu'en 1801 il y avait trouvé des espaces tout rouges
de fraises et qu'on ne pouvait les traverser sans se teindre les
pieds d'une véritable marmelade, mêlée de fange volcanique ".
Il est probable qu'en Tasmanie, à la Nouvelle-Zélande et ail-
leurs on verra des naturalisations semblables.
Le genre Fragaria a été étudié avec plus de soin que beau-
coup d'autres par Duchesne fils, le comte de Lambertye, Jacques
Gay et surtout Mme Elisa Vilmorin, dont l'esprit d'observation
était si digne du nom qu'elle portait. Un résumé de leurs tra-
vaux, avec d'excellentes planches coloriées, se trouve dans le
Jardin fruitier du Muséum^ par M. Decaisne. De grandes diffi-
cultés ont été surmontées par ces auteurs pour distinguer les
variétés et les hybrides qu'on multiplie dans les jardins, des
véritables espèces, et pour établir celles-ci sur de bons carac-
1. Perny, Propaa, de la foi, cité dans Decaisne, Jardin fruitier du lius.,
p. 27 ; J. Gay, ioia., p. 27, n'indique pas la Chine.
2. Babington, Journal ofLinn. soc, 11, p. 303; Gay, /. c.
3. A. Gray, Botany ofthe northem States, éd. 1868, p. 156.
4. Sir W. Hooker, Fl. bor. amer., 1, p. 184.
5. A. Gray, Bot, of California, 1, p. 176.
6. J. Gay, dans Decaisne, Jardin fruitier du Muséum, Fraisier, p. 30.
7. Le Grand d'Aussy, Histoire de la vie privée des Français, 1, p. 233 et |é
8. Olivier de Serres, Théâtre dagric, p. 511 ; Gerara, d'après Phillips,
Pomarium hritannicum, p. 334.
9. Purdie, dans Hooker, London journal of botany, 1844, p. 515.
10. Bojer, Hortus mauritianus, p. 127.
11. Bory Saint-Vincent, Comptes rendus de VAcad, des se. 1836, sem, St
p. 109.
CERISIER DES OISEAUX 163
tères. Quelques Fraisiers dont les fruits étaient médiocres ont été
abandonnés, et les plus beaux maintenant sont le résultat du
croisement des espèces de Virginie et de Chili, dont je vais
parler.
Fraisier de Virginie. — Fragaria virginiana^ Ehrahrt. —
Fraisier écarlate des jardins français.
Cette espèce, indigène au Canada et dans les États-l][nis
orientaux, et dont une variété s'étend vers l'ouest jusqu'aux
montagnes Rocheuses, peut-être même jusqu'à TOrégon ^ a été
introduite dans les jardins anglais en 1629 ^ On la cultivait
beaucoup en France dans le siècle dernier; mais ses hybrides
avec d'autres espèces sont maintenant plus estimés.
Fraisier du Chili. — Fragaria Chiloensis ^Buchesne.
Espèce commune dans le Chili méridional, à Conception, Val-
divia et Chiloe ', et souvent cultivée dans ce pays. Elle a été
apportée en France, par Frezier, dans l'année 1715. Cultivée
alors au Muséum d'histoire naturelle de Paris, elle s'est ré-
pandue bientôt en Angleterre et ailleurs. Grâce à ses fruits
énormes, d'une saveur excellente, on a obtenu par divers croise-
ments, surtout avec le F, virginiana, les fraises Ananas, Victoria,
Trollope, Rubis ^ etc., si recherchées à notre époque.
Cerisier des oiseaux. — Prunus avium^ Linné. — Sûss-
kirschbaum des Allemands.
J'emploie le mot Cerisier parce qu'il est usuel et sans incon-
vénient pour les espèces ou variétés cultivées, mais l'étude des
espèces voisines non cultivées confirme l'opinion de Linné que
les Cerisiers ne peuvent pas être séparés, comme genre, des Pru-
niers;
Toutes les variétés de Cerisiers cultivés se rapportent à deux
•espèces, qu'on trouve à l'état sauvage, savoir : 1** Prunus avium,
Linné, d'une taille élevée, à racines ne poussant pas de reje-
tons, ayant le dessous des feuilles pubescent, le fruit d'une
«aveur douce ; 2<» Prunus Cerasus, Linné, moins élevé, poussant
•des rejetons sur les racines, à feuilles entièrement glabres et
fruit plus ou moins acide ou amer.
La première de ces espèces, de laquelle on pense que les Bi-
•^arreautiers et Merisiers sont pro venus, se trouve sauvage en
Asie : dans les forêts du Ghilan (nord de la Perse), des pro-
1. Asa Gray, Manual ofbot of the north. States, éd. 1868, p. 155; Botany
of Califomia, 1, p. 177.
2. PhiUips, Pomarium brit., p. 335.
3. Cl. Gay, Hist. Chili, Botanica, 2, p. 305.
164 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
vinces russes du midi du Caucase et deTArménie *; en Europe :
dans le midi de la Russie, et généralement depuis la Suède
méridionale jusque dans les parties montueuses de la Grèce,
de ritalie et de l'Espagne *. Elle existe même en Algérie ^ .
A mesure qu'on s'éloigne de la région située au midi de la
mer Caspienne et de la mer Noire, l'habitation du Cerisier des
oiseaux parait moins fréquente, moins naturelle et déterminée
davantage, peut-être, parles oiseaux qui recherchent avidement
ses fruits et les portent de proche en proche *. On ne peut pas
douter qu'elle s'est naturalisée de cette manière, à la suite des
cultures, dans le nord de l'ïnde ^, dans beaucoup de plaines du
midi de l'Europe, à Madère ^, et çà et là aux États-Unis ^ ; mais
il est probable que pour la plus grande partie de l'Europe cela
est arrivé dans des temps anciens, préhistoriques, attendu que
les oiseaux agissaient avant les premières migrations des peu-
ples, avant même qu'il y eût des hommes en Europe. L'habita-
tion se serait étendue aans cette région lorsque les glaciers ont
diminué.
Les noms vulgaires dans les anciennes langues ont été l'objet
d'un savant article d'Adolphe Pictet ®, mais on ne peut rien en
déduire sous le rapport de l'origine, et d'ailleurs les diverses
espèces ou variétés ont été souvent confondues dans la nomen-
clature populaire. Il est bien plus important de savoir si l'ar-
chéologie nous apprend quelque chose sur la présence du Ceri-
sier des oiseaux en Europe, dans les temps préhistoriques.
M. Heer a figuré des noyaux du Prunus avium dans son
mémoire sur les palafîttes de la Suisse occidentale *. D'après ce
qu'il a bien voulu m'écrire, en date du 14 avril 1881, ces noyaux
venaient d'une tourbe au-dessus des anciens dépôts de l'âge de
pierre. M. de Mortillet *° a constaté des noyaux semblable»
dans les habitations palafîttes du lac de Bourget d'une époque
peu reculée, postérieure à l'âge de pierre. M. le D'' Gross m en
a communiqué de la station, également peu ancienne, de Cor-
celette, dans le lac de Neuchâtel, et MM. Strobel et Pigorini
en ont découvert dans la « terramare » de Parme ".Ce sont
toujours des stations moins anciennes que l'âge de pierre et
1. Ledebour, FL ross., 2, p. 6; Boissier, FL orient., 2, p. 649.
2. Ledebour, / c. ; Fries, bumma Scandiv, p. 46 ; Nyman, Conspecttis /ï-
europ, p. 213; Boissier, /. c; Willkomm et Lange, Proar, fL hisp., 3, p. 245»
3. Munby, Catal. Alg., éd. 2, p. 8.
4. Gomme les cerises mûrissent après la saison où les oiseaux énodgrent,
c'est surtout dans le voisinage des plantations qu'ils dispersent les-
noyaux.
5. Sir J. Hooker, FL of brit. India.
6. Lowe, Manual of Madeira, p. 235.
7. Darlington, FI. cestrica, éd. 3, p. 73.
8. Ad. Pictet, (hngines indo-européennes y éd. 2, vol. 1, p. 281.
9. Heer, Pflanzen der Pfahlbauteny p. 24, fig. 17, 18, et p. 26.
10. Dans Perrin, Etudes préhistoriques sur la Savoie, p. 22.
11. Atti Soc. ital. se. nat., vol. 6.
CERISIER COMMUN OU GRIOTTIER 465
peut-être d'un temps historique. Si Ton ne découvre pas des
noyaux plus anciens de cette espèce en Europe, il deviendra
vraisemblable que la naturalisation n'est pas antérieure aux
migrations des Aryas.
Cerisier commun ou Griottier. — Prunus Cerasus, Linné
-r- Cerasus vulgaris^ Miller. — Baumweichsel, Sauerkirschen, des
Allemands. Sour cherry, des Anglais.
Les Cerisiers de Montmorency, les Griottiers et quelques
autres catégories des horticultures proviennent de cette espèce *.
Hohenacker * a vu le Prunus Cerasus à Lenkoran, près de la
mer Caspienne, et C. Koch ' dans les forêts de TAsie Mineure,
ce qui veut dire, d'après le pays qu'il a parcouru, dans le nord-
est de cette contrée. D'anciens auteurs l'ont trouvé à Elisa-
bethpol et Erivan, d'après Ledebour *. Grisebach ^ l'indique au
mont Olympe de Bithynie et ajoute qu'il est presque spontané
dans les plaines de la Macédoine. L'habitation vraie et bien
ancienne paraît s'étendre de la mer Caspienne jusqu'aux envi-
rons de Constantin ople ; mais, dans cette contrée même, on ren-
contre plus souvent le Prunus avium. En effet, M. Boissier et
M. de Tchihatcheff ne paraissent pas avoir vu le Prunus Ce-
rasus même dans le Pont, quoiqu'ils aient reçu ou rapporté
plusieurs échantillons du Pr. avium ^.
Dans l'Inde septentrionale, le Pr. Cerasus est seulement à
l'état cultivé ^ Les Chinois ne paraissent pas avoir eu connais-
sance de nos deux Cerisiers. On peut croire, d'après cela, que
l'introduction dans l'Inde n'est pas fort ancienne, et ce qui le
confirme, c'est l'absence de nom sanscrit.
Nous avons vu que le Pr. Cerasus est presque spontané en
Macédoine, d'après Grisebach. On l'avait dit spontané en Crimée,
mais Steven ^ ne l'a vu que cultivé, et Rehmann ^ ne mentionne
dans la Russie méridionale comme spontanée que l'espèce voisine
appelée Pr» chamœcerasusj Jacquin. Je doute beaucoup de la
qualité spontanée dans toute localité au nord du Caucase. Même
en Grèce, où Fraas disait avoir vu cet arbre sauvage, M. de
Heidreich le connaît seulement comme cultivé *°. En Dalmatie ",
1. Pour les variétés si nombreuses et oui ont des noms vulgaires si
variables selon les provinces, on peut consulter le nouveau Duhamel, vol.
5, où se trouvent de bonnes figures coloriées.
2. Hohenacker, Plantx Talysch., p. 128.
3. Koch, DendrologiCy 1, p. 110.
4. Ledebour, FI. 7*oss., 2, p. 6.
5. Gnseheich^ Spicilegium fl. rumelicœy p. 86.
6. Boissier, FI. orientalis, 2, p. 649; TchihoXchefSj Asie Mineure, Bot.,^, 198.
7. Sir J. Hooker, FI. of brit. India, 2, p. 313.
8. Steven, Vei^zeichniss Halbinselm, etc., p. 147.
9. Rehmann, Verhandl. Nat. Ver. Brunn, X, 1871.
10. Heidreich, Ntctzpflanzen Griechenlands, p. 69; Pflanzen d. attisch.
Ebene, p. 477.
li. Visiani, FI. Dalmat., 3, p. 258.
\
166 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
on trouve, à Tétat bien spontané, une variété particulière ou
espèce voisine, le Prumus Marasca, dont le fruit sert à fabriquer
le marasquin . Le Pr, Cerasus est sauvage dans les districts mon-
tueux de l'Italie * et dans le centre de la France ^ ; mais plus
loin, dans l'ouest, le nord et en Espagne, on ne cite plus Fes-
pèce que comme cultivée, se naturalisant çà et là sous la forme
souvent de buisson. Evidemment l'apparence en Europe est
— plus que pour le Cerisier des oiseaux — celle d'un arbre
d'origine étrangère médiocrement établi.
En lisant les passages de Théophraste, Pline et autres anciens
auteurs souvent cités ^, aucun ne parait s'appliquer au Prunus
Cerasus, Le plus significatif, celui de Théophraste, convient au
Prunus avium, à cause de la grandeur de l'arbre, caractère
distinctif d'avec le Prunus Cerasus *. Kerasos étant le nom du
Cerisier des oiseaux dans Théophraste , comme aujourd'hui
Kerasaia chez les Grecs modernes, je remarque un signe lin-
guistique d'ancienneté du Prunus Cerasus : les Albanais, des-
cendants des Pélasges, désignent celui-ci sous le nom de Vyssiney
ancien nom qui se retrouve dans l'allemand Wechsel et l'italien
Visciolo ^. Comme les Albanais ont aussi le nom Keraste, pour le
Pr, avium^ on peut croire que leurs ancêtres ont distingué et
nommé les deux espèces depuis longtemps, peut-être avant
l'arrivée des Hellènes en Grèce.
Autre signe d'ancienneté : Yirgile dit en parlant d'un arbre :
Pullulai ab radice aliis densissima sylva
Ut cerasis ulmisque. (Georg., II, 17.)
Ce qui s'applique au Pr, Cerasus^ non au Pr, avium,^
On a trouvé à Pompeia deux peintures de Cerisier, mais il ne
paraît pas qu'on puisse savoir exactement si elles s'appliquent
à l'une ou à l'autre des deux espèces ^ M. Cornes les indique
sous le titre du Prunus Cerasus,
Quelque découverte archéologique serait plus probante. Les-
noyaux des deux espèces présentent une différence dans le sillon
qui n'a pas échappé à la sagacité de MM. Heer et Sordelli.
Malheureusement, on n'a trouvé dans les stations préhistoriques
d Italie et de Suisse qu'un seul noyau, attribuable au Prunus
1. Bertoloni, FL it, 5, p. 131.
2. Lecoq et Lamotte, (fatal, du plateau central de la France, p. 148.
3. Theophrastes, Hist. plant. ^ 1. 3, c. 13 ; Pline, 1. 15, c. 25, et autre»
cités dans Lenz, Botanik der Alten, p. 710.
4. Une partie des expressions qui suivent dans Théophraste résulte-
d'une confusion avec d'autres arbres. 11 dit en particulier que le noyau
est mol.
5. Ad. Pictet, l. c, cite des formes du même nom en persan, turc, russe,
et fait dériver de là notre nom français de Guigne, transporté à des variétés-
6. Schouw, Die Erde, p. 44 ; Cornes, ///. deïle piante, etc, in-4, p. 56.
CERISIER COMMUN OU GRIOTTIER 167
Cerasus, et encore la couche de laquelle on l'a sorti n'a pas été
suffisamment constatée. Il paraît que c'était une couche non
archéologique *.
D'après l'ensemble de ces données, un peu contradictoires et
assez vagues, je suis disposé à admettre que le Prunus Cerasus
était connu et se naturalisait déjà au commencement de la civi-
lisation grecque, et un peu plus tard en Italie, avant l'époque
à laquelle LucuUus apporta un Cerisier de l'Asie Mineure.
On pourrait écrire des pages en citant les auteurs , même
modernes, qui attribuent, à la suite de Pline, l'introduction du
Cerisier en Italie à ce riche Romain, l'an 64 avant l'ère chré-
tienne. Puisque l'erreur se perpétue, grâce à sa répétition inces-
sante dans les collèges classiques, il faut dire encore une fois
qu'il y avait des Cerisiers — au moins celui des oiseaux — en
Italie avant Lucullus, et que l'illustre gourmet n'a pas dû recher-
cher l'espèce à fruits acides ou amers. Je ne doute pas qu'il n'ait
gratifié les Romains d'une bonne variété cultivée dans le Pont
et que les cultivateurs ne se soient empressés de la propager
par la greffe, mais c'est à cela que s'est borné le rôle de Lu-
cuUus.
D'après ce qu'on connaît maintenant de Cérasonte et des an-
ciens noms des Cerisiers, j'oserai soutenir, contrairement à
l'opinion commune, qu'il s'agissait d'une variété du Cerisier des
oiseaux, comme, par exemple, le Bigarreau tier ou le Merisier,
dont le fruit charnu est de saveur douce. Je m'appuie sur ce
que Kerasos, dans Théophraste, est le nom du Prunus avium,
lequel est de beaucoup le plus commun des deux dans l'Asie
Mineure. La ville de Cérasonte en avait tiré son nom, et il est
probable que l'abondance du Prunus avium dans les forêts voi-
sines avait engagé les habitants à chercher les arbres qui don-
naient les meilleurs fruits, pour les planter dans leurs jardins.
Assurément, si Lucullus a apporté de beaux bigarreaux, ses
compatriotes, qui connaissaient à peine de petites cerises sau-
vages, ont pu s'exclamer et dire : « C'est un fruit que nous
n'avions pas. » Pline n'a rien affirmé de plus.
Je ne terminerai pas sans énoncer une hypothèse sur les deux
Cerisiers. Ils diffèrent peu de caractères, et, chose bien rare, les
deux patries anciennes le mieux constatées sont semblables (de
la mer Caspienne à l'Anatolie occidentale). Les deux espèces se
sont répandues vers l'ouest, mais inégalement. Celle qui est la plus
commune dans le pays d'origine et la plus robuste {Pr, avium)
a été plus loin, à une époque plus ancienne, et s'est mieux natu-
ralisée. Le Prunus Cei^asus est donc peut-être une dérivation de
l'autre, survenue dans un temps préhistorique. J'arrive ainsi,,
par une voie différente, à une idée émise par M. Caruel ^ ; seu-
1. Sordelli, Fiante délia torbiera di Lagozza, p. 40.
2. Caruel, Flora toscanay p. 48.
168 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
lement, au lieu de dire qu'on ferait peut-être bien de réunir les
deux espèces , je les vois actuellement distinctes et me con-
tente de présumer une descendance, que du reste on ne pourra
pas facilement démontrer.
Pruniers cultivés.
Pline parle de Fimmense quantité de prunes qu'on connaissait
à son époque. « Ingens turba prunorum \ » Aujourd'hui, les hor-
ticulteurs en comptent plus de trois cents. Quelques botanistes
ont essayé de les rapporter à des espèces sauvages distinctes,
mais ils ne sont pas toujours d'accord, et surtout, d'après les
noms spécifiques, ils semblent avoir des idées très différentes.
La diversité roule sur deux points : tantôt sur la descendance
probable de telle ou telle forme cultivée, et tantôt sur la dis-
tinction des formes spontanées en espèces ou variétés.
Je n'ai pas la prétention de classer les innombrables formes
cultivées, et je crois ce travail assez inutile au point de vue des
questions d'origine géographique, car les différences existent
surtout dans la forme, la grosseur, la couleur et le goût du
fruit, c'est-à-dire dans des caractères que les horticulteurs ont
eu intérêt à propager quand ils se sont présentés et même à créer
autant qu'ils ont pu le faire. Mieux vaut s'attacher aux distinc-
tions des formes observées dans l'état spontané, surtout à celles
dont les hommes ne tirent aucun avantage et qui sont restées
probablement ce qu'elles étaient avant qu'il y eût des jardins.
C'est depuis une trentaine d'années seulement que les bota-
nistes ont donné des caractères vraiment comparatifs pour les
trois espèces ou races qui existent dans la nature *. On peut les
résumer de la manière suivante :
Prunus domestica, Linné; arbre ou arbuste élevé, non épineux; jeunes
rameaux glabres ; fleurs naissant en même temps que les feuilles, a pédi-
celles ordinairement pubescents ; fruit penché, oblong, d'une saveur
douce.
Prunus insititia, Linné ; arbre ou arbuste élevé, non épineux ; jeunes
rameaux pubescents veloutés; fleurs naissant en même temps que les
feuilles, à pédicelles finement pubescents ou glabres; fruit penché, glo-
buleux ou légèrement ellipsoïde, d'une saveur douce.
Prunus spihosa, Linné ; arbuste très épineux, à rameaux étalés à angle
droit ; jeunes rameaux pubescents ; fleurs épanouies avant la naissance
des feuilles ; pédicelles glabres ; fruit dressé, globuleux, de savear
acerbe.
Evidemment, cette troisième forme, si commune dans nos
haies, s'éloigne des deux autres. Aussi, à moins de vouloir
interpréter, par hypothèse, ce qui a pu arriver avant toute ob-
1. Pline, Hist., 1. 15, c. 13.
2. Koch. Synopsis fl, germ., éd. 2, p. 228 ; Cosson et Germain, Flore des
environs de Parts, 1, p. 165.
PRUNIER DOMESTIQUE 169
servalion, il me paraît impossible de considérer les trois formes
comme constituant une seule espèce, à moins qu'on ne montre
des transitions de Tune à Fautre dans les organes que la culture
n'a pas altérés, ce qu'on n'a pas fait jusqu'à présent. Tout au
plus peut-on admettre la fusion des deux premières catégories.
Les deux formes à fruit naturellement doux se présentaient dans
quelques pays. Elles ont dû tenter les cultivateurs, plus que le
Prunus spinosa, dont le fruit est acerbe. C'est donc à elles qu'il
faut s'efforcer de rapporter les Pruniers cultivés.
Je vais en parler, pour plus de clarté, comme de deux espèces * .
Prunier domestique. — Prunus domestica^ Linné. — Zwet-
chen des Allemands.
Plusieurs botanistes ^ l'ont trouvé, à l'état sauvage, dans toute
l'Anatolie, la région au midi du Caucase et la Perse septentrio-
nale, par exemple autour du mont Elbrouz.
Je ne connais pas de preuve pour les localités du Cachemir,
rfu pays des Kirghis et de Chine, dont il est question dans quel-
ques flores. L'espèce en est souvent douteuse, et il s'agit plutôt
<iu Prunus insùitia; dans d'autres cas, c'est la qualité de plante
spontanée, ancienne, qui est incertaine, car évidemment des
^^yaux ont été dispersés à la suite des cultures. La patrie ne
P^x^ait pas s'étendre jusqu'au Liban, quoique les prunes culti-
vées à Damas aient une réputation qui remonte au temps de
^'iïie. On croit que Dioscoride ' a désigné cette espèce sous le
'^^m de Coccumelea de Syrie, croissant à Damas. Karl Koch
ra.oonte que des marchands des confins de la Chine lui ont
^^ftrmé la fréquence de l'espèce dans les forêts de la partie occi-
dentale de l'empire. Les Chinois cultivent, il est vrai, divers
'^ï^xiniers depuis un temps immémorial, mais on ne les connaît
P^s assez pour en juger, et l'on ignore s'ils sont vraiment indi-
^^nes. Aucun de nos Pruniers n'ayant été trouvé sauvage au
''^-pon ou dans la région du fleuve Amur, il est assçz probable
^Vi.e les espèces vues en Chine sont différentes des nôtres. Cela
î^^^raît aussi résulter de ce que dit Bretschneider *.
L'indigénat du Pr, domestica est très douteux pour l'Europe,
j^^ns les pays du Midi, où il est mentionné, on le voit surtout
■^^ns les haies, près des habitations, avec les apparences d'un
^^bre à peine naturalisé, maintenu çà et là par un apport inces-
^^nt de noyaux hors des plantations. Les auteurs qui ont vu
^ espèce en Orient n'hésitent pas à dire qu'elle est subspontanée.
1. Hudson, Flora anglica (1778), p. 212, les réunit sous le nom de Prunus
^ommunis,
2. Ledebour, FI. ross., 2, p. 5 ; Boissier, FL orient. y 2, p. 652 ; K. Koch,
Rendra logiCf 1, p. 94 ; Boissier et Buhse, Aufzsehl Transcaucas., p. 80.
3. Dioscorides, /. c, 174 ; Fraas, FI. class., p. 69.
4. Bretschneider, On the study, etc., p. 10.
470 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
Fraas * affirme qu'elle n'est pas sauvage en Grèce, ce qui
est confirmé par M. de Heldreich ^ pour TAttique; Steve»
l'affirme également pour la Crimée ^. S'il en est ainsi près de
l'Asie Mineure, à plus forte raison faut-il l'admettre pour le
reste de l'Europe.
Malgré l'abondance des Pruniers cultivés jadis par les Ro-
mains, les peintures de Pompeia n'en indiquent aucune sorte *.
Le Prunus domestica n'a pas été trouvé non plus dans le&
restes des palafittes d'Italie, de Suisse et de Savoie, où Ton a
rencontré cependant des noyaux des Prunus insititia et spinosa.
De ces faits et du petit nombre de mots attribuables à l'espèce
dans les auteurs grecs, on peut inférer que sa demi-naturalisa-
tion ou quasi-spontanéité en Europe a commencé tout au plus
depuis 2000 ans.
On rattache au Prunier domestique les pruneaux, prunes
Damas et formes analogues.
Prunier proprement dit. — Prunus insititia, Linné ^. —
Pflauenbaum et Haferschlehen des Allemands.
Il existe, à l'état sauvage, dans le midi de l'Europe ®. On l'a
trouvé également en Cilicie, en Arménie, au midi du Caucase et
dans la province de Talysch, vers la mer Caspienne '^. C'est sur-
tout dans la Turquie d'Europe et au midi du Caucase qu'il
parait bien spontané. En Italie et en Espagne il l'est peut-être
moins, quoique de bons auteurs, qui ont vu la plante sur place,
n'en doutent pas. Quant aux parties de l'Europe situées au nord
des Alpes, jusqu'en Danemark, les localités indiquées sont pro-
bablement le résultat de naturalisations à la suite des cultures.
L'espèce s'y trouve ordinairement dans les haies, non loin des
habitations, avec une apparence peu spontanée.
Tout cela s'accorde assez bien avec les données historiques et
archéologiques.
Les anciens Grecs distinguaient les Coccumelea de leur pays
d'avec ceux de Syrie ^, d'où l'on a inféré que les premiers étaient
les Prunus insititia. C'est d'autant plus vraisemblable que les
Grecs modernes l'appellent Coromeieia ®. Les Albanais disent
1. Fraas, Svn. fi. class., p. 69.
2. Heldreich, Pflanzen aitischen Ebene.
3. Steven, Verzeichniss Halbinseln, 1, p. 472.
4. Cornes, ///. piante pompeiane.
5. Insititia veut dire étranger. C'est un nom bizarre, puisque toute plante
est étrangère ailleurs que dans son pays.
6. Wilkomm et Lan^e, Prodr. fl. hisp., 3, p. 244 ; Bertoloni, FI. ital. 5,
p. 135; Grisebach, Spicilegium fl. Rumel.^ p. 85; Heldreich, ^utzpft. Grie-
chenlands, p. 68.
7. Boissier, Fl, orient., 2, p. 651 ; Ledebour, Fl. ross., 2, p. 3; Hohena-
cker, Plantœ Talysch, p. 128
8. Dioscorides, /., c, 173; Fraas, /. c.
9. De Heldreich, Nutzpflanzen Griechenl., p. 68.
ABRICOTIER 471
Coromhilé *, ce qui fait supposer une ancienne origine venant
des Pélasges. Du reste, il ne faut pas insister sur les noms vul-
gaires des Pruniers que chaque peuple a pu donner à l'une ou
à Fautre des espèces, peut-être aussi à telle ou telle variété
cultivée, sans aucune règle. En général, les noms sur lesquels
on a beaucoup écrit dans les ouvrages d'érudition me paraissent
s'appliquer à la qualification de prune ou prunier, sans avoir
un sens bien précis.
On n'a pas encore trouvé des noyaux de Prunus ïnsititia dans
les « terramare » d'Italie, mais M. Heer en a décrit et figuré
3ui proviennent des palafittes de Robenhausen *. Aujourd'hui^
ans cette partie de la Suisse, l'espèce ne semble pas indigène,
mais nous ne devons pas oublier que, d'après l'histoire du lin,
les lacustres du canton de Zurich à l'époque de la pierre entre-
tenaient des communications avec l'Italie. Ces anciens Suisses
n'étaient pas difficiles sur le choix de leur nourriture, car ils
récoltaient aussi les baies du Prunellier {Prunus spinosa)^ qui
nous paraissent immangeables. Probablement ils les faisaient
cuire, en marmelade.
Abricotier. — Prunus Armeniaca^ Linné. — Armeniaca vul-
garis^ Lamarck.
Les Grecs et les Romains ont reçu l'Abricotier au commence-
ment de l'ère chrétienne. Inconnu du temps de Théophraste^
Dioscoride * le mentionne sous le nom de Mailon armeniacon.
Il dit que les latins l'appelaient Praikokion. C'est efiectivement
un des fruits mentionnés brièvement par Pline * sous le nom de
Prœcocium, motivé par la précocité de Tespèce ^. L'origine
arménienne était indiquée par le nom grec, mais ce nom pou-
vait signifier seulement que l'espèce était cultivée en Arménie.
Les botanistes modernes ont eu, pendant longtemps, de bonnes
raisons pour la croire spontanée dans ce pays. Pallas, Gûl-
denstsedt et Hohenacker disaient l'avoir trouvée autour du
Caucase, soit au nord, sur les rives du Terek, soit au midi,
entre la mer Caspienne et la mer Noire ^. M. Boissier ^ admet
Ces localités, sans s'expliquer sur la spontanéité. Il a vu un
échantillon recueilli par Hokenacker près d'Elisabethpol. D'un
1. De Heldreich, l. c.
2. Heer, Pflanzen dei^ Pfahlbauteriy p. 27, fig. 16, c.
3. Dioscoride?, 1. 1, c. 165.
4. Pline, 1. 2, c. 12.
5. Le nom latin a passé dans le grec moderne [Prikokkia)* Les noms
espagnol {Albaricoque) , français {Abricot) y etc., paraissent venir à'ai^bor
X>réBcox ou Préecocium, tandis que les mots vieux français, Armègne, ita-
lien Armentlli, etc., viennent de Mailon armeniacon. Noir d'autres détails
»\ur les noms de l'espèce dans ma Géographie bot. raisonnée. p. 880.
6. Ledebour, FI. ross., 2, p. 3.
7. Boissier, FI, orient., 2, p. 652.
172 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
autre côté, M. de Tchihatcheff % qui a traversé l'Anatolie et
r Arménie à plusieurs reprises, ne parait pas avoir vu l'Abricotier
sauvage, et ce qui est plus significatif encore, Karl Koch, qui a
parcouru la région au midi du Caucase avec l'intention d'ob-
server ce genre de faits, s'exprime de la manière suivante * :
« Patrie inconnue. Du moins, pendant mon séjour prolongé en
Arménie, je n'ai trouvé nulle part l'Abricotier sauvage, et même
je ne l'ai vu cultivé que rarement. »
Un voyageur, W.-J. Hamilton ^, disait bien l'avoir trouvé
spontané près d'Orgou et d'Outch Hisar, en Anatolie ; mais cette
assertion n'a pas été vérifiée par un botaniste.
Le prétendu Abricotier sauvage des ruines de Balbeck, décrit
par Eusèbe de Salle *, est absolument différent de l'Abricotier
ordinaire d'après ce qu'il dit de la feuille et du fruit. M. Boissier
et les divers collecteurs qui lui ont envoyé des plantes de Syrie
et du Liban ne paraissent pas avoir vu 1 espèce. Spach ^ prétend
qu'elle est indigène en Perse, mais sans en donner aucune
preuve. MM. Boissier et Buhse ^ n'en parlent pas dans leur énu-
mération des plantes de la Transcaucasie et de Perse.
Il est inutile de chercher l'origine en Afrique. Les Abricotiers
que Reynier "^ dit avoir vus « presque sauvages » dans la Haute
Egypte devaient venir de noyaux jetés hors des cultures, comme
cela se voit en Algérie ^. MM. Schweinfurth et Ascherson ®, dans
leur catalogue des plantes d'Egypte et Abyssinie,ne mentionnent
l'espèce que comme cultivée. D'ailleurs, si elle avait existé
jadis dans le nord de l'Afrique, les Hébreux et les Romains en
auraient eu connaissance de bonne heure. Or il n'y a pas de
nom hébreu, et Pline dit que l'introduction à Rome datait de
trente années lorsqu'il écrivait son livre.
Poursuivons notre recherche du côté de l'Orient.
Les botanistes anglo-indiens *^ s'accordent à dire que l'Abri-
cotier, généralement cultivé dans le nord de l'Inde et au Thibet,
n'y est pas spontané ; mais ils ajoutent qu'il tend à se naturaliser
ou qu'on le trouve sur l'emplacement de villages abandonnés.
MM. Schlagintweit ont rapporté plusieurs échantillons du nord-
ouest de l'Inde et du Thibet, que M. A. Wesmael " a vérifiés;
1. Tchihatcheff, Asie Mineure, Botanique, vol. 1.
2. K. Koch, Dendrologie, 1, p. 87.
3. Nouv. ann. des voyages, févr. 1839, p. 176.
4. E. de Salle, Voyage, 1, p. 140.
5. Spach, Hist. des vég. phanérog., 1, p. 389.
6. Boissier et Buhse, Aufzàhlun^ der auf eine Reise, eéc, in-4, 1860.
7. Reynier, Economie des Egyptiens, p. 371.
8. Munbjr, CataL, FI. d'Algérie, p. 49 ; éd. 2.
9. Schweinfurth et Acherson, Beitrsege zur flora éthiopiens, in-4, ISS?,
p. 259.
10. Hoyle, ///. of Himalaya, p. 205 j Aitchison, Catal. of Punjab anc
Sindh, p. 56 ; sir J. Hooker, FI. of brit, India, 2, p. 313 ; Brandis, Fmtm<
flora o/ N. W. and central India, 191.
H. Wesmael, dans Bull. Soc. bot. Belgiq-, 8, p. 219.
ABRICOTIER 173
mais, d'après ce qu'il a bien voulu m'écrire, il ne peut pas
affîmer la qualité spontanée, l'étiquette des collecteurs ne don-
nant aucune information à cet égard.
je lis dans le curieux opuscule
Schneider*, rédigé à Pékin, le passage suivant, qui me paraît tran-
cher Ja question en faveur de l'origine chinoise : Sing^ comme
on le sait bien, est l'abricot [Prunus Armeniacà), Le caractère
(un signe chinois imprimé p. iO) n'existe, comme indiquant un
fruit, ni dans le Shu-King ou les Shi-King, Gihouh, etc. ; mais le
Shan-hai King dit que plusieurs Sing croissent sur les collines
(ici un caractère chinois). En outre, le nom de l'abricot est
représenté par un caractère particulier, ce qui peut démontrer
Qu'il est indigène en Chine. » Le Shan-hai-King est attribué à
1 empereur Yu, qui vivait en 2205-2198 avant Jésus-Christ. De-
caisne ', qui a soupçonné le premier l'origine chinoise de l'abri-
cot, avait reçu récemment du Dr Bretschneider des échantillons
accompagnés de la note suivante : « N° 24, Abricotier sauvage
des montagnes de Peking, où il croit en abondance. Le fruit est
petit (2 cent. 1/2 de diamètre). Sa peau est jaune et rouge; sa
chair est jaune rougeâtre, d'une saveur acide, mais mangeable.
— N» 25, noyaux de l'Abricotier cultivé aux environs de Peking.
Le fruit est deux fois plus gros que le sauvage *. » Decaisne ajou-
tait dans la lettre qu'il avait bien voulu m'écrire : « La forme et
la surface des noyaux sont absolument semblables à celles de nos
petits abricots; ils sont lisses et non rugueux. » Les feuilles
qu'il m'a envoyées sont bien de l'Abricotier.
On ne cite pas l'abricotier dans la région du fleuve Amur, ni
au japon ^. Peut-être le froid de l'hiver y est-il trop rigoureux.
Si l'on réfléchit au défaut de communications, dans les temps
anciens, entre la Chine et l'Inde, et aux assertions de l'indigénat
de l'espèce dans ces deux pays, on est tenté de croire au premier
aperça que la patrie ancienne s'étendait du nord-ouest de
linde à la Chine. Cependant, si Ton veut adopter cette hypo-
thèse, il faut admettre aussi que la culture de TAbricotier se
serait répandue bien tard du côté de l'ouest. On ne lui connaît
eu effet aucun nom sancrit ni hébreu, mais seulement un nom
Wudou, Zard-alu, et un nom persan, Misckmisch , qui a passé dans
J* Roxburgh, FL ind.y éd. 2, v. 2, p. 501.
2. Bretschneider, On the study and value of chinese works of botany,
MO et 49.
3* Decaisne, Jardin fruitiei' du Miiséum, vol. 8, article Abricotier.
*• Le D' Bretschneider confirme ceci dans son opuscule récent : Notes
0» botanical questions, p. 3.
„ 5. Le Prunus Armeniaca de Thunber^ est le Pr, Mume de Sieboid et
«uccarini. L'Abricotier n'est pas mentionné dans VEnumeratio, etc, de
"anchet et Savatier.
174 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
i'arabe *. Gomment supposer qu'un fruit aussi excellent et qui
s'obtient en abondance dans l'Asie occidentale se serait répandu
si lentement du nord-ouest de Tlnde vers le monde gréco-
romain? Les Chinois le connaissaient deux ou trois mille ans
avant Tère chrétienne. Chang-Kien était allé jusqu'en Bactriane,
un siècle avant cette ère, et il est le premier qui ait fait con-
naître rOccident à ses compatriotes *. C'est peut-être alors que
l'Abricotier a été connu dans l'Asie occidentale et qu'on a pu le
<;ultiver et le voir se naturaliser, çà et là, dans le nord-ouest de
l'Inde et au pied du Caucase, par l'effet de noyaux jetés hors des
plantations.
Amandier. — Amygdalus communis^lÀnné, — Pruni species,
Bâillon. — Prunus Amygdalus, Hooker fils.
L'Amandier se présente, avec l'apparence tout à fait spontanée
ou quasi spontanée , dans les parties chaudes et sèches de la
•région méditerranéenne et de l'Asie occidentale tempérée. Gomme
les noyaux sortis des cultures naturalisent facilement l'espèce,
il faut recourir à des indications variées pour deviner la patrie
ancienne.
Ecartons d'abord l'idée d'une origine de l'Asie orientale. Les
flores japonaises ne parlent pas de l'amandier. Celui que M. de
Bunge a vu cultivé dans le nord de la Chine, était le Persica
Davidiana '. Le D"^ Bretschneider *, dans son opuscule classique,
nous apprend qu'il n'a jamais vu l'Amandier cultivé en Ghme,
et que la compilation publiée sous le nom de Pent-sào, dans le
x« ou xie siècle de notre ère, le décrit comme un arbre du pays
des Mahométans, ce qui signifie le nord-ouest de l'Inde ou la
Perse.
Les botanistes anglo-indiens ^ disent que l'Amandier est cultivé.
dans les régions fraîches de l'Inde, mais quelques-uns ajoutent
qu'il n'y prospère pas et qu'on fait venir beaucoup d'amandes
de Perse ^. On ne connaît aucun nom sanscrit, ni même des
langues dérivées du sanscrit. Evidemment, le nord-ouest de
l'Inde est hors de la patrie originelle de l'espèce.
Au contraire, de la Mésopotamie et du Turkestan jusqu'en
Algérie, il ne manque pas de localités dans lesquelles d'excel-
lents botanistes ont trouvé l'Amandier tout à fait sauvage.
M. Boissier "^ a vu des échantillons recueillis dans les rocaillesen
1. Piddington, /nrfex;Roxburgh, FI. ind,,\, c.;For8kal, FL Bgypt. ; De-
lile, ///. Egypt.
2. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical works,
3. Bretschneider, Early european researches. p. 149.
4. Bretschneider, Study and value, etc.,B, 10, et Early researches^ p. 149.
5. Brandis, Forest flora ; sir J. Hooker, FI. of brit. India, 3, p. 313.
6. Roxburgh, FL md., éd. 2, vol. 2, p. 500; Royle, ///. Him(U.^ p. 204.
"7. Boissier, FL or,, 3, p. 641.
AMANDIER 175
Mésopotamie, dans TAderbijan, le Turkestan, le Kurdistan et
dans les forêts de l'Antiliban. Karl Koeh * ne l'a pas rencontré
à Tétat sauvage au midi du Caucase, ni M. de Tchihatcheff en
Asie Mineure, M. Cosson * a trouvé des bois naturels d'Aman-
diers près de Saïda, en Algérie. On le regarde aussi comme
sauvage sur les côtes de Sicile et de Grèce ^; mais là, et plus
encore dans les localités où il se montre en Italie, en France
ou en Espagne, il est probable ou presque certain que c'est
le résultat de noyaux dispersés par hasard à la suite des cul-
tures.
L'ancienneté d'existence dans l'Asie occidentale est prouvée
par le fait de noms hébreux, Schaked, Luz ou Lus (qui est
encore le nom arabe Louz)^ et de Schekedim, pour l'amande *.
Les Persans ont un autre nom, Badam^ dont j'ignore le degré
d'ancienneté. Théophraste et Dioscoride ^ mentionnent l'Aman-
dier sous un nom tout différent, Amugdalai y traduit par les
latins en Amygdalus, On peut en inférer que les Grecs n'avaient
pas reçu l'espèce de l'intérieur de l'Asie, mais l'avaient trouvée
chez eux ou au moins dans l'Asie Mineure. L'Amandier est
figuré plusieurs fois dans les peintures découvertes à Pom-
peia ®. Pline "^ doute que l'espèce fût connue en Italie du temps
de Gaton, parce qu'elle était désignée sous le nom de noix
grecque. Il est bien possible que l'Amandier eut été introduit
des îles de la Grèce à Rome. On n'a pas trouvé d'amandes dans
les € Terramare » du Parmesan, même dans les couches supé-
rieures.
J'avoue que le peu d'ancienneté de l'espèce chez les Romains
et l'absence de naturalisation hors des cultures en Sardaigne et
en Espagne ' me font douter de l'indigénat sur la côte septen-
trionale d'Afrique et en Sicile. Ce sont plutôt, à ce qu'il semble,
des naturalisations remontant à quelques siècles. A l'appui de
cette hypothèse, je remarque le nom berbère de l'amande
Talouzet •, qui se rattache évidemment à l'arabe Louz, c'est-à-
dire à la langue des conquérants venus après les Romains. Au
contraire, dans l'Asie occidentale et même dans certains points
de la Grèce, on peut regarder l'indigénat comme préhistorique,
1. K. Koch, Dendrologie, 1, p. 80 ; Tchihatcheff, Asie Mineure, Bota-
f^ique, 1, p. 108.
2. Ann, des se. nat,, série 3, vol. 19, p. 108.
3. Gussone, Synopsis fl. siculx, 1, p. 552 ; de Heldreich, Nutzpflanzen
<^rHechenland*Sf p. 67.
4. Hiller, Hierophyton, 1, p. 215 ; Rosenmûller, Handb, bibl. Alterk.j
*> p. 263.
5. Théophrastes, HisL, 1. 1, c. 11, 18, etc. ; Dioscorides, 1. 1, c. 176.
€. Schouw, Die Erde, etc.; Cornes, ///. piante net dipinti pompeiani, p. 13.
"7. Pline, HisL, 1. 16, c. 22.
S. Moris, Flora Sardoa, 2, p. 5 ; Willkomm et Lange, Prodr, FL hisp.,
3, p. 243.
9. Dictionnaire français-berbère, 1844.
476 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
je ne dis pas primitif, car tout a été précédé de quelque
chose.
Notons, en terminant, que la différence des amandes douces
et amères était déjà connue des Grecs et même des Hé-
breux.
Pêcher. — Amygdalus Persica, Linné. — Persica vulgarisy
Miller. — Pi^nus Persica^ Bentham et Hooker.
Je citerai l'article * dans lequel j'avais naguère indiqué la
pêche comme originaire de Chine, contrairement à l'opinion qui
régnait alors et que des personnes, peu au courant de la science,
continuent à reproduire. Je donnerai ensuite les faits découverts
depuis 1855.
a Les Grecs et les Romains ont reçu le Pécher à peu près au
commencement de l'ère chrétienne. » Les noms de Persica^ Ma-
lum persicum indiquaient d'où ils l'avaient tiré. Je ne reviens pas
sur ces faits bien connus ^.
On cultive aujourd'hui divers Pêchers dans le nord de l'Inde';
mais, chose remarquable, on ne leur connaît aucun nom sans-
crit * : d'où Ton peut inférer une existence et une culture peu
anciennes dans ces régions. Roxburgh, ordinairement si explicite
pour les noms indiens modernes, ne mentionne que des noms
arabes et chinois. Piddington n'indique aucun nom indien, et
Royle donne seulement des noms persans.
Le Pêcher ne réussit pas ou exige de très grands soins pour
réussir dans le nord-est de l'Inde ^. En Chine, au contraire, sa
culture remonte à la plus haute antiquité. Il existe dans ce
pays une foule d'idées superstitieuses et de légendes sur les pro-
priétés de diverses variétés de pêches * ; le nombre de ces va-
riétés est très considérable ^; en particulier, on y trouve la
1. Alph. de CandoUe, Géogr, bot. rais., p. 881.
2. Theophra8tes, Hist., IV, c. IV; Dioscorides, 1. 1, c. CLXIV; Pline, édit
de Genève, l. XV, c. XIII.
3. Royle, ///. Htm., p. 204.
4. Roxburgh, FI. Ind., 2* édit., II, p. 500 ; Piddington, Index; Royle, /. c.
5. Sir Jos. Hooker, Joutm. of bot., 1850, p. 54.
6. Rose, chef du commerce français à Canton, les avait recueillies d'après
des manuscrits chinois, et Noisette {Jard. fruit., 1, p. 76) a transcrit
textuellement une partie de son mémoire. Ce sont des mits dans le genre
de ceux-ci : Les Chinois considèrent les pêches allongées en pointe et
bien rouges d'un côté comme le symbole d'une longe vie. En censé-
.quence de cette antique persuasion, ces pêches entrent dans tous les or>
nements, en peinture et en sculpture, et siu*tout dans les présents de
congratulations, etc. Selon le livre de Chin-noug-king, la pêche Yu-
prévient la mort ; si Ton n'a pas pu la manger à temps, elle préserve ao^
moins le corps de la corruption jusqu'à la fin du monde. On cite tougourss
la pêche dans les fruits d'immortalité dont on a bercé les espérances de
Tsinchi-Hoang, de Vouty, des Han et autres empereurs qui prétendaient ié
l'immortalité, etc.
7. Lindley, Trans. hort, soc, V, p. 121.
PÉCHER 177
forme singulière de la pêche déprimée *, qui paraît s'éloigner
plus qu'aucune autre de Tétat naturel de l'espèce; enfin, un nom
simple, celui de 7b, est donné à la pêche ordinaire *.
« D'après cet ensemble de faits, je suis porté à croire que le
Pêcher est originaire de Chine plutôt que de l'Asie occidentale.
S'il avait existé de tout temps en Perse ou en Arménie, la con-
naissance et la culture d'un arbre aussi agréable se seraient
répandues plus tôt dans l'Asie Mineure et la Grèce. L'expédition
d'Alexandre est probablement ce qui l'avait fait connaître à
Théophraste (322 avant J.-G.) , lequel en parle comme d'un
fruit de Perse. Peut-être cette notion vague des Grecs remonte-
t-elle à la retraite des Dix mille (401 avant J.-C.) ; mais Xéno-
phon ne mentionne pas le Pêcher. Les livres hébreux n'en font
aussi aucune mention. Le Pêcher n'a pas de nom en sanscrit,
et cependant le peuple parlant cette langue était venu dans
l'Inde du nord-ouest, c'est-à-dire de la patrie ordinairement pré-
sumée pour l'espèce. En admettant cette patrie, comment expli-
quer que ni les Grecs des premiers temps de la Grèce, ni les
Hébreux, ni le peuple parlant sanscrit, qui ont tous rayonné de
la région supérieure de l'Euphrate ou communiqué avec elle,
n'auraient pas cultivé le Pêcher ? Au contraire, il est très possi-
ble que des noyaux d'un arbre fruitier cultivé de toute ancien-
neté en Chine aient été portés, au travers des montagnes, du
centre de l'Asie en Cachemir, dans la Bouckarie et la Perse.
Les Chinois avaient découvert cette route depuis un temps très
reculé. L'importation aurait été faite entre l'époque de l'émi-
' gi'ation sanscrite et les relations des Perses avec les Grecs. La
culture du Pêcher, une fois établie dans ce point, aurait mar-
ché facilement, d'un côté vers l'occident, de l'autre, par le
Caboul, vers le nord de l'Inde, où elle n'est pas très ancienne.
« A l'appui de l'hypothèse d'une origine chinoise, on peut
ajouter que le Pêcher a été introduit de Chine en Cochinchine ^,
et que les Japonais donnent à la pêche le nom chinois de Tao *.
M. Stanislas Julien a eu l'obligeance de me lire en français
quelques passages de VEncyclopédie japonaise (liv. LXXXVI, p. 7),
où le Pêcher Tao est dit un arbre des contrées occidentales,
chose qui doit s'entendre des parties intérieures de la Chine, rela-
tivement à la côte orientale, puisque le fragment est tiré d'un
auteur chinois. Le Tao est déjà dans les livres de Confucius, au
V® siècle avant l'ère chrétienne, et même dans le Rituel, du
x« siècle avant Jésus-Christ. La qualité de plante spontanée
1. Trans, hort. soc. Lond., IV, p. 512, tab. 19.
2. Roxburgh, /. c.
3. Loureiro, FI. coch., p. 386.
4. Kaempfer, Amoen., p. 798 ; Thunber^, FI. Jap., p. 199.
Kaempfer et Thunberg indiquent aussi le nom de Momu, mais M. de
Siebold {FI. Jap., 1, p. 29) attribue un nom assez semblable, Mume, à un
Prunier, Prunus Mume, Sieb. et Z.
De Candolle. 12
178 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
n'est pas spécifiée dans V Encyclopédie dont je viens de parler;
mais, à cet égard, les auteurs chinois sont peu attentifs.
Après quelques détails sur les noms vulgaires de la pêche
dans diverses langues, je disais : « L'absence de noms sanscrits et
hébreux reste le fait le plus important, duquel on peut inférer
une introduction dans l'Asie occidentale venant de plus loin,
c'est-à-dire de Chine. »
« Le Pécher a été trouvé spontané dans plusieurs points de
l'Asie; mais on peut toujours se demander s'il y était d'origine
primitive, ou par le fait de la dispersion des noyaux provenant
de pieds cultivés . La question est d'autant plus nécessaire que
ces noyaux germent facilement et que plusieurs des modifica-
tions au Pécher sont héréditaires ^ Des pieds en apparence
spontanés ont été trouvés fréquemment autour du Caucase.
Pallas ^ en a vu sur les bords du Terek, où les habitants lui
donnent un nom qu'il dit persan, Scheptala ^. Les fruits en sont
velus, âpres (austeri), peu charnus, à peine plus gros que ceux
du Noyer; la plante petite. Pallas soupçonne que cet arbuste
provient de Pêchers cultivés. Il ajoute qu'on le trouve en Crimée,
au midi du Caucase et en Perse; mais Marshall Bieberstein,
C.-A. Meyer et Hohenacker n'indiquent pas de Pêcher sauvage
autour du Caucase. D'anciens voyageurs, Gmelin, Gûldenstsedt
^t Georgi, cités par Ledebour, en ont parlé. C. Koch * est le seul
botaniste moderne qui dise avoir trouvé le Pêcher en abondance'
dans les provinces caucasiennes. Ledebour ajoute cependant
avec prudence : Est-il spontané? Les noyaux que Bruguière et
Olivier avaient apportés dlspahan, qui ont été semés à Paris et
ont donné une bonne pêche velue, ne venaient pas, comme le
disait Bosc ^, d'un Pêcher sauvage en Perse, mais d'un arbre
des jardins d'Ispàhan *. Je ne connais pas de preuves d'un Pé-
cher trouvé sauvage en Perse, et, si des voyageurs en indiquent,
on peut toujours craindre qu'il ne s'agisse d'arbres semés. Le
docteur Royle ' dit que le Pêcher croît sauvage dans plusieurs
endroits du midi de l'Himalaya, notamment près de Mussouri;
mais nous avons vu que dans ces régions la culture n'en est pas
ancienne, et ni Roxburgh ni le Flora nepalensis de Don n'indi-
quent de Pêcher sauvage. M. Bunge * n'a trouvé dans le nord
de la Chine que des pieds cultivés. Ce pays n'a guère été exploré,
et les légendes chinoises semblent indiquer quelquefois des Pè-
1. Noisette, Jard, fr., p. 77 ; Trans, Soc. hort. Lond.^ IV, p. 513.
2. Pallas, FI. ross.y p. 13.
3. Shuft-aloo (proDoncez Schouft-alou)^ est le mot persan de la pêche
lisse, d'après Royle (///. Him., p. 204).
4. Ledebour, FI. ross. 1, p. 3. voir, p. 181, l'opinion subséquente de Koch.
o. Bosc, Dict. d'agj\, IX, p. 481.
6. Thouin, Ann. Mm., VIlI, p. 433.
7. Royle, ///. Him., p. 204.
8. Bunge, Enum. plant, chin., p. 23.
PÊCHER 179
chers spontanés. Ainsi, le Ckotù-y-ki, d'après Tauteur cité pré-
cédemment, porte : « Quiqonque mange des pêches de la mon-
tagne de Kouoliou obtient une vie éternelle. » Pour le Japon,
Thunberg * dit : « Grescit ubique vulgaris, praecipue juxta
Nagasaki'. In omni horto colitur ob elegantiam florum. » Il
semble, d'après ce passage, que l'espèce croit hors des jardins
et dans les jardins: mais peut-être il s'agit seulement, dans le
premier cas, de Pêchers cultivés en plein vent.
« Je n'ai rien dit encore de la distinction à établir entre les dif-
férentes variétés ou espèces de Pêchers. C'est que la plupart sont
cultivées dans tous les pays, du moins les catégories bien tran-
chées que l'on pourrait considérer comme des espèces botani-
ques. Ainsi la grande distinction des pêches velues et des pêches
lisses, sur laquelle on a proposé deux espèces [Persica vulgaris^
Mill, et P, lœvis^ D C.) se trouve au Japon ^ et en Europe, ainsi
que dans la plupart des pays intermédiaires ^. On accorde moins
d'importance aux distinctions fondées sur l'adhérence ou non-
adhérence de la peau superficielle, sur la couleur blanche,
jaune ou rouge de la chair, et sur la forme générale du fruit.
Les deux grandes catégories de pêches, velues et lisses, offrent
la plupart de ces modifications, et cela en Europe, dans l'Asie
occidentale et probablement en Chine. Il est certain que dans
ce dernier pays la forme varie plus qu'ailleurs, car on y voit,
comme en Europe, des pêches allongées, et de plus des pêches
dont je parlais tout à l'heure, qui sont entièrement dépri-
mées, où le sommet du noyau n'est pas même recouvert de
chair*. La couleur y varie aussi beaucoup ^. En Europe, les
variétés les plus distinctes , en particulier les pêches lisses
et velues, à noyau adhérent ou non adhérent, existaient
déjà il y a trois siècles, car J. Bauhin les énumère avec beau-
coup de clarté ®, et avant lui Dalechamp, eh 1587, indiquait
aussi l^s principales '^. A cette époque, les pêches lisses étaient
appelées rfucipersica^ à cause de leur ressemblance de forme, de
grosseur et de couleur avec le fruit du Noyer. C'est dans le même
sens que les Italiens les appellent encore Pescanoce,
« J'ai cherché inutilement la preuve que cette pêche lisse
existât chez les anciens Romains. Pline *, qui mélange dans sa
compilation des Pêchers, des Pruniers, le Laurus Persea et
d'autres arbres peut-être, ne dit rien qui puisse s'entendre d'un
1. Thunberg, FI. Jap., p. 199.
2. Thunberg, FL Jap.,i^. 199.
3. Les relations sur la Chine, que j'ai consultées, ne parlent pas de la
pêche lisse ; mais^ comme elle existe au Japon, il est infiniment probable
qu'elle est aussi en Chine.
4. Noisette, /. c; Trans, Soc. hovt.^ IV, p. 512, tab. 19.
5. Lindley, Trans. hort. Soc, V, p. 122.
6. J. Bauhin, Hist., 1, p. 162 et 163.
7. Dalechamp, Hist., 1, p. 29o.
8. Pline, 1. XV, eh. 12 et 13.
180 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
fruit pareil. On a cru quelquefois le reconnaître dans les Tuberes
dont il parle *. C'était un arbre apporté de Syrie du temps d'Au-
guste. Il y avait des Tuberes blanches et des rouges. D'autres
(Tuberes? ou Mala?) des environs de Vérone étaient velues. Le
reste du chapitre paraît concerner les Mala seulement. Des vers
élégants de Pétrone, cités par Dalechanip 2, prouvent clairement
que les Tuberes des Romains du temps de Néron étaient un fruit
Il • *iAa 1T*1* Irw' 1 \ 1 v^ •
égard ou s'est mis à critiquer l'assertion des autres ^. Peut-être
y avait- il des Tuberes de deux ou trois espèces, comme le dit
Pline, et Tune d'elles, qui se greffait sur les Pruniers *, était-elle
la pèche lisse? Je doute qu'on puisse jamais éclaircir cette ques-
tion ^
« En admettant même que le Nucipersica eût été introduit en
Europe seulement au moyen âge, on ne peut se refuser à cons-
tater le mélange dans les cultures européennes depuis plusieurs
siècles, et au Japon depuis un temps inconnu, de toutes les qua-
lités principales de pèches. Il semble que ces qualités diverses se
soient produites partout au moyen d'une espèce primitive, qui
aurait été la pèche velue. S'il y avait eu d'origine deux espèces,
ou elles auraient été dans des pays différents, et leur culture se
serait établie séparément, ou elles auraient été dans le même
pays, et dans ce cas il est probable que les anciens transports
auraient introduit ici une des espèces, ailleurs l'autre. »
J'insistais, en 1855, sur d'autres considérations pour appuyer
l'idée que la pèche lisse ou Brugnon [Nectarine des Anglais)
est issue du Pêcher ordinaire; mais Darwin a cité un si grand
nombre de cas dans lesquels une branche de Nectarine est
sortie tout à coup d'un Pêcher à fruit velu, qu'il est inutile d'en
parler davantage. J'ajouterai seulement que le Brugnon a
toutes les apparences d'un arbre factice. Non seulement on ne
l'a pas trouvé sauvage, mais il ne se naturalise pas hors des
jardins, et chaque pied dure moins que les Pêchers ordinaires.
C'est une forme affaiblie.
« La facilité, disais-je, avec laquelle nos Pêchers se sont mul-
tipliés de semis en Amérique et ont donné, sans le secours de
la greffe, des fruits charnus, quelquefois très beaux, me fait
croire que l'espèce est dans un état naturel, peu altéré par une
1. Pline, Dediv. gen, malotnim, I. 2, c. 14.
2. Dalechamp, Hist.f 1, p. 358.
3. Dalechamp, /. c. ; MaUhioli, p. 122; Cœsalpiniis, p. 107; J. Bauhia,
p. 163, etc.
4. Pline, L 17, c. 10.
5. Je n'ai pas pu découvrir un nom italien de fruit glabre ou autre qui
dérive de tuOe?' ou tuberes. C'est une chose singulière, car, en général,
les anciens noms de fruits se sont conservés sous quelque forme.
PÉCHER 181
longue culture ou par des fécondations hybrides. En Virginie et
dans les Etats voisins, on a des pêches provenant d'arbres
semés, non greffés, et leur abondance est si grande qu'on est
obligé d'en faire de Teau-de-vie *. Sur quelques pieds, les
fruits sont magnifiques *. A Juan-Fernandez, dit Bertero ', le
Pêcher est si abondant, qu'on ne peut se faire une idée de la
quantité de fruits qu'on en récolte ; ils sont en général très bons,
malgré l'état sauvage dans lequel ils sont retombés. D'après
ces exemples, il ne serait pas surprenant que les Pêchers sau-
vages, à fruits médiocres, trouvés dans l'Asie occidentale, fus-
sent tout simplement des pieds naturalisés sous un climat peu
favorable, et que l'espèce fût originaire de Chine, où la culture
parait la plus ancienne. »
Le Dr Bretschneider *, entouré à Peking de toutes les res-
sources de la littérature chinoise, après avoir lu ce qui précède,
s'est contenté de dire : « Tao est le Pêcher. De GandoUe pense
que la Chine est le pays natal de la Pêche. Il peut avoir raison
(He maybe right). »
L'ancienneté d'existence et la spontanéité de l'espèce dans
l'Asie occidentale sont devenues plus douteuses qu'en 1855. Les
botanistes anglo-indiens parlent du Pêcher comme d'un arbre
uniquement cultivé ^, ou cultivé et se naturalisant dans le nord-
ouest de l'Inde, avec une apparence spontanée ^. M. Boissier '
cite des échantillons recueillis dans le Ghilan et au midi du
Caucase, mais il n'affirme rien quant à la qualité spontanée, et
Karl Koch *, après avoir parcouru cette région, dit en parlant
du Pêcher : « Patrie inconnue, peut-être la Perse. » M. Boissier a
vu des pieds qui se sont établis dans les gorges du mont
flymette, près d'Athènes.
Le Pêcher se répand avec facilité dans les pays où on le cul-
tive, de sorte qu'on a de la peine à savoir si tel individu est
d'origine naturelle, antérieure à la culture, ou s'il est naturalisé;
mais c'est en Chine qu'on a certainement commencé à le planter;
c'est là qu'on en a parlé deux mille ans avant l'introduction
4ans le monde gréco-romain, un millier d'années peut-être avant
l'introduction dans les pays de langue sanscrite.
Le groupe des Pêchers (genre ou sous-genre) se compose
-maintenant de cinq formes, que Decaisne ^ considérait comme
des espèces, mais que d'autres botanistes appelleront volontiers
1. Braddick, Trans. hort. Soc. Lond., 2, p. 205.
2. Ibid,, pi. 13.
3. Bertero, dans Ann. se. nat.^ XXI, p. 350.
4. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical work,,
.p. 10.
5. Sir J. Hooker, FL ofbrit. India, 2, p. 313.
6. Brandis, Forest flora, etc., p. 191.
7. Boissier, Flora orientalis^ 2, p. 640.
8. K. Koch, Dendrologie, 1, p. 83.
9. Decaisne, Jardin fruitier au Muséum^ Pêchers, p. 42.
482 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
des variétés. L'une est le Pêcher ordinaire, la seconde est le
Pêcher à fruit lisse, que nous savons être issu du premier; la
troisième est le Pêcher à fruit déprimé {P,platycarpa^ Decaisne).
cultivé en Chine, et les deux dernières sont indigènes en Chine
{P. Simonii^ Decaisne, et P. Davidiiy Carrière) ; c'est donc un
groupe essentiellement de Chine.
Il est difficile, d'après cet ensemble de faits, de ne pas ad-
mettre pour le Pêcher ordinaire l'origine chinoise que j'avais
supposée jadis d'après des documents moins nombreux. L'ar-
rivée en Italie au commencement de Tère chrétienne est con-
firmée aujourd'hui par l'absence de noyaux de pêches dans les
terramare, ou habitations lacustres de Parme et de Lombardie^
et par la présence du Pêcher dans les peintures des maisons-
riches de Pompeia *.
Il me reste à parler d'une opinion émise autrefois par A. Knight
et soutenue par plusieurs horticulteurs, que le Pêcher serait une
modification de l'Amandier. Darwin ^ a réuni les documents
à l'appui de cette idée, sans oublier d'en citer un qui lui a paru
contraire. Celasse résume en : 1° une fécondation croisée, qui
a donné à Knight des résultats assez douteux ; 2° des formes
\ intermédiaires, quant à l'abondance de la chair et au noyau,
I obtenues de semis de pêches ou, par hasard, dans les cultures,
formes dont la pêche-amande est un exemple connu depuis
I longtemps. Decaisne ^ signalait des différences entre TAman-
i dier et le Pêcher dans la taille et dans la longueur des feuilles^
j indépendamment des noyaux. Il traite l'idée de Knight de « sin-
* gulière hypothèse ».
La géographie botanique est contre cette hypothèse , car
l'Amandier est un arbre originaire de l'Asie occidentale, qut
n'existait pas autrefois dans le centre du continent asiatique et
dont l'introduction en Chine, comme arbre cultivé, ne remonte
pas au delà de l'ère chrétienne. Les Chinois, de leur côté, possé-
daient, depuis des milliers d'années, différentes formes du Pécher
ordinaire et en outre les deux formes spontanées dont j'ai
parlé. L'Amandier et le Pêcher étant partis de deux régions très
éloignées l'une de l'autre, on ne peut guère les considérer comme
une même espèce. L'un était cantonné en Chine, l'autre en Syrie
et Anatolie. Le Pêcher, après avoir été transporté de Chine dans
l'Asie centrale et, un peu avant l'ère chrétienne, dans l'Asie
occidentale, ne peut pas avoir produit alors l'Amandier, puisque
ce dernier arbre existait déjà dans le pays des Hébreux. Et, si
l'Amandier de l'Asie occidentale avait produit le pêcher, com-
ment celui-ci se serait-il trouvé en Chine à une époque très
reculée, tandis qu'il manquait au monde gréco-romain?
1. Cornes, Illustr, plante iiei dipinti Pompfianij p. 14.
2. Darwin, On variations^ e^c, 1, p. 338.
3. Decaisne, /. c, p. 2.
POIRIER COMMUN 183
Poirier commun. — Pyrus communis Linné.
Le Poirier se montre à l'état sauvage dans toute l'Europe
tempérée et dans l'Asie occidentale, en particulier en Anatolie,
au midi du Caucase et dans la Perse septentrionale *, peut-être
même dans le Gachemir, mais ceci est très douteux ^. Quelques
auteurs admettent que Thabitation s'étend jusqu'en Chine. Gela
tient à ce qu'ils considèrent le Pyrus sinensis, Lindley, comme
appartenant à la même espèce. Or l'inspection seule des feuilles,
où les dentelures sont terminées par une soie fine, m'a convaincu
de la diversité spécifique des deux arbres ^.
Notre Poirier sauvage ne diffère pas beaucoup de certaines
variétés cultivées. Il a un fruit acerbe, tacheté, de forme amincie
dans le bas ou presque sphérique, sur le même pied *. Pour
beaucoup d'autres espèces cultivées, on a de la peine à distinguer
les individus venant d'une origine sauvage de ceux que le hasard
des transports de graines a fait naître loin des habitations. Dans
le cas actuel, ce n'est pas aussi difficile. Les Poiriers se trouvent
souvent dans les forêts, et ils atteignent une taille élevée, avec
toutes les conditions de fertilité d'une plante indigène ^. Voyons
cependant si, dans la vaste étendue qu'ils occupent, on peut soup-
çonner une existence moins ancienne ou moins bien établie dans
certaines contrées que dans d'autres.
. On ne connaît aucun nom sanscrit pour la poire, d'où il est
Sermis d'affirmer que la culture dans le nord-ouest de l'Inde date
'une époque peu ancienne, et que l'indication, d'ailleurs trop
vague, de pieds spontanés dans le Gachemir, n'a pas d'impor-
tance. Il n'y a pas non plus de noms hébreux ou araméens ^,
mais cela s'explique par le fait que le Poirier ne s'accommode pas
des pays chauds dans lesquels ces langues étaient parlées.
Homère , Théophraste et Discoride mentionnent le Poirier
sous les noms d'Ochnai, Apios ou Ackras. Les Latins l'appelaient
Pirus ou Pyrus \ et ils en cultivaient un grand nombre de
1. Ledebour, FI, ross., 2, p. 94; et surtout Boissier, FI, orient., 2, p. 653,
qui a vérifié plusieurs échnntillone.
2. Sir J. Hooker, FI. brit. Jndia, 2, p. 374.
3. Le P. sinensis décrit par Lindley est mal figuré quant aux dentelures des
feuilles dans la planche du Botamcal registei^ et au contraire parfaitement
bien dans celle du Jardin fruitier du Muséum, de Decaisne. G est la même
espèce que le P. ussuriensis, Maximowicz, de l'Asie orientale.
4. Il est figuré très bien dans le nouveau Duhamel, 6, pi. 59, et dans
Decaisne, Jardin fruitier du Muséum, pi. \, fig. B et G. Le P. Balansse,
pi. 6, du même ouvrage, paraît semblable, selon l'observation de M. Bois-
sier.
5. C'est le cas, par exemple, dans les forêts de la Lorraine, d'après les
observations de Godron, De l'origine probable des Poiriers cultivés, br. in-
8% 1873, p. 6.
6. RosenmûUer, BibL Altertk,: Lbw, Aramaeische Pflanzennamen, 1881.
7. L'orthographe Pyrus, adoptée par Linné, se trouve dans Pline, His-
toria, éd. 1631, p. 301. Quelques botanistes ont voulu raffiner en écrivant
Pirus, et il en résulte que, pour une recherche dans un livre moderne, il
faut consulter Tindex dans deux endroits, ou risquer de croire que les
184 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
variétés, du moins à Tépoque de Pline. Les peintures murales de
Pompeia montrent souvent cet arbre avec son fruit *.
Les lacustres de Suisse et d'Italie récoltaient les pommes
sauvages en grande quantité , et dans ces provisions il s'est
trouvé quelquefois, mais rarement, des poires. M. Heer en a
figuré une des stations de WangenetRobenhausen, sur laquelle
on ne peut se méprendre. C'est un fruit aminci dans le bas, ayant
28 millimètres de long et 19 de large, coupé longitudinalement
de manière à montrer une chair fort peu épaisse autour de la
partie cartilagineuse centrale ^. On n'en a pas trouvé dans les
stations du lac du Bourget, en Savoie. Dans celles de Lombardie,
le professeur Ragazzoni ^ a trouvé une poire, coupée en long,
ayant 25 millimètres sur 16. Elle était à Bardello, dans le lac de
Varèse. Les poires sauvages figurées dans le Nouveau Duhamel
ont 30-33 millimètres, sur 30-32, et celles du Laristan, figurées
dans le Jardin fruitier du Muséum sous le nom de P, Balansœ,
qui me paraissent de la même espèce et d'origine bien spontanée,
ont 26-27 millimètres sur 24-25. Dans ces poires sauvages ac-
tuelles la chair est un peu plus épaisse, mais les anciens lacus-
tres avaient fait sécher leurs fruits après les avoir coupés en long,
ce qui doit en avoir diminué l'épaisseur. Les stations indiquées
n'accusent la connaissance ni des métaux ni du chanvre ; mais,
vu leur éloignement de localités plus civilisées des temps anciens,
surtout lorsqu'il s'agit de la Suisse, il est possible que les restes
découverts ne soient pas antérieurs à la guerre de Troie ou à la
fondation de Rome.
J'ai cité trois noms de l'ancienne Grèce et un nom latin, mais il y
en a beaucoup d'autres : par exemple, en arménien et géorgien,
Pauta; en hongrois, Vatzkor ; dans les langues slaves, Gruscha
(russe), Hrusska (bohème), Kruska (illyrien). Des noms analogues
au Pyrus des Latins se trouvent dans les langues celtiques : Feir
(irlandais), Per (cymrique et armoricain) *. Je laisse les linguistes
laire des conjectures sur l'origine plus ou moins aryenne de plu-
sieurs de ces noms et du Birn des Allemands, mais je note leur
diversité et multiplicité comme un indice d'existence fort ancienne
de l'espèce depuis la mer Caspienne jusqu'à l'Atlantique. Les
Aryas n'ont sûrement pas emporté dans leurs migrations vers
l'ouest des poires ou des pépins de poires ; mais, s'ils ont retrouvé
en Europe un fruit qu'ils connaissaient, ils lui auront donné le
nom ou les noms usités chez eux, tandis que d'autres noms an-
Poiriers ne sont pas dans Vouvrage. En tout cas le nom des anciens est
un nom vulgaire, mais le nom vraiment botanique est celui de Linné, fon-
dateur de la nomenclature adoptée, et Linné a écrit Pyrus.
1. Comès, ///. plante dipinti Pompeiani, p. 59.
2. Heer, Pfahlbauten, p. 24, 26, fig. 7.
3. Sordelli, Notizie staz. lacustre ai Lagozza, p. 37.
4. Nemnich, Polyglott. Lexicon Naturgesch.; Ad. Pictet, Origines indo^uro»
péennes, 1, p. 277; et mon Dictionnaire manuscrit de noms vulgaires»
POIRIER SAUGER 188
térieurs ont pu continuer dans quelques pays. Comme exemple
de ce dernier cas, je citerai deux noms basques du Poirier,
Udarea et Madaria *, qui n'ont aucune analogie avec les noms
asiatiques ou européens déjà connus. Les Basques étant proba-
blement des Ibères subjugués et refoulés vers les Pyrénées par
les Celtes, l'ancienneté de leur langue est très grande, et, pour
Tespèce en question, il est clair qu'ils n'ont pas reçu les noms
des Celtes ou des Romains.
En définitive, on peut regarder Thabitation actuelle du Poirier
de la Perse septentrionale à la côte occidentale de l'Europe tem-
pérée , principalement dans les régions montueuses , comme
préhistorique et même antérieure à toute culture. Il faut ajouter
néanmoins que dans le nord de l'Europe et dans les îles britan-
niques la fréquence des cultures a dû étendre et multiplier des
naturalisations d'une époque relativement moderne, qu'on ne
peut guère distinguer maintenant.
Je ne saurais me ranger à l'hypothèse de Godron , que les
nombreuses variétés cultivées proviennent d'une espèce asiatique
inconnue *. Il semble qu'elles peuvent se rattacher, comme le dit
Oecaisne, au P, communis ou au P, nivalis^ dont je vais parler,
en admettant les effets de croisements accidentels, de la culture
et d'une longue sélection. D'ailleurs on a exploré l'Asie occi-
dentale assez complètement pour croire qu'elle ne renferme pas
d'autres espèces que celles déjà décrites.
Poirier Sauger. — Pyrus nivalis^ Jacquin .
On cultive en Autriche, dans le nord de l'Italie et dans
plusieurs départements de l'est et du centre de la France, un
Poirier qui a été nommé par Jacquin Pyrus nivalis ^, à cause
du nom allemand Schneebirn, motivé par l'usage des paysans
autrichiens d'en consommer les fruits quand la neige couvre les
montagnes. On le nomme en France Poirier Sauger^ parce que
les feuilles ont en dessous un duvet blanc qui les fait ressembler
à la Sauge. Decaisne * regardait toutes les variétés de Saugers
-comme dérivant du Pyrus Kotschyana , Boissier ^ , qui croît
spontanément dans l'Asie Mineure. Celui-ci prendrait alors le
nom de nivalis^ qui est le plus ancien.
Les Saugers cultivés en France pour faire du poiré sont de-
venus sauvages, çà et là, dans les forêts ^. Ils constituent la
1. D'après une liste de noms de plantes communiquée par M. d'Abadie
2i M. le professeur Clos, de Toulouse.
2. Godron, /. c, p. 28.
3. Jacquin, tlora austriaca, 2, p. 4, pi. 107.
*. Decaisne, Jardin fimitier du Muséum, Poiriers, pi. 21.
5. Decaisne, ibid., pi. 18, et introduction, p. 30. Plusieurs variétés de
Saugers, dont quelques-unes ont de gros fruits, sont figurées dans le
^me ouvrage.
Ô- Bureau, Flore du centre de la France, éd. 3, v. 2, p. 236.
186 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
masse des Poiriers dits à cidre^ qui se distinguent par la saveur
acerbe du fruit, indépendamment des caractères de la feuille.
Les descriptions des Grecs et des Romains sont trop impar-
faites pour qu'on puisse constater s'ils possédaient cette espèce.
On peut le présumer cependant, puisqu'ils faisaient du cidre *.
Poirier de Chine. — Pyrus sinensis Lindley *.
J'ai déjà mentionné cette espèce, voisine du Poirier commun,
qui est sauvage en Mongolie et Manchourie ^ et qu'on cultive
soit en Chine soit en Japon.
Son fruit, plus beau que bon, est employé pour compotes. Û
est trop nouveau dans les jardins européens pour qu'on ait cher-
ché à le croiser avec nos espèces, ce qui arrivera peut-être sans
qu'on le veuille.
Pommier. — Pyrus Malus^ Linné.
Le Pommier se présente à l'état sauvage dans toute l'Europe
(à l'exception de l'extrême nord), dans TAnatolie, le midi du
Caucase et la province persane de Ghilan *. Près de Trébizondè,
le botaniste Bourgeau en a vu toute une petite forêt ^. Dans les
montagnes du nord-ouest de l'Inde, il parait sauvage (appa-
rently wild), selon l'expression de sir J. Hooker, dans sa flore
de rinde anglaise. Aucun auteur ne le mentionne en Sibérie, en
Mongolie ou au Japon ^.
En Allemagne, on trouve deux formes spontanées, l'une à
feuilles et ovaires glabres, l'autre à feuilles laineuses en dessous,
et Koch ajoute que cette pubescence varie beaucoup '. En France,
des auteurs très exacts signalent aussi deux variétés spontanées^
mais avec des caractères qui ne concordent pas complètemeM
avec ceux de la flore d'Allemagne *. Cette diversité s'expliquerait
si les arbres spontanés dans certaines provinces proviennent de
variétés cultivées, dont les pépins auraient été dispersés. Lti
question qui se présente est donc de savoir jusqu'à quel degré
1. Palladius, De re rusticay L 3, c. 25. On employait pour cela « Pira
sylvestria, velasperi genens. »
2 . Le Coignassier de Chine avait été appelé par Thouin Pyrus sinen^.
Malheureusement Lindley a donné le même nom à un véritable Pyrus.
3. Decaisne [Jai^din fruitier du Muséum, Poiriers, pi. 5) a vu des échan»
tillons de ces deux pays. MM. Franchet et Savatier l'indiquent, au JapoB^
seulement comme cultivé.
4. Nyman, Conspectus florx europese, p. 240; Ledebour, Flora rassica^
2, p. 96; Boissier, Flora orient. j 2, p. 656; Decaisne, Nouvelles Arch, Mus,
10, p, 153. r
5. Boissier, l. c.
6. Maximowicz, Primitive ussur. ; Regel, Opit florij etc. y sur les plantes de
rUssuri, de Maak; Schmidt, Reisen Amur; Franchet et Savatier, Enum.
Jap., n'en parlent pas. Bretschneider cite un nom chinois qu'il dit s^appli-
quer à d'autres espèces.
7. Koch, Synopsis fl. gei^m,^ 1, p. 261.
8. Boreau, Flore du centre de ïa France, éd. 3, vol. 2, p, 23($.
POMMIER 187
Tespèce est probablement ancienne et originelle en divers pays,
et s'il n'y a pas une patrie plus ancienne que les autres, étendue
graduellement par des semis accidentels de formes altérées par
aes croisements et par la culture.
Si l'on demande dans quel pays on a trouvé le Pommier avec
l'apparence la plus indigène, c'est la région de Trébizonde au
Ghilan qu'il faut citer. La forme qu'on y rencontre sauvage est
à feuilles laineuses en dessous, à pédoncule court et fruit doux *,
qui répond au Malus communis de France, décrit par Boreau.
Voilà un indice que la patrie préhistorique s'étendait de la mer
Caspienne jusque près de l'Europe..
Piddington citait, dans son Index, un nom sanscrit pour le
Pommier, mais Adolphe Pictet * nous apprend que ce nom,
Seba, est industani et provient du persan Sêb, Sêf, L'absence
de nom plus ancien dans l'Inde fait présumer que la culture,
actuellement fréquente, dans le Cachemir et le Thibet, et sur-
tout celle dans les provinces du nord-ouest ou du centre de l'Inde
sont plus anciennes. Le Pommier n'était probablement connu
que des Aryas occidentaux.
Ceux-ci ont eu, selon toute probabilité, un nom basé sur A6,
Af, Av, Ob, car on remarque ce radical dans plusieurs langues
européennes d'origine aryenne. Ad. Pictet cite : en irlandais
khatl, Ubhal;en cymrique, Afal; en armoricain, Aval; en ancien
allemand, Aphal; en anglo-saxon. Appel; en Scandinave, Apliy
en lithuanien, Obolys;en ancien slave, Iabluko;en russe ^labloko,
U semble, d'après cela, que les Aryas occidentaux, ayant trouvé
le Pommier sauvage ou déjà naturalisé dans le nord de l'Europe,
auraient conservé le nom sous lequel ils le connaissaient. Les
Grecs ont dit Mailea ou Maila, les Latins Malus, Malum^ mots
d'une origine fort incertaine, dit Ad. Pictet. Les Albanais, qui
remontent aux Pélasges, disent Molé^, Théophraste * mentionne
AesMaila sauvages et cultivés. Je citerai enfin un nom tout par-
ticulier des Basques (anciens Ibères?), Sagara, qui fait supposer
une existence en Europe antérieure aux invasions aryennes.
Les habitants des « terramare » de Parme et des palafittes
des lacs de Lombardie, de Savoie et de Suisse faisaient grand
usage des pommes. Ils le& coupaient toujours en long et les con-
servaient desséchées, comme provisions pour Thiver. Les échan-
tillons sont souvent carbonisés, à la suite d'incendies, mais on
reconnaît d'autant mieux alors la structure interne du fruit.
M. Heer ^, qui a montré une grande sagacité dans l'observation
de ces détaus, distingue dans les pommes des lacustres suisses,
d'une époque oii ils n'avaient pas de métaux, deux variétés
1. Boissier, L c.
2. Ad. Pictet, Origines indo-européennes, l,p. 276.
3. De Heldreich, fîutzpflanzen Griechenlanas^ p. 64 .
4. Théophraste, De causis, 1. 6, cap. 24.
5. Heer, Pfahlbauten^ p. 24, f. 1-7.
188 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
quant à la grosseur. Les plus petites ont un diamètre longitu-
dinal de 15 à 24 millimètres et environ 3 millimètres de plus
en travers (à Tétat séché et carbonisé) ; les plus grosses, 29 à
32 millimètres sur 36 de large (à l'état séché, non carbonisé). Ces
dernières répondent à une pomme des vergers de la Suisse alle-
mande appelée aujourd'hui Campaner. Les pommes sauvages en
Angleterre, figurées dans VFnglisk botany^ pi. 179, ont 17 milli-
mètres de hauteur sur 22 millimètres de largeur. Il est possible
que les petites pommes des lacustres fussent sauvages; cependant
leur abondance dans les provisions peut en faire douter. M. le
D*" Gross m'a communiqué deux pommes des palafittes moins
anciens du lac de Neuchâtel, qui ont (à l'état carbonisé) Tune
17, l'autre 22 millimètres de diamètre longitudinal. A Lagozza,
en Lombardie, M. Sordelli * indique pour une pomme 17 milli-
mètres de long sur 19 de large, et pour une autre 19 sur 27. Dans
un dépôt préhistorique du lac de Varèse, à Bardello, M. Ragazzoni
a trouvé une pomme un peu plus grosse que les autres parmi
celles d'une provision.
D'après l'ensemble de ces faits, je regarde l'existence du Pona-
mier en Europe, à l'état sauvage et à l'état cultivé, comme pré-
historique. Le défaut de communications avec l'Asie avant les
invasions aryennes fait supposer que l'arbre était aussi indigène
en Europe que dans l'Anatolie, le midi du Caucase et la Perse
septentrionale, et que la culture a commencé partout ancien-
nement.
Cognassier. — Cydonia vulgaris^ Persoon.
Il est spontané, dans les bois, au nord de la Perse, près de la
mer Caspienne, dans la région au midi du Caucase et en Anato-
lie ^.Quelques botanistes l'ont recueilli aussi en Crimée et dans
le nord de la Grèce, avec des apparences de spontanéité ?, mais
on peut déjà soupçonner d'anciennes naturahsations dans ces
parties orientales de l'Europe, et plus on avance vers ritalie,
surtout vers le sud-ouest de l'Europe et l'Algérie, plus il est
probable que l'espèce y est naturalisée, d'ancienne date, autour
des villages, dans les haies, etc.
On ne connaît pas de nom sanscrit pour le Cognassier, d'où
Ion peut inférer que l'habitation ne s'étendait pas vers le centre
de l'Asie. 11 n'y a pas non plus de nom hébreu, quoique l'espèce
soit sauvage sur le mont Taurus *. Le nom persan est Haivah ',
mais je ne sais s'il remonte au zend. Le même nom existe en
russe, Aivay pour le Cognassier cultivé, tandis que le nom de la
»
1. Sordelli, Sulle piante délia stazione délia Lagozza, p. 35.
2. Boissier, FI. orient., 2, p. 656; Ledebour, FÎ. ross., 2, p. 55.
3. Steven, VerzeicUniss Taurien, p. 150; Sibthorp, Prodr. fl, gréecspfif
p. 344.
4. Boissier, l. c.
5. Nemnich, Polygl. Lexicon.
GRENADIER 189
plante sauvage est Armud^ qui vient de l'arménien Armuda *.
Les Grecs avaient greffé sur une variété commune, Strutlon, une
qualité supérieure venant de Gydon, dans Tile de Crète, d'où est
venu le nom de xuSwvtov {kudônion), traduit par Malum cotoneum
des Latins, par Cydonia et tous les noms européens tels que
Codogno en italien, Coudougner et plus tard Coing en français,
Quitte en allemand, etc. Il y a des noms polonais, Pigiva^
slave, Tunja ^, et albanais (pélasge?) Ftua ^, qui diffèrent tota-
lement des autres. Cette variété de noms fait présumer une
connaissance ancienne de l'espèce à l'ouest de sa patrie origi-
nelle, et le nom albanais peut même indiquer une existence
antérieure aux Hellènes.
Pour la Grèce, l'ancienneté résulte aussi des superstitions,
mentionnées par Pline et Plutarque, que le fruit du Cognassier
éloignait les mauvaises influences, et de ce qu'il entrait dans les
rites du mariage prescrits par Solon. Quelques auteurs ont été
jusqu'à soutenir que la pomme disputée par Junon , Vénus et
Minerve était un coing. Les personnes que ces questions peuvent
intéresser trouveront des indications détaillées dans le mémoire
de M. Comès sur les végétaux figurés dans les peintures de Pom-
peia *. Le Cognassier y est représenté deux fois. Ce n'est pas
surprenant puisque cet arbre était déjà connu du temps de
Caton ^.
La probabilité me paraît être une naturalisation dans l'Europe
orientale avant l'époque de la guerre de Troie.
Le coing est un fruit que la culture a peu modifié. Il est aussi
acerbe et acide à l'état frais que du temps des anciens Grecs.
Grenadier. — Punica Granalum, Linné.
Le Grenadier est sauvage dans les endroits rocailleux de la
Perse, du Kurdistan, de l'Afghanistan et du Béloutchistan ^.
Burnes en a vu des bois entiers dans le Mazanderan, au midi de
la mer Caspienne '^. Il parait également spontané au midi du
Caucase *. Vers l'ouest, c'est-à-dire dans l'Asie Mineure, la
Grèce, en général dans la région de la mer Méditerranée, dans
l'Afrique septentrionale et à Madère, l'apparence est plutôt que
l'espèce se serait naturalisée à la suite des cultures et de la dis-
persion des pépins par les oiseaux. Beaucoup de flores du midi
de l'Europe en parlent comme d^une espèce « subspontanée »
1. Nemnichy Polygl, Lexicon.
2. Nemnich, l. c.
3. De Heldreich, Nutzpflanzen Griechenlands^ p. 64.
4. In-4% Napoli, 1879.
S- Cato, De re imstica, 7, c. 2.
6. Boissier, FI. orient. ^ 2, p. 737; sir Joseph Hooker, FI. of british India.
2, p. 581.
7. Cité d'après Royle, ///. Himal., p. 208.
0- Ledebotir, FI. 7'ossica, 2, p. 104.
190 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
OU « naturalisée )>. Desfontaines, dans sa Flore atlantique, l'in-
diquait comme spontanée en Algérie, mais les auteurs subsé-
quents la disent plutôt naturalisée K Je doute de la qualité
spontanée dans le Béloutchistan, où le voyageur Stocks l'a
récoltée ^, car les botanistes anglo-indiens n'admettent pas
comme certain Tindigénat à Test de llndus, et je remarque
Tabsence de l'espèce dans les collections du Liban et de la Syrie,
que M. Boissier cite toujours avec soin.
En Chine, le Grenadier n'est qu'à l'état cultivé. Il y a été
introduit, de Samarkande, par Ghang-Kien, un siècle et demi
avant l'ère chrétienne ^
La naturalisation dans la région de la mer Méditerranée e^t si
commune qu'on peut l'appeler une extension de l'ancienne
habitation. Probablement elle date d'un terme reculé, car la
<3ulture de l'espèce remonte à une époque très ancienne dans
l'Asie occidentale.
Voyons si les documents historiques et linguistiques peuvent
apprendre quelque chose à cet égard.
Je note d'abord l'existence d'un nom sanscrit, DaHmba^ d où
viennent plusieurs noms de Tlnde moderne *. On peut en conclure
que l'espèce était connue depuis longtemps dans les pays qui ont
été traversés par les Aryas, lors de leur marche vers l'Inde.
Le Grenadier est mentionné plusieurs fois dans l'Ancien Testa-
ment sous le nom de Rimmon ^, qui est l'origine du nom arabe
Rummân ou Bumân. G'était un des arbres fruitiers de la Terre
promise, et les Hébreux l'avaient apprécié dans les jardins
d'Egypte. Beaucoup de localités de la Palestine avaient reçu
leur nom de cet arbuste, mais les textes n'en parlent que comme
d'une espèce cultivée. Les Phéniciens faisaient figurer la fleuret
le fruit du Grenadier dans leurs cérémonies religieuses, et la
déesse Aphrodite l'avait planté elle-même dans l'île de Chypre*,
ce qui fait supposer qu'il ne s'y trouvait pas alors. Les Grecs
avaient connaissance de l'espèce déjà à l'époque d'Homère. II
en est question deux fois dans V Odyssée^ comme d'un arbre des
jardins des rois de Phseacie et Phrygie. Ils l'appelaient Roia ou
Roa^ que les érudits disent venir du nom syriaque et hébreu ^
et aussi Sidai *, qui paraît venir des Pelasges, car le nom albanais
actuel est Sège ^. Rien ne peut faire supposer que l'espèce fut
1. Munby, FL d'Alger, p. 49; Bail, Spicilegium florx maroccan^, p. 458.
2. Boissier, /. c.
3. Bretschneider, On study, etc. y p. 16.
i. Piddington, Index.
3. Rosen millier, Biblische Naturyeschichie, 1, p. 273; Hamilton, La bota-
nique de la Bible j Nice, 1871, p. 48.
6. Hehn, Cultur iind Hausthiere ans Asien, éd. 3, p. 106.
7. Hehn^ ibid.
8. Lenz, Botanik d. alten Griechen und Rœmer, p. 681.
9. De Heldreich, Die Nutzpflanzen GriechenlandK, p. 6i.
POMME ROSE 191
spontanée en Grèce, où maintenant Fraas et Heldreieh affirment
qu'elle est uniquement naturalisée ^
Le Grenadier entrait aussi dans les légendes et les cérémonies
du culte des plus anciens Romains *. Gaton parle de ses pro-
priétés vermifuges. Selon Pline ', les meilleures grenades étaient
de Garthage. Le nom de Malumpmiicum en avait été tiré ; mais on
n'aurait pas dû croire, comme cela est arrivé, que l'espèce fût
originaire de l'Afrique septentrionale. Très probablement les
Phéniciens l'avaient introduite à Garthage, longtemps avant les
rapports des Romains avec cette ville, et sans doute elle y était
cultivée, comme en Egypte.
Si le Grenadier avait été jadis spontané dans l'Afrique septen-
trionale et le midi de l'Europe il aurait eu chez les Latins des
noms plus originaux que Granatum (venant de granum ?) et
Malum punicum. On aurait peut-être à citer quelques noms lo-
caux, dérivés d'anciennes langues occidentades, tandis que le
nom sémite Rimmon a prévalu soit en grec, soit en arabe, et se
trouve même, par l'influence arabe, chez les Berbères *. Il faut
admettre gue l'origine africaine est une des erreurs causées par
les mauvaises désignations populaires des Romains.
On a trouvé dans le terrain pliocène des environs de Meximieux
des feuilles et fleurs d'un Grenadier que M. de Saporta ^ décrit
comme une variété du Punica Granatum actuel. Sous cette
forme, l'espèce a donc existé, antérieurement à notre époque,
avec plusieurs espèces les unes éteintes , les autres existant
encore aujourd'hui dans le midi de l'Europe et d'autres enfin
restées aux îles Ganaries, mais la continuité d'existence jusqu'à
nos jours n'en est pas pour cela démontrée.
En résumé, les arguments botaniques, historiques et linguis-
tiques s'accordent à faire considérer l'espèce actuelle comme
onginaire de la Perse et de quelques pays adjacents. La culture
en a commencé dans un temps préhistorique, et son extension
dans l'antiquité, vers l'occident d'abord et ensuite en Chine, a
causé des naturalisations qui peuvent tromper sur la véritable
origine, car elles sont fréquentes, anciennes et durables.
J'était arrivé à ces conclusions en 1855 ^, ce qui n'a pas em-
pêché de reproduire dans quelques ouvrages Terreur de l'origine
africaine.
Pomme rose. — Eugenia Jambos^ Linné. — Jambosa vul-
gariSy de Gandolle
Petit arbre, de la famille des Myrtacées. Il est cultivé au-
1. Fraas, FI. class.^ p. 79; Heldreieh, /. c.
2. Uelm, /. c.
3. Pline, 1. 13, c. 19.
4. Dictionnaire français-berbère, publié par le gouvernement français.
^. De Saporta, Bull. soc. géol. de France du 5 avril 1869, p. 767, 769.
*. Géogr, bot. raisonnée, p. 891.
192 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
jourd'hui dans les régions tropicales de Tancien et du nouveau
monde pour Félégance de son feuillage, autant peut-être que
pour son fruit, dont la chair, qui sent la rose, est par trop
mince. On peut en voir une figure excellente et une bonne des-
cription dans le Botanical magazine, pi. 3356. La graine renferme
une matière vénéneuse *.
Gomme la culture de cette espèce était ancienne en Asie, on ne
pouvait pas douter qu'elle ne fût asiatique, mais on ne savait
pas bien où elle existe à l'état sauvage. L'assertion de Loureiro,
qui la disait habiter en Gochinchine et dans plusieurs localités de
rinde, méritait confirmation. Quelques documents modernes
viennent à l'appui *. Le Jambos est spontané à Sumatra et
ailleurs dans les îles hollandaises de l'archipel Indien. Kurz ne
l'a pas rencontré dans les forêts de la Birmanie anglaise, mais
lorsque Rheede vit cet arbre dans les jardins du Malabar il
remarqua qu'on l'appelait Malacca-Sckamàu, ce qui montre
bien une origine de la péninsule malaise. Enfin Brandis le dit
spontané dans le Sikkim, au nord du Bengale. L'habitation
naturelle s'étend probablement des îles de l'archipel Indien à la
Gochinchine, et même au nord-est de l'Inde, où cependant il
s'est peut-être naturalisé à la suite des cultures et par l'action
des oiseaux. La naturalisation s'est en effet opérée ailleurs, par
exemple à Hong-Kong, dans les îles Seychelles, Maurice et
Rodriguez, ainsi que dans plusieurs des îles Antilles '.
»
Jamalac ou Jambosier de Malacca. Eugenia malaccensis^
Linné. — Jambosa malaccensis, de Gandolie.
Espèce voisine de V Eugenia Jambos, mais différente par la
disposition de ses fleurs et par son fruit obovoïde, au lieu d'être
ovoïde, c'est-à-dire ayant la partie la plus étroite près de son
point d'attache, comme serait un œuf sur son petit bout. Le
fruit est plus charnu et sent aussi la rose, mais on l'estime beau-
coup *, ou assez peu ^, suivant les pays et les variétés. Celles-ci
sont nombreuses. Elles diffèrent par la couleur rosée ou rouge
des fleurs et la grosseur, la forme et la couleur des fruits.
Gette multiplicité de variétés montre une ancienne culture
dans l'archipel Indien, d'où l'espèce est originaire. Comme
confirmation, il faut noter que Forster la trouva établie dans
les îles de la mer Pacifique, de Taïti aux Sandwich, lors du
voyage de Gook ^.
1. Descourtilz, Flore médicale des Antilles, 5, pi. 315.
2. Miquel, Sumatra, p. 118; Flora Indix batavœ, 1, p. 425; Blume, Mu-
séum Lugd.-Bat., 1, p. 93.
3. Hooker, Flora of hrit. India, 2, p. 474; Baker, Flora of Mauritius, etc.,
p. 115; Grisebach, FL ofbrit. W. Indian islands, p. 235.
4. Rumphius, Àmboin., 1, p. 121, t. 37.
5. Tu88ac, Flore des Antilles, 3, p. 89, pi. 25.
6. Forster, Planta esculentée, p. 36.
GOYAVIER 193
Le Jambosier de Malacca est spontané dans les forêts de Tar-
chipel asiatique et de la presqu'île de Malacca * .
D'après Tussac, il a été apporté de Taïtià la Jamaïque en 1793.
Maintenant il s'est répandu et naturalisé dans plusieurs des îles
Antilles, de même qu'aux îles Maurice et Seychelles *.
Goyavier. — Psidium Guayava^ Raddi.
Les anciens auteurs, Linné et après lui quelques botanistes
ont admis deux espèces dans cet arbre fruitier de la famille des
Myrtacées, l'une ayant les fruits ellipsoïdes ou sphériques à
chair rouge, Psidium pomiferum; l'autre à fruit pyriforme et
chair blanche ou rosée, plus agréable au goût. De semblables
diversités sont analogues à ce que nous voyons dans les poires,
les pommes et les pêches; aussi a-t-on soupçonné de bonne
heure qu'il valait mieux considérer tous ces Psidium comme une
seule espèce. Raddi a pour ainsi dire constaté l'unité lorsqu'il a
vu, au Brésil, des fruits pyriformes et d'autres presque ronds
sur le même arbre ^. Aujourd'hui, la majorité des botanistes,
surtout de ceux qui ont observé les Goyaviers dans les colonies,
suit l'opinion de Raddi *, vers laquelle j'inclinais déjà, en 1855,
par des raisons tirées de la distribution géographique ^,
Low ®, qui a conservé dubitativement, dans sa flore de Ma-
dère, la distinction en deux espèces, assure que chacune se
conserve par les graines. Ce sont, par conséquent, des races,
comme dans nos animaux domestiques et dans beaucoup de
plantes cultivées. Chacune de ces races comprend des variétés ''.
Les Goyaviers, lorsqu'on veut étudier leur origine, présentent
au plus haut degré une difficulté qui existe dans beaucoup
d'arbres fruitiers de cette nature : leurs fruits charnus, plus ou
moins aromatiques, attirent les animaux omnivores, qui rejet-
tent leurs graines dans les endroits les plus sauvages. Celles des
Goyaviers germent rapidement et fructifient dès la troisième
ou quatrième année. La patrie s'est donc étendue et s'étend
encore par des naturalisations, principalement dans les contrées
tropicales qui ne sont pas très chaudes et humides.
1. Blume, Muséum Lugd.-Bat, 1, p. 91; Miquel, FI. Indus hatavx, 1,
p. 411; Hooker, FI brit. India, 2, p. 412.
2. Grisebach, FI. of brit. W. India, p. 235 ; Baker, FI. of Mauritius,
p. 115.
3. Raddi, Di alcune specie di Pero indianOy ia-4, Bolofçna, 1821, p. 1.
4. Martius, Syst. mat. medicse bras., p. 32; Blume, Muséum Lugd.-Bat.y
l, p. 71 ; Hasskarl, dans Flora, 1844, p. 589 ; sir J. Hooker, Flora of brit.
India, 2, p. 468.
5. Géogr. bot. raisonnée, p. 893.
6. Low, A manual flora of Madeira^ p. 266.
7. Voir Blume, /. c; Descourtilz, Flore médicale des Antilles^ 2, p. 20,
où se trouve une figure du Goyavier pyriforme ; Tussac, Flore des An-
tilles, 2, p. 92, qui contient une bonne planche de la forme arrondie. Ces
deux derniers ouvrages renferment des détails intéressants sur la manière
d'employer les goyaves, sur la végétation de l'espèce, etc.
De Gandolle. 13
194 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
Pour simplifier la recherche des origines, j'éliminerai d'abord
l'ancien monde, car il est assez évident que les Goyaviers sont
venus d'Amérique. Sur une soixantaine d'espèces du genre
Psidium, toutes celles qu'on peut regarder comme suffisamment
étudiées sont américaines. Les botanistes, depuis le xyi« siècle,
ont trouvé, il est vrai, des Psidium Guayava (variétés pomifei^m
et pytnferum)^ plus ou moins spontanés dans les îles de l'Archipel
Indien et l'Asie méridionale *, mais tout fait présumer que
c'était le résultat de naturalisations peu anciennes. On admet-
lait pour chaque localité une origine étrangère; seulement on
hésitait sur la provenance asiatique ou américaine. D'autres
considérations justifient cette idée. Les noms vulgaires en ma-
lais sont dérivés du mot américain Guiava, Les anciens auteurs
chinois ne parlent pas dfes Goyaviers, bien que Loureiro les ait
dits sauvages en Cochinchine il y a un siècle et demi. Forst^r
ne les mentionne pas comme cultivés dans les îles de la mer
Pacifique lors du voyage de Gook, ce qui est assez significatif
quand on pense à la facilité de cultiver ces arbres et à leur dis-
persion inévitable. Aux îles Maurice et Seychelles, personne ne
doute de leur introduction et naturalisation récentes *.
Nous aurons plus de peine à découvrir de quelles parties de
l'Amérique les Goyaviers sont sortis.
Dans le siècle actuel, ils sont certainement spontanés, hors
des cultures, aux Antilles, au Mexique, dans l'Amérique cen-
trale, le Venezuela, le Pérou, la Guyane et le Brésil ', mais
depuis quelle époque? Est-ce depuis que les Européens en ont
répandu la culture? Est-ce antérieurement, à la suite des trans-
ports par les indigènes et surtout par les oiseaux? Ces ques-
tions ne paraissent avoir fait aucun progrès depuis que j'en ai
parlé en 1855 *. Cependant, aujourd'hui, avec un peu plus
d'expérience dans ces sortes de problèmes, et Tunité spécifique
des deux Goyaviers étant reconnue, j'essayerai d'indiquer ce qui
me paraît le plus vraisemblable.
J. Acosta^, un des premiers auteurs sur l'histoire naturelle du
nouveau monde, s'exprime sur le Goyavier pomiforme de la
manière suivante : « Il y a en Saint-Domingue et es autres îles,
des montagnes toutes pleines de Goyavos, et disent, qu'il n'y
avait point de telle sorte d'arbres avant que les Espagnols y
arrivassent, mais qu'on les y a apportés de je ne sais où. » Ce
serait donc plutôt du continent que l'espèce serait originaire.
Acosta dit bien qu'elle croît en terre ferme, et il ajoute que les
goyaves du Pérou ont une chair blanche bien préférable à
1. Rumphius, Amboin., 1, p. 141, 142; Kheode, Uort. malaô.y 3, t. 34.
2. Bojer, Hortus muuritianus ; Baker, Ftoru of Mauritiusy p. 112.
3. Toutes les flores, et Berg, daos Flora hrasitiensùy vol. 14, p. 196.
4. Géoyr. bot. raisonnée, p. 894 et 895.
5. Acosta, Hist, nnt. et morale des Indes orient, et occid., traduction frao-
caise, 1598, p. 175, au verso.
GOURDE, COUGOURDE, CALEBASSE 19g
celle des fruits rouges. Ceci fait présumer une culture ancienne
sur le continent. Hernandez * avait vu les deux formes sponta-
nées au Mexique, dans les endroits chauds des plaines et des
montagnes, près de Quauhnaci. Il donne une description et une
figure très reconnaissable du Ps. pomiferum. Pison et Marcgraf*
avaient aussi trouvé les deux Goyaviers sauvages au Brésil dans
les plaines; mais ils notent qu'ils se répandent facilement. Marc-
graf dit qu'on les croyait originaires du Pérou, ou de TAmé-
rique septentrionale, ce qui peut s'entendre des Antilles ou du
Mexique. Evidemment l'espèce était spontanée dans une grande
partie du continent lors la découverte de l'Amérique. Si l'habi-
tation a été une fois plus restreinte, il faut croire que c'était à
une époque bien plus ancienne.
Les noms vulgaires différaient chez les peuples indigènes. Au
Mexique, on disait JTateocof/; au Brésil, l'arbre s'appelait Araca-
Iba et le fruit Araca-Guacu; enfin le nom Guajavos ou Guajcœa
est cité par Acosta et Hernandez à l'occasion des Goyaviers du
Pérou et de Saint-Domingue, sans que l'origine en soit indiquée
exactement. Cette diversité de noms confirme l'hypothèse d une
très ancienne et vaste habitation.
D'après ce que disent les premiers voyageurs d'une origine
étrangère à Saint-Domingue et au Brésil, — assertion dont il
est permis cependant de douter, — je soupçonne que l'habita-
tion la plus ancienne était du Mexique à la Colombie et au
Pérou, et qu'elle s'est peut-être agrandie du côté du Brésil
avant la découverte de l'Amérique, et dans les îles Antilles après
cette époque. L'état de l'espèce le plus ancien, qui se montre
le plus à l'état sauvage, serait la forme à fruit sphérique, âpre
et fortement coloré. L'autre forme est peut-être un produit de la
culture .
Gk>urde ^, Gougourde, Calebasse. — Lagenaria vulgaris,
Seringe. — Cucurbita lagenaria^ Linné.
Le fruit de cette Cucurbitacée a pris différentes formes dans
les cultures ; mais, d'après l'ensemble des autres parties de la
plante, les botanistes n'admettent qu'une espèce, divisée en
plusieurs variétés *. Les plus remarquables sont la Gourde des
pèlerins^ en forme de bouteille; la Cougourde, dont le goulot
est allongé; la Gourde massue ou trompette, et la Calebasse,
ordinairement grande et peu étranglée. D'autres variétés moins
répandues ont le fruit turbiné ou déprimé et fort petit, comme
1. Hernandez, Novâs Hispanise Thésaurus^ p. 85.
2. Pison, Hist. brasil.^ p. 74; Marcçraf, ibid.^ p. 105.
3. En anglais, le mot Gourd s'applique au Potiron (Cucurbita maxima).
C'est un des exemples de la confusion des noms vulgaires, et de la préci-
sion supérieure des noms scientifiques.
4. Naudin, Annales des se. nat.^ série 4, vol. 12, p. 91; Cogniaux, dans
nos Mon. Phan.y 3, p. 417.
196 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
la Gourde tabatière. On reconnaît toujours l'espèce à sa fleur
blanche, et à la dureté de la partie extérieure du fruit, qui permet
de l'employer comme vase pour les liquides ou réservoir d'air,
propre à soutenir les nageurs novices. La chair intérieure est
tantôt douce et mangeable, tantôt amère et même purgative.
Linné * disait Tespèce américaine. De Candolle * Ta considérée
comme probablement d'origine indienne, et la suite a confirmé
cette opinion.
On a trouvé, en eff'et, le Lagenaria vulgaris sauvage au Ma-
labar et dans les forêts humides de Deyra Doon ^. Roxburgh *
le considérait bien comme spontané dans l'Inde, quoique les
flores subséquentes l'aient dit seulement cultivé. Enfin Rum-
phius ^ indique des pieds sauvages, sur le bord de la mer, dans
une localité des îles Moluques. Les auteurs mentionnent ordinai-
rement la pulpe comme amère dans ces individus sauvages,
mais elle l'est quelquefois aussi dans les formes cultivées. La
langue sanscrite distinguait déjà la Gourde ordinaire, UlavoUy
et une autre, amère, Kutou-Toumbi, à laquelle A. Pictet attribue
aussi le nom Tiktaka ou Titkikâ ^. Seemam ^ a vu l'espèce « cul-
tivée et naturalisée » aux îles Fidji. Thozet Ta recueillie sur la
côte de Queensland, en Australie *, mais c'était peut-être le
résultat de cultures dans le voisinage. Les localités de Hnde
continentale paraissent plus sûres et plus nombreuses que celles
des îles du midi de l'Asie.
L'espèce a été trouvée, également sauvage, en Abyssinie,
dans la vallée de Hieha, par Dilion, et parmi des buissons et
des rocailles d'une autre localité, par Schimper ^.
De ces deux régions de l'ancien monde, elle s'est répandue
dans les jardins de tous les pays tropicaux et des pays tempérés
ayant une chaleur estivale suffisante. Parfois elle s'est natu-
ralisée hors des cultures, comme on l'a observé en Amérique *°.
Le plus ancien ouvrage chinois mentionnant la Gourde est
celui de Tchong-tchi-chou, du i®' siècle avant Jésus-Christ, cité
dans un ouvrage du v^ ou vi® siècle, selon le D^ Bretschneider ".
1. Linné, Species plantarum, p. 1434, sous Cucurbita.
2. A. P. de Candolle, Flore française (1805), voL 3, p. 692.
3. Rheede, Malabar^ 8, pL 1, 5; Royle, lu. HimaL, p. 218.
4. Roxburjçh, Flora indica, éd. 1832, v. 3, p. 719.
5. Rumphius, Amboin., vol. 5, p. 397, t. 144.
6. Piddington, Index, au mot Cucurbita lagenaria (en changeant la
cacographie anglaise) ; Ad. Pictet, Origines indo-europ., éd. 3, vol. 1,
p. 386.
7. Seemann, Flora Vitiensis, p. 106.
8. Bentham, Flora australiensis, 3, p. 316.
9. Décrite d'abord sous le nom de Lagenaria idolatrica. A. Richard,
Tentamen fl, abyss,, 1, p. 293, et ensuite Naudin et Cogniaux ont reconnu
ridentité avec le L. vulgaris.
10. Torrey et Gray, Flora of North America^ 1, p. 543; Grisebach, Fhra
of british W, India islands^ p. 288.
11. Bretschneider, lettre du 23 août 1881.
GOURDE, COUGOURDE, CALEBASSE 197
Il s'agit dans ce cas de plantes cultivées. Les formes actuelles
des jardins de Peking sont la Gourde massue, qui est mangeable,
et la Gourde bouteille.
Les auteurs grecs n'ont pas mentionné cette plante, mais les
Romains en ont parlé depuis le commencement de Tempire.
Elle est assez clairement désignée par des vers souvent cités * du
livre X de Golumelle. Après avoir décrit les différentes formes
du fruit :
dabit illa capacem,
Nariciae picis, aut Actœi meilis Hymetti,
Aut habilem lymphis hamulam, Bacchove lagenam,
Tum pueros eadem fluviis innare docebit.
Pline * parle d'une Gucurbitacée dont on faisait des vases et des
barriques pour le vin, ce qui ne peut s'appliquer qu'à celle-ci.
Il ne paraît pas que les Arabes en aient eu connaissance de
bonne heure, carïbn Alawàm et Ibn Baithar n'en ont rien dit *.
Les commentateurs des livres hébreux n'ont pu attribuer aucun
nom d'une manière positive à cette espèce, et cependant le
climat de la Palestine était bien de nature à populariser l'usage
des Gourdes, si on les avait connues. Il me paraît assez douteux,
d'après cela, que les anciens Egyptiens aient possédé cette
plante, malgré une figure unique de feuilles, vue dans une
tombe, qui lui a été attribuée quelquefois *. Alexandre Braun,
Ascherson et Magnus, dans leur savant mémoire sur les restes
de plantes égyptiennes du musée de Berlin ^, indiquent plu-
sieurs Gucurbitacées sans mentionner celle-ci. Les premiers
voyageurs modernes, comme Rauwolf *, en 1374, l'ont vue dans
les jardins de Syrie, et la Gourde dite des pèlerins, figurée, en
1539, par Brunfels, était probablement connue dès le moyen
âge en Terre sainte.
Tous les botanistes du xvi« siècle ont donné des figures de
cette espèce, plus souvent cultivée alors, en Europe, qu'elle
ne l'est aujourd'hui. Le nom ordinaire dans ces vieux ouvrages
était Camei^aria, et l'on distinguait trois formes de fruits. A la
couleur blanche de la fleur, toujours mentionnée, on ne peut
douter de l'espèce. Je remarque aussi une figure, très mauvaise,
il est vrai, où la fleur manque, mais où le fruit est exactement
1. Tragus, Stirp.^ p. 285; Ruellius, De natura stirpium, p. 498; Naudin,
L c.
2. Pline, Hisi. plant., 1. 19, c. 5.
3. Ibn Alawâm, d'après E. Meyer, Geschichte dej' Botanik, 3, p. 60; Ibn
Baithar^ trad. de Sondtheimer.
4. Unger, Pflanzen des alten jEgyptenSj p. 59; Pickering, Chronol, arran-
geinent. p. 137.
5. In-8, 1877, p. 17.
7, p. 1
, Fîoi^a
6. Rauwolf, FÎ07^a orient., p. 125.
198 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
la gourde des pèlerins, qui présente ce grand intérêt d'avoir
paru avant la découverte de TAmérique. C'est la planche 46 de
YHerbarius Patavide impressus^ in-4o, 1485, ouvrage rare.
Malgré certains synonymes des auteurs, je ne crois pas que la
Gourde ait existé en Amérique avant l'arrivée des Européens.
Le Taquera de Piso * et le Cucurbila lagenae forma de Marc-
graf ^ sont peut-être bien le Lagenaria vulgarisy comme le disent
les monographes ^, et les échantillons du Brésil cités par eux
doivent être certains, mais cela ne prouve pas que Tespèce fût
dans le pays avant le voyage d'Americ Vespuce, en 1504. Depuis
lors jusqu'aux voyages de ces deux botanistes, en 1637 et 1638,
il s'est écoulé un temps bien plus long qu'il ne faut le supposer
pour l'introduction et la diffusion d'une espèce annuelle, cu-
rieuse de forme, facile à cultiver et dont les graines conservent
longtemps la faculté de germer. Elle peut même s'être natura-
lisée à la suite des cultures, comme cela s'est vu ailleurs. A plus
forte raison le Cucurbita Sicet^atia Molina, attribué tantôt à
l'espèce actuelle et tantôt au Cucurbita maxlma *, peut- il avoir
été introduit au Chili, entre 1538, époque de la découverte de ce
pays, et 1787, date de l'édition en italien de Molina. Acosta *
parle aussi de Calebasses dont les Péruviens se servaient comme
de coupe ou de vase, mais l'édition espagnole de son livre est de
1591, plus de cent ans après laconguête. Parmi les naturalistes
ayant indiqué l'espèce le plus rapprochée de la découverte de,
l'Amérique (1492) estOviedo ^, qui avait visité la terre ferme et,
après un séjour à Vera-Paz, était revenu en Europe en 1815,
mais était retourné à Nicaragua en 1539 ^ D'après la compila-
tion de Ramusio ^, il a parlé de zucchCy cultivées en quantité
aux Antilles et à Nicaragua à l'époque de la découverte de
l'Amérique et dont on faisait usage comme de bouteilles. Les
auteurs de flores de la Jamaïque, au xvii^ siècle, ont dit l'espèce
cultivée dans cette île. P. Browne ^ cependant indique une
grande Gourde cultivée et une petite, sauvage, ayant une pulpe
amère et purgative.
Enfin, pour les Etats-Unis méridionaux, Elliott *® s'exprimait
ainsi en 1824 : « Le Z. vul^aris se trouve rarement dans les bois
et n'est certainement pas mdigène. Il paraît avoir été apporté
par les anciens habitants de notre pays d'une contrée plus
1. Piso, Indix utnusouej etc. y éd. 1658, p. 264.
2. Marcçraf, Hist, nai. Brasiliœ^ 1648, p. 44.
3. Naudm, /. c. ; Cogniaux, dans Flora brasU.^ fasc, 78, p. 7, et dans de
Candolle, Monoqr. Phaner., 3, p. 418.
4. Cl. Gay, Flora Chilena, 2, p. 403.
5. los. Acosta, trad. française, p. 167.
6. Pickering, ChronoL arrang., p. 861.
7. Pickering, /. c.
8. Ramusio, vol. 3, p. 112.
9. P. Brown, Jamaica^ éd. 2, p. 354.
10. Elliott, Sketch of the botany of S. Carolina and Georgia^ 2, p. 663.
POTIRON 199
chaude. Maintenant, Tespèce est devenue spontanée autour des
habitations, particulièrement dans les îles de la mer. » L'expres-
sion : habitants de notre pays, aTair de signifier les colons plutôt
que les indigènes. Entre la découverte de la Virginie, par Cabot
en 1497, ou les voyages de W. Raleigh en 1584, et les flores
des botanistes modernes, il s'est écoulé plus de deux siècles, et
les indigènes auraient eu le temps de répandre la culture de
l'espèce, s'ils l'avaient reçue des Européens. Mais le fait même
de la culture par les Indiens à l'époque des premières relations
sur leur compte est douteux. Torrey et Gray * l'avaient men-
tionné comme certain dans leur flore, publiée en 1830-40, et
plus tard le second de ces habiles botanistes *, dans un article
sur les Gucurbitacées connues des indigènes, ne cite pas le Ca-
labash ou Lagenaria. Je remarque la même omission dans un
autre article spécial, sur le même sujet, pubhé plus récem-
ment '.
Potiron. — Cucurbita inaxlma, Duchesne.
En commençant l'énumération des espèces du genre Cucur-
àita, je dois expliquer que la distinction, autrefois très difficile,
des espèces, a été fondée par M. Naudin * d'une manière scienti-
fique, au moyen d'une culture assidue des variétés et d^expé-
riences sur leur fécondation croisée. Il nomme espèces les
groupes de formes qui ne peuvent pas se féconder mutuellement
ou dont les produits n'ont pas été féconds et stables, et races ou
variétés les formes qui se croisent entre elles et donnent des
produits féconds et variés. La suite des expériences ^ l'a averti
que l'établissement des espèces sur cette base n'est pas sans
exceptions, mais dans le genre Cucurbita les faits physiologi-
ques concordent avec les différences extérieures. M. Naudin a
établi les véritables carïictères distinctifs des Cucurbita maxima
«t C Pepo, La première a les lobes de la feuille arrondis, les
pédoncules à surface unie et les lobes de la corolle recourbés
à l'extérieur ; la seconde a les lobes de la feuille aigus, les pé-
doncules marqués de côtes et sillons, la corolle rétrécie à la
base, avec les lobes presque toujours dressés.
Les principales formes du Cucurbita maxima sont le Potiron
jaune, qui atteint quelquefois un poids énorme ^, le Potiron
turban ou Giraumon, le Courgeron, etc.
Les noms vulgaires et des anciens auteurs ne cadrant pas
avec les définitions botaniques, il faut se défier des assertions
1. Torrey et Gray, Floj^a ofN, America, 1, p. 544.
2. A. Gray, dans American journal of science, 1857, vol. 24, p. 442.
3. Trumbull, dans Bulletin ofthe Torrey club of botany, vol. 6, ann. 1876,
p. 69.
4. Naudin, dans Annales des se. nat., série 4, vol. 6, p. .5; vol, 12, p. 84.
5. Ann. se. nat., série 4, vol. 18, p. 160, vol. 19, p. 180.
6. Jusqu'à 100 kilogr., d'après Le bon jardinier, 1850, p. 180.
200 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
répandues autrefois sur les origines et sur Tintroduction de la
culture de telle ou telle courge à certaine époque ou dans cer-
taines contrées. C'est une des raisons pour lesquelles, quand je
me suis occupé du sujet, en 1855, la patrie de ces plantes était
restée pour moi inconnue ou très douteuse. Aujourd'hui, on peut
scruter mieux la question.
D'après sir Joseph Hooker \ le Cucurbita maxima a été trouvé
par Barter sur les hords du Niger, en Guinée, « avec l'appa-
rence indigène » (apparently indigenous) , et par Welwitsch
dans l'Angola, sans affirmation de la qualité spontanée. Je ne
vois aucune indication de spontanéité dans les ouvrages sur
TAbyssinie, l'Egypte ou autres pays africains dans lesquels on
cultive communément l'espèce. Les Abyssins se servent du mot
Dubba, qui s'applique, en arabe, aux Courges, dans un sens
très général.
Longtemps on a soupçonné une origine indienne, en s'ap-
puyant sur des noms tels que Courge dlnde^ donnés par des bo-
tanistes du XVI® siècle, et, en particulier, sur le Pepo maximus
indiens^ figuré par Lobel ^, qui rentre bien dans l'espèce actuelle;
mais c'est un genre de preuve bien faible, car les indications,
vulgaires d'origine sont souvent fausses. Le fait est que si les
Potirons sont cultivés dans l'Asie méridionale, comme ailleurs
entre les tropiques, on n'a pas rencontré la plante à l'état sau-
vage ^. Aucune espèce seinblable ou analogue n'est indiquée
dans les anciens ouvrages chinois, et les noms modernes des
Courges et Potirons cultivés actuellement en Chine montrent
une origine étrangère méridionale *. Il est impossible de savoir
à quelle espèce s'appliquait le nom sanscrit Kurkarou, attribué
par Roxburgh au Cucurbita Pepo, et l'incertitude n'est pas moins
grande au sujet des Courges, Potirons et Melons cultivés par les
Grecs et les Romains. On n'a pas constaté la présence d'un Po-
tiron dans l'ancienne Egypte. Peut-être en cultivait-on dans ce
pays et dans le monde gréco-latin? Les Pepones dont Gharle-
magne ordonnait la culture dans ses fermes ^ étaient ou l'espèce
actuelle ou le Cucurbita Pepo ; mais aucune figure ou descrip-
tion reconnaissable de ces plantes n'a été donnée avant le
XVI® siècle.
Ceci pourrait faire présumer une origine américaine. L'exis-
tence, à l'état spontané, en Afrique, est bien une objection, car
les espèces de la famille des Cucurbitacées sont très locales;
mais il y a des arguments en faveur de l'Amérique, et je dois les
1. Hooker, Flora of tropical A frica^ 2, p. 555.
2. Lobel, Icônes, t. 641. La figure est reproduite dans Dalecbamp ,
Hist., 1, p. 626.
3. Clarke, dans Hooker, Flora of hritish India, 2, p. 622.
4. Bretschneider, lettre du 23 août 1881
5. La liste est dans E. Meyer, Geschichte der Botanik. 3, p. 401. Les Cm-
curbita dont il parle également devaient être la Gourde, Lagenaria,
POTIRON 201
examiner avec d'autant plus de soin qu'on m'a reproché aux
Etats-Unis de n'en avoir pas tenu suffisamment compte.
D'abord, sur dix espèces connues du genre Gucurbita, six sont
certainement spontanées en Amérique (au Mexique ou en Cali-
fornie), mais ce sont des espèces vivaces, tandis que les Courges
cultivées sont annuelles.
La plante nommée Jurumu par les Brésiliens, figurée par
PisonetMarcgraf *, est rapportée par les modernes au Cucurbita
maxima, La planche et les courtes explications des deux auteurs
conviennent assez, mais il parait que c'était une plante cultivée.
Elle peut avoir été apportée d'Afrique ou d'Europe par les
Européens, entre la découverte du Brésil, en 1504, et les voyages
des .auteurs sus-mentionnés, qui ont eu lieu en 1637 et 1638.
Personne n*a trouvé l'espèce sauvage dans l'Amérique méridio-
nale ou septentrionale. Je ne rencontre dans les ouvrages sur le
Brésil, la Guyane, les Antilles aucun indice de culture ancienne
ou d'existence spontanée, soit d'après les noms, soit d'après des
traditions ou opinions plus ou moins précises. Aux Etats-Unis,
les savants qui connaissent le mieux les langues et les usages
des indigènes, par exemple le D»* Harris autrefois, et M. Trum-
buU plus récemment ^5 ont soutenu que les Cucurbitacées appe-
lées Squash par les Anglo-Américains et Macock ou CashaWj
Cushaw par d'anciens voyageurs en Virginie, répondent à des
Courges. M. Trumbull dit que Squash est un mot indien. Je
n'en doute pas, d'après son assertion, mais ni les plus habiles
linguistes ni les voyageurs du xvii^ siècle ' qui ont vu les
indigènes pourvus de fruits appelés dans leurs livres Citrouilles,
Courges^ Pompions, Gourdes^ n'ont pu donner la preuve que
ce fût telle ou telle des espèces reconnues distinctes aujour-
d'hui par les botanistes. Cela nous apprend seulement que
les indigènes, un siècle après la découverte de la Virginie,
vingt à quarante ans après la colonisation par W. Raleigh,
faisaient usage de certains fruits de Cucurbitacées. Les noms
vulgaires sont encorie si confus aux Etats-Unis que le D"" Asa
Gray, en 1868, indique Pumpkin et Squash comme répondant
à des espèces de Cucwbita *, tandis que Darlington ^ attribue
le nom de Pumpkin à la Courge ordinaire {Cucurbita Pepo),
et celui de Squash aux variétés de celle-ci qui rentrent aans
les formes Mdopepo des anciens botanistes. Ils n'attribuent pas
un nom vulgaire, particulier et certain, au Potiron {Cucurbita
maxima).
En définitive, sans ajouter une foi implicite à l'indigénat sur les
1. Piso, BrasiL, éd. 1638, p. 264; Marcgraf, éd. 1648, p. 44.
2. Barris, American journal, 1857, vol. 24, p. 441; Trumbull, Bull, of
Toireii's Club, 1876, vol. 6, p. 69.
3. Champlain, en 1604; Strachey, en 1610; etc.
4. Asa Gray, Botany of the northem states, éd. 1868, p. 186.
5. Darlington, Flora cestnca, 1853, p. 94.
202 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
bords du Niger, fondé sur le dire d'un seul voyageur, je persiste
à croire l'espèce originaire de l'ancien monde et introduite en
Amérique par les Européens .
Courge Pépon. — Citrouille. — Cucurbita Pepo et C. Melo^
pepo, Linné.
Les auteurs modernes comprennent dans le Cucw^bita Pepo
la plupart des formes désignées sous ce nom par Linné et en
outre celles qu'il nommait C. Melopepo. Ces formes sont exces-
sivement variées quant aux fruits, ce qui montre une très an-
cienne culture. On remarque dans leur nombre : la Courge ou
Citrouille des Patagons, à fruits cylindriques énormes ; la Courge
sucrière, dite du Érésil ; la Courge à la moelle ou Vegetaok
mai^row des Anglais, à petits fruits allongés ; les BarbérlneSy à
fruits bosselés ; le Pâtisson ou Bonnet d'électeur, à fruit conique,
surbaissé et lobé d'une manière bizarre, etc. Il ne faut attacner
aucune valeur aux noms de pays dans ces désignations de va-
riétés, car nous avons vu souvent qu'ils expriment autant d'er-
reurs que de vérités. Les noms botaniques rapportés à l'espèce
par M. Naudin et M. Gogniaux sont nombreux, par suite de la
mauvaise habitude qui existait il n'y a pas longtemps de décrire
comme espèces des formes uniquement de jardins, sans tenir
compte des effets prodigieux de la culture et de la sélection sur
l'organe pour lequel on cultive une plante.
La plupart des variétés existent dans les jardins des régions
chaudes ou tempérées de l'ancien et du nouveau monde. L'ori-
gine de l'espèce est regardée comme douteuse. J'hésitais,
en 1855 S entre l'Asie méridionale et la région de la mer Médi-
terranée. MM. Naudin et Gogniaux ^ admettent comme probable
l'Asie méridionale, et les botanistes des Etats-Unis, de leur côté,
ont donné des motifs pour croire à une origine américaine. La
question mérite d'être examinée d'une manière précise.
Je chercherai d'abord quelles formes, rapportées aujourd'hui
à l'espèce, ont été indiquées comme croissant quelque part à
l'état spontané.
La variété ovée^ Cucurbita ovifera^ Linné, avait été recueillie
jadis par Lerche, près d'Astrakhan ; mais aucun botaniste du
siècle actuel n'a confirmé ce fait, et il est probable qu'il s'agis*
sait d'une plante cultivée. D'ailleurs Linné n'affirme pas la qua-
lité spontanée. J'ai consulté toutes les flores asiatiques et afri-r
caines sans trouver la moindre indication d'une variété qui ffti
sauvage. De l'Arabie, ou même de la côte de Guinée au Japon,
l'espèce ou les formes qu'on lui rapporte sont toujours dites cul-
tivées. Pour l'Inde, Roxburgh l'avait remarqué jadis, et ce n'est
1. Géogr. bot. raisonnes^ p. 902.
2. Naudin, Ann. se. nat., série o, vol. 6, p. 9; Gogniaux, dans de Can-
dolle, Monogr. Phaner., 3, p. 546.
COURGE PÉPON 203
sûrement pas sans de bons motifs que M. Glarke, dans la flore
récente de l'Inde anglaise, n'indique aucune localité hors des
cultures.
Les faits sont tout autres en Amérique.
Une variété texana^ Cucurbita texana, Asa Gray *, très voi-
sine de Vovata, d'après cet auteur, et qu'on rapporte sans hésita-
tion aujourd'hui au C. Pepo, a été trouvée par Lindheimer « au
bord des fourrés et dans les bois humides, sur les rives du
Guadalupe supérieur, avec les apparences de plante indigène. »
Le D*" Asa Gray ajoute que c'est peut-être un efiet de naturalisa-
tion. Cependant, comme il existe plusieurs espèces du genre
Cucurbita sauvages au Mexique et dans le sud-ouest des Etats-
Unisj on est amené naturellement à tenir l'assertion du collec-
teur pour bonne. Il ne paraît pas que d'autres botanistes aient
trouvé cette plante au Mexique ou aux Etats-Unis. Elle n'est
mentionnée ni dans la Biologia centrali-americana de Hemsley,
ni dans la flore récente de la Californie du D' Asa Gray.
Quelques synonymes ou échantillons de rAmérique méridio-
nale, attribués au C. Pepo, me paraissent bien douteux. Il est
impossible de savoir ce que Molina ^ a entendu sous les noms de
C, Siceratia et C. mammeata^ qui paraissent d'ailleurs avoir été
des plantes cultivées. Deux espèces décrites brièvement dans le
voyage de Spix et Martius (2, p. 536) et rapportées aussi au
C, Pepo ^, sont indiquées, à l'occasion de plantes cultivées, sur
les bords du Rio Francisco. Enfin Téchantillon de Spruce, 2716,
du Rio Uaupès, affluent du Rio Negro, que M. Cogniaux * ne dit
pas avoir vu et qu'il a rapporté d'abord au C. Pepo, ensuite au
C. moschata, était peut-être cultivé ou naturalisé à la suite de
quelque transport ou culture, malgré la rareté des habitants de
cette contrée.
Les indications botaniques sont donc en faveur d'une origine
mexicaine ou du Texas. Voyons si les documents historiques
sont conformes ou contraires à cette idée.
Il est impossible de savoir si tel nom sanscrit, grec ou latin
de Courge, s'applique à l'une des espèces plutôt qu'à une autre.
La forme du fruit est souvent la même, et les caractères distinc-
tifs ne sont jamais mentionnés par les anciens.
Aucune Courge n'est figurée dans VHerbarius Patavias
impressus, de 1485, antérieur à la découverte de l'Amérique;
mais les auteurs du xvi« siècle ont publié des planches qui s'y
rapportent. Je citerai les trois formes de Pepones figurées à la
page 406 de Dodoens, édition de 1557. Une quatrième, Pepo
•Totundus major, ajoutée dans l'édition de 1616, me paraît ren-
trer dans le C maxima. Dans la figure du Pepo oblongm de
1. A. Gray, Plantée Lindheimerianx, part. 2, p. 193.
2. Molina, Hist. nat. du Chili, p. 377.
3. Cogniaux, /. c, et Flo7'a brasiL, fasc. 78, p. 21.
4. Cogniaux, FI. bras, et Monogr, Phan., 3, p. 547.
204 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
LoheX, Jcones^ 641, le caractère du pédoncule est nettement
accusé. Les noms donnés à ces plantes expriment une origine
étrangère ; mais les auteurs ne pouvaient rien affirmer à cet
égard, d'autant plus que le nom Inde signifiait ou l'Asie méri-
dionale ou l'Amérique.
Ainsi les données historiques ne contredisent pas ropinion
d'une origine américaine, sans l'appuyer cependant.
Si l'habitation ppontanée se confirme en Amérique, on pourra
dire désormais que les Courges cultivées par les Romains et
dans le moyen âge étaient le Cucurbita maxima et celles des
indigènes de l'Amérique du Nord, dans le xviP siècle, vues par
divers voyageurs, le Cucurbita Pepo,
Courge musquée, ou melonnée. — Cucurbita moschata^
Duchesne.
Le Bon jardinier cite comme principales formes de cette
espèce les Courges muscade de Provence, pleine de Naples et de
Barbarie. Il va sans dire que ces noms ne signifient rien pour
l'origine. L'espèce est facile à reconnaître par sa pubescence
légère et douce, le pédoncule du fruit pentagone, épaté au
sommet, le fruit plus ou moins couvert d'une efflorescence
glauque, à chair copieuse, plus ou moins musquée. Les lobes
du calice sont souvent terminés par un limbe foliacé *. Cultivée
dans tous les pays tropicaux, elle s'avance moins que les autres
Courges dans les pays tempérés.
M. Gogniaux ^ soupçonne qu'elle est du midi de l'Asie, sans
en donner la preuve. J'ai parcouru les flores de l'ancien et du
nouveau monde et n'ai pu découvrir nulle part la mention d'un
état vraiment spontané. Les indications qui en approchent le
plus sont : 1" en Asie, dans l'île de Bangka, un échantillon
vérifié par M. Gogniaux et que Miquel ^ ne dit pas cultivé ;
2° en Afrique , dans l'Angola , des échantillons que Welwilsch
dit tout à fait spontai^és, mais « à la suite probai)lement d'une
introduction * » ; 3o en Amérique, cinq échantillons du Brésil, de
la Guyane ou de Nicaragua, mentionnés par M. Gogniaux, sans
qu'on sache s'ils étaient cultivés, naturalisés ou spontsinés. Ce
sont des indices tout à fait légers , et l'opinion des auteurs le
confirme. Ainsi, pour l'Asie, Rumphius, Blume, Clarke (dans
Flora of brit. India)^ et, pour l'Afrique, Schweinfurth (dans
Baker, Tropical fiora), n'ont vu la plante absolument que cul-
tivée. En Chine, la culture n'est pas ancienne *. En Amérique^
les flores mentionnent très rarement l'espèce.
1. Voir l'excellente planche de Wight, Icônes, t. 507, aoua le nom faux
de Cucurbita maxima.
2. Gogniaux, dans Monogr. Phaner., 3, p. 547.
3. Miquel, Sumatra, soûs le nom de Gymnopetalum, p. 332.
4. Gogniaux, Ibid.
5. Bretschneider, lettre du 23 août 1881 .
MELON 205
On ne connaît aucun nom sanscrit, et les noms indiens, malais
et chinois ne sont ni très nombreux ni bien originaux, quoique
la culture paraisse plus répandue dans l'Asie méridionale que
dans les autres régions entre les tropiques. Elle Tétait déjà
au XVII® siècle, d'après VHortus Malabaricus^ où l'on voit une
bonne planche (vol. 8, pi. 2).
Il ne paraît pas que les botanistes du xvi® siècle aient connu
cette espèce, car la figure de Dalechamp (Hist,, 1, p. 616), que
Seringe lui a attribuée, n'en a pas les caractères, et je ne puis
découvrir aucune autre figure qui lui ressemble.
Courge à feuilles de figuier. — Cncurbita ficifoUa, Bouché.
^ Cucurbita melanosperma, Braun.
Il s'est introduit, depuis une trentaine d'années, dans les jar-
dins, une Courge à graines noires ou quelquefois brunes, qui
diffère des autres espèces cultivées en ce qu'elle est vivace. On
l'appelle quelquefois Melon de Siam. Le Bon jardinier dit qu'elle
vient de Chine. Le D»* Bretschneider ne m'en a pas parlé dans la
lettre de 1881 , où il énumère les Courges cultivées par les Chinois.
Jusqu'à présent, aucun botaniste ne l'a trouvée à l'état spon-
tané. Je doute beaucoup qu'elle soit originaire d'Asie, car toutes
les espèces connues de Cucurbita vivaces sont du Mexique ou de
Californie.
•
Melon. — Cucumis Melo, Linné.
La question de Torigine du Melon a changé complètement
depuis les travaux de M. Naudin. Le mémoire qu'il a publié,
en 1859, dans les Annales des sciences naturelles, série 4, vo-
lume 11, sur le genre Cucumis, est aussi remarquable que celui
«ur le genre Cucurbita, Il rend compte d'observations et d'ex-
périences, suivies pendant plusieurs années, sur la variabilité
des formes et la fécondation croisée d'une multitude d'espèces,
races ou variétés venant de toutes les parties du monde. J'ai
parlé ci-dessus (p. 199) du principe physiologique sur lequel il
croit pouvoir distinguer des groupes de formes qu'il nomme des
espèces, quoique certaines exceptions se soient manifestées et
rendent le critère de la fécondation moins absolu. Malgré ces
cas exceptionnels, il est évident que si des formes voisines se
croisent facilement et donnent des produits féconds, comme
cela se voit, par exemple, dans l'espèce humaine, on est obligé
de les regarder comme constituant une seule espèce.
Dans ce sens, le Cucumis Melo , d'après les expériences et
observations faites par M. Naudin sur environ deux mille indi-
vidus vivants, constitue bien une espèce, laquelle comprend un
nombre extraordinaire de variétés et même de races, c'est-à-dire
de formes qui se conservent par hérédité. Ces variétés ou races
peuvent se féconder eatre elles et donnent des produits variés et
206 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
variables. Elles sont classées par l'auteur dans dix groupes»
qu'il appelle Cantaloups^ Melons brodés^ SucrinSy Melons dhiver^
serpents^ forme de concombre^ Chito^ Dudahn^ rouges de Perse et
sauvages^ chacun contenant des variétés ou races voisines les
unes des autres. Celles-ci ont été nommées de 25 à 30 manières
différentes par des botanistes qui, sans s'inquiéter des transi-
tions de fiorme, de la faculté de croisement ou du peu de fixité
dans la culture, ont désigné comme espèces tout ce qui diJOTere
plus ou moins dans un temps et un lieu donnés.
Il résulte de là que plusieurs formes qu'on avait trouvées à
Tétat sauvage et qu'on décrivait comme espèces doivent être
les types ou souches des formes cultivées, et M. Naudin fait la
réflexion très juste que ces formes sauvages plus ou moins diffé-
rentes l'une de l'autre ont pu donner des produits cultivés diffé-
rents. C'est d'autant plus probable qu'elles habitent quelquefois
des pays assez éloignés, comme l'Asie méridionale et l'Afrique
tropicale, de sorte que les diversités de climat, combinées avec
l'isolement, ont pu créer et consolider les différences.
Yoici les formes que M. Naudin énumère comme sauvages :
1° Celles de l'Inde, qui ont été nommées par Willdenow Cw-
cumis puhescens, et par Roxburgh C. turbinatus ou C. Maderas-
patanus. Leur habitation naturelle est l'Inde anglaise dans toute
son étendue et le Belouchistan. La qualité spontanée est évi-
dente, même pour des voyageurs non botanistes *. Les fruits
varient de la grosseur d'une prune à celle d'un citron. Ils sont
unis, rayés bu bariolés à l'extérieur, parfumés ou sans odeur.
La chair en est sucrée, fade ou aigrelette, différences qui rap-
pellent beaucoup celles des Cantaloups cultivés. D'après Rox-
burgh, les Indiens récoltent les fruits du turbinatus et du JUade^
raspatanusy qu'ils ne cultivent pas, mais dont ils aiment la saveur.
Si l'on consulte la flore la plus récente de l'Inde anglaise, où
M. Clarke a décrit les Cucurbitacées (2, p. 619), il semble que
cet auteur ne s'accorde pas avec M. Naudin sur les formes in-
diennes spontanées, quoique tous deux aient examiné les nom-
breux échantillons de l'herbier de Kew. La différence d'opinion,
plus apparente que réelle, tient à ce que l'auteur anglais
rapporte à une espèce voisine, Cucumis trigofius^ Roxborgh,
certainement sauvage, les formes que M. Naudin classe dans le
Cucumis Melo. M. Cogniaux *, qui a vu depuis les mêmes échan-
tillons, attribue seulement le C, turbinatus au trigonus. La dis-
tinction spécifique des C Melo et C. triaonus est malheu-
reusement obscure, d'après les caractères donnés par les trois
auteurs. La principale différence est que le Melo est annuel,
l'autre vivace, mais cette durée ne parait pas bien constante.
1. Gardener's chronicley articles si}4:né3 : J. H. H,, 1857, p. 153; 1858,
p. 130.
2. Cogniaux, dans Monogr, Phaner., 3, p. 485.
MELON 207
M. Glarke lui-même dit que le C. Melo est peut-être dérivé par
la culture du C trigonus^ c'est-à-dire, selon lui, des formes
attribuées par Naudin au C. Melo,
paraissent appuyer 1 opinion d'une diversité spécifique
admissible, car, si la fécondation a eu lieu, les produits ont été
divers de formes et sont revenus souvent à l'un des ancêtres
primitifs.
2** Les formes africaines. M. Naudin n'a pas eu des échantil-
lons en assez bon état et assez certains sous le rapport de la
spontanéité, pour affirmer d'une manière positive l'habitation
en Afrique. 11 l'admet avec hésitation. Il attribue à l'espèce
des formes cultivées ou d'autres spontanées, dont il n'a pas vu
les fruits. Après lui, sir Joseph Hooker ^ a eu des échantillons
plus probants. Je ne parle pas de ceux de la région du Nil, qui
sont probablement cultivés ', mais de plantes recueillies par
Barter, en Guinée, dans les sables au bord du Niger. Thonning *
avait déjà trouvé dans les sables, en Guinée, un Cucumis, qu'il
^vait nommé arenmnus, et M. Gogniaux ^, après avoir vu un
échantillon rapporté par ce voyageur, l'a classé dans le C. Meloj
comme le pensait sir Joseph Hooker. Les nègres mangent le
fruit de la plante recueilUe par Barter. L'odeur est celle d'un
melon vert frais. Dans la plante de Thonning, le fruit est ovoïde,
de la grosseur d'une prune. Ainsi, en Afrique, comme dans
rinde, l'espèce a des petits fruits à Tétat spontané, ce qui n'est
pas extraordinaire. Le Dudaïm s'en rapproche, parmi les va-
riétés cultivées.
La majorité des espèces du genre Cucumls est en Afrique ;
une faible minorité se trouve en Asie ou en Amérique. D'autres
espèces de Cucurbitacées sont disjointes entre l'Asie et l'Afrique,
quoique les habitations soient ordinairement dans cette famille
continues et restreintes. Le Cucumis Melo a peut-être été une
fois spontané de la côte occidentale d'Afrique jusque dans l'Inde^
§ans intervalle, comme la Coloquinte {Citrullus Colocynthis), de
la même famille.
J'ai parlé jadis de la spontanéité douteuse du Melon au midi
du Caucase, d'après d'anciens auteurs. Les botanistes subsé-
quents ne l'ont pas confirmée. Hohenacker, qui avait trouvé,
disait-on, l'espèce autour d'Elisabethpol, n'en fait aucune men-
tion dans son opuscule sur les plantes de la province de Ta-
lysch. M. Boissier n'admet pas le Cucumis Melo dans sa flore
orientale. Il dit seulement qu'il se naturalise avec facilité dans
1. Naudin, Ann. se. 7iat., série 4, vol. 18, p. 171.
2. Hooker, dans Flora of tropical A fric a, 2, p. 546.
3. Schweinfurth et Ascherson, Aufzœhlung, p. 267.
4. Schumacher et Thonning, Guineiske planten, p. 426.
5. Gogniaux, /. c, p. 483.
208 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
les décombres et les terrains abandonnés. La même chose a été
observée ailleurs, par exemple dans les sables de TUssuri, dans
l'Asie orientale. Ce serait une raison pour se défier de la localité
des sables du Niger, si la petitesse des fruits dans cet endroit ne
rappelait les formes spontanées de llnde.
La culture du Melon, ou de diverses variétés du Melon, a pa
commencer séparément dans llnde et en Afrique.
Son introduction en Chine parait dater seulement du viii® siècle
de notre ère, d'après Tépoque du premier ouvrage qui en ait
parlé '. Comme les relations des Chinois avec la Bactriane elle
nord-ouest de l'Inde, par l'ambassade de Chang-Kien, remontent
au ne siècle avant Jésus-Christ, il est possible que la culture de
l'espèce ne fût pas alors très répandue en Asie. La petitesse du
fruit spontané n'encourageait pas. On ne connaît aucun nom
sanscrit, mais un nom tamoul, probablement moins ancien,
Molam 2, qui ressemble au nom latin Melo.
11 n'est pas prouvé que les anciens Egyptiens aient cultivé le
Melon. Le fruit figuré par Lepsius * n'est pas reconnaissable. Si
la culture avait été usuelle et ancienne dans ce pays, les Grecs
et les Romains en auraient eu connaissance de bonne heure. Qr
il est douteux que le Sikua d'Hippocrate et de Théophraste, ou
le Pepôn de Dioscoride, ou le Melopepo de Pline fussent le
Melon. Les textes sont brefs et insignifiants; Galien * est moins
obscur, lorsqu'il dit qu'on mange l'intérieur des Melopepones^
mais non des Pepones. On a beaucoup* disserté sur ces noms *,
mais il faudrait des faits plutôt que des mots. La meilleure
preuve que j'aie pu découvrir de Fexistence du Melon chez les
Romains est un fruit figuré très exactement dans la belle mo-
saïque des fruits au musée du Vatican. Le D»* Cornes certifie, en
outre, que la moitié d'un Melon est représentée dans un dessin
d'Herculanum ^. L'espèce s'est introduite dans le monde gréco-
romain probablement à l'époque de l'empire, au commence-
ment de l'ère chrétienne. La qualité en était, je suppose, mé-
diocre, vu le silence ou les éloges modérés des auteurs, dans un
pays où les gourmets ne manquaient pas. Depuis la Renaissance,
une culture plus perfectionnée et des rapports avec l'Orient et
l'Egypte ont amené de meilleures variétés dans les jardins. Nous
savons cependant qu'elles dégénèrent assez souvent, soit par des
intempéries ou de mauvaises conditions du sol, soit par un
croisement avec des variétés inférieures de l'espèce.
1. Bretschneider, lettre du 26 août 1881.
2. Piddingtoiip Index.
3. Voir la copie dans Unger, Pflanzen des alten Mgyptens, fig. 25.
4. Galien, De alimentis, 1. 2, c. 5.
5. Voir toutes les Flottes de Virgile^ et Naudin, Ann, se, nat., série 4.
vol. 12, p. m.
6. Cornes, III, mante nei dipinti pompeiani, in-4, p. 20, d'après Museo
nazion., vol. 3, pi. 4.
PASTÈQUE 209
Pastèque. — Citrullus vulgaris , Schrader — Cucurbita
Citrullus, Linné.
L'origine de la Pastèque, appelée aussi Melon cTeau, a été
longtemps méconnue ou inconnue. D'après Linné, c'était une
plante du midi de l'Italie '. L'assertion était tirée de Matthiole,
sans faire attention que cet auteur disait l'espèce cultivée.
Seringe *, en 1828, la supposait d'Afrique et de l'Inde, mais il
n'en donnait aucune preuve. Je l'ai crue de l'Asie méridionale,
à cause de sa culture très commune dans cette région. On* ne la
connaissait pas à l'état spontané. Enfin on l'a trouvée indigène
dans l'Afrique intertropicale, en deçà et au delà de l'équateur »,
ce qui tranche la question. Livingstone * a vu des terrains qui en
étaient littéralement couverts. L'homme et plusieurs espèces
d'animaux recherchaient ces fruits sauvages avec avidité. Ils
sont ou ne sont pas amers, sans que rien le montre à l'extérieur.
Les nègres frappent le fruit avec une hache et goûtent le suc
pour savoir s'il est bon ou mauvais. Cette diversité dans des
plantes sauvages, végétant sous le même climat et dans le même
sol, est propre à faire réfléchir sur le peu de valeur du caractère
dans les Gucurbitacées cultivées. Du reste, l'amertume fréquente
de la Pastèque n'a rien d'extraordinaire, puisque l'espèce la
pins voisine est la Coloquinte {Citrullus Colocynthis), M. Naudin
a obtenu des métis féconds d'un croisement entre une Pastèque
amère, spontanée au Cap, et une Pastèque cultivée, ce qui con-
firme l'unité spécifique accusée par les formes extérieures.
On n'a pas trouvé l'espèce sauvage en Asie.
Les anciens Egyptiens cultivaient la Pastèque. Elle est figurée
dans leurs dessins *. C'est déjà un motif pour croire que les
Israélites connaissaient l'espèce et l'appelaient Abbatitckinu
comme on le dit; mais en outre le mot arabe Battich, Batteca,
qui dérive évidemment ^u nom hébreu, est le nom actuel de la
Pastèque. Le nom français vient de l'hébreu, par l'arabe. Une
preuve de l'ancienneté de la plante dans la culture du nord de
l'Afrique est le nom berbère, Tadellaât ®, trop différent du nopi
arabe pour n'être pas antérieur à la conquête. Les noms espa-
gnols Zandria^ Cindria et de l'île de Sardaigne Sindria ^, que je
ne puis rapprocher d'aucun autre, font présumer aussi une an-
cienne culture dans la région méditerranéenne occidentale. En
Asie, la culture s'est répandue de bonne heure, car on connaît un
1. Habitat in Apulia, Calabria, Sicilia. (Linné, Species, éd. 1763, p. U35.)
2. Serinée, dans Prodf^omus^ 3, p. 301.
3. Naudin, Ann, se, nat. , série 4, vol. 12, p. 101 ; sir J. Hooker, dans
Oliver, Flora of tropical Africa, 2, p. 549.
4. Traduction française, p. 56.
5. Unger a copié les fifçures de l'ouvrage de Lepsius, dans son mémoire
Die Pflanzen des alten jÈgyptenSy fig. 30, 31, 32.
6. Dictionnaire français-oerbère, au mot Pastèque.
7. Moris, Flora saraoa.
De Gandolle. 14
210 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
nom sanscrit, Chaya-jmla \ mais les Chinois n'ont reçu la
plante qu'au x® siècle de Tère chrétienne. Ils la nomment Si kua,
qui veut dire melon de l'ouest *.
La Pastèque étant annuelle mûrit, au delà des tropiques, dans
les pays où Tété est suffisamment chaud. Les Grecs modernes la
cultivent beaucoup et la nomment Carpousea ou Carpousia \
mais on ne trouve pas ce mot dans les auteurs de Tantiquité, ni
même dans le grec de la décadence et du moyen âge *. C'est un
mot commun avec le Karpus des Turcs de Gonstantinople ^, qui se
trouve aussi en russe sous la forme de Arbtis ^ et en bengali et
hindoustani sous celle de Tarbuj, Turbouz '. Un autre nom de
Gonstantinople, cité par Forskal, CAimonico, se trouve en alba-
nais, Chimico ®. L'absence d'un ancien nom grec qu'on puisse
attribuer avec sûreté à l'espèce fait présumer qu'elle s'est intro-
duite dans le monde gréco-romain à peu près au commencement
de l'ère chrétienne. Le poème Copa^ attribué à Virgile et Pline,
en a peut-être parlé (livre 19, cap. 5), comme le présume Naudin,
mais c'est douteux.
Les Européens ont transporté le Melon d eau en Amérique,
où maintenant on le cultive du Ghili jusqu'aux Etats-Unis. Le
Jacé des Brésiliens, figuré dans Pison et Marcgraf, est évidem-
ment introduit, car le premier de ces auteurs dit la plante cul*
tivée et quasi naturalisée ^.
Concombre. — CtACumis sativm^ Linné.
Malgré la différence bien visible du Melon et du Concombre,
ou Cornichon^ qui appartiennent tous deux au. genre Cucumis^
les cultivateurs supposent que des croisements de ces espèces
peuvent avoir lieu et nuisent quelquefois aux qualités du Melon.
M. Naudin *** s'est assuré par expérience que cette fécondation
n'est pas possible, et il a montré ainsi que la distinction des
deux espèces est bien fondée.
Le pays d'origine du Cucumis sattvus était réputé inconnu par
linnéet de Lamarck. Ën^ 1805, Willdenow ^^ a prétendu que
c'était la Tartarie et l'Inde, sans en fournir a4icune preuve. Les
botanistes subséquents n'ont pas confirmé cette indication.
i . Piddington, Index.
2. Bretschneider, Stitdy and value, etc, p. 17.
3. Heldreich, Pflanzen d. atiischen Ebene, p. 591 ; Nutzpftanzen Gnechen-
lancTs, p. 50.
4. Lanffkavel, Botanik der spateren Griechen,
5. Forskal, Flora œrjypto-arabica, part. 1, p. 34.
6. Nemnich, Polygl. Lexicon, 1, p. 1309.
7. Piddington, Index; Pickering, Chronological arrangement j p. 72.
8. Heldreich, Nutzpflanzen, p. 50.
9. « Saliva planla et Iractu lemporis quasi nativa fada* » (Fisc, éd.
1658, p. 233.)
10. Naudin, dans Ann, se. nal.y série 4, vol. 11, p. 31.
11. Willdenow, Spedes, 4, p. 615.
CONCOMBRE. m
Lorsque j'ai examiné la. question, en 1855^ on n'avait trouvé l'es-
pèce sauvage nulle part. D'aprè» divers moti& , tirés" de son
ancienne culture en Asie, et en Europe, et surtout de l'existence
d'un nom sanscrit,, iS'ot^oâa ^ je disais : a La patrie est probable-
ment le nord-ouest de l'Inde, par exemple le Caboul ou quel-
que pays adjacent Tout fait présumer qu'on la découvrira un
jour dans ces régions encore mal connues: »
C'est bien ce. qui s'est réalisé, ai l'on admet, avec les auteurs
actuels les mieux informés, que Le Cucumis Hardwickiiy Iloyle
rentre dans les formesr du Cucumis sativus. On> peut voir dans
l'ouvrage intitulé Hlu$lrations of Bimalamn plants de Royle,
p. âSX), pi. 47, une figure coloriée de ce Concombre récolté au
pied des monts Himalaya. Les tiges, feuilles et fleurs sont tout
à fait celles du C.sativus. Le fruit, ellipsoïde et lisse, a une saveur
amère; mais dans le Concombre cultivé il y a des formes analo-
gues, et l'on sait que dans d'autres espèces de la famille, par
exemple dans la Pastèque, la pulpe est douce ou amère. Sir
Josepn Hooker, après avoir décrit la variété remarquable de
Concombre dite de Sikkim ^,. ajoute que la forme Hardwiekii^
spontanée de Kumaon à Sikkim, et dont il a recueilli des échan-
tdlonsy ne diffère pas plus des plantes cultivées que certaines
vsuriétés de celles-ci ne diffèrent les unes des ajitres, et. M. Co^
gniaux, après avoir vu les plantes de l'berbier de Kew, adopte
cette opinion '.
Le Concombre,, cultivé depuis au moins trois mille ans dans
rinde, a été introduit en Chine seulement au deuxième siècle
avant Jésus-Christ, lors du retour de Chang<Kien, envoyé en
Bactriane ^. Du côté occidental, la propagation de l'espèce a
marché plus vite. Les anciens Grecs cultivaient le Concoml^re
sous le nom de Sikuos ^, qui est resté dans la. langue moderne^
sous la forme de Sikucu Les Grecs actuels disent aussi Aggouriay
d'une ancienne racine des langues aryennes, appliquée quelque-
fois à la Pastèque^ et qui se retrouve pour le Concombre dans le
bohème Agiar.ka^ l'allemand Gurke^ etc.. Les Albanais (Pélasges?)
ont un tout autre nom, Kratsavets ®, qu'on reconnaît dans le
slave Krastavak. Les Latins appelaient le Concombre Cucumis,
Ces nom& divers montrent l'ancienneté de l'espèce en Europe.
Je citerai même un nom esthonien, Uggurits^ Ûkkurits^ Unis ''.
Il ne semble pas finnois, mais plutôt emprunté à.la même racine
aryenne que Aggouria. Si le Concombre était parvenu en Europe
1. Piddington, Index,
2. Botanical magazine, pi. 6206.
3. Gogniaux, dans de CandoUe, Monogr, Phanér,^ 3, p. 499.
4. Bretechneider, lettres des 23 et 26 août 1881.
5. Theophrastes, Hist», 1. 7, c, 4; Lenz, Botanik (1er alten Griechen und
Roemer, p. 492.
6. De Heldreich, Nutzpflanzen Griechenland's, p. 50.
7. Nemnich, Polygl. Lexicon, 1, p. 1306.
/
212 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
avant les Aryens on aurait peut-être quelque nom particulier
dans la langue basque, ou l'on aurait trouvé des graines dans les
habitations lacustres de Suisse et Savoie, mais cela ne s'est pas
présenté. Les peuples voisins du Caucase ont des noms tout
différents du grec : en tartare Kiar^ en Kalmouk Chaja^ en
arménien Karan *. Le nom Chiar existe aussi en arabe pour
quelque variété de Concombre *. Ce serait donc un nom
touranien, antérieur au sanscrit, par où la culture dans l'Asie
occidentale aurait plus de 3000 ans.
On dit communément que le Concombre était le Kischschmm,
un des fruits d'Egypte regrettés par les Israélites dans le désert '.
Je ne vois cependant aucun nom arabe, parmi les trois cités par
Forskal, qui se rattache à celui-ci, et jusqu'à présent on n'a pas
trouvé d'indication de la présence du Concombre dans l'ancienne
Egypte.
Concombre Anguria. — Cucumis Anguria, Linné.
Cette petite espèce de Concombre est désignée dans le Bon
jardinier sous le nom de Concombre Arada. Le fruit, de la gros-
seur d'un œuf, est très épineux. On le mange cuit ou conservé
au vinaigre. Comme la plante est productive, sa culture est fré-
quente dans les colonies américaines. Descourtilz et sir J. Hooker
en ont publié de bonnes figures coloriées, et M. Cogniaux une
planche contenant des analyses détaillées de la fleur *.
L'indigénat aux Antilles est affirmé par plusieurs botanistes.
P. Browne *, dans le siècle dernier, appelait la plante Petit Con-
combre sauvage (à la Jamaïque). Descourtilz s'est servi des
expressions suivantes : « Le Concombre croit partout naturelle-
ment, et principalement dans les savanes sèches et près des
rivières dont les rives offrent une riche végétation. » Les habi-
tants l'appellent Concombre marron. Grisebach ^ a vu des échantil-
lons de plusieurs autres îles Antilles et parait admettre leur qua-
lité spontanée. M. E. André a trouvé 1 espèce sur le bord de la
mer, dans les sables, à Porto-Cabello, et Burchell, dans le même
genre de stations, au Brésil, dans une locaUté non désignée, ainsi
que Riedel, près de Rio-de-Janeiro ^. Pour une infinité d'autres
échantillons recueillis dans l'Amérique orientale, du Brésil à la
Floride, on ne sait s'ils étaient spontanés ou cultivés.
Une plante spontanée, du Brésil, fort mal dessinée dans Piso *,
1. Nemnich, ibid,
2. Forskal, Flora xgy^t,, p. 76.
3. RoseninûUer, Biblische Altei^thunskunde^ !, p. 97; Hamilton, Bota-
nique de la Bible ^ p. 34.
4. Descourtilz, Flore médicale des Antilles^ 5, pi. 329 ; Hooker, Botanical
magazine f t. 5817; Cogniaux, dans Flora brasiliensis, fasc. 78, pi. 2.
5. Browne, Jamaïca^ éd. 2, p. 353.
6. Grisebach, Flora of british W. India idands, p . 288 .
7. Cogniaux, /. c.
8. Guanerva-oba^ dans Piso, BrasiL, éd. 1658, p. 264; Marcgraf, éd.
BENINGASA 313
est citée comme appartenant à Tespèce, mais j'en doute beau-
coup.
Les botanistes, depuis Toumefort jusqu'à nos jours, ont con-
sidéré TAnguria comme originaire d'Amérique, en particulier
de la Jamaïque. M. Naudin S le premier, a fait observer que
tous les autres Cucumis sont de l'ancien monde, principalement
d'Afrique. Il s'est, demandé si celui-ci n'aurait point été intro-
duit en Amérique par les nègres, comme beaucoup d'autres
plantes qui s'y sont naturalisées. Cependant, n'ayant pu trouver
aucune plante africaine qui fût semblable, il s'est rangé à l'opi-
nion des auteurs. Sir Joseph Hooker, au contraire, incline à
croire le C. Anguria une forme cultivée et modifiée de quelque
espèce africaine voisine des C. propketarum et C, Figarei, bien
que ceux-ci soient vivaces. En faveur de cette hypothèse, j'ajou-
terai que : 1* le nom de Concombre marron^ donné dans les
Antilles françaises, indique une plante devenue sauvage, car tel
est le sens pour les nègres marrons ; 2" la grande extension en
Amérique, du Brésil aux Antilles, toujours sur la côte où la
traite des nègres a été le plus active, paraît un indice d'origine
étrangère. Si l'espèce était américaine, antérieure à la décou-
verte, avec une habitation d'une pareille étendue elle se serait
trouvée aussi sur la côte occidentale d'Amérique et dans l'inté-
rieur, ce qui n'est pas.
La question ne sera résolue que par une connaissance plus
complète des Cucumis d'Afrique, et par des expériences de fécon-
dation, si quelqu'un a la patience et l'habileté nécessaires pour
opérer sur le genre Cucumis comme M. Naudin sur les Cucur-
bita.
. En terminant, je ferai remarquer la bizarrerie du nom vul-
gaire des Etats-Unis pour l'Anguria : Jérusalem Cucumher^ Con-
combre de Jérusalem *. Prenez ensuite les noms populaires pour
guide dans la recherche des origines I
Benincasa. — Benincasa hispida, Thunberg. — Benincasa
cerifera^ Savi.
Cette espèce, qui constitue à elle seule le genre Benincasa,
ressemble tellement aux Courges que d'anciens auteurs l'avaient
Ï)rise pour la Courge Pépon ', malgré l'efflorescence cireuse de
a surface du fruit. Elle est d'une culture générale dans les pays
tropicaux. On a peut-être eu tort de la négliger en Europe après
l'avoir essayée, car M. Naudin et le Bon jardinier s'accordent à
la recommander.
1648, p. 44, sans figure, en parle sous le nom de Cucumis sylvestHs Bra^
siliœ,
1. Naudin, Ann. se. nat., série 4, vol. 11, p. 12.
2. Darlington, AgricuUural botany^ p. 58.
3. C'est le Cucurbita Pepo de Loureiro et de Roxburgh.
214 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
C*eât le Cumbalam de Rheede, le Camoienga de Rumphias,
qui Tavaient vue au Malabar et dans les îles de la Sonde seu-
lement cultivée, et en avaient donné des figures.
D'après plusieurs ouvrages, même récents*, on pourrait croire
que jamais elle n'a été trouvée à l'état spontané ; mais, si l'on fait
attention aux noms divers sous lesquels on l'a décrite, il en est
autrement. Ainsi les Cucurbtta hispida, Thunberg, et Lagenaria
dastfstemon, Miquel, d'après des échantillons authentiques vus
par M. Gognîaux *, sont des synonymes de l'espèce, et ce sont des
plantes sauvages au Japon ®. Le Cucurôita littoralis, Hasskarl *,
trouvé dans des 'broussailles au bord de la mer, à Java, et le
Gymnopetatum septemlobum^ Miquel, aussi à Java, sont le Benin-
casa, d après M. Cogniaux. De même le Cucurbtta vacua^ Mueller "
et le Cucurbita pruriens^ Forster, dont il a vu des échantillons
authentiques trouvés à Rockhingham , en Australie et aux fles
de la Société. M. Nadeaud ^ ne parle pas de cette dernière. On
peut soupçonner des naturailisations temporaires dans les iles
de la mer Pacifique et le Queensland, mais les localités de Java
et du Japon paraissent très certaines. Je crois d'autant plus à
cette dernière que la culture du Benincasa en Chine remonte à
une haute antiquité '.
LufGei cylindrique. — Momordica cylindrica, Linné. — Luffa
cylindricaj Rœmer.
TH. Naudin ® s'exprime ainsi : « Le Luffa cylindrica^ anqael
on a conservé dans quelques-unes de nos colonies le nom inaien
de Pétole^ est probablement originaire de l'Asie méridionale,
mais peut être il l'est aussi de l'Afrique, de l'Australie et des lies
de l'Océanie. On le trouve cultivé par la plupaii^ des peuples
des pays chauds, et il parait s'être naturalisé dans beaucoup de
lieux où sans doute il n'existait pas primitivement. » H. Co-
gniaux * est plus affirmatif. « Espèce indigène , dit-il , dans
toutes les régions tropicales de l'ancien monde ; souvent cultivée
et subspontanée en Amérique, entre les tropiques. »
En consultant les ouvrages cités par ces deux monogrAphes
et les herbiers, on trouve la qualité de plante sauvage oartifiée
quelquefois d'une manière positive.
1. Clarke, dans Flora ofbriiish India, 2, n. 616.
2. Cogniaux, dans de GandoUe, Monogr, Planer,^ 3, p. 318.
3. Thuoher g, FLj'eqi,, p. 322; Franchet et Savatier, Enum.. plant, Jap,,
i, p. 173.
4. Hasskarl, Catal, horti bogor.,alter, p. 190; Miquel, Flora indo-batava,
5. Mueller, Fragm., 6, p. 186; Forster, Proar. (sans descr.); Seemann,
Journal of botarw, 2, p. 50.
6. Nadeaud, Plantes usuelles des Tahitiens; Enumération des plantes intH-
gènes à Tatti,
7. Breitschneider, lettre du 26 août 1881.
8. Naudin, dans Ann, se. nat., série 4, vol. 12, p. 121,
9. Cogniaux, dauB Monogr. Phanerog.^ 3, p. 458.
LUFPA ANGULEUX 215
En ce qui concerne l'Asie *, Rheede Fa vue dans les sables, les
forêts et autres lieux du Malabar ;Roxburgh la dit spontanée dans
THindoustan, Kurz dans les forêts du pays des Birmans ; Thwaites
à Geylan. J'en possède des échantillons de Ceylan et de Khasia.
On ne connaît aucun nom sanscrit, et le D*" Bretschneider, dans
son opuscule On the study^ etc. y et dans ses lettres ne mentionne
aucun Luffa cultivé ou spontané en Chine. Je présume par con-
séquent que la culture n'est pas ancienne, même dans 1 Inde.
En Australie , l'espèce est spontanée au bord des rivières du
Queensland ', et d'après cela il est probable qu'on la trouvera
spontanée dans l'archipel asiatique, où Rumphius, Miquel,etc.,
en parlent seulement comme d'une plante cultivée.
Les herbiers renferment un grand nombre d'échantillons re-
cueillis dans l'Afrique tropicale, de Mozambique à la côte de
Guinée, et jusqu'au pays d'Angola, mais les collecteurs ne pa-
raissent pas avoir indiqué si c'étaient des échantillons spon-
tanés ou cultivés. Dans Thei^bier Delessert, Heudelot a indiqué
les environs de Galam , dans les terrains fertiles. Sir Joseph
Hooker ' les cite, sans rien affirmer. MM. Schweinfurth et As-
cherson *, toujours attentifs à ces questions, donnent l'espèce
pour uniquement cultivée dans la région du Nil. Ceci est assez
curieux, parce que la plante ayant été vue» dans le xvii« siècle,
dans les jardins d'Egypte, sous le nom arabe de Luff ^ on a
nommé le genre Luffa et Tespèce Luff'a segyptiaca. Les monu-
ments de 1 ancienne Egypte n en ont oflEert aucune trace. L'ab-
sence de nom hébreu est encore une raison de croire que la
culture s^est introduite en Egypte au moyen âge. On la pratique
aiyourd'^hui dans le Delta, non seulement pour le fruit, tnais
encore pour expédier les graines, dites de courgettes^ dont la
décoction sert à adoucir la peau.
L'espèce est cultivée au Brésil, à la Guyane, au Mexique, etc. ;
mais je n'aperçois aucun indice qu'elle soit indigène en Améri-
Îue. Il paraît qu'elle s'est naturalisée çà et là, par exemple
ans le Nicaragua, d'après un échantillon de Levy.
En résumé l'origine asiatique est certaine, l'africaine fort dou-
teuse, celle d'Amérique imaginaire, ou plutôt Teffet d'une natu-
ralisation.
Lullà. aniruleux. — Papengay. — Luffa acutangula ,
Roxburgh.
L'origine de cette espèce, cultivée, comme la précédente, dans
1. Rheede, Hort malabar,^ 8, p. 15, t. 8; Roxburgli. PL ind,j 3, p. 714,
715, sous le nom de L. clavata; Kurz, Cordrib.^, p. WO; Thwaites, Enum,
2. Mueller, Fragmenta^ 3, p. 107; Bentham, Floraaustr(tl,,S,j^, 317, sous
des noms synonymes de L. q/lindrica d'après Naudin et Gogmaut.
3. Hooker, dans Flora of tropical Africa, 2, p. 530.
4. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung, p. 268.
5. Forskal, FL segypt, p. 75.
216 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
tous les pays tropicaux, n'est pas bien claire, d'après MM. Nau-
din et Gogniaux ^ Le premier indique le Sénégal, le second
TAsie et, avec doute, TAfrique. Il est à peine besoin de dire que
Linné ^ se trompait en indiquant la Tartarie et la Chine.
L'indigénat dans l'Inde anglaise est donné, sans hésitation,
par M. Glarke, dans la flore de sir J. Hooker. Rheede ' avait
vu la plante autrefois dans les sables du Malabar. L'habitation
naturelle parait limitée, car Thw^aites à Ceylan, Kurz dans la
Birmanie anglaise et Loureiro pour la Gochinchine et la Chine *,
ne citent l'espèce que comme cultivée, ou venant dans les dé-
combres, près des jardins. Rumphius ^ l'appelle une plante du
Bengale. Aucun Luffa n'est cultivé depuis longtemps en Chine,
d'après une letttre du D"" Bretschneider. On ne connaît pas de
nom sanscrit. Ce sont autant d'indices d'une mise en culture pas
très ancienne en Asie.
Une variété à fruit amer est commune dans l'Inde anglaise •
à l'état spontané, car on n'a aucun intérêt à la cultiver. Elle
existe aussi dans les îles de la Sonde. C'est le Luffa amaray
Roxburgh, et le Z. sylvestrts, Miquel. Le L. subangulata, Miquel,
est une autre forme, croissant à Java, que M. Gogniaux réunit
également, sur la vue d'échantillons certains.
M. Naudin n'explique pas d'après quel voyageur la plante
serait sauvage en Sénégambie ; mais il dit que les nègres l'appel-
lent Papengaye^ et, comme ce nom est celui des colons de l'iie de
France ^ il est probable qu'il s'agit au Sénégal d'une plante
cultivée, peut-être naturalisée autour des habitations. Sir^yseph
Hooker, dans le Flora of tropical Africa^ indique l'espèce, sans
donner la preuve qu'elle soit spontanée en Afrique, et M. Go-
gniaux est encore plus bref. MM. Schweinfurth et Ascherson ' ne
l'énumèrent pas, soit comme spontanée, soit comme cultivée,
dans la région de l'Egypte, la Nubie et TAbyssinie. Il n'y a
aucune trace d'ancienne culture en Egypte.
L'espèce a été envoyée souvent des Antilles, de la Nouvelle-
Grenade, du Brésil et autres localités d'Amérique; mais on n'a
pas d'indice qu'elle y soit ancienne, ni même qu'elle s'y trouve
à distance des jardins, dans un état vraiment spontané.
Les conditions ou probabilités d'origine et de date de culture
sont, comme on voit, semblables pour les deux Luffa cultivés.
A l'appui de l'hypothèse que ces derniers ne sont pas originaires
1. Naudin, Ann, se, nat.y sér. 4, v. 42, p. 122; Gogniaux, dans Monogr,
Phaner.y 3, p. 450.
2. Lioné, Species, p. 1436, sous le nom de Cucumis acutangulusm
3. Rheede, Hoi't, malab., 8, p. 13, t. 7.
4. Thwaites, Enum. Ceylan,, p. 126; Kurz, Contrih.^ 2, p. 101; Loureiro,
FL Cochinch., p. 727.
i). Rumphius, Amboin., 5, ][>. 408, t. 149
6. Clarke, dans Flora of hritish India, 2, p. 614.
7. Bojer, Ilortxis mauritianus,
8. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung^ p. 268.
CHAYOTE 217
d'Afrique, je dirai que les quatre autres espèces du genre sont
ou asiatiques ou américaines, et, comme indice de plus que la
culture des LufTa n'est pas très ancienne, j'ajoute que la forme
du fruit a varié beaucoup moins que dans les autres Cucurbi-
tacées cultivées.
Trichosanthes serpent. — Trichosanthes anguina, Linné.
Gucurbitacée annuelle, grimpante, remarquable par sa corolle
frangée. On l'appelle dans Tîle Maurice Petole, d'un nom usité
à Java. Le fruit, allongé en quelque sorte comme un légume
charnu de Légumineuse , est recherché dans TAsie tropicale
pour être mangé cuit, comme des concombres.
Les botanistes du xvii® siècle l'ayant reçu de Chine, se sont
figurés que la plante y est indigène, mais elle y était probable-
ment cultivée. Le D' Bretschneider * nous apprend que le nom
chinois, Mankua^ signifie Concombre des barbares du sud. La
patrie doit être llnde ou l'archipel indien. Aucun auteur cepen-
dant n'affirme l'avoir trouvée dans un état clairement spontané.
Ainsi M. Clarke se borne à dire dans la flore de Flnde anglaise
(2, p. 610^ : « Inde, cultivé. » M. Naudin 2, avant lui, disait :
a Habite llnde orientale, où on la cultive beaucoup pour ses
fruits. Elle se présente rarement à l'état sauvage. » Rumphius *
n'est pas plus affirmatif pour Amboine. Loureiro et Kurz en
ce qui concerne la Cochinchine et le pays des Birmans, Blume
et Miquel pour les lies au midi de l'Asie, n'ont vu que la plante
cultivée. Les 39 autres espèces du genre sont toutes de l'ancien
monde, entre la Chine ou le Japon, l'Inde occidentale et l'Aus-
tralie. Elles sont surtout dans l'Inde et l'archipel. Je regarde
l'origine indienne comme la plus probable.
L'espèce a été portée à l'île Maurice, où elle se sème autour
des cultures . Ailleurs elle s'est peu répandue. On ne lui connaît
aucun nom sanscrit.
Chayote. — Sechium edule, Swartz.
On cultive cette Cucurbitacée, dans l'Amérique intertropi-
cale, pour ses fruits, qui ont une forme de Poire et le goût d'un
Concombre. Ils ne contiennent qu'une graine, de sorte que la
chair est abondante.
L'espèce constitue à elle seule le genre Sechium. On en trouve
des échantillons dans tous les herbiers, mais ordinairement les
collecteurs n'ont pas indiqué s'ils étaient cultivés, naturalisés
ou vraiment spontanés, avec l'apparence d'être originaires du
pays. Sans parler d'ouvrages dans lesquels on prétend que
cette plante vient des Indes orientales, ce qui est tout à fait
faux, plusieurs des plus estimés mentionnent pour origine la
1. Bretschneider, On study, etc., p. 17.
2. Naudin, Ann. se. nat., série 4, vol. 18, p 190.
3. Rumphius, Amboin.y 5, pi. 148.
218 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
Jamaïque *. Cependant P. Browne*, dans le «nilieu du siècle
dernier, disait positivement qu'elle y est à l'état de culture, et
avant lui Sloane n'en a pas parlé . Jacquin ' dit qu'elle
€ habite et qu'on la cultive à Cuba », et EUcnard a copié cette
phrase dans la flore de R. de La Sagra, sans ajouter quelque
preuve. M. Naudin * a dit : « Plante du Mexicjue », mais il ne
donne pas les motifs de son assertion. M. Cogniaux '^, dans sa ré-
cente monographie, cite un grand nombre d'échantillons re-
cueillis du Brésil aux Antilles, sans dire qu'il en ait vu aucun
qualifié de spontané. Seemann ^ a vu la plante cultivée à Pa-
nama^ et iJ ajoute une remarque importante, si elle est exacte :
c'est que le nom de Chayote, usité clans Tisthme, est une cor-
ruption d'un nom atztec, ChayotL Voilà un indice d'ancienne
existence au Mexique, njais je ne trouve pas ce nom dans Her-
nandez, l'auteur classique sur les plantes mexicaines antérieures
à la conquête. La Chayote n'était pas encore cultivée à CSayenne
il y a dix ans \ Au Brésil, rien ne fait présumer une ancienne
culture. L'espèce n'est pas mentionnée dans les anciens auteurs,
tels que Piso et Marcgraf, et le nom Chuchu^ donné comme bré-
silien ^, me paraît venir de Chocho, usité à la Jamaïque^ lequel
est peut-être une corruption du mot mexicain.
Les probabilités sont, en résumé : 1^ une origine du Mexique
méridional et de TAmérique centrale ; 2° un transport aux
Antilles et au Brésil à peu près dans le xviii* «iècle.
On a introduit plus tard l'espèce dans les jardins de l*Ue
Maurice et récemment en Algérie, où elle réussit k merveille *.
Opuntia Fii^ue d'Inde. — Opuntia Fictts indwa^ Miller.
La plante grasse, de la famille des Cactacées, sur laquelle
vient le fruit appelé dans le midi de l'Europe Figue éFInde^ n'a
aucun rapport avec les Figuiers , ni le fruit avec la figue. 11
n'est pas originaire de l'Inde, mais d'Amérique. Tout est ftinx
et ridicule dans ce nom vulgaire. Cependant linné en ayant
fait un nom botanique. Cactus Ficus indica, rapporte ensiâte au
genre Opuntia, il a fallu conserver le nom spécifique, pour éviter
les changements, sources de confusion, et rappeler la dénomina-
tion populaire. Les formes épineuses et plus ou moins dépour-
vues d'épines ont été désignées par quelques auteurs comme des
espèces distinctes, mais un examen attentif porte à les réunir '*.
1. Grisebach, Flora of brit. W, India Islands, p. 286.
2. Browne, Jamaica^ p. 355.
3. Jacquin, Stirp. amer, hist,^ p. 259.
4. NandiD, Ann, se, nat,, série 4, voL 18, p. â05.
5. Dans Monogr, Phaner,, 3, p. 902.
6. Seemann, Bot. of Herald^ p. 128.
7. Sugot, Journal de la Soc. ahortic. de France, 1872.
8. Cogniaux, Flora brasil., fasc. 78.
9. Saçot, /. c, 19.
10. Webb et Berthelot, Phytographia canariensis, sect. I, p. ;
GROBBILLIBR A MAQUEREAUX S19
L'espèce existait, à l'état spontané et caltivé, au Mexique,
avant l'arrivée des Espagnols. Hernandez * en décrit neuf va-
riétés, ce qui montre l'ancienneté de la culture. L'une d'elles, à
peu près sans épines, paraît avoir nourri plus spécialement que
les autres Tinsecte appelé cochenille, qu on a transporté avec
la plante aux îles Canaries et ailleurs. On ne peut pas savoir
jusqu'où s'étendait l'habitation en Amérique avant que l'homme
eût transporté les fragments de la plante, en forme de raquette,
et les fruits, qui sont deux moyens faciles de propagation. Peut-
être les individus sauvages dans la Jamaïque et autres îles
Antilles dont parlait Sloane *, en 1725, étaient-ils le résultat
d'une introduction par les Espagnols. Assurément l'espèce s'est
naturalisée dans cette direction aussi loin que le climat le lui per-
met, par exemple jusqu'à la Floride méridionale '.
•Cest une des premières plantes que les Espagnols aient trans-
portées dans le vieux monde, soit en Europe, soit en Asie. Son
apparence singulière frappait d^autant plus l'attention qu'au-
cune espèce de la famille n'avait encore été vue *. Tous les
botanistes du xvi® siècle en ont parlé, et en môme temps la
(ihuite s'est naturalisée dans le miidi de l'Europe et en Afrique à
mesure qu'on se mettait à la cultiver. C'eât en Espagne que
i^Opuntîa a d'abord été connu sous le nom américain de Tuna,
et probablement se sont les Maures qui Tont porté en Barbarie,
3nand on les a chassés de la Péninsule. Ils le nommaient Figue
e chrétien ^. L'usage d'entourer les propriétés de Figuiers
dinde, comme clôture, et la -valeur nutritive des fruits, assez
fortement sucrés, ont déterminé l'extension autour de la mer
Méditerranée et en général dans les pays voisins des tropiques.
L'élève de la cochenille, qui nuisait à la production des fruits ^,
est en pleine décadence depuis la fabrication des matières colo-
rantes par des procédés chimiques.
Groseillier À maquereaux. — RU>es Grosmlaria et R. Ova-
crispa, Linné.
Les formes cultivées iprésentent ordinairement un ihiit lisse
ou qui porte quelques gros poils raides, tandis que le fruit de
la forme sauvage (R, •Uva-'crispa) a des^poUs mous et moins longs ;
mais on a constaté souvent des intermédiaires, et il a été prouvé,
par expérience, qu'en semant des graines du fruit cultivé on
obtient des pieds ayant des poils ou sans poils ^ Il n'y a, par
conséquent, qu'une seule espèce, qui a donné par la culture une
1. Hernandez, Thésaurus Novœ Hispaniie^ p. 78.
2. Sloane, Jamaicay 2, p. 150.
3. Chapman, Flora of south, United states^ p. 144.
4. Le Cactos des Grecs était tout autre chose.
5. Steinheil, dans Boissier, Voyage bot, en tspagnCf 1, p. 25.
6. Webb et Bertheiot, Phyt, canar,
7. Robson, cité dans English botany^ planche 2057.
220 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
variété principale et plusieurs sous- variétés quant à la grosseur,
la couleur ou la saveur du fruit.
Ce Groseillier croît spontanément dans toute l'Europe tem-
pérée, depuis la Suède méridionale jusque dans les parties mon-
tueuses de TEspagne centrale, de l'Italie et de la Grèce *. On le
mentionne aussi dans l'Afrique septentrionale, mais le dernier
catalogue publié des plantes d'Algérie ^ l'indique seulement
dans les montagnes d'Aurès, et M. Bail en a trouvé une variété
assez distincte dans l'Atlas du Maroc ^ Il existe dans le Cau-
case * et, sous des formes plus ou moins différentes, dans l'Hima-
laya occidental ^.
Les Grecs et les Romains n'ont pas parlé de cette espèce, qui
est rare dans le midi et qu'il ne vaut guère la peine de planter
là où les raisins mûrissent. C'est surtout en Allemagne , en
Hollande et en Angleterre qu'on l'a cultivée, depuis le xvi* siè-
cle ^, principalement pour assaisonnement, d'où viennent les
noms de Gooseberry en anglais et de Groseille à maquereaux en
français. On en fait aussi une sorte de vin.
La fréquence de la culture dans les îles Britanniques et les
lieux où on le trouve, qui sont souvent près des jardins, ont fait
naître chez plusieurs botanistes anglais l'idée d'une naturalisa-
tion accidentelle. C'est assez probable pour l'Irlande ' ; mais,
comme il s'agit d'une espèce essentiellement européenne, je ne
vois pas pourquoi en Angleterre, où la plante sauvage est plus
commume, elle n'aurait pas existé depuis l'établissement de la
plupart des espèces de la flore britannique, c'est-à-dire depuis
la fin de l'épocjne glaciaire, avant la séparation de l'Ile d'avec le
continent. Phillips cite un vieux nom anglais tout particuliw,
Feaberry ou Feabes^ qui vient à l'appui d'une ancienne exis-
tence, de même que deux noms gallois *, dont je ne puis cepen-
dant pas attester l'originalité.
Groseillier rouge. — Ribes rubrum, Linné.
Le Groseillier ordinaire, rouge, est spontané dans l'Europe
septentrionale et tempérée, de même que dans toute la Sibérie*
jusqu'au Kamtschatka, et en Amérique du Canada et du Ver-
mont à l'embouchure de la rivière Mackensie *®.
Comme le précédent, il était inconnu aux Grecs et aux Ro-
1. Nyman, Conspectus fl, europex^ p. 266 ; Boissier, FI. or,^ 2, p. 815.
2. Mimby, Catal., éd. 2, p. 15.
3. Bail, Spicilegium fl, marocc, p. 449.
4. Ledebour, FL ross,^ 2,jp. 194; Boissier, /. c.
5. Clarke, dans Hooker, Fl.. brit. India, 2, p. 410.
6. Phillips, Account of ftmits, p. 174.
7. Moore et More, Contrib. to the Cybebe hibernica^ p. 113.
8. Davies, Welsh botanology^ p. 24.
9. Ledebour, Fl. ross., 2, p. 199.
10. Torrev et Gray, FL N. Am., 1, p. 150.
GROSEILLIER ROUGE 221
mains, et la culture s'en est introduite dans le moyen âge seule-
ment. La plante cultivée diffère à peine de la plante sauvage.
L'origine étrangère pour le midi de rEurope est attestée par le
nom Groseille a outremer^ donné en France *, au xvi® siècle. A
Genève, la Groseille se nomme encore vulgairement Raisin de
mare^ et, dans le canton de Soleure, Meej'trûbli, Je ne sais pour-
quoi on s'est imaginé, il y a trois siècles, que Fespèce venait d'ou-
tremer. Peut-être doit-on Tentendre dans ce sens, qu'elle aurait
été importée par les Danois et les Normands, ou que ces peuples
du nord, venus par mer, en auraient introduit la culture. J'en
doute, cependant, car le Bibes rubrum est spontané dans presque
toute la Grande-Bretagne * et en Normandie ' ; les Anglais, qui
ont eu des rapports fréquents avec les Danois, ne le cultivaient
pas encore en 1557, d'après une liste des fruits de cette époque
rédigée par Th. Tusser et publiée par Phillips *, et même du
temps de Gerarde, en 1597 •*, la culture en était rare et la
plante n'avait pas de nom particulier ^ ; enfin, il y a des noms
français et bretons qui font supposer une culture antérieure aux
Normands dans l'ouest de la France.
Les vieux noms de cette contrée nous sont indiqués dans le
Dittionnaire de Ménage. Selon lui, on appelait les groseilles
rouges, à Rouen Gardes, à Gaen Grades^ dans la basse Nor-
mandie Gradilles^ et dans son pays, en Anjou, Castilles, Ménage
fait venir tous ces noms de rubius, rubicus^ etc., par une suite de
transformations imaginaires, du mot ruber, rouge. Legonidec ^
nous apprend que les Groseilles rouges se nomment aussi Kas-
tilez (avec / mouillée) en Bretagne, et il fait venir ce nom de
Castille, comme si un fruit fort peu connu en Espagne et abon-
dant dans le nord pouvait venir de la péninsule. Ces mots,
répandus à la fois en Bretagne et hors de Bretagne, me semblent
d'une origine celte, et à l'appui je dirai que, dans le Dictionnaire
de Legonidec lui-même, gardiz signifie en breton rude, âpre,
piquant, aigre, etc., ce qui fait deviner l'étymologie. Le nom
générique Bibes a donné lieu à d'autres erreurs. On avait cru
reconnaître une plante appelée ainsi par les Arabes ; mais ce mot
vient plutôt d'un nom très répandu dans le nord pour le Gro-
seillier, Bibs en danois *, Bisp et Besp en suédois ®. Les noms
slaves sont tout différents et assez nombreux.
i. Dodoneus, p. 748.
2. Watson, Cybele brit.
3. Brebisson, Flore de Normandie, p. 99.
4. Phillips, Account of fruits, p. 136.
5. Gérard, Hei^bal, p. 1143.
6. Celui de Currant est venu plus tard, par suite de l'analogie avec les
raisins de Corinthe (Phillips, ib.),
7. Legonidec, Diction, celio- breton*
8. Moritzi, Dict, inéd. des noms vulgaires,
9. Linné, Flora suecica, n. 197.
222 PLANTES CULTIVÉES POUR. LEURS FRUITS
Groseillier noir. — Cassis. — Bibes nignan^ Linné.
Le Cassis existe à l'état spontané dans TEurope septentrionale^
depuis l'Ecosse et la Laponie jusque dans le nord de la France
et de l'Italie ; en Bosnie S en Arménie ^,. dans toute la Sibérie,
et la région du fleuve Amour, et dans l'Himalaya occidental '.
Il se naturalise souvent, par exemple, dans le centre de la
France *.
Les Grecs et les Romains ne connaissaient pas cet arbuste,
qui est propre à des pays plus froids que le& leurs. D'après la
diversité de ses noms dans toutes les langues, même antérieures
aux Aryens, du nord de l'Europe, il est clair qu'on en recher-
chait les fruits à une époque ancienne, et qu'on a probablement
commencé à le cultiver avant le moyen âge. J. Bauhin ^ dit
qu'on le plantait dans les jardins en France et en Italie, mais la
plupart des auteurs du xvi® siècle n'en parlent pas. On trouve
dans V Histoire de la vie privée des Français, par Le Grand d'Aussy,
publiée en 1782, vol. i, p. 232, cette phrase assez curieuse : « Le
Cassis n'est guère cultivé que depuis une quarantaine d'années,.
et il doit cette sorte de fortune à une brochure intitulée Culture
du cassis, dans laquelle l'auteur attribuait à cet arbuste toutes
les vertus imaginables. » Plus loin (vol. 3, p. 80), l'auteur revient
sur l'usage fréquent du ratafia de cassis depuis la brochure ea
question. Bosc, toujours exact dans ses articles du Dictionnaire
a' agriculture, parle bien de cet engouement, au nom Gboseilukr,.
mais il a soin de dire : « On le cultive de très ancienne date, .pour
son fruit, qui a une odeur particulière, agréable aux uns, désar
gréable aux autres et passe pour stomachique et diurétique. »
Il est employé dans la fabrication des liqueurs appelées ratafia
et cassis ^.
Olivier. — Olea europaea, Linné.
L'Olivier sauvage, désigné dans les livres de botanique comme
variété sylvestris ou Oleaste7\ se distingue de l'arbre cultivé par
un fruit plus petit, dont la chair est moins épaisse. On obtient
1. Watson, Compend. Cybele, 1, p. 177; Fries, Sùmma veg. Scandmacimj
p. 39 ; Nyman, Conspectus fl09's ewropex, p. 266.
2. Boissier. FI. or,, 2, p. 815.
3. Ledebour, FI. 7'oss., p. 200 ; Maximovicz, Primitix fi. AmuTy p. 119;
Clarke, dans Hooker, FI. brit. India, 2, p. 411.
4. Boreau, Flore du centre de la France, éd. 3, p. 262.
5. Bauhin, Hist. plant., 2, p. 99.
6. Ce nom de cassis est assez singulier. Littré, dans aon Dictionnaire, dit
qu'il semble être entré tardivement dans la langue et qu'il n'en connaît
pas l'origine. Je ne l'ai pas trouvé dans les livres de botanique avant le
milieu du xviu*^ siècle. Mon recueil manuscrit de noms vulgairea ne pré-
sente pas, sur plus de quarante noms de cette espèce dans différentea lan-
gues ou patois, un seul nom analogue. Buchoz, dans son Dictionnaire des
plantes, 1770, 1, p. 289, appelle la plante le cassis ou cassetier des Poi-
tevins. L'ancien nom français était poivrier ou groseillier noir. Le Diction-
naire de Larousse dit gu'on fabriquait des liqueurs estimées à.Gaasis, en
Provence. Serait-ce l'origine du nom?
ou VISA 223
d6 meUi^urs fruits par le choix des graines, les boutures ou les
greffes de bonnes vai^iétés.
làOkctëter existe aujourd'hui dans une vaste région à Test
et à Touest de la Syrie, depuis le Punjab et le Belouchistan \
jusqu'en Portugal, et môme à Madère, aux îles Canaries et au
Maroc '; et, dsms la direction du midi au nord, depuis TAtlas
jusqu'au midi de la France, l'ancienne Macédoine, la Grimée
et le Caucase ^. Si l'on compare ce que disent les voyageurs
et les auteurs de flores, il est aisé de voir que sur les frontières
de cette habitation on a souvent des doutes à l'égard de la
qualité spontanée et indigène, c'est-à-dire très ancienne, de
l'espèce. Tantôt, elle se présente à l'état de buissons, qui fructi-
fient peu ou point, et tantôt, par exemple en Crimée, les pieds
sont rares, comme s'ils avaient échappé, par exception, aux effets
destructeurs d'hivers trop rigoureux qui ne permettent pas un
établissement déflnitif. En ce qui concerne l'Algérie et le midi
de la France, les doutes se sont manifestés dans une discussion,
entre' des hommes très compétents, au sein de la Société bota-
nique ^. Us reposent sur le fait incontestable que les oiseaux
transportent -fréquemment les noyaux d'olives dans les endroits
non cultivés et stériles, où la forme sauvage de VOleaster se
produit et se naturalise.
La question n'est pas bien posée lors(^u'on se demande si les
Oliviers de telle ou telle localité sont vraiment spontanés. Dans
une espèce ligneuse qui vit aussi longtemps et qui repousse du
pied quand un accident l'a atteinte, il est impossible de savoir
l'origine des individus qu'on observe. Ils peuvent avoir été semés
par l'homme ou les oiseaux à une époque très ancienne^ car
on connaît des Oliviers de plus de mille ans. L'effet de ces semis
est une naturaUsation, qui revient à dire une extension de l'ha-
bitation. Le point à examiner est donc de savoir quelle a été la
patrie de l'espèce dans les temps préhistoriques très anciens, et
comment cette patrie est devenue de plus en plus grande à la
suite des transports de toute nature. Ce n'est pas la vue des
Oliviers actuels qui peut résoudre cette question. Il faut chercher
dans- quels pays a commencé la culture et comment elle s'est
propagée. Plus elle a été ancienne dans une région, plus il est
probable que l'espèce s'y trouvait à l'état sauvage depuis les
événements géologiques antérieurs aux faits de l'homme pré-
historique.
1. Aitchison, Catalogue ^ p. 86.
2. Lowe, Manual flora of Madeira, 2, p. 20 ; Webb et Berthelot, hist.
nat. des ÔanaHeSy Géogr. bot,^ p. 48 ; Bail, Spicilegium floral maroccanœ^
p. 565.
3. Cosson, Bull. Soc, bot. France, 4, p. 107, et 7, p. 31 ; Grisebacli, Spi-
cilegium florse rumelicœ^ 2, p. 71 ; Steven, Verzeichniss cf. taurischen Hal-
bimeln, p. 248 ; Ledebour, El. ross,^ p. 38.
4. Bulletin, 4, p. 107.
224 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
Les plus anciens livres hébreux parlent de TOlivier, Sait ou
Zeit^ sauvage et cultivé *. C'était un des arbres promis de la
terre de Canaan. La plus ancienne mention est dans la Genèse,
où il est dit que la colombe lâchée par Noé rapporta une feuille
d'Olivier. Si l'on veut tenir compte de cette tradition accompa-
gnée de détails miraculeux, il faut ajouter que, d'après les dé-
couvertes de l'érudition moderne, le mont Ararat de la Bible devait
être à l'orient du mont Ararat actuel d'Arménie, qui s'appelait
anciennement Masis. En étudiant le texte de la Genèse, François
Lenormand * reporte la montagne en question jusqu'à i'Hindou-
kousch, et même aux sources de llndus. Mais alors il la suppose
près du pays des Aryas, et cependant l'Olivier n'a pas de nom
sanscrit, pas même du sanscrit dont les langues indiennes sont
dérivées *. Si l'Olivier avait existé dans le Punjab, comme main-
tenant, les Aryo-Indiens, dans leurs migrations vers le midi, l'au-
raient probablement nommé, et s'il avait existé dans le Mazan-
déran, au midi de la mer Caspienne, comme aujourd'hui, les
Aryens occidentaux l'auraient peut-être connu. A ces indices
négatifs, on peut objecter seulement que l'Olivier sauvage n'attire
pas beaucoup l'attention et que l'idée d'en extraire de l'huile
est peut-être venue tardivement dans cette partie de FAsie.
D'après Hérodote ^, la Babylonie ne produisait pas d'Oliviers
et ses habitants se servaient d'huile de «Sésame. Il est certain
qu'un pareil pays, souvent inondé, n'était pas du tout favorable
à l'Olivier. Le froid l'exclut des plateaux supérieurs et des
montagnes du nord de la Perse.
J'ignore s'il existe un nom zend, mais le nom sémitique Sait
doit remonter à une grande ancienneté, car il se retrouve à La
fois en persan moderne, Seitun ^, et en arabe, Zeitun^ Sjetun • ; il
est même dans le turc et chez les Tartares de Crimée, Seitun ',
ce qui pourrait faire présumer une origine touranienne ou de
l'époque très reculée au mélange des peuples sémitiques et tou-
raniens.
Les anciens Egyptiens cultivaient l'Olivier, qu'ils appelaient
Tat *. Plusieurs botanistes ont constaté la présence de rameaux
ou de feuilles d'Olivier dans les cercueils de momies •. Rien
\, Uoaenmûller, Handbuch der biblischen Alterthumskunde, yoI, 4, p. 2ô8,
et Hamilton, Botanique de la Bible^ p. 80, où les passages sont iaouqnés.
2. Fr. Lenormand, Manuel de Vhistoire ancienne de l'Orient, 1869, vol. 1,
p. 31.
3. Fick, Wôrterbuch. — Piddington, Index, ne mentionne qu'un nom hifl-
doustani^ Julpai,
4. Hérodote, Hist.^ 1. 1, c. 193.
5. Boissier, Flora or,, 4, p. 36.
6. Ebn Baïtliar, trad. aUem., p. 569; Forskal, Plant. Egypt., p. 49.
7. Boissier, /. c. ; Steven, /. c.
8. Unger, Die Pflanzen d. alten JEgyptens, p. 45.
0. De Candolle, Physiol. végét., ja. 696; Al. Braun, /. c, p. 12; Pleyte,
cite par Braun et par Aschersoii, Sitzber. Naturfor. Ges,, 15 mai 1877.
OLIVIER 338
n'est plus certain, quoique M. Hehn ait dit récemment le con-
traire, sans alléguer aucune preuve à l'appui de son opinion *.
Il serait intéressant de savoir sous quelle dynastie avaient été
déposés les cercueils les plus anciens dans lesquels on a trouvé
des rameaux d'Olivier. Le nom égyptien, tout différent du
nom sémite, indique une existence plus ancienne que les pre-
mières dynasties. Je citerai tout à Tneure un fait à l'appui de
cette grande antiquité.
Selon Théophraste ', il y avait beaucoup d'Oliviers et l'on
récoltait beaucoup d'huile dans la Gyrénaïque, mais il ne dit pas
que l'espèce y fût sauvage, et la circonstance qu'on récoltait
beaucoup d'huile fait présumer une variété cultivée. La contrée
basse et très chaude entre l'Egypte à l'Atlas n'est guère favorable
à une naturalisation de l'Olivier hors des plantations. M. Kralik,
botaniste très exact, dans son voyage à Tunis et en Egypte, ne
l'a vu nulle part à l'état sauvage ^; bien qu'on le cultive dans
les oasis. En Egypte, il est seulement cultivé, d'après MM. Schwein-
furth et Ascherson, dans leur résumé de la flore de la région du
NU*.
La patrie préhistorique s'étendait probablement de la Syrie
vers la Grèce, car l'Olivier sauvage est très commun sur la côte
méridionale de l'Asie Mineure. Il y forme de véritables forêts ^.
C'est sans doute là et dans l'Archipel que les Grecs ont pris de
bonne heure connaissance de cet arbre. S'ils ne l'avaient pas vu
chez eux, s'il l'avaient reçu des peuples sémites, ils ne lui au-
raient pas donné un nom spécial, Blaia, dont les Latins ont fait
Olea. Jj Iliade et VOdyssée mentionnent la dureté du bois d'Oli-
vier et l'usage de s'oindre le corps avec son huile. Celle-ci était
d'un emploi habituel pour la nourriture et l'éclairage. La my-
thologie attribuait à Minerve la plantation de l'Olivier dans
l'Attique, ce qui signifie probablement l'introduction de variétés
cultivées et de procédés convenables pour l'extraction de l'huile.
Aristée avait introduit ou perfectionné la manière de presser le
fruit.
Ce même personnage mythologique, du nord de la Grèce,
avait porté, disait-on, l'Olivier en Sicile et en Sardaigne. Les
Phéniciens, à ce qu'il semble, ont pu s'en acquitter comme lui
et de très bonne heure, mais, à l'appui de l'introduction de l'espèce
ou d'une variété perfectionnée par les Grecs, je dirai que dans
les îles de la Méditerranée le nom sémite Zeit n'a laissé aucune
trace. C'est le nom gréco-latin qui existe comme en Italie ®,
tandis que sur la côte voisine d'Afrique et en Espagne ce sont
1. Hehn, Kulturpflanzen, éd. 3, p. 88, ligne 9.
2. Theophrastes^ Hist. plant., 1. 4, c. 3, a la fin.
3. Kralik, dans Bull. Soc. bot. Fr., 4, p. 108.
4. Schweinfurth et Ascherson, Beitràge zur flora JEthiopiens^ p. 281.
5. Balansa. Bull. Soc. bot. de France, 4, p. 107.
6. Moris, Flora sardoa, 3, p. 9 ; Bertoloni, Flora itaL, 1, p. 46.
De Candolle. V6
226 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
des noms égyptien ou arabe, comme je Texpliquerai dans un
instant.
Les Romains ont connu l'Olivier plus tard que les Grecs,
D'après Pline *, ce serait seulement à l'époque de Tarquin
l'Ancien, en 627 avant J.-C, mais probablement Tespèce exis-
tait déjà dans la Grande Grèce, comme en Grèce et en Sicile.
D'ailleurs Pline voulait parler peut-être de l'Olivier cultivé.
Un fait assez singulier, qui n'a pas été remarqué et discuté
par les philologues, est que le nom berbère de l'Olivier et de
l'olive a pour racine Taz ou Tas^ analogue au Tat des anciens
Egyptiens. Les Kàbaïles de la division d'Alger, d'après le Dic-
tionnaire français-berbère, publié par le gouvernement français,
appellent l'Olivier sauvage Tazebboujt^ Tesettha Ow' Zebbouj et
l'Olivier greffé Tazemmourt^ Tasettha Ou' zemmour. Les Touaregs,
autre peuple berbère, disent Tamahinet^. Ce sont bien des indices
d'ancienneté de l'Olivier en Afrique. Les Arabes ayant conquis
cette contrée et refoulé les Berbères dans les montagnes et le
désert, ayant également soumis l'Espagne à l'exception du pays
basque, les noms dérivés du sémitique Zeit ont prévalu même
dans l'espagnol. Les Arabes d'Alger disent Zenbotidje pour
l'Olivier sauvage, Zitoun pour l'olivier cultivé ', Zit pour l'nuiie
d'olive. Les Andalous appellent l'olivier sauvage Azeb\iche et
le cultivé Aceytuno *. Dans d'autres provinces, on emploie
concuremment le nom d'origine latine, Olivio, avec les noms
arabes ^. L'huile se dit en espagnol aceyte^ qui est presque le
nom hébreu; mais les huiles saintes s'appellent oleos santos,
parce qu'elles se rattachent à Rome. Les Basques se servent du
nom latin de l'Olivier.
D'anciens voyageurs aux îles Canaries, par exemple Bontier,
en 1403, mentionnent l'Olivier dans cet archipel, où les botanistes
modernes le regardent comme indigène ^ Il peut avoir été intro-
duit par les Phéniciens, s'il n'existait pas antérieurement. On
ignore si les Guanches avaient des mots pour olivier et huile.
Webb et Berthelot n'en indiquent pas dans leur savant chapitre
sur la langue des aborigènes \ On peut donc se livrer à diflfé-
rentes conjectures. Il me semble que l'huile aurait joué un rôle
important chez les Guanches s'ils avaient possédé l'Olivier, et
qu'il en serait resté quelque trace dans la langue actuelle popu-
laire. A ce point de vue, la naturalisation aux Canaries n'est
peut-être pas aussi ancienne que les voyages des Phéniciens.
Aucune feuille d'Olivier n'a été trouvée jusqu'à présent dans
4. Pline, Hist., 1. 15, c. 1.
2. Duveyrier, Les Toîiaregs du nord (1864), p. 179.
3. Munby, Flore de l'Algérie, p. 2 ; Debeaux, Catal. Boghar, p. 68,
4. Boissier, Voyage bot. en Espagne^ éd. 1, 2, p. 407.
5. Willkomm et Lange, Prodr, fl. hispan., 2, p. 672.
6. Webb et Berthelot, Hist. nat. des Canaries, Géog. bot., p. 47 et 48.
7. Webb et Berthelot, Ibid., Ethnographie, p. 188.
CAÏNITIER 227
les tufs de la France méridionale, de la Toscane et de la Sicile, où
Ton a constaté le laurier, le myrte et autres arbustes actuelle-
ment vivants. C'est un indice, jusqu'à preuve contraire, de natu-
ralisation subséquente.
L'Olivier s'accommode bien des climats secs, analogues à celui
de la Syrie ou de l'Algérie. Il peut réussir au Gap, dans plusieurs
régions de l'Amérique, en Australie, et sans doute il y deviendra
spontané quand on le plantera plus souvent. La lenteur de sa
croissance, la nécessité de le greffer ou de choisir des rejetons
d'une bonne variété, surtout la concurrence d'autres espèces
oléifères ont retardé jusqu'à présent son expansion, mais un
arbre qui donne des produits sur les sols les plus ingrats ne
peut pas être négligé indéfiniment. Même dans notre vieux
monde, où il existe depuis tant de milliers d'années, on doublera
sa production quand on voudra prendre la peine de greffer les
pieds sauvages, à l'imitation des Français en Algérie.
Gaînltier. — Chrmophyllum Caînito^ Linné.
Le Gaùiitier ou Gaïmitier , Star apple des Anglais , ap-
partient à la famille des Sapotacées. If donne un fruit assez
estimé dans l'Amérique tropicale, quoique les Européens ne
l'aiment pas beaucoup. Je ne vois pas qu'on se soit occupé de
l'introduire dans les colonies d'Afrique ou d'Asie. De Tussac en
a donné une bonne figure dans sa flore des Antilles, vol. 2, pi. 9.
Seemann * a vu le Chysophyllum Caînito sauvage dans plu-
sieurs endroits de Pisthme de Panama. De Tussac, colon de
Saint-Domingue, le regardait comme spontané dans les forêts
des Antilles, et Grisebach ' le dit spontané et cultivé à la Jamaï-
que, Saint-Domingue, Antigoa et la Trinité. Avant lui, Sloane
le considérait comme échappé des cultures à la Jamaïque, et
Jacquin s'est servi d'une expression vague en disant : « Habite
à la Martinique et à Saint-Domingue '. »
Gaîmito. — Lucuma Caïmito, Alph. deGandolle.
Il ne faut pas confondre ce Gaîmito, du Pérou, avec le Chry-
sophyllum Caînito des Antilles. Tous deux appartiennent à la
famille des Sapotacées, mais leurs fleurs et leurs graines diffè-
rent. Gelui-ci est figuré dans Ruiz et Pavon, Flora peruviana,
vol. 3, pi. 240.
Cultivé au Pérou on l'a transporté à Ega, sur le fleuve des
Amazones, et à Para, où communément on le nomme Abi ou
Abiu *.
D'après Ruiz et Pavon, il est sauvage dans les parties chaudes
du Pérou, au pied des Andes.
1. Seemann, Bofany of Herald^ iû. 166.
2. Grisebach, Flora of british W. Ind. islands, p. 398.
3. Sloane, Jamaïgite, 2, p. 170 ; Jacquin, Amer.y p. 52.
4. Flora ôrasil., vol. 7, p. 88.
228 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
Mammei ou Mammei-Sapote. — Lucuma mammosa,
Gsertner.
Cet arbre fruitier, de l'Amérique tropicale et de la famille des
Sapotacées, a donné lieu dans les ouvrages de botanique à plu-
sieurs méprises *. Il n'a pas encore été figuré d'une manière
complète et satisfaisante, parce que les colons et les voyageurs
le croient trop connu pour en envoyer des échantillons bien
choisis, qu'on puisse décrire dans les herbiers. C'est du reste une
négligence assez fréquente lorsqu'il s'agit de plantes cultivées.
Le Mammei est cultivé aux Antilles et dans certaines régions
chaudes du continent américain. M. Sagot nous dit qu'il ne
l'est pas à Cayenne, mais bien dans le Venezuela ^. Je ne vois
pas qu'on Tait transporté en Afrique ou en Asie, si ce n'est aux
îles Philippines ^. C'est à cause, probablement, de la saveur
trop fade de son fruit.
Humboldt et Bonpland l'ont trouvé sauvage dans les foi*éts
des missions de l'Orénoque '*. Tous les auteurs l'indiquent dans
les Antilles, mais comme cultivé, ou sans affirmer qu'il soit
spontané. Au Brésil il est uniquement dans les jardins.
Sapotillier — Sapota Achras, Miller.
Le fruit du Sapotiller est le plus estimé de la famille des Sa-
potacées et l'un des meilleurs des régions intertropicales. Une
Sapotille plus que mûre, dit Descourtilz dans sa flore des An-
tilles, est fondante et ofiTre les doux parfums du miel, du jasmin
et du muguet. L'espèce est très bien figurée dans le Botanical
Magazine^ pi. 3111 et 3112, ainsi que dans Tussac, Flore des An-
tilles, 1, pi. 5. On Ta introduite dans les jardins de l'île Maurice,
de l'archipel asiatique et de llnde, depuis l'époque de Rum-
phius et Rheede, mais personne ne doute de son origine améri-
caine.
Plusieurs botanistes l'ont vue à l'état spontané dans les forêts
de l'isthme de Panama, de Campêche ^, du Venezuela ® et peut-
être de la Trinité ^. A la Jamaïque, du temps de Sloane, elle
existait seulement dans les jardins ^. Il est bien douteux qu'elle
soit sauvage dans les autres Antilles , quoique peut-être des
graines jetées çà et là l'aient naturalisée jusqu'à un certain de-
gré. Dans les plantations, les jeunes pieds ne sont pas faciles à
élever, d'après Tussac.
1. Voir la synonymie dans Flora brasiliensiSj vol. 7, p. 66.
2. Sagot, dans Journal Soc. d'hort. de France, 1872, p 347.
3. Blànco, FL de Filipinas, sous le nom d'Achras Lucuma.
4. Nova gênera, 3, p. 240.
5. Dampier et Lnssan, dans Sloane, Jamaïca, 2, p. 172; Seemann, Bot.
of Herald, p. 166.
6. Jacquin, Amer., p. 59; Humboldt et Bonpland, Nova gênera, 3, p. 239.
7. Grisebach, Flora of brit, W. Ind., p. 399.
8. Sloane, /. c.
AUBERGINE. — PIMENTS 229
Aubergine. — Solanum Melongena^ Linné. — Solarium escu^
lentum^ Dunal.
L'Aubergine a un nom sanscrit, Vartia^ et plusieurs noms que
Piddington, dans son Index^ regarde comme à la fois sanscrits
et bengalis, tels que Bong, BartakoUy Mahoti, Hingoli, Wallich,
dans son édition de la flore indienne de Roxburgh, indique
Varttay Varttakou^ Yarttakay Bunguna^ d'oùl'industani Bungan,
On ne peut douter, d'après cela, que l'espèce ne fût connue
dans l'Inde depuis un temps très reculé. Rumphius l'avait vue
dans les jardins des îles de la Sonde et Loureiro dans ceux de
la Gochinchine. Thunberg ne la mentionne pas au. Japon,
quoique maintenant on en cultive plusieurs variétés dans ce
pays. Les Grecs et les Romains n'en avaient pas connaissance,
et aucun botaniste n'en a parlé en Europe avant le commence-
ment du XVII® siècle *, mais la culture a dû se propager vers
l'Afrique avant le moyen âge. Le médecin arabe Ebn Baithar *,
qui écrivait au xiii® siècle, en a parlé, et il cite Rhasès, qui vivait
dans le ix® siècle. Rauwolf * avait vu la plante dans les jardins
d'Alep, à la fin du xvi® siècle. On l'appelait Melanzana eiBeden-
giam. Ce nom arabe, que Forskal écrit Badindjan, est commun
avec rhindustani Badanjan^ donné par Piddington. Un indice
d'ancienneté dans l'Afrique septentrionale est l'existence chez les
Berbères ou Kabyles de la province d'Alger * d'un nom, Tabend-
jaltSy qui s'éloigne asssez du nom araoe. Les voyageurs mo-
dernes ont trouvé l'Aubergine cultivée dans toute la région du
Nil et sur la côte de Guinée ^. On l'a transportée en Amérique.
La forme cultivée du Solanum Melongena n'a pas été trouvée
jusqu'à présent à l'état sauvage, mais les botanistes sont assez
d'accord pour considérer les Solanum insanum^ Roxburgh^ et
S. incanum, Linné^ comme appartenant à la môme espèce. On
ajoute même d'autres synonymes, conformément à une étude
faite par Nées d'Esenbeck sur de nombreux échantillons ^. Or
le S. tnsanum parait avoir été trouvé sauvage dans la province
de Madras et à Tong-Dong, chez les Birmans. La publication
prochaine des Solanées dans la flore de l'Inde anglaise de sir
J. Hooker donnera probablement sur ce point des détails plus
précis.
Piments. — Poivre de Gayenne. — Capsicum,
Le genre Capsicum, dans les meilleurs ouvrages de botanique,
«st encombré d'une multitude de formes cultivées, qu'on n'a
1. Dunal, Histoire des Solanum, p. 209.
2. Ebn Baithar, trad. allemande, 1, p. 116.
3. Rauwolf, Flora orient., édit. Gronmgue, p. 26.
4. Dictionn. français- berbère, publié par le gouvernement français.
0. Thonnin^, sous le nom de S. edule ; Hooker, Niger Flora, p. 473
6. Transactions of the Linnean society, 17, p. 48; Baker, Flora of Mauri'
iius, p. 215.
230 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
pas vues à Tétai sauvage et qui diffèrent surtout par ]a durée de
la tige — chose assez variable — ou par la forme du fruit, carac-
tère de peu de valeur dans des plantes cultivées précisément
pour les fruits. Je parlerai des deux espèces le plus souvent cul-
tivées, mais je ne puis m'empècher d'émettre l'opinion qu'au-
cun Gapsicum n'est originaire de l'ancien monde. Je les crois
tous d'origine américaine, sans pouvoir le démontrer d'une ma-
nière complète. Voici mes motifs.
Des fruits aussi apparents, aussi faciles à obtenir dans les jar-
dins, et d'une saveur si agréable aux habitants des pays chauds
se seraient répandus très vite dans l'ancien monde s'ils avaient
existé au midi de l'Asie, comme on le suppose quelquefois. Us
auraient des noms dans plusieurs des langues anciennes. Cepen-
dant les Romains, les Grecs et même les Hébreux n'en avaient
pas connaissance. Ils ne sont pas mentionnés dans les anciens
livres chinois ^ Les insulaires de la mer Pacifique ne les culti-
vaient pas lors du voyage de Gook ^, malgré leur proximité des
îles de la Sonde, où Rumphius mentionnait leur emploi très
habituel. Le médecin arane Ëbn Baithar, qui a recueilli au
XIII* siècle tout ce que les Orientaux avaient dit sur les plantes
officinales, n'en parle pas.
Roxburgh ne connaissait aucun nom sanscrit pour les Gapsi*
cum. Plus tard, Piddington a cité pour le C. frutescens un nom,
Bran-marichay qu'il dit sanscrit ' ; mais ce nom, qui roule sur
comparaison avec le poivre noir {Muricha^ Murichung)^ est-il
vraiment ancien? Gomment n'aurait-il laissé aucune trace dans
les noms des langues indiennes dérivées du sanscrit ^?
La qualité spontanée, ancienne, des Gapsicum est toujours
incertaine, à cause de la fréquence des cultures; mais elle me
paraît plus souvent douteuse en Asie que dans l'Amérique méri-
dionale. Les échantillons indiens décrits par les auteurs les plus
dignes d'attention viennent presque tous des herbiers de la com-
pagnie des Indes, dans lesquels on ne sait jamais si une plante
paraissait vraiment sauvage, si elle était loin des habitations,
dans les forêts, etc. Pour les localités de l'archipel asiatique, les
auteurs indiquent souvent les décombres, les haies, etc.
Examinons de plus près chacune des espèces ordinairement
cultivées.
Piment annuel. — Capsicum annuum^ Linné.
Gette espèce a reçu dans nos langues européennes une infinité
de noms difi'érents ^, qui indiquent tous une origine étrangère et
la ressemblance de saveur avec le poivre. En français, on dit
1. Bretschneider, On the study, etc., p. 17.
2. Forster, De plantis esculenth insuiartun, etc,
3. Piddington, Index,
4. Piddington, au mot Capsicum.
5. Nemnicb, Ij^xicon, indique douze noms fhinçais et huit allemands.
PIMENT. — TOMATE 231
souvent Poivre de Guinée , mais aussi Poivre du Brésil ,
d'Inde, etc., dénominations auxquelles il est impossible d'attri-
buer de l'importance. La culture s'en est répandue en Europe
dès le xvi° siècle. C'est un des Piments que Piso et Marcgraf *
avaient vus cultivés au Brésil sous le nom de Quija ou Quiya. Ils ne
disent rien sur sa provenance. L'espèce paraît avoir été cultivée
d'ancienne date aux Antilles, où elle est désignée par plusieurs
noms caraïbes *.
Les botanistes qui ont le plus étudié les Gapsicums ' ne parais-
sent pas avoir rencontré dans les herbiers un seul échantillon
qu'on puisse croire spontané. Je n'ai pas été plus heureux.
Selon les probabilités, la patrie origmaire est le Brésil.
Le C, grossum Willdenow paraît une forme de la même es-
pèce. On le cultive dans' l'Inde, sous le nom de Kafree-murick
et Kaffree-chilly, mais Roxburgh ne le regardait pas comme
d'origine indienne *.
Piment arbrisseau. — Capsicum frutescens, Willdenow.
Cette espèce, plus élevée et plus ligneuse à la base que le
C annuumj est généralement cultivée dans les régions chaudes
du nouveau et de l'ancien monde. On en tire la glus grande
partie du Poivre de Cayenne à l'usage des Anglais, mais ce nom
s'étend quelquefois aux produits d'autres Piments.
L'auteur le plus attentif à l'origine des plantes indiennes, Rox-
burgh, ne le donne point pour spontané dans l'Inde. Selon
Blume, il s'est naturalisé dans l'archipel indien, dans les haies ^.
Au contraire, en Amérique, où la culture est ancienne, on Ta
trouvé plusieurs fois dans des forêts, avec l'apparence indigène.
De Martius Ta apporté des bords de l'Amazone, Pœppig de la
province de Maynas du Pérou oriental, et Blanchet de la pro-
vince de Bahia ^. Ainsi la patrie s'étend de Bahia au Pérou
oriental, ce qui explique la diffusion dans l'Amérique méri-
dionale en général.
Tomate. — Lycopersicum esculentum^ Miller.
La Tomate ou Pomme d'amour appartient à un genre de
Solanées donj toutes les espèces sont américaines "'. Elle n'a
point de nom dans les anciennes langues d'Asie, ni même dans
les langues modernes indiennes ^ Elle n'était pas encore cul-
tivée au Japon du temps de Thunberg, c'est-à-dire il y a un
1. Piso, p. 107 ; Marcgraf, p 39.
2. Descourtilz, Flore médicale des Antilles, 6, pi. 423.
3. Fingerhuth, Monographia gen. Capsici, p. 12 ; Sendtner, dans Flora
brasil.y vol. 10, p. 147.
4. Roxburgh. FL ind,, éd. Wall., 2, p. 260 ; éd., 1832, 2, p. 574.
5. Blume, Bi/'rfr. 2, p. 704.
6. Sendtner, dans Flora bras,, 10, p. 143.
7. Alph. de CandoUe, Prodr., 13, s. 1, p. 26.
8. Roxburgh, FI. Indica, éd. 1832, vol. 1, p.
565 ; Piddington, Index.
232 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
siècle, et le silence des anciens auteurs sur la Chine montre que
rintroduction y est moderne. Rumphius * l'avait vue dans les
jardins de Tarchipel asiatique. Les Malais l'appelaient Tomatte;
mais c'est un nom américain, car G. Bauhin désigne l'espèce
comme Tumatle Americanorum, Rien ne fait présumer qu'elle
fût connue en Europe avant la découverte de l'Amérique.
Les premiers noms donnés par les botanistes, au xvi« siècle,
font supposer qu'on avait reçu la plante du Pérou '. Elle a été
cultivée sur le continent américain avant de l'être aux Antilles,
car Sloane ne la mentionne pas à la Jamaïque, et Hughes ' dit
qu'elle a été apportée du Portugal à la Barbade, il n y a guère
plus d'un siècle. Humboldt regardait la culture des Tomates
comme ancienne au Mexique *. Je remarque cependant que le
premier ouvrage sur les plantes de ce pays (Hernandez, Historia)
n'en fait pas mention. Les premiers auteurs sur le Brésil, Piso
et Marcgraf, n'en parlent pas non plus, quoique l'espèce soit
aujourd'hui cultivée dans toute l'Amérique intertropicale. Nous
revenons ainsi, par exclusion, à l'idée d'une origine péruvienne,
au moins pour la culture.
De Martius * a trouvé la plante spontanée dans les environs
de Rio-de- Janeiro et de Para, mais échappée peut-être des jar-
dins. Je ne connais aucun botaniste qui l'ait trouvée vraiment
sauvage, dans l'état que nous connaissons, avec ses fruits plus
ou moins gros, bosselés et à côtes renflées; mais il n'en est pas
de même de la forme à petits fruits sphériques, appelée Z. cera-
si forme dans certains ouvrages de botanique et considérée, ce me
semble ®, avec raison, dans d'autres ouvrages, comme apparte-
nant à la même espèce. Celle-ci est sauvage sur le littoral du
Pérou \ à Tarapoto, dans le Pérou oriental * et sur les confins
du Mexique et aes Etats-Unis vers la Californie ^. Elle se natu-
ralise quelquefois dans les déblais, près des jardins ^^. C'est ainsi
probablement que l'habitation s'est étendue, du Pérou, au nord
et au midi.
Avocatier. — Persea aratissima. Gœrtner.
V Avocat^ Alligator pear des Anglais, est un des fruits les plus
i. Rumphius, Amboin,, 5, p. 416.
2. Mala peruviana, Pomi ael Peru, dans Bauhin, Hist,, 3, p. 621.
3. Hughes, BarhadoeSy p. 148.
4. Humboldt, Nouv. -Espagne, éd. 2, vol. 2, p. 472.
5. Flora brasil., vol. 10, p. 126.
6. Les proportions du calice et de la corolle sont les mêmes que dans
la Tomate cultivée, mais elles sont différentes dans Tespèce voisine, L. Hum-
boldtii, dont on mange aussi le fruit, d'après de Humbmdt, et qu'il a trouvée
sauvage dans le Venezuela.
7. Ruiz et Pavon, Flov. peruv,, 2, p. 37.
8. Spruce, n. 4143, dans VHerbier Boissier,
9. Asa Gray, Bot. of Califomia, 1, p. 538.
10. Baker, Flora of Mauritius, p. 216.
AVOCATIER. — PAPAYER 233
estimés dans les pays tropicaux. Il appartient à la famille des
Lauracées. Son apparence est celle dune poire contenant un
gros noyau, comme cela se voit bien dans les figures de Tussac,
Flore des Antilles^ 3, pi. 3, et du Botanical Magazine^ pi. 4580.
Rien de plus ridicule que les noms vulgaires. Celui à Alligator
Tient on ne sait d'où. Celui &' Avocat est une corruption d'un
nom mexicain, Ahuaca ou Aguaeate. Le nom botanique Persea
n'a rien de commun avec le Persea des Grecs, qui était un
Cordia.
D'après Clusius *, en 1601, FAvocatier était un arbre fruitier
d'Amérique, introduit en Espagne, dans un jardin; mais, comme
il s'est beaucoup répandu dans les colonies de l'ancien monde et
que parfois il devient presque spontané *, on peut se tromper
sur 1 origine. Cet arbre n'existait pas encore aans les jardins
de rinde anglaise au commencement du xix^ siècle. On Tavait
apporté dès le milieu du xviiie dans Farchipel de la Sonde ',
et en 1750 aux îles Maurice et Bourbon *.
En Amérique, l'babitation actuelle, à Tétat spontané, est sin-
gulièrement vaste. On a trouvé l'espèce dans les forêts, au bord
des fleuves et sur le littoral de la mer depuis le Mexique et les
Antilles jusqu'à la région des Amazones ^. Elle n'a pas toujours
eu cette grande extension. P. Browne dit formellement que
l'Avocatier a été introduit du continent à la Jamaïque, et Jac-
quin pensait de même pour les Antilles en général *. Piso et
Marcgraf ne l'ont pas mentionnée au Brésil, et de Martius n'in-
dique aucun nom brésilien.
Lors de la découverte de l'Amérique, l'Avocatier était certai-
nement cultivé et indigène au Mexique, d'après Hernandez. Au
Pérou, d'après Acosta '', on le cultivait sous le nom de Palto,
qui était celui d'un peuple du Pérou oriental, chez lequel il
abondait ®. Je ne connais pas de preuve qu'il fût spontané sur
le littoral péruvien.
Papayer. — Carlca Papaya, Linné. — Papaya vulgaris, de
Gandolle.
Le Papayer est une grande espèce vivace, plutôt qu'un arbre.
11 a une sorte de tronc juteux, terminé par une touffe de
i. Clusius, Historiay p. 2.
2. Par exemple à Madère, d'après Grisebach, FI. ofbrit. W. India, p. 280;
aux îles Maurice, Seychelles et Rodriguez, d'après Baker, Flora, p. 290.
3. n n'est pas dans Rumphius.
4. Aublet, Guyane, 1, p. 364.
5. Meissner, dans Prodromus, vol. 15, sect. 1, p. 52, et Flora brasil.^
vol. 5, p. 158. Pour le Mexique : Hernandez, p. 89. Pour le Venezuela et
Para : Nées, Laurineée, p. 129. Pour le Pérou oriental : Pœppig, Exsicc,
vu par Meissner.
6. P. Browne, Jamaïca, p. 214 ; Jacquin, Obs.y 1, p. 38.
7. Acosta, Hist. nat. des Indes, édit. 1598, p. 176.
8. Laet, Hist, nouv. monde, 1, p. 325, 341,
234 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
feuilles dans le g^nre des choux-cavaliers, et les fruits, qui res-
semblent aux melons, sont suspendus au-dessous des feuilles ^
On le cultive maintenant dans tous les pays tropicaux, même
jusqu'aux 30®-32® degrés de latitude. Il se naturabse facilement
hors des plantations. C'est une des causes pour lesquelles on l'a
dit et on persiste à le dire originaire d'Asie ou d'Afrique, tan-
dis que RoDert Brown et moi avons démontré, en 1818 et 1855,
son origine américaine *. Je répéterai les arguments contre l'ori-
gine supposée de l'ancien monde.
L'espèce n'a pas de nom sanscrit. Dans les langues mo-
dernes de rinde, on la nomme d'après le nom américain Papava,
qui dérive du nom caraïbe Ababai '. D'après Rumphius *, les ha-
bitants de l'archipel indien la regardaient comme d'origine
exotique, introduite par les Portugais, et lui donnaient des noms
exprimant l'analogie avec d'autres plantes ou une importation
de l'étranger. Sloane ^, au commencement du xvme siècle, cite
plusieurs de ses contemporains d'après lesquels on l'avait trans-
portée des Indes occidentales en Asie et en Afrique. Forstar ne
l'avait pas aperçue dans les plantations des îles de la mer Paci-
fique lors du voyage de Gook. Loureiro ®, au milieu du xvm* siè-
cle, l'avait vue dans les cultures de la Chine, de la Cochinchine et
du Zanguebar. Une plante aussi avantageuse et aussi particulière
d'aspect se serait répandue depuis des milliers d'années dans
l'ancien monde si elle y avait existé. Tout porte à croire qu'elle
a été introduite sur les côtes occidentales et orientales d'Afri-
que et en Asie, depuis la découverte de l'Amérique.
Toutes les espèces de la famille sont américaines. Gelle-ei
doit avoir être cultivée du Brésil aux Antilles et au Mexique
avant l'arrivée des Européens, puisque les premiers auteurs sur
les productions du nouveau monde en ont parlé "'.
Marcgraf avait vu souvent des pieds mâles (toujours plus nom-
breux que les femelles) dans les forêts du Brésil, tanois que les
pieds femelles étaient dans les jardins. Clusius, qui a donné le
premier une figure de la plante ®, dit qu'elle avait été dessinée
en 1607 à la « baie des Toaos Santos » (province de Bahia). Je ne
connais pas d'auteur moderne qui ait confirmé l'habitation au
1. Voir les belles planches de Tussac, Flore des AntilleSy 3, p. 45, pL 10
et 11. Le Papayer appartient à la petite famille des Papayacées, réunie
par quelques notanistes aux Passiflorées et par d'autres aux Bixaeées.
2. R. Brown, Botany of Congo, p. 52 ; A. de Candolle, Gëogr. bot. rai-
sonnée^ p. 917.
3. Sagot, Journal de la Société centrale d'horticulture de France, 1872.
4. Rumphius, Amboin,, 1, p. 147.
5. Sloane, Jamatca, p. 165.
6. Loureiro, Flora Cochineb.j lû, 772.
7. Marcgraf, Brasil.^ p. 103, et Piso, p. 159, pour le Brésil; Ximenes, daoi
Marcgraf et Hemandez, Thésaurus^ p. ^9, pour le Mexique ; ce dernier pour
Saint-Domingue et le Mexique.
8. Clusius, Curse posteriores^ p. 79, 80.
FIGUIER 335
Brésil. De Martius ne mentionne pas l'espèce dans son diction-
naire sur les noms de fruits en langue des Tupis ^ On ne la
cite pas comme spontanée à la Guyane et dans la Colombie.
P. Browne ' affirme, au contraire, la qualité spontanée à la
Jamaïque, et avant lui Ximenes et Hernandez Favaient affirmée
pour Saint-Domingue et le Mexique. Oviedo ' paraît avoir vu le
Papayer dans l'Amérique centrale, et il cite pour Nicaragua le
nom vulgaire Olocoton. Cependant MM. Correa de Mello et
Spruce, dans leur mémoire important sur les Papayacées, après
avoir beaucoup herborisé dans la région des Amazones, au
Pérou et ailleurs, regardent le Papayer comme originaire des
îles Antilles et ne pensent pas qu'il soit sauvage nulle part sur
le continent. J'ai vu * des échantillons rapportés des bouches
de la rivière Manaté en Floride, de Puebla au Mexique et de
Colombie ; mais les étiquettes ne portent aucune remarque sur
la qualité spontanée. Les indices, comme on voit, sont nombreux
pour les bords du golfe du Mexique et les Antilles. L'habitation
au Brésil, fort isolée, est suspecte.
Figuier. — Ficus Carica, Linné.
L'histoire du Figuier présente beaucoup d'analogie avec celle
de l'Olivier en ce qui concerne l'origine et les limites géogra-
phiques. Son habitation, comme espèce spontanée, a pu s'éten-
dre par un effet de la dispersion des graines à mesure que la
culture s'étendait. Cela paraît probable, car les graines traver-
sent intactes les organes digestifs de l'homme et des ani-
maux. Cependant on peut citer des pays dans lesquels on cul-
tive le figuier depuis au moins un siècle sans qu'il se soit
naturalisé de cette manière. Je ne parle pas de l'Europe au nord
des Alpes, où l'arbre exige des soins particuHers et mûrit mal
ses fruits, même ceux de la première portée, mais par exemple
de l'Inde, du midi des Etats-Unis, de l'île Maurice et du Chili,
où, d'après le silence des auteurs de flores, les faits de quasi
spontanéité paraissent rares.
De nos jours, le Figuier est spontané ou presque spontané dans
une vaste région dont la Syrie est à peu près le milieu, savoir
de la Perse orientale ou même de l'Afghanistan, au travers de
toute la région de la Méditerranée, jusqu'aux îles Canaries ^,
Du midi au nord, cette zone varie de 25 à 40-42o de latitude
environ, suivant les circonstances locales. En général, le Figuier
1. Martius, Beitr. z, Ethnographey 2, p. 418.
2. P. Browne, Jamatca, éd. 2, p. 360. La première édition, que je n'ai
pas vue, est de 1756.
3. Le passage d'Oviedo est traduit en anglais par Correa de Mello et
Spruce, dans leur mémoire, Journal of the proceedings of the Linnean
Society, 10, p. 1.
4. Prodr,, 15, s. 1, p. 414.
5. Boissier, Flora orientalis, 4, p. 1154 ; Brandis, Forest flora of Indiar
p. 418 ; WebD et Berthelot, Hist, nat, des Canaries, Botanique, 3, p. 257.
236 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
s'arrête, comme l'Olivier, au pied du Caucase et des montagnes
de l'Europe qui bordent le bassin de la mer Méditerranée, mais
il se montre à Tétat presque spontané, sur la côte sud-ouest de
la France, grâce à la douceur des hivers *.
Voyons si les documents historiques et linguistiques font pré-
sumer dans l'antiquité une habitation moins vaste.
Les anciens Egyptiens appelaient la figue Teb *, et les plus
anciens livres des Hébreuxparlent du Figuier, soit sauvage, soit
cultivé, sous le nom de leenak ^, qui a laissé sa trace dans
l'arabe Tin ^. Le nom persan est tout autre, Unjir; mais je ne
sais s'il remonte au zend. Piddington mentionne , dans son
JndeXy un nom sanscrit, Udumvara, queRoxburgh, très soigneux
dans ces sortes de questions, n'indique pas, et qui n'aurait
laissé aucune trace dans les langues modernes de l'Inde, à en
juger d'après quatre noms cités par ces auteurs. L'ancienneté
d'existence à l'orient de la Perse me semble un peu douteuse
jusqu'à ce que le nom attribué au sanscrit ait été vérifié. Les
Chinois ont reçu le Figuier de Perse, mais seulement au hui-
tième siècle de notre ère ^ Hérodote ® dit que les Perses ne man-
quaient pas de figues, et Reynier, qui a fait des recherches
scrupuleuses sur les usages de cet ancien peuple^ ne mentionne
pas le Figuier. Cela prouve seulement que l'espèce n*était pas
utilisée et cultivée, mais elle existait peut-être à l'état sauvage.
Les Grecs appelaient le Figuier sauvage Brineos et les Latins
Caprificus. Homère mentionne dans VIliade un pied de cet arbre
qui existait près de Troie \ M. Hehn afQrme * que le Figuier
cultivé ne peut pas être venu du Figuier sauvage, mais tous les
botanistes sont d'une opinion contraire ^, et, sans parler des dé-
tails fioraux sur lesquels ils s'appuyent, je dirai que Gussone a
obtenu des mêmes graines des pieds de la forme Caprificus et
1. M. le comte de Solms-Laubacb, dans une savante dissertation [Bet'
kunft^ Domestication, etc. y des Feigenbaums, in- 4, 1882), a constaté sur
assure cependant que la fécondation s'opère quelquefois sans le secours
de rinsecte.
2. Chabas, Mélanges egyptoL, série 3 (1873), vol. 2, p. 92.
3. RosenmuUer, Bibl, Alterthumskunae, 1, p. 285; Reynier, Economie fnt"
àlique des Arabes et des Juifs, p. 470 (pour la Micbna).'
4. Forskal. FL œgypto-arab,, p. 125. M. de Lagarde {Revue crit, d'hist,,
27 février 1882) dit que ce nom sémite est très ancien.
5. Bretschneider, dans Solms, l, c, p. 51 .
6. Hérodote, 1, 71.
7. Lenz, Botanik der Griechen^ p. 421, cite quatre vers d'Homère. Voir
aussi Hehn, Culturpflanzen, éd. 3, p. 84.
8. Hehn, Culturpflanzeny éd. 3, p. 513.
9. 11 ne faut pas s'attacher aux divisions exagérées faites par Gasparini
dans le Ficus Canca, Linné. Les botanistes qui ont étudié le Figuier après
lui conservent une seule espèce et énumèrent dans le Figuier sauvage
plusieurs variétés. Elles sont mnombrables pour les formes cultivées.
FIGUIER 237
de l'autre *. La remarque faite par plusieurs érudits qu'il n'est pas
question dans V Iliade de la figue cultivée, Sukai^ ne prouve donc
pas l'absence du Figuier en Grèce à l'époque de la guerre de Troie.
C'est dans VOdyssée que la figue douce est mentionnée par
Homère, et encore d une manière assez vague. Hésiode, dit
M. Hehn, n'en parle pas, et Archilochus (700 ans avant
J.-C.) est le premier qui en ait mentionné clairement la culture
chez les Grecs, à Paros. D'après cela, l'espèce existait à l'état
sauvage en Grèce, au moins dans l'Archipel, avant l'introduc-
tion de variétés cultivées originaires d'Asie. Théophraste et
Dioscoride mentionnent des Figuiers sauvages et cultivés '.
Remus et Romulus, selon la tradition, auraient été nourris
sous un pied de Ficus qu'on appelait ruminalisy de rumen ^ ma-
melle '. Le nom latin Ftcus^ que M. Hehn, par un efi'ort d'érudi-
tion, fait venir du grec Sukai *, fait aussi présumer une existence
ancienne en Italie, et l'opinion de Pline est positive à cet égard.
Les bonnes variétés cultivées ont été introduites plus tard chez
les Romains. Elles venaient de Grèce, de l'Asie Mineure et de
Syrie. Du temps de Tibère, comme aujourd'hui, les meilleures
figues venaient de l'Orient.
Nous avons appris au collège comment Gaton avait exhibé en
plein sénat des figues de Garthage encore fraîches, comme
preuve de la proximité du pays qu'il détestait. Les Phéniciens
avaient dû transporter de bonnes variétés sur la côte d'Afrique
et dans les autres colonies de la mer Méditerranée, même jus-
qu'aux îles Canaries, mais le Figuier sauvage peut avoir existé
antérieurement dans ces pays.
Pour les Canaries, nous en avons une preuve par des noms
guanches, Arahormaze et Achormaze^ figues vertes, Tahareme-
nen et Tehakunemen, figues sèches. Les savants Webb et Ber-
Uielot ^, qui ont cité ces noms et qui avaient admis l'unité d'ori-
gine des Guanches et des Berbères, auraient vu avec plaisir chez
les Touareçs, peuples berbères, le mot Tahart pour Figuier ^, et
dans le dictionnaire français-berbère, publié depuis eux, les noms
Taàeksist pour figue fraîche et Tagrourt pour Figuier. Ces vieux
noms, d'origine plus ancienne et plus locale que l'arabe, parlent
en faveur d'une habitation très ancienne dans le nord de l'Afri-
que jusqu'aux Canaries.
Le résultat de notre enquête est donc de donner pour habi-
1. Gussone, Enum, plant. Inarimensiurrif p. 301.
2. Pour l'ensemble de Thistoire du Figuier et de Topération, d'une utilité
douteuse, qui consiste à répandre des Caprificus à insectes parmi les pieds
cultivés (caprification), voir la dissertation de M . le comte de Solms.
3. Pline, Hist, 1. 15, c. 18.
4. Hehn, l. c, p. 512.
5. Webb et Bertlielot, /. c, Ethnographie, p. 186, 187; Phytographie ,
3, p. 257.
6. D'après Duveyrier, Les Touaregs du nord, p. 193.
238 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
tation préhistorique du Figuier la réçion moyenne et méridio-
nale de la mer Méditerranée, depuis la Syrie jusqu'aux lies
Canaries.
On peut avoir du doute sur l'ancienneté des Figuiers mainte-
nant dans le midi de la France ; mais un fait bien curieux doit être
mentionné. M. Planchon a trouvé dans les tufs quaternaires de
Montpellier et M. le marquis de Saporta * dans ceux des Ayga-
lades, près de Marseille, et dans le terrain quaternaire dé La
Celle, près de Paris, des feuilles et même des fruits du Fïcas
Carica sauvage avec des dents d'Elephas primigenius, et des
feuilles de végétaux, dont les uns n'existent plus, et d'autres
comme le Laurus canariensiSy sont restés aux îles Canaries. Ainsi
le Figuier a peut-être existé sous sa forme actuelle, dans un
temps aussi reculé. Il est possible qu'il ait péri dans le midi
de la France, comme cela est arrivé certainement à Paris ; après
quoi il serait revenu à Tétat sauvage dans les localités du midi.
Peut-être les Figuiers dont Webb et Berthelot avaient vu de vieux
individus dans les endroits les plus sauvages des Canaries des-
cendaient-ils de ceux qui existaient à l'époque quaternaire.
Arbre à» pain. — Artocarpus incisa, Linné.
L'Arbre à pain était cultivé dans toutes les îles de Tarchipel
asiatique et du grand Océan voisines de Téquateur, depuis Su-
matra jusqu'aux lies Marquises, lorsque les Européens ont
commencé de les visiter. Son fruit est constitué, comme dans
l'Ananas, par un assemblage de feuilles florales et de fruits
soudés en une masse charnue plus ou moins sphérique, et, comme
dans l'Ananas encore, les graines avortent dans les variétés
cultivées les plus productives ^. On fait cuire des tranches de
cette sorte de fruit pour les manger.
Sonnerat * avait transporté l'Arbre à pain à l'île Maurice, où
l'intendant Poivre avait eu soin de le répandre. Le capitaine
Bligh avait pour mission de le transporter dans les Antilles an-
glaises. On sait qu'une révolte de son équipage Tempècha de
réussir la première fois, mais dans un second voyage il fut plus
heureux. En janvier 1793, il débarqua 150 pieds dans l'Ile de
Saint- Vincent, d'où l'on a répandu 1 espèce dans plusieurs loca-
lités de l'Amérique équinoxiale *.
Rumphius ^ avait vu l'espèce à l'état sauvage dans plusieurs
1. Planchon, Etude sur les tufs de Montpellier^ p. 63; de Saporta, La
flore des tufs quaternaires en Pi*ovence, dans les Comptes rendus de la
33« session du Congrès scientifique de France, et à part, p. 27, Bull, Soc. geo-
log„ 1873-74, d. 442.
2. Voir les Délies planches publiées dans Tussac, Flore des AnUUts^
vol. 2, pi. 2 et 3 ; et Hooker, Boianical magazine, t. 2869-2871.
3. Voyage à la Nouvelle-Guinée, p. 100.
4. Hooker, /. c.
5. Rumphius, Herb, Amboin.j 1, p. 112, pi. 33.
ARBRE A PAIN. — JACQUIER 239
des îles de la Sonde. Les auteurs modernes, moins attentifs ou
n'ayant observé que des pieds cultivés, ne s'expliquent pas à cet
égard. Pour les îles Fidji, Seemam* dit : « Cultivé et selon toutes
les apparences sauvage dans quelques localités ». Sur le con-
tinent du midi de l'Asie il n'est pas même cultivé, le climat n'étant
pas assez chaud.
Evidemment, l'Arbre à pain est originaire de Java, Amboine
et îles voisines; mais Tancienneté de sa culture dans toute la
région insulaire, prouvée par la multitude des variétés, et la
facilité de sa propagation par des drageons et des boutures
empêchent de connaître exactement son histoire. Dans les îles
de l'extrémité orientale, comme 0-Taïti, certaines fables et tra-
ditions font présumer une introduction qui ne serait pas très
ancienne, et l'absence de graines le confirme '.
Jacc[uier ou Jack. — Artocarpus integrifolia^ Linné.
Le fruit du Jacquier, plus gros que celui de l'Arbre à pain,
car il pèse jusqu'à 80 livres, est suspendu aux branches d'un
arbre de 30 à 50 pieds de hauteur ^. Si le bon La Fontaine l'avait
Connu, il n'aurait pas écrit sa fable du gland et de la citrouille.
Le nom vulgaire est tiré des noms indiens Jaca ou Tsjaka.
Le Jacquier est cultivé depuis longtemps dans l'Asie méridio-
nde, du Punjab à la Chine, de THimalaya aux îles Moluques.
Une s'est pas introduit encore dans les petites îles plus àl'onent,
comme 0-Taïti, ce qui fait présumer une date moins ancienne dans
l'archipel indien que sur le continent asiatique. Du côté nord-
ouest de rinde, la culture ne date peut-être pas non plus d'une
époque très reculée, car on n'est pas certain de l'existence d'un
nom sanscrit. Roxburgh en cite un, Punusa, mais après lui
Piddington ne l'admet pas dans son Index, Les Persans et les
Arabes ne semblent pas avoir connu l'espèce. Son fruit énorme
les aurait pourtant frappés si l'espèce avait été cultivée près de
leurs frontières. Le D*" Bretschneider ne parle pas d'Artocarpus
dans son opuscule sur les plantes connues des anciens Chinois,
d'où l'on peut inférer que vers la Chine, comme dans les autres
directions, le Jacquier n'est pas un arbre répandu depuis une
époque très ancienne.
La première notion sur son existence à l'état sauvage est
donnée par Rheede dans des termes contestables : « Cet arbre
croît partout au Malabar et dans toute Tlnde. » Le vénérable
auteur confondait peut-être l'arbre planté et l'arbre spontané.
Après lui cependant, Wight a trouvé l'espèce, à plusieurs re-
1. Seemann, Flora Vitiemis, p. 255.
2. Seemann, /. c; Nadeaud, Èniim, des plantes indigènes de Taïti, p. 44;
Id., Plantes usuelles des Tahitiens,jû. 24.
3. Voir les planches de Tussac, rlore des Antilles^ pi. 4, et Hooker, Bota-
nical magazine^ t. 2833, 2834.
240 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
prises, dans la péninsule indienne, notamment dans les Gbats
occidentaux, avec toute l'apparence d'un arbre indigène sauvage.
On le plante beaucoup à Geylan ; mais Thwaites, la meilleure
autorité pour la flore de cette île, ne le reconnaît pas comme
spontané. Dans l'archipel au midi de l'Inde, il ne l'est pas non
plus, selon l'opinion générale. Enfin, Brandis en a trouvé des
pieds dans les forêts du district d'Attaran, pays des Birmans,
à l'est de l'Inde, mais il ajoute que c'est toujours à proximité
d'établissements abandonnés. Kurz ne l'a pas trouvé spontané
dans le Burman anglaise
Ainsi l'espèce est originaire du pied des montagnes occiden-
Tamiral Rodney, et de là à Saint-Domingue *. On l'a introduit
aussi au Brésil, dans les îles Maurice, Seychelles et Rodriguez '.
Dattier. — Phœnix dactylifera, Linné.
Le Dattier existe, depuis les temps préhistoriques, dans la
zone sèche et chaude qui s'étend du Sénégal au bassin de
llndus, principalement entre les 15« et 30® degrés de latitude.
On le voit çà et là plus au nord, en raison de circonstances
exceptionnelles et du but qu'on se propose en le cultivant. En
efl*et, au delà du point où les fruits mûrissent chaque année, il
y a une zone dans laquelle ils mûrissent mal ou rarement, et
une dernière limite jusqu'à laquelle l'arbre vit encore, mais sans
fructifier ni même fleurir. Le tracé de ces limites a été donné
d'une manière complète par de Martius, Garl Ritter et moi-
même *. Il est inutile de les reproduire ici, le but du présent
ouvrage étant d'étudier les origines.
En ce qui concerne le Dattier, nous ne pouvons guère nous
appuyer sur l'existence plus ou moins constatée d'individus
vraiment sauvages ou, comme on dit, aborigènes. Les dattes se
transportent facilement; leurs noyaux germent quand on les
sème dans un terrain humide, près d'une source ou d'une
rivière, et même dans des fissures de rochers. Les habitants des
oasis ont planté ou semé des Dattiers dans des localités favora-
bles où l'espèce existait peut-être avant les hommes, et quand
un voyageur rencontre des arbres isolés, à distance des habita-
tions, il ne peut pas savoir s'ils ne viennent pas de noyaux jetés
par les caravanes. Les botanistes admettent bien une variété
1. Rheede, Malabar, 3, p. 18; Wight, Icônes, 2, num. 678 ; Brandis, Forest
flora of India, p. 426 ; Kurz, Forest flora of brit. Burma, p. 432.
2. Tussac, /. c,
3. Bakei\ Flora of Mauritius, etc. y p 282.
4. De Martius, Gênera et species Palmarum, in-folio, vol. 3, p. 257;
C. Rilter, Endkunde, 13, p. 760 ; Alph. de Candolle, Géographie botanique
raisonnée, p. 343.
DATTIER 241
sylvestris^ c'est-à-dire sauvage, à baies petites et acerbes ; mais c'est
peut-être l'effet d'une naturalisation peu ancienne dans un sol
défavorable. Les faits historiijues et linguistiques auront plus de
valeur dans le cas actuel, quoique sans doute, vu l'ancienneté des
cultures, ils ne puissent donner que des indications probables.
D'après les antiquités égyptiennes et assyriennes, ainsi que les
traditions et les ouvrages les plus anciens, le Dattier existait en
abondance dans la région qui s'étend de l'Ëuphrate au Nil. Les
monuments égyptiens contiennent des fruits et des dessins de
cet arbre *. Hérodote, à une époque moins reculée (v® siècle
avant Jésus-Christ), parle des bois de Dattiers qui existaient en
Babylonie ; plus tard Strabon s'est exprimé d 'une manière analogue
sur ceux d'Arabie, par où il semble que l'espèce était plus commune
qu'à présent et plus dans les conditions d'une essence forestière
naturelle. D'un autre côté Garl Ritter fait la remarque ingé-
nieuse que les livres hébreux les plus anciens ne parlent pas des
Dattiers comme donnant un fruit recherché pour la nourriture
de l'homme. Le roi David, vers l'an 1000 avant Jésus-Christ,
environ sept siècles après Moïse, n'énumère pas le Dattier au
nombre des arbres qu'il convient de planter dans ses jardins. Il
est vrai qu'en Palestine, sauf à Jéricho, les dates ne mûrissent
guère. Plus tard, Hérodote dit des Dattiers de Babylonie, que la
majorité seulement des pieds donnait de bons fruits, dont on
faisait usage. Ceci paraît indiquer le commencement d'une cul-
ture perfectionnée au moyen de la sélection des variétés et du
transport des fleurs mâles au milieu des branches de pieds fe-
melles, mais cela signifie peut-être aussi qu'Hérodote ne connais-
sait pas l'existence des pieds mâles.
A l'occident de l'Egypte, le Dattier existait probablement
depuis des siècles ou des milliers d'années quand Hérodote les a
mentionnés. Il parle de la Libye. Aucun document historique
n'existe pour les oasis du Sahara, mais Pline ^ mentionne les
Dattiers des iles Canaries.
Les noms de l'espèce témoignent d'une grande ancienneté soit
en Asie, soit en Afrique, attendu qu'ils sont nombreux et fort
différents. Les Hébreux appelaient le Dattier Tamar et les anciens
Egyptiens Beq '. L'extrême diversité de ces mots, d'une grande
antiquité, fait présumer que les peuples avaient trouvé l'espèce
indigène et peut-être déjà nommée dans l'Asie occidentale et
en Egypte. La multiplicité des noms persans, arabes et ber-
bères, est incroyable *. Les uns dérivent du mot hébreu, les
autres de sources inconnues. Ils s'appliquent souvent à des états
différents du fruit ou à des variétés cultivées différentes, ce qui
1. Unger, Pflanzen d, ait, Mgyptensy p, 38,
2. Pline, Hist., 6, c. 37.
3. Unger, U c.
4. Voir C. Ritter, /. c.
De Gandolle. 16
242 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
montre encore d'anciennes cultures dans divers pays. Webb
et Berthelot n'ont pas découvert un nom du Dattier dans la
langue des Guanches, et c'est bien à regretter. Le nom grec,
Pkœnix, se rapporte simplement à la Phénicie et aux Phéniciens,
possesseurs du Dattier *. Les noms Dactylus et Datte sont des
dérivés de Dachelj dans un dialecte hébreu ^. On ne cite aucun
nom sanscrit, d'où Ton peut inférer que les plantations de Dat-
tiers ne sont pas très anciennes dans l'Inde occidentale. Le climat
indien ne convient pas à l'espèce ^. Le nom hindustani, Khurma,
est emprunté au persan.
Plus à l'est, le Dattier a été longtemps inconnu. Les Chinois
l'ont reçu de Perse, au ni* siècle de notre ère, et plus tard à dif-
férentes reprises, mais aujourd'hui ils l'ont abandonné *. En
général, hors de la région aride qui s'étend de l'Euphrate au
midi de l'Atlas et aux Canaries, le Dattier n'a pas réussi sous
des latitudes analogues, ou du moins il n'est pas devenu un
objet important de culture. 11 aurait de bonnes conditions d'exis-
tence en Australie et au Cap, mais les Européens, qui ont colonisé
ces pays, ne se contentent pas, comme les Arabes, de figues et de
dattes pour leur nourriture. J'estime, en définitive, que dans les
temps antérieurs aux premières dynasties égyptiennes le Dattier
existait déjà, spontané ou semé çà et là par des tribus errantes,
dans la zone de l'Euphrate aux Canaries, et qu'on s'est mis à le
cultiver plus tard jusqu'au nord-ouest de l'Inde, d'un côté, et
aux îles du Cap-Vert ^, de l'autre, de sorte que Thabitation natu-
relle est restée à peu près la même environ 5000 ans. Qu'était-elle
à une époque antérieure? C'est ce que des découvertes paléonto-
logiques apprendront peut-être un jour.
Bananier. — Musa sapientum et M. paradisiaca, Linné. —
M, sapientum, Brown.
On regardait assez généralement le Bananier, ou les Bana-
niers, comme originaires de l'Asie méridionale et comme trans-
portés en Amérique par les Européens, lorsque M. de Huniboldt
est venu jeter des doutes sur l'origine purement asiatique. Il a
cité, dans son ouvrage sur la Nouvelle-Espagne ®, d'anciens
auteurs d'après lesquels le Bananier aurait été cultivé en Amé-
rique avant la découverte.
Il convient que, d'après Oviedo \ le Père Thomas de Ber-
1. Hehn, Cullurpflanzen, éd. 3, p. 234.
2. C. Ritter, /. c, p. 828.
3. D'après Roxburgh, Royle, etc.
4. Bretschneider, On stuay, etc., p. 31.
o. D'après Schmidt, Flora d, Cap-Verd Insein, p. 168, le Dattier est rare
dans ces îles et u'y est certainement pas sauvage. An contraire, dans quel-
ques-unes des îles Canaries, il a toutes les apparenees d'un arbre indigène,
d'après Webb et Berthelot, Hist. nat. des vanaries, Botanique, 3, p. 289.
6. De Humboldt, Nouvelle-Espagne^ 1" édit., II, p. 360.
7. Oviedo, Hist, nat., 1556, p. 112-114. Le premier ouvrage d'Oviedo est
BANANIER 343
langas aurait transporté, en 1516, des iies Canaries à Saint-
Domingue, les premiers Bananiers, introduits de là dans d'autres
îles et sur la terre ferme *. Il reconnaît que, dans les relations
de Colomb, Alonzo Negro, Pinzon, Vespuzzi et Cortez, il n'est
jamais question de Bananier. Le silence de Hemandez, qui
vivait un demi-siècle après Oviedo, Tétonne et lui paraît une
négligence singulière, « car, dit-il *, c'est une tradition con-
stante au Mexique et sur toute la terre ferme que le Platano
arton et le Dominico y étaient cultivés longtemps avant l'arrivée
des Espagnols. » L'auteur qui a marqué avec le plus de soin
les différentes époques auxquelles Tagriculture américaine s'est
enrichie de productions étrangères, le Péruvien Garcilasso de la
Vega ', dit expressément que, du temps des Incas, le maïs, le
4|uinoa, la pomme de terre, et dans les régions chaudes et tem-
pérées les bananes faisaient la base de la nourriture des indi-
gènes. Il décrit le Musa de la vallée des Andes; il distingue
même l'espèce plus rare, à petit fruit sucré et aromatique, le
Dominico, de la banane commune ou Arton, Le Père Acosta *
afQrme aussi, quoique moins positivement, que le Musa était
cultivé par les Américains avant l'arrivée des Espagnols. Enfin
M. de Humboldt ajoute d'après ses propres observations : « Sur
les rives de l'Orénoque, du Cassiquaire ou de Béni, entre les
montagnes de l'Esmeralda et les rives du fleuve Carony, au
milieu des forêts les plus épaisses, presque partout où Ton dé-
couvre des peuplades indiennes qui n'ont pas eu des relations
avec les établissements européens, on rencontre des plantations
de Manioc et de Bananiers. » M. de Humboldt, en conséquence,
a émis l'hypothèse qu'on aurait confondu plusieurs espèces ou
variétés constantes de Musa, dont quelques-unes seraient origi-
naires du nouveau monde.
Desvaux s'empressa d'examiner la question spécifique, et
dans un travail vraiment remarquable publié en 1814 ^ il a
regardé tous les Bananiers cultivés pour leurs fruits comme une
seule espèce. Dans cette espèce, il distingue 44 variétés, qu'il
dispose en deux séries, les Bananes à gros fruits (7 à 15 pouces
de longueur) et celles à petits fruits (1 à 6 pouces) appelées vul-
gairement figues bananes. R. Brown en 1818, dans son ouvrage
sur les plantes du Congo, p. 51, soutient aussi qu'aucune cir-
constance dans la structure des Bananiers cultivés en Asie et en
Amérique n'empêche de les considérer comme appartenant à
de 1526. C'est le plus ancien voyageur naturaliste cité par Dryander
{Bibl. hanks.) pour l'Amérique.
1. J'ai lu ce passage également dans la traduction d'Oviedo par Ramusio,
vol. 3, p. 115.
2. De Humboldt, Nouvelle-Espagne, 2» édit., p. 385.
3. Garcilasso de la Vega, Commentarios reaies, 1, p. 282.
4. Acosta, Hist. nat. de Indias, 1608, p. 250.
5. Desvaux, Journ. bot., IV, p. 5.
244 PLAiNTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
une seule espèce. 11 adopte le nom de Musa sapientum, qui me
paraît effectivement préférable à celui de M. paraatsiacay.
adopté par Desvaux, parce que les variétés à petits fruits fer-
tiles rapportées au M. sapientum L. semblent plus près de l'état
des Musa spontanés qu'on a trouvés en Asie.
Brown remarque, sur la question d'origine, que toutes le&
autres espèces du genre Musa sont de l'ancien monde ; que per-
sonne ne dit avoir trouvé en Amérique, dans l'état sauvage, de&
variétés à fruits fertiles, comme cela est arrivé en Asie ; enfin,
que Piso et Marcgraf ont regardé le Bananier comme introduit
du Congo au Brésil. Malgré la force de ces trois arguments^
M. de Humboldt, dans la seconde édition de son Fssai sur la
Nouvelle-Espagne (2, p. 397), n'a pas renoncé complètement à
son opinion. Il dit que le voyageur Galdcleugh * a trouvé che^
les Puris la tradition établie que, sur les bords du Prato, on cul-
tivait, longtemps avant les communications avec les Portugais,
une petite espèce de banane. Il ajoute qu'on trouve dans les
langues américaines des mots, non importés, pour distinguer
le fruit du Musa, par exemple Paruru en tamanaque, etc.,
Arata en maypure. J'ai lu aussi dans le voyage de Stevenson '
qu'on aurait* trouvé dans les huacas, ou tombeaux péruvien»
antérieurs à la conquête, des lits de feuilles des deux Bananiers
cultivés habituellement en Amérique; mais, comme ce voyageur
dit avoir vu dans ces huacas des fèves * et que la fève est cer-
tainement de l'ancien monde, ses assertions ne méritent guère
confiance. M. Boussingault * pensait que le Platano arton au
moins est originaire d'Amérique, mais il n'en a pas donné de
preuve. Meyen, qui avait aussi été en Amérique, n'ajoute aucun
argument à ceux qui étaient connus avant lui °. Il en est de
même du géographe Ritler ^, qui reproduit simplement pour
l'Amérique les faits indiqués par de Humboldt.
D'un autre côté, des botanistes qui ont visité l'Amérique plu»
récemment n'hésitent pas sur l'origine asiatique. Je citerai
Seemann pour l'isthme de Panama, Ernst pour le Venezuela
et Sagot pour la Guyane ^. Les deux premiers insistent sur l'ab-
sence de noms pour le Bananier dans les langues du Pérou et
du Mexicjue. Piso ne connaissait aucun nom brésilien. De Mar-
tius * a indiqué depuis, dans la langue tupi du Brésil, les noms
Pacoba ou Bacoba. Ce même nom Bacove est usité, selon
\. Galdcleugh, Trav. in S. Amer., 1825, i, p. 23.
2. StevensoD, Trav. in S. Amer., 1, p. 328.
3. Stevenson, Trav. in S. Amer., 1, p. 363.
4. Boussin^ult, dans C. r. Acad, se. Paris, 9 mai 1836.
5. Meyen, P/ïanz. geog,, 1836, p. 383.
6. Ritter, Erdkunde, 4, p. 870 et suiv.
7. Seemann, Botanv of Herald, p. 213; Ernst, dans Seemann, Jowmal of
hotany, 1867, p. 289; Sagot, dans Journal de la Société dhortic, ék
France, 1872, p. 226.
8. Martius, Ethnogr, Spi'achenkunde America' s^ p, 123.
BANANIER 248
M. Sagot, par les Français à la Guyanne. Il a peut-être pour
origine le nom Bala ou Palan ^ du Malabar, à la suite d'une
introduction par les Portugais, depuis le voyage de Piso.
L'ancienneté et la spontanéité du Bananier en Asie sont des
faits incontestables. Il a plusieurs noms sanscrits *. Les Grecs,
les Latins et ensuite les Arabes en ont parlé comme d'un arbre
fruitier remarquable de l'Inde. Pline * en parle assez claire-
ment. Il dit que les Grecs de l'expédition d'Alexandre l'avaient
vu dans l'Inde, et il cite le nom Pala^ qui existe encore au Ma-
labar. Les sages se reposaient sous son ombré et en mangeaient
les fruits. De là le nom de Musa sapientmn des botanistes.* Musa
est tiré de l'arabe Mouz ou Mauwz^ qu'on voit déjà au xiii« siècle
dans Ebn Baithar. Le nom spécifique paradisiaca vient des
hypothèses ridicules qui faisaient jouer au Bananier un rôle
dans l'histoire d'Eve et du paradis.
Il est assez singulier que les Hébreux et les anciens Egyptiens '
n'aient pas connu cette plante indienne. C'est un indice qu'elle
n'était pas dans l'Inde depuis un temps très reculé, mais plutôt
originaire de l'archipel indien.
Le Bananier offre dans le midi de l'Asie, soit sur le continent,
mt dans les îles, un nombre de variétés immense ; la culture
de ces variétés remonte dans l'Inde, en Chine, dans l'archipel
indien à une époque impossible à apprécier; elle s'était étenoue
jadis, même dans les îles de la mer Pacifique * et sur la côte
occidentale d'Afrique * ; enfin les variétés portaient des noms
distincts dans les langues asiatiques les plus séparées, comme le
sanscrit, le chinois, le malais. Tout cela indique une ancienneté
prodigieuse de culture, par conséquent une existence primitive
en Asie, et une difi*usion contemporaine avec celle des races
d'hommes ou antérieure.
On dit avoir trouvé le Bananier spontané en plusieurs points,
delà mérite d'autant plus d'être noté que les variétés cultivées
ûe donnant souvent pas de graines et se multipliant par divi-
sion, l'espèce ne doit guère se naturaliser par semis hors des
cultures. Roxburgh l'avait vu dans les forets de Chittagong ®,
sous la forme du M. sapientum. Rumphius ' décrit une variété
à petits fruits sauvage dans les îles Philippines. Loureiro • parle
probablement de la même sous le nom de M, seminifera agrestis^
qu'il oppose au M, seminifera domestica, et qui serait donc
1. Roxburgh et WaUich, FL ind,, 2, p. 485 ; Piddington, Index,
2. Pline, Uist, 1. 12, c. 6.
3. Unger, l, c, et Wilkinson, 2, p. 403, ne le mentionnent pa?« Le Bana-
mier se cultive aujourd'hui en Egypte.
4. Forster, Plant, esc, p. 28.
5. Clusius, Exot.t p. 229; Brown, Bot, Congo, p. 51.
6. Roxburgh, Coi'om,, tab. 275; F/, md., l. c.
7. Rumphius, Amb.y 5, p. 139.
S. Loureiro, FI, coch,^ p. 791. /^
246 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
spontanée en Gochinchine. Bianco indic[ue aussi un Bananier
sauvage aux Philippines ', mais sa description est insuffisante.
Finlayson ^ a trouvé le Bananier sauvage, en abondance, dans
la petite île de Pulo Ubi, à Textrémité sud du pays de Siam.
Thwaites ' a vu la forme du M. sapientum dans les forêts ro-
cailleuses du centre de l'île de Geylan et n'hésite pas à dire
que c'est la souche des Bananiers cultivés. Sir J. Hooker et
Thomson * l'ont trouvé sauvage à Khasia.
En Amérique, les faits sont tout autres. On n'y a jamais vu le
Bananier sauvage, excepté à la Barbade ^^ mais là c'est un
arbre qui ne mûrit pas ses fruits et qui est par conséquent,
selon les probabilités, le résultat de variétés cultivées peu abon-
dantes en semences. Le Wild plantain de Sloane ® paraît une
plante très différente des Musa. Les variétés qu'on prétend pou-
voir être indigènes en Amérique sont au nombre de deux seu-
lement, et en général on y cultive infiniment moins de variétés
qu'en Asie. La culture du Bananier est, on peut dire, récente
dans une grande partie de l'Amérique, car elle ne remonte guère
à plus de trois siècles. Piso ^ dit positivement que la plante a
été importée au Brésil et n'avait pas de nom brésilien. Il ne
dit pas d'où elle venait. Nous avons vu que, d'après Oviedo,
l'espèce a été apportée des Canaries à Saint-Domingue. Ceci,
joint au silence de Hernandez, généralement si exact pour les
plantes utiles, spontanées ou cultivées, du Mexique, me peiv
suade que le Bananier manquait lors de la découverte de T^jné-
rique à toute la partie orientale de ce continent.
Existait-il dans la partie occidentale, sur les bords de la mer
Pacifique? C'est très mvraisemblable quand on pense aux cona-
munications qui existaient entre les deux côtes, vers l'isthme de
Panama, et à l'activité avec laquelle les indigènes avaient ré-
pandu dans toute l'Amérique les plantes utiles, comme le ma-
nioc, le maïs, la pomme de terre, avant l'arrivée des Européens.
Le Bananier, dont ils font tant de cas depuis trois siècles, qui se
multiplie si aisément par les drageons, qui a une apparence si
frappante pour le vulgaire, n'aurait pas été oublié dans quel-
ques villages au milieu des forêts ou sur le littoral.
Je conviens que l'opinion de Garcilasso, descendant des Incas,
auteur qui a vécu de 1530 à 1568, est d'une certaine importance
lorsqu'il dit que les indigènes connaissaient le Bananier avant
la conquête. Ecoutons cependant un autre écrivain très digne
d'attention, Joseph Acosta, qui avait été au Pérou et que M. de
•
1. Bianco, FI., 1" édit., p. 247.
2. Finlayson, Joum. to Siam, 1826, p. 86, d'après Ritter, Erdk,, 4, p. 878.
3. Thwaites, Enum. plant. Ceylan, p. 321.
4. D'après Aitchison, Catal. of Punjab, p. 147.
5. Hughes, Barb., p. 182 ; Maycock, FI. Barb., p. 396.
6. Sloane, Jamaica, 2, p. 148.
7. Piso, édit. 1648, Htst. nat., p. 75.
BANANIER 247
Humboldt invoque à Tappui du précédent. Ses expressions me
conduisent plutôt à une opinion difîérente ^ Il s'exprime ainsi
dans la traduction française de 1598 ' : « La cause pour la-
quelle les Espagnols Font appelé plane (car les naturels n'avaient
point de tel nom) a été, comme es autres arbres, pour autant
qu'ils ont trouvé quelque ressemblance de Tun à l'autre ». Il
montre combien le plane (Platanus] des Anciens était différent.
Il décrit très bien le Bananier, et ajoute que cet arbre est très
commun aux Indes (ici, cela veut dire en Amérique), « quoiqu'ils
disent (les Indiens) que son origine soit venue d Ethiopie Ily
a une espèce de petits planes blancs et fort délicats, lesquels
ils appellent en l'Èspagnolle ' Dominique. Il y en d'autres qui
sont plus forts et plus gros, et d'une couleur rouge. Il n'en
croît point au Pérou, mais on les y apporte des Indes *, comine
au Mexique de Guernavaca et des autres vallées. En la terre
ferme et en quelques îles, il y a des grandes planares, qui
r sont comme bosquetaux (bosquets) très épais. » Assurément, ce
n'est pas ainsi que s'exprimerait l'auteur pour un arbre fruitier
d'origine américaine. Il citerait des noms américains, des usages
américains. Il ne dirait surtout pas que les indigènes les regar-
dent comme d'origine étrangère. La diffusion dans les terres
chaudes du Mexique pourrait bien avoir eu lieu entre l'époque
de la conquête et celle où écrivait Acosta, puisque Hernandez,
dont les recherches consciencieuses remontent aux premiers
temps de la domination espagnole à Mexico (quoique publiées
plus tard à Rome), ne dit pas un mot du Bananier ^. L'histo-
rien Prescott a vu d'anciens ouvrages ou manuscrits, selon les-
quels les habitants de Tumbez auraient apporté à Pizarre des
bananes lorsqu'il débarqua sur la côte du Pérou, et il croit
aux feuilles trouvées dans les huacas, mais il ne cite pas ses
preuves ®.
Quant à l'argument des cultures faites par les indigènes, à
1. De Humboldt a cité Tédition espagnole de 1608. La première édition
est de 1591. Je n'ai pu consulter que la traduction française de Regnault,
qui est de 1398 et qui a tous les caractères de Texactitude, indépendam-
ment du mérite au point de vue de la langue française.
2. Acosta^ traduction, 1. 4, c. 21.
3. C'est-à-dir« probablement à Hispaniola, soit Saint-Domingue, car, s'il
avait voulu dire en langue espagnole, on aurait traduit par castillan et
sans lettre capitale. Voyez d'ailleurs la page 168 de l'ouvrage.
4. n y a ici probablement une faute d'impression pour Andes ^ car le mot
Indes n'a pas de sens dans ce passage. Le même ouvrage dit, page 166,
qu'il ne vient pas d'Ananas au Pérou, mais qu'on les y apporte des Andes,
et^ page 173, que le cacao vient des Andes. Cela signifiait donc les régions
chaudes. Le mot Andes a été appliqué ensuite à la chaîne des montagnes,
par une transposition bizarre et malheureuse.
5. J'ai parcouru l'ouvrage en entier pour m'en assurer.
6. Prescott, Conquête au Pérou, édit. de Baudry, 164, 183. L'auteur a
consulté des sources précieuses, entre autres un manuscrit de Montesinos,
de 1527, mais il ne cite pas ses autorités pour chaque fait, et se borne à
des indications vagues et collectives qui sont loin de suffire.
248 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS FRUITS
l'époque actuelle, dans des contrées de TAmérique très sépa-
rées des établissements européens, il m'est difficile d'admettre
que depuis trois siècles des peuplades soient restées absolument
isolées et n'aient pas reçu un arbre aussi utile, par Tintermé-
diaire des pays colonisés.
En résumé , voici ce qui me parait le plus probable : une
introduction faite de bonne heure par les Espagnols et les Por-
tugais à Saint-Domingue et au Brésil, ce qui suppose, Ten con-
viens, une erreur de Garcilasso quant aux traditions des Péru-
viens. Si cependant des recherches ultérieures venaient à
prouver que le Bananier existait dans quelques parties de
l'Amérique avant la découverte par les Européens, ie croirais à
une introduction fortuite, pas très ancienne^ par l'effet d'une
communication inconnue avec les îles de la mer Pacifique ou
avec la côte de Guinée, plutôt qu'à l'existence primitive et
simultanée du Bananier dans les aeux mondes. La géographie
botanique tout entière rend cette dernière hypothèse impro-
bable, je dirai presque impossible à admettre, surtout dans un
genre non partagé entre les deux mondes.
Enfin , pour terminer ce que j'ai à dire du Bananier , je
remarquerai combien la distribution des variétés est favorable
à l'opinion de l'espèce unique, adoptée, dans des vues de bota-
nique pure, par Roxburgh, Desvaux et R. Brown. S'il existait
deux ou trois espèces, probablement l'une serait représentée
par les variétés qu'on a soupçonnées originaires de TAmérique ;
une autre serait sortie, par exemple, de l'archipel indien ou de
la Chine, et la troisième de l'Inde. Au contraire, toutes les va-
riétés sont géographiquement mélangées. En particulier, les
deux qui sont le plus répandues en Amérique diffèrent sensible-
ment Fune de l'autre et se confondent chacune avec des variétés
asiatiques, ou s'en rapprochent beaucoup.
Ananas. — Ananassa sativa^ Lindley. — Bromelia Ananas,
Linné.
Malgré les doutes énoncés par quelques auteurs l'Ananas doit
être une plante d'Amérique, introduite de bonne heure, par les
Européens, en Asie et en Afrique.
Nana était le nom brésilien *, d'où les Portugais avaient fait
Ananas. Les Espagnols avaient imaginé le nom de Pinas, à
cause de l'analogie de forme avec le cône du Pin pignon *. Tous
les premiers écrivains sur l'Amérique en parlent '. Hernandez
dit que l'Ananas habite les endroits chauds de Haïti et du
Mexique. Il mentionne un nom mexicain, Matzatli. On avait
1. Marcgraf, Brasil., p. 33.
2. Oviedo, trad. de Ramusio, 3, p. 113; Jos. Acosta, HisU nat. des Indes,
Irad. franc., p. 166.
3. Thevet, Pison, etc. ; Hernandez, Thés, p. 341.
ANANAS 249
apporté un fruit d'Ananas à Charles-Quint, qui s'en défia et ne
voulut pas le goûter.
Les ouvrages des Grecs, des Romains et des Arabes ne font
aucune allusion à cette espèce, introduite évidemment dans
Tancien monde depuis la découverte de l'Amérique. Rheede *,
au xvii« siècle, en était persuadé ; mais ensuite Rumphius * a
contesté, parce que, disait-il, l'Ananas était cultivé de son
temps dans toutes les parties de l'Inde, et qu'on en trouvait de
sauvages aux Gélèbes et ailleurs. Il remarque cependant l'ab-
sence de nom asiatique. Celui indiqué par Rheede au Malabar
est tiré évidemment d'une comparaison avec le fruit du Jac-
quier et n'a rien d'original. C'est sans doute par erreur que
Piddington attribue un nom sanscrit à l'Ananas ^ car ce nom
même, Anarush, parait venir d'Ananas. Roxburgh n'en connais-
sait point, et le dictionnaire de Wilson ne mentionne pas le
nom d'Anarmh. Royle ' dit que l'Ananas a été introduit dans le
Bengale en 1594. D'après Kircher *, les Chinois le cultivaient dans
le xviie siècle, mais on pensait qu'il leur avait été apporté du
Pérou.
Clusius 5, en 1599, avait vu des feuilles d'Ananas apportées
<le la côte de Guinée. Cela peut s'expliquer par une introduction
<lepuis la découverte de l'Amérique. Robert Brôwn parle de
l'Ananas à l'occasion des plantes cultivées du Congo, mais il
regarde l'espèce comme américaine.
Quoique l'Ananas cultivé ait ordinairement point ou peu de
graines, il se naturalise quelquefois dans les pays chauds* On en
cite des exemples aux îles Maurice, Seychelles et Rodriguez *,
dans l'archipel indien, dans l'Inde "^ et dans quelques parties de
l'Amérique où probablement il n'était pas indigène, par exemple
aux Antilles.
On l'a trouvé sauvçige dans les terres chaudes du Mexique
si Ton peut se fier à la phrase d'Hernandez), dans la province
"e Veraguas *, près de Panama, dans la vallée du Haut-Oré-
ûoque *, à la Guyane *° et dans la province de Bahia ".
j
4. Rheede, Hort. malab.j 11, p. 6.
2. Rumphius, Amboin,, 5, p. 228.
^. Royle, ///., ç. 376.
-4. Kircher, Chine illustrée, trad. de 1670, p. 253.
^. Clusius, Exotic, cap. 44.
6. Bc^er, Flora of Mauritius,
^. Royle, Z. c.
8. Seemann, Bot. of Herald, p. 215.
D. Humboldt, Nouv.-Esp,, 2« édit., 2, p. 478.
10. Gardener's chron., 1881, vol. 1, p. 657.
11. Martius, lettre à A. de CandoUe, Géogr, bot, 7'ais., p. 927.
CHAPITRE V
PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Art. fe' — Graines natrIilTes.
Cacaoyer. — Theohroma Cacao^ linné.
Les Theob^oma, de la famille des Byttnériacées, voisine des
Malvacées, forment un genre de 15 à 18 espèces, toutes de
TAmérique intertropicale, principalement des parties les plus
chaudes du Brésil, de la Guyane et de TAmérique centrale.
Le Cacaoyer ordinaire, Theobroma Cacao, est un petit arbre,
spontané dans les forêts du fleuve des Amazones, de 1 Orénoque *
et de leurs affluents jusqu'à une élévation d'à peu près 400 mè-
tres. On le cite également, comme sauvage, dans 1 île de la Tri-
nité, voisine des bouches de l'Orénoque *. Je ne trouve pas de
preuve qu'il soit indigène dans les Guyanes, bien que cela pa-
raisse probable. Beaucoup d'anciens aulv trs Tindiquent comme
spontané et cultivé, à l'époque de la découverte de l'Amérique,
de Panama à Guatimala et Gampèche ; mais les nombreuses
citations réunies par Sloane * font craindre qu'ils n'aient pas
vérifié suffisamment la condition spontanée. Les botanistes mo-
dernes s'expriment vaguement à cet égard, et en général ils ne
mentionnent le Cacaoyer dans cette région et aux Antilles qu'à
l'état cultivé. G. Bernoulli ^, qui avait résidé à Guatimala, se
borne à ces mots : « Spontané et cultivé dans toute l'Amérique
tropicale, » et Hemsley ^, dans sa revue des plantes du Mexique
et de l'Amérique centrale, faite en 1879, d'après les riches
1. Humboldt, Voy.j 2, p. 5H ; Kunth, dans Humboldt et Bonpland,.
Nova gênera, 5, p. 316 ; Martius, Ueber den Cacao, dans Bûchner, nepert
Pharm,
2. Schach, dans Grisebach, Flora ofbritish W. India islands, p. 91.
3. Sloane, Jamaïque, 2, p. 15.
4. 6. Bernoulli, Uebersicht der Arten vcm Theobroma, p. 5.
5. Hemsley, Biologia centrali-americana, part. 2, p. 133.
CACAOYER — LI-TSCHI 251
matériaux, de Therbier de Kew, ne cile aucune localité où Fes-
pèce soit indigène. Elle a peut-être été introduite dans l'Amé-
rique centrale et dans les parties chaudes du Mexique, par les
Indiens, avant la découverte de l'Amérique. La culture peut
l'avoir naturalisée çà et là, comme on dit que cela est arrivé à
la Jamaïque *. A l'appui de cette hypothèse, il faut remarquer
que M. Triana * indique le Cacaoyer seulement comme cultivé
dans les parties chaudes de la Nouvelle-Grenade, pays situé
entre la région de l'Orénoque et Panama.
Quoi qu'il en soit, l'espèce était cultivée dans l'Amérique cen-
trale et le Yucatan lors de la découverte de TAmérique. Les
graines étaient envoyées dans les régions hautes du Mexique, et
même elles y servaient de monnaie, tant on en faisait cas.
L'usage de boire du chocolat était général. Le nom de cette
excellente boisson est mexicain.
Les Espagnols ont transporté le Cacaoyer d'Acapulco aux îles
Philippines en 1674 et 1680 ^. Il y réussit à merveille. On le
cultive aussi dans les îles de la Sonde. Je présume qu'il réussi-
rait sur les côtes de Zanzibar et de la Guinée, mais il ne convient
Êas de l'essayer dans les pays qui ne sont pas très chauds et
umides.
Une autre espèce, le Theobroma bicolor, Humboldt et Bon-
land, se trouve mélangée avec le Cacaoyer ordinaire dans les
cultures américaines. Ses graines sont moins estimées. D'un
autre côté, elle n'exige pas autant de chaleur et peut vivre jus-
qu'à 950 mètres d'élévation dans la vallée de la Magdelana. Elle
abonde, à l'état spontané, dans la Nouvelle-Grenade ^. Bernoulli
assure qu'elle est seulement cultivée à Guatimala, quoique les
habitants la nomment « Cacao de montagne ».
lârTselii. — Nephelium Lit-chi, Cambessèdes.
La graine de cette espèce et des deux qui suivent est revêtue
d'une excroissance charnue (arille), très sucrée et parfumée,
qu'on mange volontiers en prenant du thé.
Comme, en général, les Sapindacées, les Nephelium sont des
arbres. Celui-ci est cultivé dans la Chine méridionale, l'Inde et
l'archipel asiatique, depuis un temps qu'on ne peut préciser. Les
auteurs chinois ayant vécu à Pelang n'ont connu le Li-Tschi
que tardivement, au m* siècle de notre ère ^. L'introduction dans
le Bengale date de la fin du xviii« siècle ^.
Tout le monde admet que l'espèce est du midi de la Chine, et
Blume ' ajoute de la Cochinchine et des Philippines, mais il ne
1. Grisebach, /. c.
2. Triana et Planchon, Prodr, Fions Novo-Granatensis^ p. 208.
3. Blanco, Flora de Filipinas, éd. 2, p. 420.
4. Kunth, dans Humboldt et Bonpland, /. c. ; Triana, /. c.
5. Bretschneider, lettre du 23 août 1881.
6. Roxburgh, FI. indica, 2, p. 269.
7. Blume, Rumphia, 3, p. 106 •
252 PLANTES CULTIVÉES POtJR LEURS GRAINES
paraît pas qu'aucun botaniste Tait trouvée dans les conditions
d'un arbre vraiment spontané. Gela tient probablement à ce
que les parties méridionales de la Chine, du côté de Siam, ont
été peu visitées. En Cochinchine, et dans le pays de Burma, à
Ghittagong, le Li-Tschi est seulement cultivé *.
Longan. — Nephelium Longana, Gambessèdes.
Gette seconde espèce, très souvent cultivée dans TAsie méri-
dionale, comme le Li-Tschi, est sauvage dans Tlnde anglaise, de
Geylan et Goncan jusque dans les montagnes à l'est du Bengale
et au Pégou '.
Les Ghinois l'ont transportée dans Farchipel asiatique depuis
quelques siècles seulement.
Ramboutan. — Nephelium lappaceum, linné.
On le dit sauvage dans Tarchipel indien, où il doit être cultivé
depuis longtemps, d'après le nombre considérable de ses va-
riétés. Un nom malais, cité par Blume, signifie arbre sauvage.
Loureiro le dit spontané en Gochinchine et à Java. Cependant je
ne vois pas de confirmation pour la Gochinchine dans les ou-
vrages modernes, ni même pour les îles. La nouvelle flore de
rinde anglaise ' l'indique à Singapore et Malacca, sans affirmer
la qualité indigène, sur laquelle les étiquettes d'herbiers n'ap-
prennent ordinairement rien. Assurément, l'espèce n'est pas
spontanée sur le continent asiatique, malgré les expressions
vagues de Blume et Mic[uel à cet égard *, mais il est plus pro-
bable qu'elle est originaire de l'archipel malais.
Malgré la réputation des Li-Tschis et Ramboutans, dont les
fruits peuvent s'exporter, il ne paraît pas qu'on ait introduit ces
arbres dans les colonies tropicales d'Afrique ou d'Amérique, si
ce n'est peut-être dans quelques jardins, comme objets ae cu-
riosité.
Pistachier. — Pistacia vera^ Linné.
Le Pistachier, arbrisseau de la famille des Térébintacées, croît
naturellement en Syrie. M. Boissier * l'a trouvé au nord de
Damas, dans l'Antiliban. Il en a vu des échantillons de Mésopo-
tamie, mais sans pouvoir affirmer leur qualité spontanée. Le
même doute existe sur des rameaux recueillis en Arabie, dont
quelques auteurs ont parlé. Pline et Galien ® savaient déjà que
1. Loureiro, Flora Cochinch., p. 233; Kurz, For est flora ofbritUh Burma.
p. 293.
2. Roxburgh* Flora indicay 2, p. 271 ; Thwaites, Enum. Zeylanùp, p. 58;
Hiern, dans Flora of biii, India, 1, p. 688.
3. Hiern, dans Flora of brit, Inditty 1, p. 687.
4. Blume, Rumphia^ 3, p. 103; Miquel, Flora indo-batava^ i, p. 554.
5. Boissier. Flora orient ^ 2, p. 5.
6. Pline, llist, nat,, 1. 13, c. 15; l. 15» c. 22 ; Galien, De alimentis, 1. 2, c 30.
PISTACHIER — FÈVE 283
la plante est de Syrie. Le premier nous dit qu'elle a été intro-
duite en Italie, par Vitellius, à la fin du règne de Tibère, et de
là en Espagne, par Flavius Pompée.
Il n'y a pas de raison de croire que la culture du Pistachier
fût ancienne dans son pays d'origine, mais elle est pratiquée de
nos jours en Orient, de même qu'en Sicile et à Tunis. Dans le
midi de la France et en Espagne, elle n'a guère d'importance.
Fève. — Faba vulgaris^ Moench. — Vicia Faba, Linné.
Linné, dans son meilleur ouvrage descriptif, VHortus cliffor-
tianus^ convient que l'origine de cette espèce est obscure,
comme celle de beaucoup de plantes anciennement cultivées.
Plus tard, dans son Species, qu'on cite davantage, il a dit, sans
en donner aucune preuve, que la fève « habite en Egypte ». Un
voyageur russe de la fin du siècle dernier, Lerche, Ta trouvée
sauvage dans le désert Mungan, du Mazanderan, au midi de la mer
Caspienne *. Les voyageurs qui ont herborisé dans cette région
l'ont quelquefois rencontrée*, mais ils ne la mentionnent pas dans
leurs ouvrages ', si ce n'est Ledebour, qui n'est pas exact dans
la citation sur laquelle il s'appuie *. Bosc ^ a prétendu qu'Oli-
vier avait trouvé la Fève sauvage en Perse. Je n'en vois pas la
confirmation dans le Voyage d'Qlivier, et en général Bosc paraît
avoir cru un peu légèrement que ce voyageur avait trouvé beau-
coup de nos plantes cultivées dans l'intérieur de la Perse. Il le
dit du Sarrasin et de l'Avoine, dont Olivier n'a pas parlé.
La seule indication, outre celle de Lerche, que je découvre
dans les flores, est d'une localité bien difi*érente. Munby ^ men-
tionne la Fève, comme spontanée, en Algérie, à Oran. Il ajoute
Qu'elle y est rare. Aucun auteur, à ma connaissance, ne l'a citée
ans l'Afrique septentrionale. M. Cosson, qui connaît mieux que
personne la flore d'Algérie, m'a certifié n'avoir vu ou reçu
aucun échantillon de Fève sauvage du Nord de l'Afrique. Je me
suis assuré qu'il n'y en a pas dans l'herbier de Munby, mainte-
•
1. Lerche, Nova acta Acad, cxsareo-Leopold., vol. 5, appendix, p. 203,
Fablié en 1773. M. Maximowicz (lettre du 23 février 1882) m'apprend que
échantillon de Lerche existe dans Therbier du jardin impérial de Saint-
Pétersbourg. Il est en fleur et ressemble en tout à la Fève cultivée, moins
la taille, qui est à peu près d'un demi-pied. L'étiquette mentionne la loca-
lité et la spontanéité, sans autre observation.
2. Il y a dans le même herbier des échantillons transcaucasiens, mais
plus grands de taille et qu'on ne dit pas spontanés.
3. Marschall Bieberstein, Flora Caucaso-Taurica; C.-A. Meyer, Verzeich'
niss ; HohenQckeTy Enum. plant, Talysch; Boissier, FL orientalis, p. 578;
Buhse et Boissier, PUmt, Transcaucasiœ.
4. Ledebour, FL ross,, 1, p. 664, cite de CandoUe, Prodro7niiSy 2, p. 354;
or c'est Seringe qui a rédigé l'tirticle Faba du Prodromiùs, dans lequel est
indiqué le midi ae la mer Caspienne, probablement d'après Lerche, dans
Willdenow.
5. Bosc, Dici, d'agric, 5, p. 512,
6. Munby, Catalogus plant» in Algeria sponte nascentium^ éd. 2, p. 12.
254 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
nant à Kew. Comme les Arabes cultivent beaucoup la Fève, elle
se rencontre peut-être accidentellement hors des cultures. Il ne
faut pas oublier cependant que Pline (1.18, c. 12) parle d'une Fève
sauvage en Mauritanie; mais il ajoute qu'elle est dure et qu'on
ne peut pas la cuire, ce qui fait douter de l'espèce. Les bota-
nistes qui ont écrit sur l'Egypte et la Gyrénaïque, en particulier
les plus récents S donnent la Fève pour cultivée.
Cette plante est seule à constituer le genre Faba. On ne peut
donc invoquer aucune analogie botanique pour présumer son
origine. C'est à l'histoire de la culture et aux noms de l'espèce
qu'il faut recourir si l'on veut deviner le pays où elle était an-
ciennement indigène.
Mettons d'abord de côté une erreur qui venait d'une mauvaise
interprétation des ouvrages chinois. Stanislas Julien avait cru
que la fève était une des cinq plantes que l'empereur Ghin-Nong,
U y a 4600 ans, avait ordonné de semer en grande solennité
chaque année *^. Or, d'après le D"* Bretschneider ^, qui est en-
touré à Peking de toutes les ressources possibles pour savoir la
vérité, la graine, analogue à une fève, que sèment les empereurs
dans la cérémonie ordonnée est celle du Soja (Dolicho Soja), et
la Fève a été introduite en Chine, de l'Asie occidentale, un siècle
seulement avant l'ère chrétienne, lors de l'ambassade de Ghang-
Kien. Ainsi tombe une assertion qu'il était difficile de concilier
avec d'autres faits, par exemple avec l'absence de culture an-
cienne de la Fève dans l'Inde et de nom sanscrit, ou même de
quelque langue moderne indienne.
Les anciens Grecs connaissaient la Fève, qu'ils appelaient
Kuamos et quelquefois Kuamos de Grèce, Kuamos elleniiosy pour
la distinguer de celle d'Egypte, oui était la graine d'une espèce
aquatique toute différente, le Nelumhium, 1^ Iliade parle déjà
de la Fève comme d'une plante cultivée *, et M. Virchow en a
trouvé des graines dans les fouilles faites à Troie ^. Les Latins
l'appelaient Faba, On ne trouve rien dans les ouvrages de Théo-
phraste, Dioscoride, Pline, etc., qui puisse faire croire que la
plante fût indigène en Grèce ou en Italie. Elle y était ancienne-
ment connue, puisque dans le vieux culte des Romains on devait
mettre des fèves dans les sacrifices le jour de la déesse Garna,
d'où le nom de Fabariae calendœ ®. Les Fabius tiraient peut-être
leur nom de Faba, et le chapitre XII du livre 18 de Pline
montre, à n'en pouvoir douter, le rôle ancien et important de là
fève en Italie.
1 . Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung, p. 256 ; Rohlfs, Kufra, on
vol. in-8».
2. Loiseleur-Deslongchamps , Considérations sur les céréales , part. I,
p. 29.
3. Bretschneider, On study and value of chinese bot, works, p. 7 et 15.
4. Iliade, 13, v. 589.
5. Wittmack, Siiz. bericht Vereins, Brandenb., 1879.
(>. Novitius DictionnctfHum, au mot Faba.
FÈVE 2SS
Le mot Faba se retrouve dans plusieurs des langues aryennes
de l'Europe, avec des modifications que les philologues seuls
peuvent reconnaître. N'oublions cependant pas Fobservation
très juste d'Adolphe Pictet * que, pour les graines de céréales et
de Légumineuses, on a souvent transporté des noms d'une espèce
à l'autre, ou que certains noms étaient tantôt génériques et tantôt
spécifiques. Plusieurs graines, de forme analogue, ont été appe-
lées Kuamos par les Grecs ; plusieurs haricots diff'érents (Pha-
selus, Dolichos) portent le même nom en sanscrit, et Faba^ en
ancien slave Éoèu , en ancien prussien Babo , en armoricain
FaVy etc., peut fort bien avoir été employé pour dv.s pois, hari-
cots, ou autres graines de ce genre. Ne voyons-nous pas de nos
jours appeler, en style commercial, le café une fève ? C'est donc
avec raison que Pune ayant parlé d'îles fabarix, où se trou-
vaient des Fèves en abondance, et ces îles étant situées dans
l'océan septentrional, on a pensé qu'il s'agissait d'un certain
pois sauvage appelé en botanique Pisum maritimum.
Les anciens habitahts de la Suisse et de l'Italie, à Tépoque du
bronze, cultivaient une variété à petites graines du Faba vul-
garis, M. Heer * la désigne sous le nom de Celtica nana^ parce
que la graine a de 6 à 9 millimètres de longueur, tandis que celle
de notre Fève actuelle des champs (Fèverolle) en a 10 à 12. Il a
comparé les échantillons de Montelier sur le lac de IMorat et de
l'île de Saint-Pierre du lac de Bienne, avec d'autres de Parme
de la même époque. M. de Mortillet a trouvé dans les lacustres
contemporains du lac du Bourget la même petite fève, qu'il dit
fort semblable à une variété cultivée aujourd'hui en Espagne ^.
La Fève était cultivée chez les anciens Egyptiens *. Il est vrai
a ue, jusqu'à présent, on n'en a pas trouvé des graines ou vu des
gures dans les cercueils ou monuments. La cause en est, dit-on,
' qu'elle était réputée impure ^. Hérodote ® s'exprime ainsi : « Les
Egyptiens ne sèment jamais de Fèves dans leurs terres, et, s'il
en vient, ils ne les mangent ni crues ni cuites. Les prêtres n'en
peuvent pas même supporter la vue ; ils s'imaginent que ce
légume est impur. » La Fève existait donc en Egypte, et proba-
blement dans les endroits cultivés, car les terrains qui pouvaient
lui convenir étaient généralement en culture. Peut-être la popu-
lation pauvre et celle de certains districts n'avaient pas les
mêmes préjugés que les prêtres. On sait que les superstitions
différaient suivant les nomes. Plutarque et Diodore de Sicile ont
1. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes ^ éd. 2, vol. 1, p. 353.
2. Heer, Pflanzen, der Pfahlbauten, p. 22, tig. 44-47.
3. Perrin, Etude préhistorique sur la Savoie, p. 2. .
4. Delile, Plant, cuit, en Egypte, p. 12 ; Reynier, Economie des Egyptiens
et Carthaginois, p. 340 ; Unger, Pflanzen d. alten jEgyptens, p. 64 ; Wil-
kinson, Manners and customs of ancient Egyptians, 2, p. 402.
u. Reynier, /. c, cherche à en deviner les motifs.
6. Hérodote, Histoire, traduction de Larcher, vol. 2, p. 32.
âS6 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
mentionné la culture de la Fève en Egypte, mais ils écrivaient
500 ans après Hérodote.
On trouve deux fois dans l'Ancien Testament * le mot Pol^ qui
a été traduit par fève , à cause des traditions conservées par le
Talmud et du nom arabe /bw/, fol ou /*«/, qui est celui de la
fève. Le premier des deux versets fait remonter la connaissance
de l'espèce par les Hébreux à Tan mille avant Jésus-Christ.
Je signalerai enfin un indice d'ancienne existence de la Fève
dans le nord de l'Afrique. C'est le nom berbère Ibiou^ au pluriel
labouen, usité chez les Kabyles de la province d'Alger *. Il ne
ressemble nullement au nom sémitique et remonte peut-être à
une grande antiquité. Les Berbères habitaient jadis la Mauri-
tanie, où Pline prétend que l'espèce était sauvage. On ignore si
les Guanches, peuple berbère des îles Canaries, connaissaient
la fève. Je doute que les Ibères l'aient eue, car leurs descendants
supposés, les Basques, se servent du nom Baba ', répondant au
Faba des Romains.
D'après ces documents, la culture de la fève est préhistorique
en Europe, en Egypte et en Arabie. Elle a été introduite en Eu-
rope, probablement par les Aryens occidentaux, lors de leurs
premières migrations (Pélasges, Celtes, Slaves) . C'est plus tard
qu'elle a été portée en Chine, un siècle avant l'ère chrétienne,
plus tard encore au Japon ; et tout récemment dans l'Inde.
Quant à l'habitation spontanée, il est possible qu'elle ait été
double il y a quelques milliers d'années, l'un des centres étant
au midi de la mer Caspienne, l'autre dans l'Afrique septentrio-
nale. Ces sortes d'habitations, que j'ai appelées disjointes et dont
je me suis beaucoup occupé naguère *, sont rares dans les
plantes Dicotylédones; mais il en existe des exemples précisé-
ment dans les contrées dont je viens de parler ^. Il est probable
que l'habitation de la Fève est depuis longtemps en voie de di-
minution et d'extinction. La nature de la plante appuie cette
hypothèse, car ses graines n'ont aucun moyen de dispersion, et
les rongeurs ou autres animaux peuvent s'en emparer avec faci-
lité. L'habitation dans l'Asie occidentale était peut-être moins
limitée jadis que maintenant, et celle en Afrique, à l'époaue de
Pline, s'étendait peut-être plus ou moins. La lutte pour l'exis-
tence, défavorable à cette plante, comme au Maïs, 1 aurait can-
tonnée peu à peu et l'aurait fait disparaître, si l'homme ne
l'avait sauvée en la cultivant.
La plante qui ressemble le plus à la Fève est le Vicia narbo-
nensis. Les auteurs qui n'admettent pas le genre Faba, dont les
1. Samuel, II, c. 17, v. 28; Ezechiel, c. 4, v. 9.
2. Dict. français-berbère^ publié par le gouvernement français.
3. Note communiquée à M. Clos par M. d*Abadie.
4. A. de CandoUe, Géographie botafiique raisonnée^ chap. X.
5. Le Rhododendron ponticum ne se trouve plus que dans l'Asie Mineure
et au midi de la péninsule espagnole.
LENTILLE 287
caractères sont assez peu distincts du Vicia, rapprochent ces deux
espèces dans une même section. Or le Vicia narbonensis est
spontané dans la région de la mer Méditerranée et en Orient,
jusqu'au Caucase, à la Perse septentrionale et la Mésopotamie *.
Son habitation n'est pas disjointe, mais elle rend probable, par
analogie, l'hypothèse dont j'ai parlé.
Lentille. — Ervum Lens^ Linné. — Lens esculetita, Moench.
Les plantes qui ressemblent le plus à la Lentille sont classées
par les auteurs tantôt dans le genre Ervum ^ tantôt dans un genre
distinct, Lens^ et quelquefois dans le genre Cicer; mais les espèces
de ces groupes mal définis sont toutes de la région méditerra-
néenne ou de l'Asie occidentale. C'est une indication pour l'ori-
gine de la plante cultivée. Malheureusement, on ne retrouve plus
la LentiUe dans un état spontané, du moins qu'on puisse affir-
mer être tel. Les flores du midi de l'Europe, de l'Afrique septen-
trionale, d'orient et de l'Inde la citent toujours comme cultivée,
ou venant dans les champs, après ou parmi d'autres cultures. Un
botaniste * l'a vue dans les provinces au midi du Caucase, « cul-
tivée et presque spontanée çà et là autour des villages. » Un
autre ' l'indiquait vaguement dans la Russie méridionale, mais
les flores plus récentes ne le confirment pas.
Voyons si l'histoire et les noms de cette plante indiquent plus
clairement son origine.
Elle est cultivée depuis un temps préhistorique en Orient,
dans larégion de la mer Méditerranée, et même en Suisse. D'après
Hérodote, Théophraste, etc., les anciens Egyptiens en faisaient
un grand usage. Si leurs monuments n'en ont pas fourni la
preuve, c'est peut-être que la graine en était réputée commune
et grossière, comme la fève. L'Ancien Testament la mentionne
trois fois, sous le nom à'Adaschum ou Adaschim^ qui doit bien
signifier Lentille, car le nom arabe est Ads * ou Adas °. La couleur
rouge du fameux potage d'Esaû n'a pas été comprise par la
plupart des auteurs. Reynier ®, qui avait séjourné en Egypte,
confirme une explication donnée jadis par l'historien Josèphe :
les lentilles étaient rouges, parce qu'elles étaient mondées. La
pratique des Egyptiens, dit Reynier, est encore de dépouiller ces
graines de leur "écorce, et dans ce cas elles sont d'un rouge pâle.
Les Berbères ont reçu des Sémites pour la lentille le nom Adès '.
Les Grecs cultivaient la Lentille : Fakos ou Fakai. Il en est
1. Boissier, FI. orient.^ 2, p. 577.
2. C.-A. Meyer, Vei^zeichniss pi, caucas.^ p. 147.
3. Georgi, dans Ledebour, FL ross.
4. Forskal, Ft. œgypt.; Delile, Plant, cuit, en Egypte, p. 13.
0. Ebn Baithar, 2, p. 134.
6. Reynier, Economie publique et rurale des Arabes et des Juifs, Genève,
1820, ï). 429.
7. Dictionn. français-berbère, in-8*, 1844.
De Candolle. 17
288 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
question déjà dans Aristophane, comme servant de nourriture
aux pauvres ^ Les Latins l'appelaient Lens^ mot d'une origine
inconnue, qui est évidemment lié au nom ancien slave Lesha,
illyrien Lechja^ lithuanien Lenszic ^. La diversité des noms grec
et latin est une indication que l'espèce a peut-être existé en
Grèce et en Italie, avant d'y être cultivée. Une autre preuve
d'existence ancienne en Europe est qu'on a trouvé des lentilles
dans les habitations lacustres de l'île Saint-Pierre, du lac de
Bienne ', qui sont, il est vrai, de l'époque du bronze. L'espèce
peut avoir été tirée dltalie.
D'après Théophraste *, les habitants de la Bactriane ÇBouc-
kharie actuelle) ne connaissaient pas le Fakos des Grecs. Adolphe
Pictet cite un nom persan, Mangu ou Margu; mais il ne dit pas
si c'est un nom ancien, qui se trouve, par exemple, dans le Zend-
avesta. Il admet pour la Lentille plusieurs noms sanscrits, Ma*
surtty Benuka^ Mangalya^ etc., tandis que les botanistes anglo-
indiens, Roxburgh et Fiddington, n'en connaissaient aucun '.
Gomme ceux-ci mentionnent un nom analogue hindustani et
bengali, Mussour^ on peut croire que Masura exprime bien la
Lentille, tandis que Mangu des Persans rappelle l'autre nom,
Mangalya. Roxburgh et Piddington ne donnant aucun nom dans
les autres langues de llnde, on peut présumer que la lentille
n'était pas connue dans ce pays avant l'arrivée du peuple de
langue sanscrite. Il n'est pas question de l'espèce dans les anciens
ouvrages chinois; du moins, le D"" Bretschneider n'en parle ni
dans son opuscule de 1870, ni dans les lettres plus détaillées
qu'il m'a écrites récemment.
En résumé, la lentille parait avoir existé dans TAsie occidentale
tempérée, en Grèce et en Italie quand les hommes ont eu lldée
de la cultiver , dans un temps préhistorique très ancien, et
l'ont portée en Egypte. La culture paraît s être étendue, à une
époque moins reculée, mais à peine historique, à l'ouest et à
l'est, c'est-à-dire en Europe et dans l'Inde.
Pois chiche. — Cicer anetinum, Linné.
On connaît quinze espèces du genre Cicer, qui sont toutes de
l'Asie occidentale ou ae la Grèce, à l'exception d'une, qui est
d'Abyssinie. La probabilité est donc très grande que l'espèce
cultivée vient des pays entre la Grèce et l'Himalaya, appelés
vaguement l'Orient.
Elle n'a pas été trouvée, d'une manière certaine , dans les
conditions d'une plante spontanée. Toutes les flores du midi de
1. Hehn, Culturpflanzen, etc., éd. 3, voL 2, p. 188.
2. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. !• p. 364;
Hehn, /. c.
3. Heer, Pfianzen d, Pfahlbauteny p. 23, fig. 49.
4. Theophrastes, Hist,, 1. 4, c. 5.
5. Roxburgh. F/, ind,, éd. 1832, v. 3, p. 324 ; PiddlngtOD, Index.
POIS CHICHE 259
l'Europe, d'Egypte et de TAsie occidentale jusqu!à la mer Cas-
pienne et l'Inde en parlent comme d'une espèce cultivée ou des
champs et de terrains cultivés. On Ta indiquée quelquefois * en
Crimée, et au nord et surtout au midi du Caucase, comme à peu
près spontanée; mais les auteurs modernes bien informés ne le
croient pas *. Cette quasi spontanéité peut faire présumer seu-
lement une origine d'Arménie et des pays voisins.
La culture et les noms de l'espèce jetteront peut-être quelque
jour sur la question.
Le Pois chiche était cultivé chez les Grecs, déjà du temps
d'Homère, sons le nom de Erebintkos ^ et aussi de Krios *, à
cause de la ressemblance de la graine avec une tête de bélier.
Les Latins l'appelaient Cieer^ origine des noms modernes dans
le midi de l'Europe. Ce nom existe aussi chez les Albanais, des-
cendants des Pélasges, sous la forme de Kikere ^. L'existence
de noms aussi différents indique une plante très anciennement
connue et peut-être indigène dans le sud-est de l'Europe.
Le Pois chiche n'a pas été trouvé dans les habitations lacustres
de Suisse, Savoie ou Italie. Pour les premières, ce n'est pas sin-
gulier; le climat n'est pas assez chaud.
Un nom commun chez les peuples du midi du Caucase et de
la mer Caspienne est en géorgien iVachuda, en turc et arménien
Nachius^ Naehunt, en persan Nochot *. Les linguistes pourront
dire si c'est un nom très ancien et s'il a quelque rapport avec
le nom sanscrit Chennuka,
Le Pois chiche est si souvent cultivé en Egypte depuis lespre-
miers temps de l'ère chrétienne ' qu'on le suppose avoir été
également connu des anciens Egyptiens. Il n'en existe pas de
preuve dans les figures ou les dépôts de graines de leurs monu-
ments, mais on peut supposer que cette graine, comme la fève
et la lentille, était réputée vulgaire ou impure. Reynier ^ pensait
que le Ketsech, mentionné par Esaïe dans l'Ancien Testament,
était peut-être le pois chiche ; mais on attribue ordinairement ce
nom à la Nielle {Nigella sativa) ou au Vicia sativa^ sans en être
sûr ®. Comme les Arabes appellent le Pois chiche d'un nom tout
différent, Omnos, Homos^ qui se retrouve chez les Kabyles sous
1. Ledebour, FI, ross., 1, p. 661^, d'après Pallas, Falk et C. Koch.
2. Boissier, FI. orient.-, 2, p. 56ty; Steven, Verzeichniss des taurischen Hab-
linseln, p. 134.
3. Iliadey 1. 13, v. 589 ; Theophrastes, Hisi., 1. 8, c. 3.
4. Dioscorides, 1. 2, c. 126.
5. Heldreich, Nutzpflanzen Griechenlands^ p. 71.
6. Nemnich, PolygtotL Lexicon, 1, p. 1037^ Bunge, dans Gœbels Reise,
2, p. 328.
7. Clément d'Alej^andrie, Strom., 1. 1, cité d'après Reynier, Economie des
Egyptiens et Carthaginois, p. 343.
8. Reynier, Economie des Arabes et des Juifs, p. 430.
9. RosenmûUer, Bii)l. Alterth., 1, p. 100; Hamilton, Botanique de la Bible,
p. 180.
260 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
la forme Hammez *, il n'est pas probable que le Ketsech des
Juifs fut la même plante. Ces détails me font soupçonner que
l'espèce était inconnue aux anciens Egyptiens et Israélites.
Elle s'est peut-être répandue chez eux de Grèce ou dltalie,
vers le commencement de notre ère.
L'introduction a été plus ancienne dans l'Inde, car on connaît
un nom sanscrit et plusieurs noms, analogues ou différents,
dans les langues modernes ^. Bretschneider ne mentionne pas
l'espèce en Chine.
Je ne connais aucune preuve de Tancienneté de la culture en
Espagne ; cependant le nom castillan GarbanzOy usité aussi par
les Basques sous la forme Garbantzua et en français sous celle
de Garvance, n'étant ni latin ni arabe, peut remonter à une date
plus ancienne que la conquête romaine.
Les données botaniques, historiques et linguistiques s'accor-
dent à faire présumer une habitation antérieure à la culture
dans les pays au midi du Caucase et au nord de la Perse. Les
Aryens occidentaux (Pélasges, Hellènes) ont peut-être introduit
la plante dans l'Europe méridionale, où cependant il y a quel-
que probabilité qu'elle était également indigène. Les Aryens
orientaux l'ont portée dans l'Inde. La patrie s'étendait peut-être
de la Perse à la Grèce, et maintenant l'espèce n'existe plus que
dans les terrains cultivés, où Ton ne sait pas si elle provient de
pieds originairement sauvages ou de pieds cultivés.
Lupin. — Lupinus albus, Linné.
Les anciens Grecs et Romains cultivaient cette Légumineuse
pour l'enfouir, comme engrais vert, et à cause des graines, qui
sont bonnes pour nourrir les bœufs et dont l'homme fait aussi
usage. Les expressions de Théophraste , Dioscoride , Caton ,
Varron, Pline, etc., citées par les modernes, se rapportent à la
culture ou aux propriétés médicales des graines et n'indiquent
pas s'il s'agissait du Lupin à fleurs blanches (Z. albus] ou de
celui à fleurs bleues (Z. kirsutus)^ qui croît spontanément dans
le midi de l'Europe. D'après Fraas ^ ce dernier est cultivé aujour-
d'hui dans la Morée ; mais M. de Heldreich * dit que dans TAttique
c'est le L. albus. Gomme en Italie on cultive depuis longtemps
celui-ci, il est probable que c'est IcLupin des anciens. On le cul-
tivait beaucoup dans le xvi« siècle, surtout en Italie '^j et de
l'Ecluse constate l'espèce, car il la nomme Lupintis sativus albo
flore ®. L'ancienneté de la culture en Espagne est indiquée par
1. Rauwolf, FI. orient., d. 220; Forska', FU segypt., p. 81; Dictionnaire
français- berbère.
2. Roxburgh, FI. ind., 3, p. 324 ; Piddington, Index^
3. Voir Fraas, FI. class., p. 51 ; Lenz, Bot. dei" Alten, p. 73.
4. Heldreich, Nutzpflanzen Griechenl., p. 69.
5. Olivier de Serres, Théâtre de Vagric.y éd. 1529, p. 88.
6. Clusius, Historia plant., 2, p. 228.
LL'PIN — TERMIS 261
rexistence de quatre noms vulgaires différents, suivant les pro-
vinces ; mais la plante y existe seulement à l'état cultivé ou pres-
que spontané, dans les champs et les endroits sablonneux *.
En Italie, l'espèce a été indiquée, par Bertoloni, sur les collines
de Sarzane. Cependant M. Garuel ne pense pas qu'elle y soit
spontanée, non plus que dans d'autres localités de la pénin-
sule ^. Gussone ^ est très affîrmatif pour la Sicile. Il indique la
plante : « sur les collines arides et sablonneuses, et dans les
prés (in herbidis) ». Enfin Grisebach * Ta trouvée dans la Tur-
quie d'Europe, près de Ruskoï, et d'Urville ^, en abondance,
dans des bois près de Gonstantinople. Castagne le confirme
dans un catalogue manuscrit que je possède. M. Boissier ne cite
aucune localité pour l'Orient ; il n'est pas question de l'espèce
dans l'Inde, mais des botanistes russes l'ont recueillie au midi
du Caucase, sans que l'on sache si c'était bien dans des condi-
tions de spontanéité *. On découvrira peut-être d'autres localités
entre la Sicile, la Macédoine et le Caucase.
Termis. — Lupinus Termis, Forskal.
On cultive beaucoup en Egypte, et même dans l'île de Crète,
cette espèce de Lupin, si voisine du L. albus qu'on a proposé
quelquefois de les réunir '. La différence la plus apparente est
qjue la fleur du Termis est bleue dans sa partie supérieure. La
tige est plus haute que dans le L. albus. On fait usage des grai-
nes, comme de celles du Lupin ordinaire, après les avoir fait
macérer, à cause de leur amertume.
Le L. Termis est spontané dans les sables et sur les collines
en Sicile, en Sardaigne et en Corse ^; en Syrie et en Egypte, sui-
vant M. Boissier ®; mais, selon MM. Schweinfurth et Acherson,
il serait seulement cultivé en Egypte *°. Hartmann l'a vu sau-
vage dans la haute Egypte ".Unger ** l'indique parmi les espèces
cultivées chez les anciens Egyptiens, mais il ne cite ni -échan-
tillon ni figure. Wilkinson *^ se borne à dire qu'on l'a trouvé
dans les tombeaux.
Aucun Lupin n'est cultivé dans l'Inde et n'a de nom en sans-
crit; on en vend des graines dans les bazars sous le nom de
Tourmus (Royle, ///., p. 194).
1. Willkomm et Lange, FL. hisp., 3, p. 466.
2. Caruel, FI. toscana, p. 136.
3. Gussone, Florx siculx synopsis^ éd. 2, vol. 2, p. 266.
4. Grisebach, Spicil. FL rumel., p. 11.
5. D'Urville, Enum.y p. 86.
6. Ledebour, FI. ross,, 1, p. 510.
7. Caruel, FL tosc, p. 136.
8. Gussone, FL sic. syn., 2, p. 267 ; Moris, FL Sardoa, 1, p. 596
9. Boissier, FL orienL, 2, p. 29
10. Schweinfurth et AschersoD, Aufzàhlung^ etc., p. 257.
11. Schweinfurth, Plaiitse nilot. a Hartmann colL, p. 6.
12. Un^er, Pflanzen d. ait. JEgypten., p. 65
13. Wilkinson, Manners and cusioms of ancient Egyptians^ 2, p. 403.
262 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Le nom Terniis ou Termus, des Arabes, est celui du Lupin
des Grecs, Termos, On peut soupçonner que les Grecs Pont reçu
des Egyptiens. L'espèce ayant été connue dans l'ancienne Egypte,
il est assez singulier qu'on ne mentionne aucun nom hébreu *.
Elle a peut-être été introduite en Egypte après l'époque du sé-
jour des Juifs.
Pois des champs. — Pois gris, — Bisaille. — Pisum arvense,
Linné.
Il s'agit ici du Pois que l'on cultive en grand, pour ses grai-
nes, et quelquefois comme fourrage. Bien que son apparence et
ses caractères botaniques permettent de le distinguer assez faci-
lement du Pois des jardins potagers, les auteurs grecs et ro-
mains le confondaient ou ne se sont pas expliqués clairement
à son égard. Leurs ouvrages ne prouvent pas qu'il fût cultivé
de leur temps. On ne Ta pas trouvé dans les lacustres de Suisse,
Savoie et Italie. Une légende de Bobbio, en 930, dit que les
paysans italiens appelaient un grain Herèilia, et l'on a conclu
de là que c'était le nubig lia actuel, soit Pisum sativum des bota-
nistes ^. L'espèce est cultivée en Orient et jusque dans l'Inde
septentrionale ^. Pour ce dernier pays, ce n'est pas une culture
ancienne, car on ne connaît pas de nom sanscrit, et Piddington
cite un seul nom dans une des langues modernes.
O-uoi qu'il en soit de l'introduction de la culture, l'espèce
existe, à l'état bien spontané^ en Italie, non seulement dans
les haies et près des cultures, mais aussi dans des forêts et lieux
incultes des montagnes*. Je ne découvre aucune indication ana-
logue positive dans les flores d'Espagne, d'Algérie, de Grèce et
d'Orient. On a dit la plante indigène dans la Russie méridio-
nale ; mais tantôt la qualité spontanée est très douteuse et tantôt
c'est l'espèce elle-même qui n'est pas certaine, par confusion
avec le Pisum sativum ou le P. elatius, Royle admettait Tindi-
génat dans l'Inde septentrionale, mais il est le seul parmi les
botanistes anglo-indiens.
Pois des jardins, petit Pois.. — Pisum sativum^ Linné.
Le pois de nos jardins potagers est plus délicat que celui des
champs. Il craint la gelée et la sécheresse. Probablement son
habitation naturelle, avant la culture, était plus méridionale et
restreinte.
Le fait est qu'on ne l'a pas encore trouvé dans un état spon-
tané, soit en Europe, soit dans l'Asie occidentale d'où l'on pré-
1. Rosenmûller, Bibl. Alterth,^ vol. 1.
2. Muratori, Antich, ital., 1, p. 347; Diss,, 24; cité par Targioni, Cemii
stoHci, p. 31.
3. Boissier, FL orient.^ 2, p. 623 ; Royle, IlL Himal., p. 200.
4. Bertoloni, FI. ital., 7, p. 419 ; Caruel, FL tosc, p. 184 ; Gaseone,
FI. siculx synopsis, 2, p. 279; Moris, FL sardoa, 1, p. 5T7.
POIS DES JARDINS 363
sume qu'il est sorti. L'indication de Bieberstein pour la Crimée
n'est pas exacte, selon Steven, qui a résidé dans le pays *. Peut-
être les botanistes ont passé à côté de son habitation . Peut-être
la plante a disparu de son lieu d'origine. Peut-être encore elle
n'est qu'une modification du Pisum arvense^ obtenue dans les
cultures . Cette dernière opinion était celle d'Alefeld ', mais ce
qu'il a publié est si bref qu'on ne peut rien en conclure. Cela se
borne à dire qu'ayant cultivé un grand nombre de formes de
pois des champs et des jardins, il a jugé qu'elles appartiennent
à la même espèce. Darwin ' avait appris, par un intermédiaire,
que André Knight avait croisé le Pois des champs avec un
Pois de jardin appelé Pois de Prusse, et que les produits avaient
paru complètement fertiles. Ce serait bien une preuve de l'unité
spécifique, mais il faudrait pourtant plus d'observations et plus
d'expériences. Provisoirement, dans cette recherche des origines
géographiques, je suis obligé de considérer les deux formes
séparément, et dans ce but j'examinerai la question du Pisum
sativum des jardins.
Les botanistes qui distinguent beaucoup d'espèces dans • le
genre Pisum, en admettent huit, qui sont toutes d'Europe ou
d'Asie.
Le Pisum sativum était cultivé chez les Grecs, du temps de
Théophraste *. Ils l'appelaient Pisos ou Pison. Les Albanais,
descendants des Pelasges, l'appellent Pizelle *. Les Latins di-
saient Pisum ®. Cette uniformité de nomenclature fait supposer
que les Aryens arrivés en Grèce et en Italie connaissaient la
plante et l'avaient peut-être apportée avec eux. Les autres lan-
gues d'origine aryenne présentent plusieurs mots pour le sens
générique de Pois; mais il est évident, d'après la savante dis-
sertation d'Adolphe Pictet ''j qu'on ne saurait appliquer aucun
de ces noms au Pisum sativum en particulier. Même quand une
des langues modernes, slave ou bretonne, a limité le sens au
Pois des jardins, il est très possible que jadis, à l'origine de
ces langues, le mot ait signifié Pois des champs ou Lentille ou
quelque autre Légumineuse.
On a retrouvé le petit Pois ® dans les restes des habitations
lacustres de Tâge de bronze, en Suisse et en ^avoie. La graine
est sphérique, en quoi l'espèce diffère du Pisum arvense. Elle
est plus petite que celle de nos Pois actuels. M. Heer dit l'avoir
1. Steven, Verzeichniss^ p. 134.
2. Alefeld, Botanische Zeitung, 1860, p. 204.
3. Darwin, Variations of animais and plants under domestication, p. 326.
4. Theophrastes, Hist., 1. 8, c. 3, 5.
5. Heldreich, Nutzpflanzen Griechenlands, p. 71.
6. Pline, Hist.^ 1. 18, c. 7, 12. Il s'a^git bien du Pisum sativum, car l'au-
teur dit qu'il supporte très mal le froid.
7. Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 359.
8. Heer, Pflanzen der Pfahlbauten, 23, flg; 48 ; Perrin, Etudes préhvttoriq.
sur la Savoie, p. 22.
264 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
vue aussi de l'âge de la pierre, à Moosseedorf ; mais il est moins
affirmatif et ne donne des figures que du Pois moins ancien de
Tîle de Saint-Pierre. Si l'espèce remonte à l'âge de pierre en
Suisse, ce serait une raison de la regarder comme antérieure
aux peuples aryens.
Il n'y a pas d'indication de culture du Pisum sativum dans
l'ancienne Egypte ou chez les Hébreux. Au contraire, il a été
cultivé depuis longtemps dans l'Inde septentrionale, s'il avait,
comme le dit Piddington, un nom sanscrit, Harenso, et s'il est
désigné par plusieurs noms, très différents de celui-ci, dans les
langues indiennes actuelles *. On l'a introduit en Chine de l'Asie
occidentale. Le Pent-sao, rédigé à la fin du xvi* siècle de notre
ère, le nomme Poïs mahométan ^.
En résumé, l'espèce paraît avoir existé dans l'Asie occidentale,
peut-être du midi du Caucase à la Perse, avant d'être cultivée.
Les peuples aryens l'auraient introduite en Europe, mais elle
était peut-être dans l'Inde septentrionale avant l'arrivée des
Aryens orientaux.
Elle n'existe peut être plus à l'état spontané, et quand elle
s'offre dans les champs, quasi spontanée, on ne dit pas qu'elle
ait une forme modifiée qui se rapproche des autres espèces.
Soja. — Dolichos Soja^ Linné. — Glycine Soja, Bentham.
La culture de cette Légumineuse annuelle remonte, en Chine
et au Japon, à une antiquité reculée. On pouvait le présumer
d'après la multitude des emplois de la graine et le nombre im-
mense des variétés. Mais, en outre, on estime que c'est un des
farineux nommés Sku dans les ouvrages chinois contemporains
de Confucius, quoique le nom moderne de la plante soit la-tou '.
Les graines sont à la fois nutritives et fortement oléagineuses»
ce qui permet d'en tirer des préparations analogues au beurre,
à l'huile et au fromage dans la cuisine japonaise et chinoise *.
Le Soja est cultivé aussi dans l'archipel indien, mais à la fin du
xvii® siècle il était encore rare à Amboine^, etForster ne l'avait
pas vu dans les îles de la mer Pacifique, lors du voyage de
Cook. Dans l'Inde, il doit être d'une introduction moderne, car
Roxburgh n'avait vu la plante qu'au jardin botanique de Cal-
cutta, où elle provenait des Moluques ®. On ne connaît pas de
noms vulgaires indiens ^. D'ailleurs si la culture était ancienne
1. Piddington, Index. Roxburgb ne parle pas d'un nom sanscrit.
2. Bretscnneider, Study and value of chinese botanical works, p. 16.
3. Bretschneider, i/>îV/., p. 9.
4. Voir Pailleux, dans le Bullelin de la Société d'acclimatation, sept, et
oct. 1880.
5. Rumphius, Amb., vol. 5, p. 388.
6. Roxburgh, Flora indica, 3, p. 314.
1, Piddington, Index.
SOJA 265
dans rinde, elle se serait propagée vers Touest, en Syrie et en
Egypte, ce qui n'est pas arrivé.
Kaempfer * avait publié jadis une excellente figure du Soja, et
on le semait depuis un siècle dans les jardins botaniques d'Eu-
rope, lorsque des renseignements plus nombreux sur la Chine et
le Japon suscitèrent, il y a une dizaine d^années, un zèle extraor-
dinaire pour l'introduire dans nos pays. C'est surtout dans
r Autriche-Hongrie et en France que des essais ont été faits en
grand et qu'on les a résumés dans des ouvrages très dignes
d'être consultés '. Faisons des vœux pour que le succès réponde
à ces efforts, mais nous ne devons pas nous écarter du but de
nos recherches. Occupons-nons donc ici de l'origine probable
de l'espèce.
Linné a dit dans son Species : « Habitat in India ; » après quoi
il renvoie à Kaempfer, qui a parlé des plantes du Japon, et à sa
propre flore de Ceylan, où 1 on voit que la plante était cultivée
dans cette île. La flore moderne de Ceylan, par Thwaites, n'en
fait aucune mention. Evidemment il faut avancer vers l'Asie
orientale pour trouver l'origine à la fois de la culture et de
l'espèce. Loureiro dit qu'elle habite en Cochinchine et qu'on la
cultive souvent en Chine ^. Je ne vois pas de preuve qu'on l'ait
trouvée sauvage dans ce dernier pays, mais on l'y découvrira
peut-être, vu l'ancienneté de la culture. Les botanistes russes *
ne l'ont rencontrée dans le nord de la Chine et vers le fleuve
Amour qu'à l'état de plante cultivée. Elle est certainement
spontanée au Japon ^. Enfin, Junghuhn ^ l'a récollée à Java sur
le mont Gunung-Gamping, et l'on rapporte à la même espèce
une plante envoyée aussi de Java par Zollinger, sans qu'on
sache si elle était vraiment spontanée \ Un nom malais, Ka-
delee ^, tout à fait différent des noms vulgaires japonais et chi-
nois, appuie l'indigénat à Java.
En résumé, d'après les faits connus et les probabilités histo-
riques et linguistiques, le Soja était spontané de la Cochin-
chme au Japon méridional et à Java lorsque d'anciens habi-
tants, à une époque très reculée, se sont mis à le cultiver, à
l'employer de différentes manières pour leur nourriture, et en
ont obtenu des variétés, dont le nombre est remarquable, sur-
tout au Japon.
i. Kœmpfer, Amœn. exot,, p. 837, pi. 838.
2. Haberlandt, Die Sojabohne, m-8% Vienne, 1878, extrait en français par
M. Pailleux, l. c.
3. Loureiro, FI. coch., 2. p. 538.
4. Bunge, Ënum. plant. Chin., n" 118; Maximowicz, Primitif fl. Amui\,
p. 87
5. Miquel, Prolusio, dans Ann. Mus. Lugd.-Bat., 3, p. 52; Franchet et
Savatier, Enum. plant. Jap., 1, p. 108.
6. Junghuhn, Plantœ Jungh., p. 255.
7. Le Soja angustifblia, Miquel; voir Hooker, Fl. brit. Ind.^ 2, p. 184.
8. Rumphius, l. c.
266 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Cajan. — Cajanus indiens^ Sprengel. — Cytisus Cajan,
Linné.
Cette Légumineuse, très souvent cultivée dans les pays tropi-
caux, est de la nature des arbustes; mais elle fructifie dès
la première année, et dans quelques pays on aime mieux la cul-
tiver comme une plante annuelle. Ses graines sont. un article im-
{)ortant de la nourriture des nègres ou des indigènes, tandis que
es colons européens ne les recherchent guère, si ce n'est pour
les manger avant maturité, comme nos petits pois.
La plante se naturalise avec une grande f acuité dans de mau-
vais terrains, hors des cultures, même aux Antilles, d'où elle
n'est certainement pas originaire *.
A l'île Maurice, elle se nomme Ambrevade; dans les colonies
anglaises, Doll^ 'Pigeon-Pea, et dans les Antilles anglaises ou
françaises, Pois d'Angola^ Pois de Congo ^ Pois pigeon.
Chose singulière, pour une espèce répandue dans les trois
continents, les variétés ne sont pas nombreuses. On en signale
deux, basées uniquement sur la couleur jaune ou teintée de
rouge dés fleurs, qui ont été regardées quelquefois comme des
espèces distinctes, mais que des observations plus attentives
ramènent à une seule, conformément à l'opinion de Linné *. Le
petit nombre des variations obtenues, même dans l'organe pour
lequel on. cultive l'espèce, est un indice de culture pas très an-
cienne. C'est cependant ce qu'il faut chercher, car l'habitation
préculturale est incertaine. Les meilleurs botanistes ont sup-
posé tantôt llnde et tantôt l'Afrique in ter tropicale. M. Bentham,
qui a beaucoup étudié les Légumineuses, croyait en 1861 à
l'origine africaine, et en 1865 il inclinait plutôt vers Torigine
asiatique '. Le problème est donc assez intéressant.
Et d'abord il ne peut pas être question d'une origine améri-
caine. Le Cajan a été introduit aux Antilles de la côte d'Afrique
par la traite des nègres, comme l'indiquent les noms vulgaires
déjà cités * et l'opinion unanime des auteurs de flores améri-
caines. On l'a porté également au Brésil, à la Guyane et dans
toutes les régions chaudes du continent américain.
La facilité avec laquelle cet arbuste se naturalise empêcherait,
à elle seule, d'accorder beaucoup de poids au dire dfes collec-
teurs, qui l'ont trouvé plus ou moins spontané en Asie ou en
Afrique, et de plus ces assertions ne sont pas précises. Généra-
lement elles sont accompagnées de doutes. La plapart des
1. De Tussac, Flore des Antilles^ vol. 4, p. 94, pi. 32; Grisebach, FI, of
hrit. w, Ind., 1, p. 191.
2. Voir sur cette question Wight et Àmott, Prodr, ft. penins, tnd.,
p. 256; Klotzsch, dans Peters, Reise nach Mozambique, 1, p. 36. La variété
à fleur jaune est figurée dans Tussac, /. c; celle a fleur colorée de rouge,
dans le Botanical registei% 1845, pi. 31.
3. Bentham, Flo7'a Hongkongensis^ p. 89 ; Flora àrasil,, vol. 15, p. 199*
Bentham et Hooker, Gen,^ I, p. 541. . '
4. De Tussac, Flore des Antilles; Jacquin, Oôs,, p. 1.
CAJAN 267
anteurs de flores de Tlnde continentale n'ont vu la plante qu'à
l'état cultivé *. Aucun, à ma connaissance, n'affirme la qualité
spontanée. Pour Tîle de Ceylan, Thwaites ^ s'exprime cdnsi :
« On dit qu'elle n'est pas réellement sauvage, et les noms du
pays paraissent le confirmer. » Sir Jos. Hooker, dans sa flore
de l'Inde anglaise, dit : « Sauvage ? et cultivée jusqu'à 6000 pieds
dans l'Himalaya. » Loureiro * l'indique cultivée et non cul-
tivée « en Gochinchine et en Chine. » Les auteurs chinois ne
paraissent pas en avoir parlé, car l'espèce n'est pas nommée
dans l'opuscule du D^ Bretschneider, On study^ etc. Dans les îles
de la Sonde, elle est mentionnée comme cultivée, et même assez
rarement à Amboine, à la fin du dix-septième siècle, d'après
Rumphius *. Forster ne l'avait pas vue dans les îles de la mer
Paeinque lors du voyage de Ciook, mais Seemam nous apprend
que les missionnaires l'ont introduite depuis peu dans les jar-
dins des îles Fidji ^. Tout cela fait présumer une extension peu
ancienne de la culture à l'est et au midi du continent asiatique.
Outre la citation de Loureiro, je vois qu'on indique l'espèce sur
la montagne de Magelang, de l'île de Java ^; mais, en supposant
tme véritable et ancienne spontanéité dans ces deux cas, il serait
bien extraordinaire qu'on ne trouvât pas également l'espèce
dans beaucoup d'autres localités asiatiques.
L'abondance des noms indiens et malais ^ montre une culture
assez ancienne. Piddington indique même un nom sanscrit,
ArkukUy que Roxburgh ne connaissait pas, mais il ne donne au-
cune preuve à l'appui de son assertion. Le nom peut avoir été
simplement supposé, d'après les noms hindou et bengali iJrur et
Oral. On ne connaît pas de nom sémitique.
Bq Afrique^ le Cajan est signalé souvent de Zanzibar à la côte
de Guinée ®. Les auteurs le disent cultivé, ou ne s'expliquent pas
à cet égard, ce qui semble indiquer des échantillons quelque-
fois spontanés. En Egypte, la culture est toute moderne, du
xix« siècle '.
En résumé, je doute que l'espèce soit vraiment spontanée en
Asie et qu'elle s'y trouve depuis plus de 3000 ans. Si les anciens
peuples l'avaient connue, elle serait arrivée à la connaissance des
Arabes et des Egyptiens avant notre époque. Au contraire, dans
l'Afrique équatoriale, il est possible qu'elle existe, sauvage ou
cultivée, depuis un temps très long, et qu^elle soit arrivée en
1. Rheede, Roxburgh, Knrz, Burm. flora, etc.
2. Thwaites, Enum. plant. Ceylan.
3. Loureiro, FI. cochinch., p. 565.
4. Rumphius, Amb.^ toI. 5, t. 135.
5. Seemann, Flora Vitiensis^ p. 74.
6. Junffhuhn, Plantx Jungh., fasc. 1, p. 241.
7. Pidaington, Index ; Rheede, Malab., 6, p. 23 ; etc.
8. Pickering, Chronol. arrangement of plants, p. 442; Petere, Reise, p. 36;
R. Brown, Bot. of Congo y p. 53 ; Oliver, Flora of tropical AfHca, 2, p. 216.
9. Bulletin de la Soc. d'acclimatation, 1871, p. 663.
268 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAIiNES
Asie par d'anciens voyageurs faisant le trafic de Zanzibar à
rinde et Geylan. . .
Le genre Gajanus n'a qu'une espèce, de sorte qu'on ne peut
invoquer aucune analogie de distribution géographique pour le
croire d'Asie plutôt que d'Afrique, ou vice versa.
Caroubier *. — Ceratonia Siliqua^ Linné.
On sait à quel point les fruits ou légumes du Caroubier sont
recherchés dans les parties chaudes de la région de la mer Médi-
terranée, pour la nourriture des animaux et même de l'homme.
De Gasparin ^ a donné des détails intéressants sur le traitement,
les emplois et l'habitation de l'espèce, envisagée comme arbre
cultivé. Il note qu'elle ne dépasse pas au nord la limite où l'on
peut avoir l'oranger sans abri. Ge bel arbre, à feuilles persis-
tantes, ne s'accommode pas non plus des pays très chauds, sur-
tout quand ils sont humides. Il aime le voisinage de la mer
et les terrains rocailleux. Sa patrie, d'après de Gasparin, est
« probablement le centre de l'Afrique. Denham et Glapperton,
dit-il, l'ont trouvé dans le Bournou. » Gette preuve me paraît
insuffisante, car, dans toute la région du Nil et en Abyssinie, le
Garoubier n'est pas sauvage ou même n'est pas cultivé '.
R. Brown n'en parle pas dans son mémoire sur les plantes du
voyage de Denham et Glapperton. Plusieurs voyageurs l'ont vu
dans les forêts de la Gyrénaïque, entre le littoral et le plateau;
mais les habiles botanistes qui ont dressé le catalogue des
plantes de ce pays ont eu soin de dire * : « Peut-être indigène. »
La plupart des botanistes se sont contentés de mentionner l'es-
pèce dans le centre et le midi de la région méditerranéenne,
depuis le Maroc et l'Espagne jusqu'à la Syrie et l'Anatolie, sans
scruter beaucoup si elle est indigène ou cultivée, et sans abor-
der la question de la véritable patrie, antérieure à la culture.
Ordinairement, ils indiquent le Garoubier comme « cultivé et
subspontané ou presque naturalisé ». Cependant il est donné
pour spontané en Grèce, par M. de Heldreich; en Sicile, par
Gussone et Bianca; en Algérie, par Munby ^, et je cite là des
auteurs qui ont vécu assez dans ces divers pays pour se former
une opinion vraiment éclairéfe.
M. Bianca remarque cependant que le Garoubier n'est pas
toujours vigoureux et productif dans les localités assez res-
1. Enuméré ici pour ne pas le séparer d'autres légumineuses cultivées
pour les graines seulement.
2. De Gasparin, Cours d'agriculture, 4, p. 328 .
3. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhtung, p. 255 ; Richard, Tentamen
florœ ahyasinicsB .
4. Ascnerson, etc., dans Rohls, Kufra, 1, vol. in-8% 1881, p. 519.
5. Heldreich, Nutzpflanzen Griechenlands, p. 73, Die Pfianzen der atti-
schen Ebene , p. 477; Gussone, Synopsis fl, siculse ^ p. 646; Bianca, //
CarrubOj dans Giornale d'agricoltura italiana, 1881 ; Munby, Catal. pi. in
Alger, spont., p. 13.
CAROUBIER 269
treintes où il existe en Sicile, dans les petites îles adjacentes et
sur la côte d'Italie. Il s'appuie, en outre, sur le nom italien
Carrubo, presque semblable au nom arabe, pour émettre Tidée
d'une introduction ancienne dans le midi de lEurope, l'es-
pèce étant originaire plutôt de Syrie ou de l'Afrique sep-
tentrionale. A cette occasion, il soutient, comme probable,
l'opinion de Hœfer et de Bonne *, d'après laquelle le Lotos des
Lotophages était le Caroubier, dont la fleur est sucrée et le fruit
d'un goût de miel, conformément aux expressions d'Homère.
Les Lotophages habitant la Cyrénaïque, le Caroubier devait
croître en masse dans leur pays. Pour admettre cette hypo-
thèse, il faut croire qu'Hérodote et Pline n'ont pas connu la
plante d'Homère, car le premier a décrit le Lotos comme ayant
une baie de Lentisque et le second comme un arbre qui perd
ses feuilles en hiver 2.
Une hypothèse sur une plante douteuse dont a parlé jadis un
poète ne peut guère servir de point d'appui dans un raisonne-
ment sur des faits d'histoire naturelle. Après tout, le Lotos d'Ho-
mère était peut-être... dans le jardin fantastique des Hespé-
rides. Je reviens à des arguments d'un genre plus sérieux, dont
M. Bianca a touché quelques mots.
Le Caroubier est désigné dans les langues plus ou moins
anciennes par deux noms : l'un grec, Keraunia ou Kerateia ^;
l'autre arabe, Chimub ou Charûb. Le premier exprime la forme
du légume, analogue à certaines cornes médiocrement recour-
bées. Le second signifie un fruit allongé (légume), car on voit
dans l'ouvrage de Ebn Baithar * que quatre autres Légumineuses
sont désignées par ce même nom, avec une épithète. Les Latins
n'avaient pas de nom spécial pour le Caroubier. Ils se servaient
du mot grec, on de l'expression Siliquay Siliqua graeca^ c'est-à-
dire fruit allongé de Grèce ^. Cette pénurie de noms est l'indice
d'une habitation jadis restreinte et d'une culture qui ne remonte
probablement pas à des temps préhistoriques. Le nom grec s'est
conservé en Grèce. Le nom arabe existe aujourd'hui chez les
Kabyles, qui disent Kharroub pour le fruit, Takharrout pour
l'arbre ®, comme les Espagnols disent Alaarrobo, Chose singu-
lière, les Italiens ont pris aussi le nom arabe, Currabo, Carubio,
d'où vient notre nom français Caroubier, Il semble qu'une intro-
duction se serait faite, par les Arabes, dans le moyen âge,
1. Hœfer, Histoire de la botanique, de la minéralogie et de la géologie ^
i vol. in-12, p. 20; Bonne, Le Caroubier ou l'arbre des Lotophages,
Alger, 1869 (cité d'après Hœfer). Voir, ci-dessus, i'article du Jujubier.
2. Pline, Hist., 1. 16, c. 30.
3. Théophraste, Hist, plant,, 1. 1, c. 11; Dioscorides, 1. 1, c. 155 ; Fraas,
Syn.fl, class., p. 65
4. Ebn Baithar, trad. allem., 1, p. 354; Forskal, Flora œgypt., p. 77.
5. Columna, cité dans Lenz. Bot. der Alten Griech. una Rœm., p. 733 ;
Pline, Hist,, 1. 13, c. 8.
6. Dict. finançais-berbère, au mot Caroube.
270 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
depuis Tépoque romaine, où Ton employait un nom différent.
Ces détails appuient l'idée de M. Bianca d'une origine plus
méridionale que la Sicile. D'après Pline, l'espèce était de Syrie,
lonie, Gnide et Rhode, mais il ne dit pas si dans ces localités elle
était sauvage ou cultivée.
Selon le même auteur, le Caroubier n'existait pas en Egypte.
On a cru cependant le reconnaître dans des monuments lûen
antérieurs à l'époque de Pline, et même des égyptologaes lui
ont attribué deux noms égyptiens, Kontrates ou Jiri *. Lepâiis
a donné la figure d'un légume qui paraît bien une caroube, et
lé botaniste Kotschy ayant rapporté une canne, sortie d'un
cercueil, s'est assuré, par l'observation au microscope, qu'elle
est de bois de Caroubier ^. On ne connsût aucun nom bébreii
de cette espèce, dont l'Ancien Testament ne parle pas. Le Nou-
veau en fait mention, avec le nom grec, dans la parabole de
l'enfant prodigue. La tradition des chrétiens d'Orient porte que
saint Jean se serait nourri de Caroubes dans le désert, et c'est
de là que dans le moyen âge on a tiré des noms, comme Pain de
Saint-^ean, et Johannis èrodbaum, pour le Caroubier.
Evidemment, cet arbre a pris de l'importance au commence-
ment de l'ère chrétienne, et ce sont les Arabes qui l'ont aurtoal
propagé vers l'Occident. S'il avait existé antérieurement en
Algérie, chez les Berbères, et en Espagne, on aurait conaenrè
des noms antérieurs à l'arabe, et l'espèce aurait probablement
été introduite aux Canaries par les Phéniciens.
Je résume l'ensemble des données comme suit :
Le Caroubier était spontané à l'orient de la mer Méditerranée,
probablement sur la côte méridionale d'Anatolie et en Syrie,
peut-être aussi dans la Cyrénaïque. Sa culture a commencé depuis
les temps historiques. Les Grecs l'ont étendue dans leur pays et
en Italie ; mais plus tard les Arabes s'en sont occupés davantage
et l'ont propagée jusqu'au Maroc et en Espagne. Dans tous ces
pays, l'espèce s'est naturalisée çà et là, sous une forme moins pro-
ductive, qu'on est obligé de greffer pour avoir de meilleurs fruits.
Jusqu'à présent, on n'a pas trouvé le Caroubier fossile dans les
tufs et dépôts quaternaires de l'Europe méridionale. Il est seul
de son espèce, dans le genre Ceratonia, qui est assez exeep-
tionnel parmi les Légumineuses, surtout en Europe. Rien ne
peut faire supposer qu'il ait existé dans les anciennes flores ter-
tiaires ou quaternaires du sud-ouest de l'Europe.
Haricot commun. — Phaseolm vulgaris Savi.
Lorsque j'ai voulu m'occuper, en 1855 ^, de l'origine des Pha^
1. Lexicon oxon., cité dans Pickering, Chronological hùt. ofpUmts, p. I4i.
2. Le dessin est reproduit dans Unser, Pflanzen des alien ^gjmUm,
flg. 22. L'observation qu'il cite de Kotschy aurait besoin d*ètre confirmée
par un anatomiste spécial.
3. A. de Cundolle. Géogr, bot, raisonnée, p. 961.
HARICOT COMMUN S71
seolus et Dolichos, la distinction des espèces était si peu avancée
et les flores de pays tropicaux si rares que j'avais dû laisser de
côté plusieurs questions. Aujourd'hui, grâce à'des mémoires de
M. Bentham et de M.: George von Martens * complétant ceux anté-
rieurs de Savi ^, les Légumineuses des pays chauds sont mieux
connues ; enfin tout récemment des graines tirées des tombeaux
péruviens d'Ancon, examinées par M. Wittmack, ont modifié
complètement le problème des origines.
Voyons d'abord ce qui concerne le Haricot commun. Je par-
lerai ensuite d'autres espèces, sans énumérer toutes celles qui se
cultivent, car plusieurs d'entre elles sont encore mal définies.
Les botanistes ont cru pendant longtemps que le Haricot com-
mum était originaire de l'Inde. Personne ne l'avait trouvé sau-
vage, ce qui est encore le cas actuellement; et l'on s'était figuré
une origine indienne, quoique l'espèce fût cultivée aussi en
Afrique et en Amérique dans les régions tempérées ou chaudes,
du moins dans celles qui ne sont pas d'une chaleur excessive et
humide. Je fis remarquer qu'elle n'a pas de nom sanscrit et aue
fes jardiniers du xvi® siècle appelaient souvent le Haricot ^ve
turque. Persuadé en outre, comme tout le monde, que les Grecs
avaient cultivé cette plante, sous les noms deFasiolosei Dolichos^
j'émis l'hypothèse qu'elle était originaire de l'Asie occidentale,
ûon de l'Inde. George de Martens adopta cette manière de voir.
Il s'en faut de beaucoup cependant que les mots Dolichos de
Théophraste , Fasiolos de Dioscoride, raseolus et Pkasiolus des
Romains ^ soient assez définis dans les textes pour qu'on puisse
les attribuer avec sûreté au Phaseolus vulgans. Plusieurs Légu-
mineuses cultivées se soutiennent par les vrilles dont parlent les
auteurs et présentent des gousses et des graines qui se ressem-
blent. Le njeilleur argument pour traduire ces noms par Pha-
seolus vulgans est que les Grecs actuels et les Italiens ont des
mots dérivés de Fasiolos pour notre haricot commun. Les Grecs
modernes disent Fasotdia et les Albanais (Pélasges ?) Fasulé; les
Italiens Fagiolo. On peut craindre pourtant une transposition de
nom d'une espèce de Pois, de Vesce, de Gesse ou d'un Haricot
anciennement cultivé au Haricot commun actuel. Il faut être
assez hardi pour déterminer une espèce de Phaseolus d'après
une ou deux épithètes dans un auteur ancien, quand on voit la
peine que donne la distinction des espèces aux botanistes mo-
dernes avec les plantes mêmes sous les yeux. On a voulu cepen-
dant préciser que le Dolichos de Théophraste était notre haricot
à rames, et le Fasiolos le haricot nain de nos cultures, qui cons-
«
1. Bentham, dans Ann. wiener Muséum, vol. 2; Martens (George von),
ùie Gartenbohnen, m-4o, Stuttgard, 1860 ; éd. 2, 1869.
2. Savi, Osserv. sopra Phaseolus i DqlichoSf 1, 2, 3.
3. Théophraste, Histy 1. 8, c. 3; Dioscorides, 1. 2, c. 130; Pline, Hist.y
1. 18, c. 7, 12, interprétés par Fraas, Synopsis fl, class,, p. 52 ; Lenz,
Botanik d. alten Griecnen und Rœmer, p. 731 ; Mertens, /. c, p. 1.
272 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
tituenl les deux races actuelles principales du Haricot commun,
avec une immense quantité de sous-races quant aux gousses et
aux graines. Je me contenterai de dire ; C'est probable.
Si le Haricot commun est arrivé jadis en Grèce, il n'a pas été
une des premières introductions, car le Faseolus n'était pas en-
core à Rome du temps de Gaton, et c'est seulement au com-
mencement de l'empire que les auteurs latins en ont parlé.
M. Virchow a rapporté des fouilles faites à Troie plusieurs
graines de Légumineuses, que M. Wittmack * certifie être les es-
pèces suivantes : Fève {Faba vulgaris), Pois des jardins {Pisum
sativum), Ers [Ervum Ervilia), et peut-être Jarosse? [Lathyrm
Cicera), mais aucun Haricot. De même, dans les habitations des
anciens lacustres de Suisse, Savoie, Autriche et Italie, on n'a
pas encore trouvé le Haricot.
Il n'y a pas non plus de preuves ou d'indices de son existence
dans l'ancienne Egypte. On ne connaît pas de nom hébreu répon-
dant à ceux de Dolichos ou Phaseolus des botanistes. Un nom
moins ancien, car il est arabe, Loubia^ se trouve en Egypte,
pour le Dolichos Lubia^ et en hindoustani, sous la forme Loba^
pour le Phaseolus vulgaris ^. Quant à cette dernière espèce, Pid-
dington n'indique dans les langues modernes de l'Inde que deux
noms, tous deux hindoustanis , Loba et Bakla, Geci, joint à
l'absence de nom sanscrit, fait présumer une introduction peu
ancienne dans l'Asie méridionale. Les auteurs chinois ne men-
tionnent pas le Haricot commun {Ph, vulgaris) ', nouvel indice
d'une introduction peu ancienne aans Tlnde , et aussi en Bac-
triane, d'où les Ghinois ont tiré des légumes dès le ii« siècle
avant notre ère.
Toutes ces circonstances me font douter que l'espèce ait été
connue en Asie avant l'ère chrétienne. L'argument des noms
grçc moderne et italien pour le Haricot, conformes à Fasiolos^ a
besoin d'être appuyé de quelque manière. On peut dire en sa fa-
veur qu'il a été employé dans le moyen âge, probablement pour
le Haricot commun. Dans la liste des légumes que Gharlemagne
ordonnait de semer dans ses fermes, on trouve le Fasiolum *,
sans explication. Albert le Grand décrit sous le nom de Faseolus
une Légumineuse qui parait être le Haricot nain de notre époaue •.
Je remarque d'un autre côté que des auteurs du xv® siècle ne
parlent d'aucun Faseolus ou nom analogue. G'est le cas de Pierre
1. Wittmack, Bot. Vereins Brandenb., 19 déc. 1879.
2. Delile, Plantes cultivées en E^ypte^ p. 14 ; Piddington, Index,
3. Bretschneider n'en fait mentioa ni dans son opuscule On study, etc»,
ni dans les lettres au'il m'a adressées.
4. E. Meyer, Gescnichte der Botanik^ 3, p. 404.
5. u Faseolus est species leguminis et grani, guod est in quantîtate pamm
minus quam Faba, et in figura est columnare sicut faba, et herba ejus minor
est aliquantulum quam herba Fabse. Et sunt faseoli multorum colomm,
sed quodlibet granorum habet maculam nigram in loco cotyledonis. •
(Jessen, Alberti Magni, De vegetabilibuSf éd. critica, p. 515.)
HARICOT COMMUN 273
Grescenzio * etMacer Floridus*. Au contraire, après la découverte
de l'Amérique, dès le xyi« siècle, tous les auteurs publient des
figures et des descriptions du Phaseolus vulgaris, avec une infi-
nité de variétés.
Il est douteux que sa culture soit très ancienne dans l'Afrique
tropicale. Elle y est indiquée moins souvent que celle d'autres
espèces des genres Dolichos et Phaseolus.
Personne ne songeait à chercher l'origine du Haricot commun
en Amérique, lorsque tout récemment des découvertes singulières
ont été faites de fruits et de graines dans les tombeaux péruviens
d'Ancon, près de Lima. M. de Rochebrune ' a publié une liste
des espèces de diverses familles d'après une collection de MM. de
Gessac et L. Savatier. Dans le nombre se trouvent trois Haricots,
dont aucun, selon l'auteur, n'est le Phaseolus vulgaris; mais
M. Wittmack *, qui a étudié les Légumineuses rapportées de
ces mêmes tombeaux par les voyageurs Reiss et Stubel, dit avoir
constaté la présence de plusieurs variétés du Haricot commun,
parmi d'autres graines appartenant au Phaseolus lunatuslAnné,
Il les a identifiées avec les variétés du/^A. vulgaris appelées par
les botanistes oblongus purpureus (Martens) , ellipticus prœcox
(Alefeld) et ellipticus atrofuscus (Alefeld), qui sont de la catégo-
rie des Haricots nains ou sans rames.
II n'est pas certain que les sépultures en question soient toutes
antérieures à l'arrivée des Espagnols. L'ouvrage de MM. Reiss
et Stubel, actuellement sous presse, donnera peut-être des expli-
cations à cet égard; mais M. Wittmack admet, d'après eux,
qu'une partie des tombeaux n'est pas ancienne. Je suis frappé
cependant d'un fait qui n'a pas été remarqué. Les cinquante
espèces de la liste de M. Rochebrune sont toutes américaines.
Je n'en vois pas une seule qu'on puisse soupçonner d'origine
européenne. Evidemment, ou ces plantes et graines ont été dépo-
sées avant la conquête, ou dans certains tombeaux, qui sont peut-
être d'une époque subséquente, les habitants ont eu soin de ne
pas mettre des espèces d'origine étrangère. C'était assez natu-
rel, selon leurs idées, puisque l'usage de ces dépôts de plantes
n'est pas venu de la religion catholique, mais remonte aux cou-
tumes et opinions des indigènes. La présence du Haricot commun
parmi ces plantes uniquement américaines me parait donc signi-
ficative, quelle que soit la date des tombeaux.
On peut objecter que des graines sont insuffisantes pour déter-
miner l'espèce d'un Phaseolus, et qu'on cultivait dans l'Amé-
1. P. Crescens, traduction française de 1539.
2. Macer Fioridus, éd. 1485, et commentaire par Ghoulànt, 1832.
3. De Rochebrune, Actes de la Société linnéenne de Bordeaux, vol. 33,
janvier 1880, dont j'ai vu l'analyse dans Botanisches Centralblatt. 1880,
p. 1633.
4. Wittmack, Sitzungsbericht des bot. Vereins Brandenburg, 19 déc. 1879,
et lettre particulière de lui .
De Gandolle. 18
274 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
rique méridionale, avant l'arrivée des Espagnols, plusieurs
plantes de ce genre, qui ne sont pas encore bien connues.
Molina * parle de treize ou quatorze espèces {ou /variétés?) cul-
tivées jadis, au Chili seulement.
M. Wittmack insiste sur Temploi fréquent et ancien des
Haricots dans divers pays de l'Amérique méridionale. Cela prouve
au moins que plusieurs espèces y étaient indigènes et cultivées.
Il cite le témoignage de Joseph Acosta, un des premiers écrivains
après la conquête, d'après lequel les Péruviens « cultivaient des
légumes qu'ils appelaient Frisoles et PalareSy dont ils usaient
comme les Espagnols de Garbanzos (Pois chiche), Fèves et Len-
tilles. Je n'ai point reconnu, ajoute-t-il, que ceux-ci ni autres
légumes d'Europe s'y soient trouvés avant que les Espagnols y
entrassent. nFrisole, Fajol, Fasoler sont des noms espagnols du
haricot commun, par corruption du latin Faselus^Fasoltis^ Faseo-
lus. Palier eist américain.
Qu'il me soit permis à l'occasion de ces noms d'expliquer l'ori-
gine du nom français Haricot, Je l'ai cherchée autrefois 2, sans
la trouver; mais je signalais le fait que Tournefort {Instit,^ p. 4io)
s'en est servi le premier ^. Je faisais remarquer en outre l'exis-
tence du mot Arackos (apaxo;) dans Théophraste, pour une sorte
de Yicia probablement, et du mot ffarenso, en sanscrit,, pour le
Pois commun. Je repoussais l'idée, peu vraisemblable, que. le nom
d'un légume vînt du plat de viande appelé haricot ou laiicot de
mouton, comme l'avait dit un auteur anglais. Je critiquais en-
suite Bescherelle, qui faisait venir Haricot du celte, tandis que les
noms bretons de la plante diffèrent totalement et signifient fève
menue (fa-munud)^ ou sorte de pois (Pis-ram), Littré, dans son
Dictionnaire, a cherché aussi l'étymologie de ce nom. Sans avoir
eu connaissance de mon article, il incline vers la supposition que
haricot, légume, vient du ragoût, attendu que ce dernier est
plus ancien dans la langue et qu'on peut voir une certaine res-
semblance entre la graine du haricot et les morceaux de viande
du ragoût, ou encore que cette graine convenait à l'assaisonne-
ment du plat. Il est sûr que le légume s'appelait en français.
Fazéole ouFaséole,du nom latin, jusque vers la fin du xvii» siècle ;
mais le hasard m'a fait tomber sur la véritable origine du mot
haricot. C'est un nom italien, Araco, qui se trouve dans Durante
et dans Matthioli, en Iditin Aracus niger *, pour une légumineuse
que les modernes rapportent à la Gesse Ochrus {Lathyrus Ockrus).
11 n'est pas surprenant qu'un nom itahen du xviie siècle ait été
1. Molina {Essai sur l'hist. nat. du Chili , trad. française, p. 10!)
cite les Phaseolus, qu'il nomme Pallar et Asellus, et la Flore du ôhili de
a. Gay ajoute, avec peu d'éclaircissement, le Ph, Cuminyii^ Bentham.
2 A. de Candolle, Géogr, bol, raisonnée, p. 691.
3. Tournefort, Elémenls (i694), 1, p. 328; InstiL, p. 415.
4. Durante, Herbario nuovo, 1585, p. 39; Matthioli, éd. Valgris, p. 322;
Targioni, Dizionario bot. ital., 1, p. 13.
HARICOT DE LIMA 278
transporté par des cultivateurs français du siècle suivant à une
autre légumineuse et qu'on ait changé ara en ari. C'est dans la
limite des erreurs qui se font de nos jours. D'ailleurs TAraco^ ou
Arachos a été attribué parles commentateurs à plusieurs légumi-
neuses des genres Latnyrus, Vicia, etc. Durante donne pour sy-
nonyme à son Araco l'apaxoç des Grecs , par où l'on voit bien
Tétymologie. Le Père Feuillée * écrivait en français Aricot, Avant
lui, Tournefort mettait Haricot. Il croyait peut-être que l'a du
mot grec avait un accent rude, ce qui n'est pas le cas, du moins
dans les bons auteurs.
Je résume cet article en disant : 1** Le Phaseolus vulgaris n'est
pas cultivé depuis longtemps dans l'Inde, le sud-ouest de TAsie
et l'Egypte. 2** On n'est pas complètement sûr qu'il fut connu en
Europe avant la découverte deTAmérique. 3° A cette époque le
nombre des variétés s'est accru subitement dans les jardms d'Eu-
rope et tous les auteurs ont commencé d'en parler. 4° La majorité
des espèces du genre existe dans l'Amérique méridionale. 5** Des
graines qui paraissent appartenir à cette espèce ont été trouvées
dans des tombeaux péruviens d'une date un peu incertaine, mé-
langées avec beaucoup d'espèces toutes américaines.
Je n'examine pas si le Phaseolus vulgains existait, avant la mise
en culture, dans l'ancien et le nouveau monde également, parce
que les exemples de cette nature sont excessivement rares
parmi les plantes phanérogames, non aquatiques, des pays tro-
picaux. Il n'en existe peut-être pas une sur mille, et encore on
peut soupçonner souvent quelque transport du fait de l'homme *.
Il faudrait du moins, pour aborder cette hypothèse à l'égard du
Phi vulgaris^ qu'il eût été trouvé en apparence sauvage dans
l'ancien et le nouveau monde, mais cela n'est pas arrivé. S'il
avait eu une habitation aussi vaste, on en aurait des indices par
des individus vraiment spontanés dans des régions très éloignées
les uaefs des autres sur le même continent. C'est ce qu'on voit
dans l'espèce suivante, Ph, lunatus.
Haricot courbé. — Phaseolus lunatus, Linné.
Haricot de Lima. — Phaseolus lunatus màcrocarpus^ Ben-
tham. — Phas, inamœnus, Linné.
Ce Haricot, de même que la variété dite de Lima, est si répandu
dans tous les pays tropicaux qu'on l'a décrit, sans s'en douter,
sous plusieurs noms ^. Toutes ses formes se rapportent à deux
groupes, dont Linné faisait deux espèces. La plus commune
maintenant dans les jardins est celle appelée, depuis le com-
mencement du siècle. Haricot de Lima, Elle se distingue par sa
1. Feuillée, HUt, des plantes médicinales du Pérou, etc., in-i», 1725, p. 54.
2. A. dé Candolle, Géogr, bot, raisowwée, chapitre des espèces disjointes.
3. Phaseolus bipunctatus Jacq., inamœnus Linné, puberulus Kunth,
saccharatus Mac-Fadyen, etc., etc.
276 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
taille élevée et par la grandeur de ses légumes et de ses graines.
Sa durée est de plusieurs années dans les pays qui lui sont favo-
rables.
Linné croyait son Phaseolus lunatus du Bengale, et l'autre
forme, d'Afrique, mais il n'en a donné aucune preuve. Pendant
un siècle, on a répété ce qu'il avait dit. Maintenant, M. Bentham *,
attentif à ces questions d'origine, regarde l'espèce et sa variété
comme certainement américaines ; îl émet seulement des doutes^
sur la présence en Afrique et en Asie comme plante spontanée.
Je ne vois aucun indice quelconque d'ancienneté d'existence
en Asie. Non seulement la plante n'a jamais été trouvée sauvage,
mais elle n'a pas de noms dans les langues modernes de l'Inde
ou en sanscrit ^. Elle n'est pas mentionnée dans les ouvrages
chinois. Les Anglo-Indiens l'appellent, comme le Haricot commun,
French bean *, ce qui montre à quel point la culture en est mo-
derne.
En Afrique, elle est cultivée à peu près partqut entre les tro-
piques. Cependant MM. Schweinfurth et Ascherson * ne la men-
tionnent pas en Abyssinie, Nubie ou Egypte. M. Oliver ^ cite
beaucoup d'échantillons de Guinée et de l'Afrique intérieure,
sans préciser s'ils étaient spontanés ou cultivés. Si l'on suppose
l'espèce originaire ou d'introduction très ancienne en Afrique,.
elle se serait répandue vers l'Egypte et dans l'Inde.
Les faits sont tout autres dans l'Amérique méridionale.
M. Bentham cite des échantillons spontanés de la région du
fleuve des Amazones et du Brésil central. Ils se rapportent sur-
tout à la grande forme {macrocarpus). Cette même variété est
abondante dans les tombeaux péruviens d'Ancon, d'après M. Witt-
raack ®. C'est évidemment une espèce du Brésil, que la culture
a répandue et peut-être naturalisée çà et là, depuis longtemps,
«lans l'Amérique tropicale. Je croirais volontiers qu'elle a été
introduite en Guinée par le commerce des esclaves, et qu'elle a
^agné de cette côte l'intérieur du pays et la côte de Mozam-
bique.
Haricot él feuille d'Aconit. — Phaseolus aconitifoHus ^
Willdenow.
Espèce annuelle, cultivée dans l'Inde, comme fourrage, et
dont les graines sont comestibles, mais peu estimées. Le nom-
hindustani est Mout^ chez les Sikhs Moth, Elle ressemble au Pha--
seolus trilobus^ qui est cultivé pour la graine.
1. Bentham, dans Flora brasil., vol. 15, p, 181.
2. Roxburgh, Piddington, etc.
3. Royle, ///. Himalaya, p. 190.
4. Aufzàhlungy p. 257.
5. Oliver, Flora of tropical Africa, p. 192.
6. Wittmack, Sitz. ber. bot. Vereins Brandenburg, 19 déc* 1879.
LABLAB 277
Le Phaseolns aconitifolius est spontané dans Tlnde anglaise,
^e Gevlan à l'Himalaya *.
L'absence de nom sanscrit et de noms divers dans les langues
modernes de llnde fait présumer une culture peu ancienne.
Haricot trilobé. — Phaseolus tr'dobus, Willdenow.
Une des espèces le plus ordinairement cultivées dans Tlnde ^
du moins depuis quelques années, car Roxburgh ', à la fin du
XVIII® siècle, ne Favait vue qu'à l'état spontané. Tous les auteurs
s'accordent à dire qu'elle est sauvage au pied de l'Himalaya
et jusqu'à Geylan. Elle existe aussi en Nubie, en Abyssinie et au
Zambèse *, et Ton ne dit pas si elle y est cultivée ou spontanée.
Piddington cite un nom sanscrit et plusieurs noms dans les
langues modernes de l'Inde, ce (\m fait présumer une culture ou
une connaissance de l'espèce depuis au moins trois mille ans.
Mungo. — Phaseolus Mungo^ Linné.
Espèce généralement cultivée dans l'Inde et dans la région du
Nil. Le nombre considérable de ses variétés et l'existence de
trois noms différents dans les langues indiennes actuelles font
présumer une date de mille ou deux mille ans au moins pour la
culture, mais on ne cite aucun nom sanscrit ^. En Afrique, elle est
probablement peu ancienne.
Les botanistes anglo-indiens s'accordent à dire qu'elle est
spontanée dans l'Inde.
Lablab. — DoHchos Lablab^ Linné.
On cultive beaucoup cette espèce dans l'Inde et l'Afrique tro-
picale. Roxburgh compte jusqu'à sept variétés, ayant des noms
indiens. Piddington cite, dans son Index, un nom sanscrit,
Schimbi, qui se retrouve dans les langues modernes. La culture
a donc peut-être au moins trois mille ans de date. Cependant
l'espèce ne s'est pas répandue anciennement en Chine et dans
l'Asie occidentale ou l'Egypte, du moins je n'en découvre aucune
trace. Le peu d'extension de plusieurs de ces Légumineuses co-
mestibles hors de l'Inde, dans les temps anciens, est un fait assez
singulier. Il est possible que leur culture ne remonte pas bien
haut.
Le Lablab est incontestablement spontané dans l'Inde et
même, dit-on, à Java *. Il s'est naturalisé aux îles Seychelles, à
1. Roxburgh, PL ind.^ éd. 1832, v. 3, p. 299; Aitchison, Calai, of Punjab^
p. 48; sir J. Hooker, FI. of brit. India, 2, p. 202.
2. Sir J. Hooker, Flora of brilish India, 2, p. 201.
3. Roxburgli, Flora indica, 3, p. 299.
4. Scbweinfurtli, Beitr, z. Flora éthiopiens, p. 15; Aufzàhlung^^, 257;
Oliver, Flora of tropical Africa, p. 194.
5. Voir les auteurs cités pour le P. trilobus,
6. Sir J. Hooker, Flora of brit. India, 2, p. 209; Jungbuhn, Plantx
Junghun., fasc. 2, p. 240.
278 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
la suite de cultures *. Les indications des auteurs ne permettent
pas de dire qu'il soit spontané en Afrique *.
Lubia. — Dolichos Lubia, Forskal.
Cette espèce, cultivée en Egypte sous le nom de Lubia^ Loubya
Loubyéj d'après Forskal etDeiile ^, est peu connue des botanistes.
D'après le dernier de ces auteurs, elle existe aussi en Syrie, en
Perse et dans l'Inde ; mais je n'en vois nullement la confirmation
dans les ouvrages modernes sur ceâ deux pays. MM. Schwein-
furth et Ascherson * l'admettent bien comme espèce distincte,
cultivée dans la région du Nil. Jusqu'à présent, personne ne l'a
trouvée à l'état spontané.
On ne connaît aucun Dolichos ou Phaseolus dans les monu-
ments de l'ancienne Egypte. Nous verrons d'autres indices, tirés
des noms vulgaires, conduisant aussi à l'idée que ces plantes
se sont introduites dans l'agriculture égyptienne après l'époque
des Pharaons.
Le nom Lubia est appliqué par les Berbères, sans changement,
et en Espagne sous la forme Alubia, au Haricot commun, Pha-
seolus vulgaris ^. Quoique les deux genres Dolichos et Phaseolus
se ressemblent beaucoup, c'est un exemple du peu de valeur des
noms vulgaires pour la constatation des espèces.
Je rappellerai ici que Loba est un des noms du Phaseolus vul-
garis en hindustani, et que Lobia est celui du Dolichos sinensis
dans la même langue ^.
Les orientalistes feront bien de chercher si Lubia est ancien
dans les langues sémitiques. Je ne vois pas qu'on cite un nom
analogue en hébreu et il se pourrait que les Araméens ou les
Arabes eussent pris Lubia du Lobos (Xo^oc) des Grecs, qui signi-
fiait une partie saillante, comme le lobe de l'oreille, un fruit de
la nature de ceux des légumineuses et plus particulièrement,
selon Galien, le Phaseolus vulgaris, Lobion (Xopiov), dans Diosco-
ride, est le fruit du Phaseolus vulgaris^ du moins selon L'opinion
des commentateurs ''. Il a continué dans le grec moderne avec
le même sens, sous la forme de Loubion ^.
Voandzou. — Glycine subterranea^ Linné fils. — Voandzeia
subterraneaj du Petit-Thouars.
1. Baker, FI. of Maurîtius^ p. 83.
2. Oliver, FI. oftrop. Africa, 2, p. 210.
3. Forskal, Descripf., p. 133; Delile, Plant, cuit, en Egypte, p. 14.
4. Schweinfurth et Ascherson, Aufzàhlung, p. 256.
5. Dictionn, français- berbère, au mot haricot; Willkomm et Lange,
Prodr, fl, hisp., 3, p. 324. Le Haricot commun n'a pas moins de cinq
noms différents dans la péninsule espagnole.
6. Piddington, Index,
7. Lenz, Éotanik der alten Griechen und Rômer, p. 732.
8. Langkavel, Botanik der spàteren Griechen, p. 4; Heldreich, Nutzpflanzen
Griechenland'Sf p. 72.
SARRASIN OU BLÉ NOIR 279
Les plus anciens voyageurs à Madagascar avaient remarqué
cette Légumineuse annuelle, que les halDitants cultivent pour en
manger le fruit ou les graines, comme des pois, haricots, etc.
Elle ressemble à TArachide, en particulier par la circonstance
que le support de la fleur se recourbe et enfonce le jeune fruit
ou légume dans le sol. La culture en est répandue dans les jar-
dins, surtout de FAfrique tropicale, et moins communément de
l'Asie méridionale *. Il ne semble pas qu'on la pratique beaucoup
en Amérique *, si ce n'est au Brésil, où elle se nomme Mandubi
d'Angola ^.
Les anciens auteurs sur l'Asie ne la mentionnent pas. C'est
donc en Afrique qu'il faut chercher l'origine. Loureiro * l'avait
vue sur la côte orientale de ce continent et du Petit-Thouars à
Madagascar, mais ils ne disent pas qu'elle y fût spontanée. Les
auteurs de la flore de Sénégambie ^ l'ont décrite comme cultivée
et « probablement spontanée » dans le pays de Galam. Enfln
MM. Schweinfurth et Ascherson * l'ont trouvée à l'état sauvage,
au bord du Nil, de Ghartum à Gondokoro. Malgré la possibilité
d'une naturalisation par suite de la culture, il est extrêmement
probable que la plante est spontanée dans l'Afrique intertro-
picale.
Sarrasin ou blé noir. — Polygonum Fagopyrum^ Linné. —
Fagopyrum esculentum^ Moench.
L'histoire de cette espèce est devenue très claire depuis quel-
ques années.
Elle croît naturellement en Mandschourie, sur les bords du
fleuve Amour ', dans la Daourie et près du lac Baïkal *. On
l'indique aussi en Chine et dans les montagnes de l'Inde sep-
tentrionale ®, mais je ne vois pas que la qualité de plante sau-
vage y soit certaine. Roxburgh ne l'avait vue dans le nord de
l'Inde qu'à l'état cultivé, et le D^ Bretschneider *^ regarde l'indi-
génat comme douteux pour la Chine. La culture n'y est pas
ancienne, car le premier auteur qui en a parlé écrivait dans la
période du x® au xii* siècle de l'ère chrétienne.
Dans l'Himalaya, on cultive le Sarrasin, sous les
noms de Ogal
1. Sir J. Hooker, Flora of brit, India, 2 p. 205; Miquel, Flora indo-
batava, 1 p. 175.
2. Linné fils, Becad., 2, pi. 19, paraît a^oir confondu l'espèce avec
Y Avachis, et il indique, à cause de cela peut-être, le Voandzeia comme
cultivé de son temps à Surinam. Les auteurs actuels sur l'Amérique ne
l'ont pas vu ou ont négligé d'en parler.
3. Gardener's Chronicle, 4 sept. 1880.
4. Loureiro, Flora cochinch., 2, p. 523.
5. Guillemin, Perroltet, Richard, Florœ Senegambiœ tentameny p. 254.
6. Aufzàhlung, p. 259.
7. Maximowicz, Primitiœ fl, amur., p. 236.
8. Ledebour, FL ross., 3, p. 517.
9. Meissner, dans Proar., 14^ p. 143.
10. Bretschneider, On study, etc., p. 9.
280 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
OU Ogla et Kouton *. Gomme il n'existe pas de nom sanscrit
pour cette espèce, ni pour les suivantes, je doute beaucoup de
fancienneté de leur culture dans les montagnes de TAsie cen-
trale. Il est certain que les Grecs et les Romams ne connaissaient
pas les Fagopyrum, Ce nom grec a été fait par les botanistes
modernes, à cause de la ressemblance de forme de la graine avec
le fruit du Hêtre, de la même façon qu'on dit en allemand
Buchweitzen * et en italien Faggina,
Les langues européennes d'origine aryenne n'ont aucun nom
de cette plante indiquant une racine commune. Ainsi les Aryens
occidentaux ne connaissaient pas plus l'espèce que les orientaux
de langue sanscrite, nouvel indice qu'elle n'existait pas autrefois
dans l'Asie centrale. Aujourd'hui encore, elle n'est probablement
Sas connue dans le nord de la Perse et en Turquie, puisque les
ores ne la mentionnent pas ^. Bosc a mis dans le Dictionnaire
d'agriculture qu'Olivier l'avait vue sauvage en Perse, mais je ne
puis en trouver la preuve dans la relation imprimée de ce natu-
raliste.
L'espèce est arrivée en Europe, au moyen âge, par la Tartane
et la Russie. La première mention de sa culture en Allemagne,
se trouve dans un registre du Mecklembourg, en 1436 *. Au
xvie siècle, elle s'est répandue vers le centre de l'Europe, et dans
les terrains pauvres, comme ceux de la Bretagne, elle a pris une
place importante. Reynier, ordinairement très exact, s'était
figuré que le nom Sarrasin venait du celte ^ ; mais M. Le Gall m'a
écrit naguère que les noms bretons signifient simplement blé de
couleur noire [Ed-du) ou froment noir {Gwims-m), Il n'y a pas
de nom original dans les langues celtiques, ce qui nous parait
naturel aujourd'hui que nous connaissons l'origine de l'espèce •.
Quand la plante s'est introduite en Belgique, en France, et
qu'on l'a connue même en Italie, c'est-à-dire au xvi« siècle, le
nom de Blé sarrasin ou Sarrasin a été communément adopté.
Les noms vulgaires sont quelquefois si ridicules, si légèrement
donnés, qu'on ne peut pas savoir, dans le cas actuel, si le nom
vient de la couleur de la graine, qui était celle attribuée aux
Sarrasins, ou de l'introduction, qu'on supposait peut-être venir
des Arabes ou des Maures. On ignorait alors que l'espèce n'est
pas du tout connue dans les pays au sud de la mer Méditerranée,
ni même en Syrie et en Perse. Il est possible qu'on ait adopté
lïdée d'une origine méridionale, à cause du nom Sarrasin,
1. Madden, Trans. of Edinb, bot. Soc, 5, p. 118.
2. Le nom anglais Buckwheat et le nom français de quelques localités,
Buscail, viennent de l'allemand.
3. Boissier, FI. orientalis; Biihse et Boissier, Pflanzen Transcaucasien.
4. Pritzel, Sitzungs beiHcht Naturforsch. freunde zu Berlin, 15 mai 1866.
5. Régnier, Economie des Celtes, p. 425.
6. J'ai discuté plus en détail les noms vulgaii
lires dans la Géographie botO'
nique raisonnée, p. 953.
SARRASIN ÉMARGINÉ 281
motivé parla couleur. L'origine méridionale a été admise jusqu'à
la fin du siècle dernier et même dans le siècle actuel *. Reynier
Ta combattue le premier, il y a plus de cinquante ans.
Le Sarrasin s'échappe quelquefois des cultures et devient quasi
spontané. Plus on avance vers son pays d'origine, plus cela se
voit fréquemment, et il en résulte qu'on aurait de la peine à
déterminer la limite, comme plante spontanée, sur les confins
de l'Europe et de l'Asie, dans l'Himalaya ou en Chine. Au Japon,
ces demi-naturalisations ne sont pas rares ^.
Sarrasin ou Blé noir de Tartarie. — Polygonum tata-
ncum^ Linné. — Fagopyrum tataricum, Gaertner.
Moins sensible au froid que le Sarrasin ordinaire, mais don-
nant un grain médiocre, on le cultive quelquefois en Europe et
en Asie, par exemple dans l'Himalaya ^. C'est une culture peu
ancienne. Les auteurs des xvi® et xvii® siècles n'ont pas men-
tionné la plante ; c'est Linné qui en a parlé, un des premiers,
comme originaire de Tartarie. Roxburgh et Hamilton ne l'avaient
pas vue dans l'Inde septentrionale au commencement du siècle
actuel, et je ne la trouve pas indiquée en Chine et au Japon.
Elle est bien spontanée en Tartarie et en Sibérie, jusqu'en
Daourie * ; mais les botanistes russes ne l'ont pas trouvée plus à
Test, par exemple dans la région du fleuve Amour *.
Gomme cette plante est arrivée par la Tartarie dans l'Europe
orientale, après le Sarrasin ordinaire, c'est celui-ci qui porte
dans plusieurs langues slaves le nom de Tatrika, Tatarka ou
Tattar, qui conviendrait mieux, vu l'origine, au Sarrasin de Tar-
tarie.
Il semble que les peuples aryens ont dû connaître cette espèce,
et cependant on ne mentionne aucun nom dans les langues
indo-européennes. Jusqu'à présent on n'en a pas trouvé de
trace dans les restes des habitations lacustres en Suisse ou en
Savoie. ,
Sarrasin émarginé. — Polygonum emarginatmn, Rolh. —
Fagopyrum emarginalum, Meissner.
Cette troisième espèce de Sarrasin est cultivée dans les par-
ties hautes et orientales du nord de l'Inde, sous le nom de Pha-
phra ou Phaphar ®, et en Chine '.
Je ne vois pas de preuve positive qu'on l'ait trouvée sauvage.
1. Nemnich, Polyglott. Lexicon, p. 1030; Base, Dict. d'agric, U, p. 379.
2. Franchet et Savatier, Enum. plant. Japoniâs, 1, p. 403.
3. Royle, ///. HimaL, p. 317.
4. Gmelin, Flora sibirica, 3, p. 64; Ledebour, Floi^a rossica^ 3 p. 516.
5. Maximowicz, Primitiœ; Regel, Opit flori, etc. ; Schmidt, Reisen in Amur,
n'en parlent pas.
6. Royle, Ilî. Himal., p. 317; Madden, Trans. bot. Soc. Edinb., 5, p. 118.
7. Roth, Catalecta botanica, 1, p. 48.
282 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Hoth dit seulement qu'elle « habite en Chine » et que ses graines
sont employées pour la nourriture. Don *, qui en a parlé le pre-
mier parmi les botanistes anglo-indiens, dit qu'on la regarde à
peine comme spontanée. Elle n'est pas indiquée dans les ou-
vrages sur la région du fleuve Amour, ni au Japon. D'après le
pays où on la cultive, il est probable qu'elle est sauvage dans
l'Himalaya oriental et le nord-ouest de la Chine.
Le genre Fagopyrum a huit espèces, qui sont toutes de l'Asie
tempérée.
Quinoa. — Chenopodium Quinoa^ Willdenow.
Le Quinoa était une des bases de la nourriture des indigènes
de la Nouvelle-Grenade, du Pérou et du Chili, dans les parties
élevées et tempérées, à l'époque de la conquête. La culture en
a continué dans ces pays, par habitude et à cause de l'abon-
dance du produit.
On a distingué de tout temps le Quinoa à feuillage coloré et
le Quinoa à feuillage vert et graines blanches * , Celui-ci a été
considéré par Moquin ^ comme une variété d'une espèce, mal
connue, qu'on croit asiatique; mais j'estime avoir bien démontré
que les deux Quinoa d'Amérique sont des races, probablement
fort anciennes, d'une même espèce *. On peut soupçonner que
la moins colorée, qui est en même temps la plus farineuse, est
une dérivation de l'autre.
Le Quinoa blanc donne une graine très recherchée à Lima,
d'après les informations contenues dans le Botanical magazincy
où l'on peut en voir une bonne figure (pi. 3641). Les feuilles
sont un légume analogue à l'épinard ^.
Aucun botaniste n'a mentionné le Quinoa dans un état spon-
tané ou quasi spontané. L'ouvrage le plus récent et le plus
complet sur un des pays dans lesquels on cultive l'espèce, la
flore du Chili par Cl. Gay, n'en parle que comme d'une plante
cultivée. Le Père Feuillée et Humboldt se sont exprimés de la
même manière, en ce qui concerne le Pérou et la Nouvelle-
Grenade. C'est peut-être à cause du peu d'apparence de la
plante et de son aspect de mauvaise herbe des jardins que les
collecteurs ont négligé d'en rapporter des échantillons sau-
vages.
Kiery. — Amarantus frumentaceusy Roxburgh.
Plante annuelle, cultivée dans la péninsule indienne, pour sa
petite graine farineuse, qui est dans quelques localités la prin-
1. Don, Prodv. fl, nepal,^ p. 74.
2. Molina, Hist. nat, du Chili, ja.
3. Moquin, dans Prodromus^ 13, sect. 1, p. 67.
4. A. de Candolle, Géogr, bot, raisonnée, p. 952.
5. Bon jardinier, 1880, p. 562.
CHATAIGNIER 28S
cipale nourriture des habitants *. Les champs de cette espèce,
de couleur rouge ou dorée, produisent un très bel effet *.
D'après ce que ditRoxburgh, le D' Buchanan l'avait « décou-
« verte sur les collines de Mysore et Goimbatore », ce qui paraît
indiquer un état sauvage.
Jj'Amarantus speciosus^ cultivé dans les jardins et figuré dans
le Botanical Magazine^ pi. 2227, parait la même espèce, Hamilton
fa trouvé au Népaul ^.
On cultive sur les pentes de l'Himalaya une variété, ou espèce
voisine, appelée Amarantus Anardana, Wallich *, jusqu'à pré-
sent mal définie par les botanistes.
D'autres espèces sont employées comme légumes. Voir ci-des~
sus, page 80, Amarantus gangeticus.
Châtaignier. — Castanea vulgaris, Lamarck.
Le Châtaignier, de la famille des Gûpulifères, a une habitation
naturelle assez étendue, mais disjointe. Il constitue des forêts ou
des bois dans les pays montueux de la zone tempérée, de la mer
Caspienne au Portugal. On l'a trouvé aussi dans les montagnes de
TEdough en Algérie et, plus récemment, vers la frontière de Tu-
nisie (lettre de M. Letourneux). Si Ton tient compte des variétés
appelées Japonica et Americana, il existe aussi au Japon et
dans la partie tempérée de l'Amérique septentrionale ^. On Ta
semé ou planté dans plusieurs localités de l'Europe méridionale
et occidentale, et maintenant il est difficile de savoir s'il y e^t
spontané ou cultivé. La culture principale cependant consiste
dans l'opération de greffer de bonnes variétés sur l'arbre de
qualité médiocre. Dans ce but, on recherche surtout la variété
qui donne les marrons^ c'est-à-dire les fruits contenant une seule
graine, assez grosse, et non deux ou trois petites séparées par des
membranes, comme cela se voit dans l'état naturel de l'espèce.
Les Romains, du temps de Pline ^, distinguaient déjà huit
variétés, mais on ne peut pas savoir, d'après le texte de cet
auteur, s'ils possédaient le marron. Les meilleures châtaignes
venaient de Sarde (Asie Mineure) et du pays napolitain. Olivier
de Serres *', dans le xvi® siècle, vante les châtaignes Sardonne et
Tuscanes, qui donnaient les marrons dits de Lyon ^. Il regarde
1. Roxburgh, F/om indicaj éd. 2, v. 3, p. 609; Wight, Icônes, pi. 720;
Aitchison, Punjab, p. 130.
2. Madden, Tram, of the Edinb, bot. Soc, 5, p. 118.
3. Don, Prodr. fl. nepal.^ p. 76.
4. WaUich, List, n» 6903; Moquin, dans D C. Prodr., 13, sect. 2, p. 256.
5. Pour plus de détails, voir mon article dans le Prodromus, vol. 16,
sect. 2, p. 114, et Boissier, Fl. orient., 4, p. 1175.
6. Pline, Hist. nat,, 1. 19, c. 23.
7. Olivier de Serres, Théâtre de Vagriculture, p. 114.
8. Aujourd'hui, les marrons de Lyon viennent surtout du Dauphiné et
du Vivarais. On en récolte aussi dans le Var, au Luc (Gasparin, Traité
d'agricult., 4, p. 744;.
284 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
ces variétés comme venant dltalie, et Targioni * nous apprend
que le nom marrone ou marone était usité dans ce pays déjà au
moyen âge (en 1170).
Froment et formes ou espèces voisines.
Les innombrables races de blé proprement dit, dont les grains
se détachent naturellement à maturité de leur enveloppe, ont
été classées par Vilmorin ' en quatre groupes, qui constituent
suivant les auteurs des espèces distinctes ou des modifications
du froment ordinaire. Je suis obligé de les distinguer pour
l'étude de leur histoire, mais celle-ci, comme on le verra, appuie
l'opinion d'une espèce unique ^.
I. Froment ordinaire. — Tritlcum vulgare^ Villars. — Tri-
ticum hybernum et TV. œstivum^ Linné.
D'après les expériences de l'abbé Rozier et, plus tard, de
Tessier, la distinction des blés d'automne et de mars n'a pas
d'importance. « Tous les froments, dit ce dernier agronome *,
suivant les pays, sont ou de mars ou d'automne. Ils passent
tous, avec le temps, à l'état de blé d'automne ou de blé de mars,
comme je m'en suis assuré. Il ne s'agit que de les y accoutumer
peu à peu, en semant graduellement plus tard qu'on ne le fait
les blés d'automne et plus tôt les blés de mars ». Le fait est que,
dans le nombre immense des races de blé que l'on cultive, quel-
ques-unes souffrent davantage des froids de l'hiver, et alors
l'habitude s'est établie de les semer au printemps ^. Pour la ques-
tion d'origine, nous n'avons guère à nous occuper de ces distinc-
tions, d'autant plus que la plupart des races obtenues remontent
à des temps très reculés.
La culture du froment peut être qualifiée de préhistorique
dans l'ancien monde. De très vieux monuments de l'Egypte,
antérieurs à l'invasion des Pasteurs, et les livres hébreux mon-
trent cette culture déjà établie, et, quand les Egyptiens ou les
Grecs ont parlé de son origine, c'est en l'attribuant à des per-
sonnages fabuleux, Isis, Gérés, et Triptolème ®. En Europe, les
1. Targioni, Cenni storici, p. iSO.
2. L. Vilmorin, Essai d'un catalogue méthodique et synonymigue des
froments, Paris, 1850.
3. Les meilleures figures de ces formes principales de froment se
trouvent dans Metzger, Europxi^che Cerealien, in-folio, Heidelberg, 1824;
et dans Host, Graminex, in-fol., vol. 3.
4. Tessier, Dict, cCagric, 6, p. 198.
5. Loiseleur-Deslongchamps, Considérations sur les céréales, 1 vol.
in-8«, p. 219.
6. Ces points d'érudition ont été traités d'une manière très savante et
très judicieuse par quatre auteurs : Link, Ueber die altère Geschichte
der Getreide Arten, dans AbhandL der Berlin, Akad., 1816, vol. 17, p. 1^;
1826, p. 67, et dans Die Urwelt und das Alterthum, deuxième édit,
Berlin, 1834, p. 399; Reynier, Economie des Celtes et des Germains, 1818,
FROMENT ORDINAIRE 38S
plus anciens lacustres de la Suisse occidentale cultivaient un
blé à petits grains que M. Heer * a décrit attentivement et figuré
sous le nom de Triticum vulgare antiquorum. D'après un en-
semble de divers faits, les premiers lacustres de Rohenhausen
étaient au moins contemporains de la guerre de Troie et peut-
être plus anciens. La culture de leur blé s'est maintenue en Suisse
jusqu'à la conquête romaine, d'après des échantillons trouvés
à Buchs. M. Regazzoni l'a découvert également dans les débris
des lacustres de Varèze et M. Sordelli dans ceux de Lagozza,
en Lombardie *. Unger a trouvé la même forme dans une brique
de la pyramide de Dashur, en Egypte, qui date, selon lui, de
l'année 3359 avant Jésus-Christ (Unger, Bot. Sti^eifzûge^ Vil;
Ein Ziegelj etc., p. 9). Une autre variété [Triticum vulgare com-
pactum muticum, Heer) était moins commune en Suisse, dans le
premier âge de la pierre, mais on Fa trouvée plus souvent chez
des lacustres moins anciens de la Suisse occidentale et d'Italie *.
Enfin une troisième variété intermédiaire a été trouvée à Aggte-
lek, en Hongrie, cultivée lors de l'âge de pierre *. Aucune n'est
identique avec les blés cultivés de nos jours. On leur a substitué
des formes plus avantageuses.
Pour les Chinois, qui cultivaient le froment 2700 ans avant
notre ère, c'était un don du ciel ^. Dans la cérémonie annuelle
du semis de cinq graines instituée alors par l'empereur Shen-
Nung ou Ghin-Nong, le froment est une des espèces, les autres
étant le Riz, le Sorgho, le Setaria italica et le Soja.
L'existence de noms diff'érents pour le blé dans les langues
les plus anciennes confirme la notion d'une très grande anti-
quité de culture. Il y a des noms chinois Mai, sanscrits Sumana
et Gôdhûma, hébreu Chittahy égyptien Br^ guanche Y7nchen^
sans parler de plusieurs noms dans les langues dérivées du
sanscrit primitif ni d'un nom basque Ogaia ou Okhaya, qui
remonte peut-être aux Ibères ^, et de plusieurs noms finlandais,
tartare, turc, etc. ', qui viennent probablement de noms toura-
niens. Cette prodigieuse diversité s'expliquerait par une vaste
habitation s'il s'agissait d'une plante sauvage très commune,
mais le blé est dans des conditions tout opposées. On a de la
p. 417; Dureau de La Malle, Ann, des se. nat.t vol. 9, 1826; et Loiseleur
Deslongchamps, Considérations sur les céréales, 1842, paitie 1, p. 52.
1. 0. Heer, Pflanzen des Pfahlbauten^ p. 13, pi. 1, fig. 14-18.
2. Sordelli, Sulle viante délia torbiera di Lagozza, p. 31.
3. Heer, /. c. Sordelli, /. c.
4. Nyary, cité par Sordelli, /. c.
5. Bretschneider, Study and value ofchinese botanical works, p. 7 et 8.
6. Bretschneider, /. c; Ad. Pictet, Les origines indo-européennes, éd. 2,
vol. 1, p. 328; RosenmûUer, Biblische Naturgesch, 1, p. 77; Pickering,
Chronol. arrangement, p. 78 ; Webb et • Bertheiot, Canaries, part, Ethno»
arajahie, p. 187; d'Abaoie, Notes mss. sur les noms basques; de Gharencey,
necherches sur les noms basques, dans Actes Soc. philolog., 1*' mars 1869.
7. Nemnich, Lexicon, p. 1492.
286 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
peine à constater sa présence à l'état sauvage dans quelques
points de l'Asie occidentale, comme nous allons le voir. S'il
avait élé très répandu avant d'être mis en culture, il en serait
resté des desdendants, çà et là, dans des pays éloignés. Les noms
multiples des langues anciennes doivent donc tenir plutôt à
l'ancienneté extrême de la culture dans les régions tempérées
d'Asie, d'Europe et d'Afrique, ancienneté plus grande que celle
des langues réputées les plus anciennes.
Quelle était la patrie de l'espèce, avant sa mise en culture,
dans l'immense zone qui s'étend de la Chine aux îles Canaries?
On ne peut répondre à cette question que par deux moyens :
1° l'opinion des auteurs de l'antiquité ; 2"* la présence plus
ou moins démontrée, du blé à l'état sauvage, dans tel ou tel
pays.
D'après le plus ancien de tous les historiens, Bérose, prêtre
de Ghaldée, dont Hérodote a conservé des fragments, on voyait
dans la Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate, le froment
sauvage (Frumentum agreste) *. Les versets de la Bible sur
l'abondance du blé dans le pays de Canaan, en Egypte, etc.,
ne prouvent rien, si ce n'est qu'on cultivait la plante et qu'elle
produisait beaucoup. Strabon ^, né cinquante ans avant Jésus-
Christ, dit que, d'après Aristobulus, dans le pays des 'Musicani (au
bord de l'Indus par 25° lat.), il croissait spontanément un grain
très semblable au froment. Il dit aussi * qu'en Hircanie (le Ma-
zanderan actuel) le blé qui tombe des épis se semait de lui-même.
Cela se voit un peu partout aujourd'hui, et l'auteur ne précise
pas le point important de savoir si ces semis accidentels conti-
nuaient sur place de génération en génération. D'après V Odys-
sée * le blé croissait en Sicile sans le secours de l'homme. Que
peut signifier ce mot d'un poète et encore d'un poète dont
l'existence est contestée? Diodore de Sicile, au commence-
ment de l'ère chrétienne, dit la même chose et mérite plus de
confiance, puisqu'il était Sicilien. Cependant il peut bien s'être
abusé sur la qualité spontanée, le blé étant cultivé généralement
alors en Sicile. Un autre passage de Diodore ^ mentionne la
tradition qu^Osiris trouva le blé et l'orge croissant au hasard
parmi les autres plantes, à Nisa, et Dureau de La Malle a prouvé
que cette ville était en Palestine. De tous ces témoignages, il
me paraît que ceux de Bérose et Strabon, pour la Mésopotamie
et l'Inde occidentale, sont les seuls ayant quelque valeur.
Les cinq espèces de graines de la cérémonie instituée par
l'empereur Chin-Nong sont regardées par les érudits chinois
1. G. Syncelli, Chronoqv.^ foL 1652, p. 28.
2. Strabon, éd. 1707, Vol. 2, p. 1017.
3. Ibid., vol. 1, p. 124, et 2, p. 776.
4. Odyssée, 1. 9, v. 109.
5. Diodore, traduction de Terasson, 2, p. 186, 190.
FROMENT ORDINAIRE 287
comme natives de leur pays *, et le D' Bretschneider ajoute que
les communications de la Chine avec TAsie occidentale datent
seulement de l'ambassade de Chang-kien, dans le deuxième
siècle avant Jésus-Christ. Il faudrait cependant une assertion
plus positive pour croire le blé indigène en Chine, car une
plante qui était cultivée dans l'Asie occidentale deux ou trois
mille ans avant l'époque de Chin-Nong et dont les graines sont
si faciles à transporter a pu s'introduire dans le nord de la
€hine, par des voyageurs isolés et inconnus, de la même ma-
nière que des noyaux d'abricot et de pèche ont probablement
passé de Chine en Perse, dans les temps préhistoriques.
Les botanistes ont constaté que le froment n'existe pas au-
jourd'hui en Sicile à l'état sauvage *. Quelquefois il s'échappe hors
des cultures, mais on ne l'a pas vu persister indéfiniment ^. La
plante que les habitants appellent froment sauvage, Frumentu
sarvaggiu^ qui couvre des districts non cultivés, est V^gilop»
ovata, selon le témoignage de M. Inzença *.
Un zélé collecteur, M. Balansa, croyait avoir trouvé le blé, au
mont Sipyle, de l'Asie Mineure, « dans des circonstances où il
était impossible de ne pas le croire spontané ^, » mais la plante
qu'il a rapportée est un Epeautre, le Triticum monococcum^
d'après un botaniste très exact qui l'a examinée *. Avant lui,
Olivier '^, étant sur la rive droite de l'Euphrate, au nord-ouest
d'Anah, pays impropre à la culture, « trouva dans une sorte de
ravin leJroment, l'orge et Pepeautre, » et il ajoute : « que nous
avions déjà vus plusieurs fois en Mésopotamie. »
D'après Linné ^, Heintzelmann avait trouvé le blé dans le pays
des Baschkirs, mais personne n'a confirmé cette assertion, et
aucun botaniste moderne n'a vu l'espèce vraiment spontanée
autour du Caucase ou dans le nord de la Perse. M. de Bunge ^,
dont l'attention avait été provoquée sur ce point, déclare qu'il
n'a vu aucun indice faisant croire que les céréales soient origi-
naires de ces pays. 11 ne paraît même pas que le blé ait une ten-
dance, dans ces régions, à lever accidentellement hors des cul-
tures. Je n'ai découvert aucune mention de spontanéité dans
l'Inde septentrionale, la Chine ou la Mongolie.
En résumé, il est remarquable que deux assertions aient été
données de l'indigénat en Mésopotamie, à un intervalle de vingt-
trois siècles, l'une jadis par Bérose et l'autre de nos jours par
1. Bretschneider, /. c, p. 15.
2. Parlatore, FI. ital., 1, p. 46 el 508. Son assertion est d'autant plu?
digne d'attention qu'il était Sicilien.
3. Strobl, dans Flora, 1880. p. 348.
4. Inzenga, Annal, agricult. sicil,
5. Bull, de la Soc, bot. de Fra7ice, 1854, p. 108.
€. J. Gay, Bull. Soc. bot. de France, 1860, p. 30.
7. Olivier, Voy. dans ÏEmpire o^^oman (1807), vol, 3, p. 460.
8 Linné, Sp. plant., ed 2, vol. 1, p. 127.
9. Bunge, Bull. Soc. bot. France, 1860, p. 29.
288 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Olivier. La région de l'Euphrate étant à peu près au milieu de la
zone de culture qui s étendait autrefois de la Chine aux îles
Canaries, il est infiniment probable qu'elle a été le point prin-
cipal de l'habitation dans des temps préhistoriques très anciens.
Peut-être cette habitation s'étendait-elle vers la Syrie, vu la
ressemblance du climat ; mais à Test et à l'ouest de l'Asie occi-
dentale le blé n'a probablement jamais été que cultivé, antérieu-
rement, il est vrai, à toute civilisation connue.
II. Gros blé, Petanielle ou Foulard. — Triticum turgidum
et TV. composltum^ Linné.
Parmi les noms vulgaires, très nombreux, des formes de cette
catégorie, on remarque celui de Blé â^ Egypte. Il paraît qu'on le
cultive beaucoup actuellement dans ce pays et dans toute la
région du Nil. A.-P. de Gandolle * dit avoir reconnu ce blé parmi
des graines tirées des cercueils de momies anciennes, mais il
n'avait pas vu les épis. Unger * pense qu'il était cultivé par les an-
ciens Egyptiens et n'en donne cependant aucune preuve basée
sur des dessins ou des échantillons retrouvés. Le fait qu'on n'a
pu attribuer à cette espèce aucun nom hébreu ou araméen ^ me
paraît significatif. Il prouve au moins que les formes si éton-
nantes, à épis rameux, appelées communément Blé de miracle,
Blé d'abondance^ n'existaient pas encore dans les temps anciens,
car elles n'auraient pas échappé à la connaissance des Israélites.
On ne connaît pas davantage un nom sanscrit ou même des
noms indiens modernes, et je ne découvre aucun nom persan.
Les noms arabes que Delile * attribue à l'espèce concernent peut-
être d'autres formes de blé. Il n'existe pas de nom berbère *. De
cet ensemble il me paraît découler que les plantes réunies
sous le nom de Triticum turgidum^ et stirtout leurs variétés à
épis rameux, ne sont pas anciennes dans l'Afrique septentrio-
nale ou dans l'Asie occidentale. .
M. Oswald Heer *, dans son mémoire si curieux sur les
plantes des lacustres de l'âge de pierre en Suisse, attribue an
Tr, turgidum deux épis non ramifiés, l'un à barbes, l'autre à peu
près sans barbes, dont il a publié des figures. Plus tard, dans
une exploration des palafittesde Robenhausen, M. Messicommer
ne l'a pas rencontré, quoique les provisions de grains y fussent
très abondantes '. MM. Strœbel et Pigorini disent avoir trouvé
« le blé à grano grosso duro » (TV. turgidum) dans les palafittes
1. De CandoUe, Physiol, bot. y 2, p. 696.
2. Unger, die Pflanzend. alten Egyptens,^, 31.
3. Voir RosenmûUer, Bibl, Naturgesch,^ et Lôw, Aramœische Pflanzen'
natnen, 1881.
4. Delile, Plantes cuit, en Egypte^ P- 3; Flora Aigypt, illttstr., p. 5.
5. Dict français-berbère, publié par le gouyemement.
6. Heer, Pflanzen d, Pfcihlbauten,^^. 5» flg. 4; p. 52, fig. 20.
7. Messicommer, dans Flora, 186d, p. 320.
BLÉ DE POLOGNE 289
du Pannesan *. Du reste, M. Heer * regarde cette forme comme
une race du froment ordinaire, et M. Sordelli paraît incliner
vers la même opinion.
Fraas soupçonne que le Krithanias de Théophraste était le
Triticum turgidum^ m'ais ceci est absolument incertain. D'après
M. de Heldreich ', le Gros blé est d'introduction moderne en
Grèce. Pline * a parlé brièvement d'un blé à épis rameux, don-
nant cent grains, qui devait être notre Blé de miracle.
Ainsi les documents historiques et linguistiques concourent à
faire regarder les formes du Triticum turgidum comme des mo-
difications du froment ordinaire, obtenues dans les cultures. La
forme à épis rameux ne remonte peut-être pas beaucoup plus
âiaut que 1 époque de Pline.
Ces déductions seraient mises à néant si Ton découvrait le
Triticum turgidum à l'état sauvage, ce qui n'est pas encore
arrivé d'une manière certaine. Malgré G. Koch *^, personne n'ad-
met qu'il croisse, hors des cultures, à Gonstantinople et dans
l'Asie Mineure. L'herbier de M. Boissier, si riche en plantes
d'Orient, n'en possède pas. Il est indiqué comme spontané en
Egypte par MRf. Schweinfurth et Ascherson, mais c'est par
suite d'une erreur typographique *.
IIL Blé dur. — Triticum durum, Desfontaines.
Cultivé depuis longtemps en Barbarie, dans le midi de la
•Suisse et quelquefois ailleurs, il n'a jamais été trouvé à l'état
sauvage.
Dans les différentes provinces d'Espagne, il ne porte pas moins
d'une Quinzaine de noms ', et aucun ne dérive du nom arabe
Queman, usité en Algérie * et en Egypte ^. L'absence de noms
dans plusieurs autres pays et surtout de noms originaux
est bien frappante. C'est un indice de plus en faveur d'une
dérivation du froment ordinaire, obtenue en Espagne et dans
le nord de l'Afrique, à une époque inconnue, peut-être depuis
l'ère chrétienne.
IV. Blé de Pologne. — Triticum polonicum, Linné.
Cet autre blé dur, à grains encore plus allongés, cultivé surtout
dans l'Europe orientale, n'a pas été trouvé sauvage.
1. Cités d'après Sordelli, Notizie sull. Lagozza, p. 32.
2. Heer, /. c, p. 50.
3. Heldreich, Die Nutzpflanzen Griechenlands, p. 5.
4. Pline, Hist,, 1. 18, c. 10.
5. Koch, Linnsea, 21, p. 427.
6. Lettre de M. Ascherson, en 1881.
7. Dictionn. maniùsant des noms vulgab^es.
8. Debeaux, Catal. des plantes de Boghar, p. 110.
9. D'après Delile, /. c, le blé se nomme Qamh, et un blé corné, rouge,
De Candolle. 19
290 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Il a, en allemand, un nom original, Ganer, Gommer^ Gûmmer *,
et en d'autres langues des noms qui ne se rattachent qu'à des
personnes ou à des pays desquels on avait tiré les semences. On
ne peut douter que ce ne soit une forme obtenue dans les cul-
tures, probablement dans l'Europe orientale, à une époque
inconnue, peut-être assez moderne.
Conclusion sur runité spécifique de ces races principaks.
Nous venons de montrer que l'histoire et les noms vulgaires
des grandes races de froments sont en faveur d'une dérivation,
contemporaine de l'homme, probablement pas très ancienne, de
la forme du blé ordinaire, peut-être du blé à petits grains cul-
tivés jadis par les Egyptiens et par les lacustres de Suisse et
d'Itahe. M. Alefeld^ était arrivé à l'unité spécifique des Triticum
vulgare^ turgidum et durum au moyen de l'observation atten-
tive de leurs formes cultivées dans des conditions semblables.
Les expériences de M. Henri Vilmorin ^ sur les fécondations
artificielles de ces blés conduisent au même résultat. Quoique
l'auteur n'ait pas encore vu les produits de plusieurs généra-
tions, il s'est assuré que les formes principales les plus distinctes
se croisent sans peine et donnent des produits fertiles. Si la
fécondation est prise pour une mesure du degré intime d'affinité
qui motive le groupement d'individus en une seule espèce, on
ne peut pas hésiter dans le cas actuel, surtout avec l'appui
des considérations historiques dont j'ai parlé.
Sur les prétendus Blés de momie.
Avant de terminer cet article, je crois convenable de dire que
jamais une graine quelconque sortie d'un cercueil de l'ancienne
Egypte et semée par des horticulteurs scrupuleux n'a germé. Ce
n'est pas que la chose soit impossible, car les graines se conser-
vent d'autant mieux qu'elles sont plus à l'abri de l'air et des
variations de température ou d'humidité, et les monuments
égyptiens présentent assurément ces conditions ; mais, en fait,.
les essais de semis de ces anciennes graines n'ont jamais réussi.
L'expérience dont on a le plus parlé est celle du comte de Ster-
berg, à Prague *. Il avait reçu des graines de blé qu'un voya-
geur, digne de foi, assurait provenir d'un cercueil de momie.
Deux de ces graines ont levé, disait-on; mais je me suis assuré
qu'en Allemagne les personnes bien informées croient à quelque
supercherie, soit des Arabes, qui glissent quelquefois des graines
1. Nemnich, Lexicon, p. 1488,
2. Alefeld, Botanische Zeitung, 1865, p. 9.
3. H. Vilmorin, Bulletin de la Société ()otanique de France, 1881, p. 35d.
4. Journal Flora, 1835, p. 4.
l'épeautre 291
modernes dans les tombeaux (même du Maïs, plante améri-
caine!), soit des employés de l'honorable comte de Sternberg.
Les graines répandues dans le commerce sous le nom de Blé de
momie n'ont été accompagnées d'aucune preuve quant à Tan-
cienneté d'origine.
Epeautre et formes ou espèces voisines ^
Louis Vilmorin *, à l'imitation de Seringe dans son excel-
lent travail- sur les Céréales ^, a réuni en un groupe les blés
dont les grains, à maturité, sont étroitement contenus dans
leur enveloppe, ce qui oblige à faire une opération spéciale
pour les en dégager, — caractère plus agricole que botanique.
Il énumère ensuite les formes de ces blés vêtus^ sous trois noms,
qui répondent à autant d'espèces de la plupart des botanistes.
I. Epeautre, Grande Epeautre. — TriticumSpelta, Linné.
L 'Epeautre n'est plus guère cultivé que dans le midi de l'Alle-
magne et la Suisse allemande. Autrefois, il n'en était pas de
même.
Les descriptions de céréales par les auteurs grecs sont telle-
ment brèves et insignifiantes qu'on peut toujours hésiter sur le
sens des noms qu'ils emploient. Cependant, d'après les usages
dont ils parlent, les érudits * estiment que les Grecs ont appelé
l'Epeautre d'abord Olyra^ ensuite Zeia^ noms qui se trouvent
dans Hérodote et Homère. Dioscoride ^ distingue deux sortes de
Zela, qui paraissent répondre aux Triticum Spelta et Tr, mono-
coccum. On croit que l'Epeautre était le Semen (grain par excel-
lence) et le Far, de Pline, dont il dit que les Latins se sont
nourris pendant 360 ans, avant de savoir confectionner du
pain ®. Comme l'Epeautre n'a pas été trouvé chez les lacustres
de Suisse ou d'Italie, et que les premiers cultivaient des formes
voisines, appelées T7\ dicoccum et TV. monococcum ', il est
possible que le Far des Latins fut plutôt une de celle-ci.
L'existence du véritable Epeautre dans l'ancienne Egypte et
dans les pays voisins me paraît encore plus douteuse. uOlyra
des Egyptiens, dont parle Hérodote, n'était pas VOlyra des Grecs.
Quelques auteurs ont supposé que c'était le riz, Oryza ®. Quant
à l'Epeautre, c'est une plante qu'on ne cultive pas dans des pays
aussi chauds. Les modernes, depuis Rauwolf jusqu'à nos jours,
1. Voir les planches de Metzger et de Host, dans les ouvrages cités tout
à l'heure.
2. Essai d'un catalogue méthodique des froments^ Paris. 1850.
3. Seringe, Monographie des céréales de la Suisse^ in-8o, Berne, 1818.
4. Fraas, Synopsis Û, class.^ p. 307; Lenz, Botanik d. Alten^ p. 257.
5. Dioscorides, Mat, med.y 2, 111-115.
6. Pline, Hist,, 1. 18, c 7; Targioni, Cenni storici, p. 6.
7. Heer, /. c, p. 6; Unger, Pflanzen d, alten JEgypt.^ p. 32.
8. Delile, Plantes cultivées en Egypte, p. 5. \
292 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
ne Font pas vue dans les cultures d'Egypte *. On ne Ta pas
trouvée dans les monuments égyptiens. C'est ce qui m'avait fait
supposer ^ que le mot hébreu Kussemeth, qui se trouve trois
fois dans la Bible ^, ne devrait pas s'appliquer à l'Epeautre, con-
trairement à l'opinion des hébraïsants *, J'avais présumé que
c'était peut-être la forme voisine appelée TV. monococcum^ mais
celle-ci n'est pas non plus cultivée en Egypte.
L'Epeautre n'a pas de nom en sanscrit ni même dans les lan-
gues modernes de l'Inde et en persan ^, à plus forte raison en chi-
nois. Les noms européens, au contraire, sont nombreux et témoi-
gnent d'une ancienne culture, surtout dans l'Europe orientale :
Spelta en ancien saxon, d'où Epeautre; Dinkel en allemand
moderne; Orkisz en polonais, jPoô/a en russe® sont des noms qui
paraissent venir de racines bien différentes. Dans le midi de
l'Europe, les noms sont plus rares. Il faut citer cependant un
nom espagnol, des Asturies, Escandia ', mais je ne connais pas
de nom basque.
Les probabihtés historiques et surtout linguistiques sont en
faveur d'une origine de l'Europe orientale tempérée et d'une
partie voisine de l'Asie. Voyons si la plante a été découverte à
l'état spontané.
Olivier, dans un passage déjà cité ®, dit l'avoir trouvée plu-
sieurs fois en Mésopotamie, en particulier sur la rive droite de
l'Euphrate, au nord d'Anah, dans une localité impropre à la
culture. Un autre botaniste, André Michaux, l'avait vue, en 1783,
près de Hamadan, ville de la région tempérée de Perse. D'après
Dureau de La Malle, il en avait envoyé des graines à Bosc, qui les
ayant semées à Paris en avait obtenu l'Epeautre ordinaire;
mais ceci me paraît douteux, car Lamarck en 1786 ® et Bosc lui-
même, dans le Dictionnaire d'agriculture^ article Epeautre, pu-
blié en 1809, n'en disent pas un mot. Les herbiers du Muséum,
à Paris, ne contiennent aucun échantillon des céréales dont
parle Olivier.
par la culture, du froment ordinaire, ou serait sorti d'une
1. Reynier, Econ, des Eayptiens^ p. 337; Bureau de La Malle, Ann, se.
nat., 9, p. 72; Schweinfurtn et Ascherson, /. c. Le Tr Spelta de Forskal
n^est admis par aucun auteur subséquent.
2. Géogr. oot. raisonnée^ p. 933.
3. Exode, IX, 32; Esaie, XXVIII, 25; Ezéchiel, IV, 9.
4. Rosenmûller, Bibl. Alterlhumskunde, 4, p. 83; Second, trad. de V An-
cien Test,, 1874.
5. Ad. Pictet,-le5 origines indo-européennes y éd. 2, voL i, p. 348.
6. Ad. Pictet, /. c. ; Nemmich, Lexicon,
7. Willkomm et Lange, Prodr. fl. hi^tp., 1, p. 107.
8. Olivier, Voyage, 1807, voL 3, p. 460.
9. Lamarck, Dict» enqjcL^ 2, p. 560.
LOCULAR 293
forme intermédiaire, à une époque préhistorique pas très an-
cienne. Les expériences de M. H. Vilmorin * viennent à l'appui,
car les croisements de TEpeautre par le Blé blanc velu et vice
versa ont donné des « métis, dont la fertilité est complète, avec
mélange des caractères des deux parents, ceux de PEpeautre
ayant cependant quelque prépondérance '.
II. Amidonier. — Triticum dlcoccum^ Schrank. — Triticum
amyleum, Seringe.
Cette forme {Emmer ou ^mer, des Allemands), cultivée sur-
tout en Suisse pour l'amidon, supporte bien les hivers rigou-
reux. Elle contient deux graines dans chaque épillet, comme le
véritable Epeautre.
M. Heer * rapporte à une variété du TV. dicoccum un épi
trouvé, en mauvais état, dans la station lacustre de Wangen,
en Suisse. M. Messikommer en a trouvé depuis à Robenhausen.
On ne l'a jamais vu spontané. La rareté de noms vulgaires est
frappante. Ces deux circonstances, et le peu de valeur des carac-
tères botaniques propres à le distinguer du TV. Spelta, doivent
le faire considérer comme une ancienne race cultivée de celui-ci.
III. Locular, Engrain. — Triticum rnonococcum^ Linné.
Le Locular^ Engrain commun ou Petit Epeautre^ Einkom des
Allemands, se distingue des précédents par une seule graine
dans Tépillet et par d'autres caractères, qui le font considérer
par la majorité des botanistes comme une espèce véritablement
distincte. Les expériences de M. H. Vilmorin appuient jusqu'à
présent cette opinion, car il n'est pas parvenu à croiser le Triti-
cum nionococcum avec les autres Epeautres ou froments. Cela
peut tenir, comme il le remarque lui-même, à quelque détail
dans la manière d'opérer. Il se propose de renouveler les tenta-
tives, et réussira peut-être. En attendant, voyons si cette forme
d'Epeautre est d'ancienne culture et si on Ta trouvée quelque
part dans un état spontané.
Le Locular s'accommode des sols les plus mauvais et les plus
rocailleux. Il est peu productif, mais donne d'excellents gruaux.
On le sème surtout dans les pays de montagnes, en Espagne,
en France et dans l'Europe orientale, mais je ne le vois pas
mentionné en Barbarie, en Egypte, dans l'Orient, ou dans l'Inde
et en Chine.
On a cru le reconnaître, d'après quelques mots, dans le Tiphai
de Théophraste '. Dioscoride * est plus facile à invoquer, car il
distingue deux sortes de Zeia^ l'une ayant deux graines, l'autre
i. H. Vilmorin, BulL de la Soc. bot. de France, 1881, p. 858.
2. Heer, Pflanzen d. Pfahlbauten, fig., p. 5, fig. 23, et p. 15.
3. Fraas, Si/nopsis fl. class.y p. 307.
4. Dioscondes, Mat. med., 2, c. III, 155.
294 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
une seule. Celle-ci serait le Locular, Rien ne prouve qu'il fût ha-
bituellement cultivé chez les Grecs et les Latins. Leurs descen-
dants ne remploient pas aujourd'hui *.
Il n'a pas de nom sanscrit, ni même persan ou arabe. J'ai
émis jadis l'hypothèse que le Kussemeth des Hébreux pourrait
se rapporter à cette plante, mais cela me parait maintenant
difficile à soutenir.
Marschall Bieberstein ^ avait indiqué le TV. monococcum spon-
tané, au moins sous une forme particulière, en Grimée et dans
le Gaucase oriental. Aucun botaniste n'a confirmé cette asser-
tion. Steven ^, qui vivait en Grimée, déclare qu'il n'a jamais vu
l'espèce autrement que cultivée par les Tartares. D'un autre côté,
la plante que M. Balansa a récoltée, dans un état spontané,
près du mont Sipyle, en Anatolie,est le TV. monococcum , d'après
J. Gay *, lequel assimile à cette forme le Triticum bxoticum^
Boissier, spontané dans la plainne de Béotie ^ et en Servie ®.
En admettant ces faits, le Triticum monococcum serait origi-
naire de Servie, Grèce et Asie Mineure, et, comme on n'est pas
parvenu à le croiser avec les autres Epeautres ou les froments,
on a raison de l'appeler une espèce, dans le sens linnéen.
Quant à la séparation des froments à grains libres et des Epeau-
tres, elle serait antérieure aux données historiques et peut-être
aux commencements de toute agriculture. Les froments se
sei:?iient montrés les premiers, en Asie ; les Epeautres ensuite,
plutôt dans l'Europe orientale et l'Anatolie. Enfin, parmi les
Epeautres, le TV. monococcum serait la forme la plus ancienne,
dont les autres se seraient éloignées, à la suite de plusieurs
milliers d'années de culture et de sélection.
OiPge à deux rangrs. — Hordeum distichon^ Linné.
Les Orges sont au nombre des plus anciennes plantes cultivées.
Gomme elles ont à peu près la même manière de vivre et les
mêmes emplois, il ne faut pas s'attendre à trouver chez les au-
teurs de l'antiquité et dans les langues vulgaires la précision
qui permet de reconnaître les espèces admises par les botanistes.
Dans beaucoup de cas, le nom Orge a été pris dans un sens vague
1. Heidreich, Nutzpflanzen d. Grichenlands ,
2. M. BiebersteÎD, Flora tauro-caucasica, vol. 1, p. 85.
3. Steven, Verzeichniss taur. Halbinseln Pflanzen, p. 354.
4. Bull. Soc, boL de France^ 1860, p. 30.
5. Boissier, Diagnoseè^ sériel, vol. 2, fasc. 13, p. 69.
6. Balansa, 1854, n. 137, dans ÏHei^ôier Boissier^ où Ton voit aussi un
échantillon trouvé dans les champs en Servie et une variété à barbes
brunes envoyée par M. Pancic, croissant dans les prés de Servie. Le même
botaniste de Belgrade vient de m 'envoyer des écnantillons spontanés de
Servie que ie ne saurais distinguer du Tr. monococcum. II me certifie
qu'on ne cultive pas celui-ci en Servie. M. Bentham m'écrit que le Tr.
bœoticum, dont il a vu plusieurs échantillons d'Asie Mineure, est, selon lui,
la monococcum.
ORGE A DEUX RANGS 295
OU générique. C'est une difficulté dont nous devons tenir compte.
Par exemple, les expressions de l'Ancien Testament, de Bérose,
de Moïse de Ghorène, Pausanias, Marco Polo, et plus récemment
d'Olivier, qui indiquent « Torge spontanée ou cultivée » dans tel
ou tel pays, ne prouvent rien, parce qu'on ne sait pas de quelle
espèce il s'agit. Même obscurité pour la Chine. Le D"^ Bret-
schneider * dit que, d'après un ouvrage publié en l'an 100 de
notre ère, les Chinois cultivaient une « Orge », mais il n^expli-
que pas laquelle. A l'extrémité occidentale de l'ancien monde
les Guanches cultivaient aussi de l'Orge dont on connaît le nom,
pas l'espèce.
L'Orge à deux rangs, sous sa forme ordinaire dans laquelle
les grains sont couverts à maturité, a été trouvée sauvage dans
l'Asie occidentale, savoir : dans l'Arabie Pétrée ^, autour du
mont Sinaï ^, sur les ruines de Persépolis *, près de la mer Cas-
pienne ^, entre Lenkoran et Baku, dans le désert de Chirvan et
Awhasie, également au midi du Caucase ^ et en Turcomanie '^.
Aucun auteur ne l'indique en Crimée, en Grèce, en Egypte ou
à l'orient de la Perse. Willdenow ® l'indique à Samara, dans le
sud-est de la Russie; ce que les auteurs plus récents ne confir-
ment pas. La patrie actuelle est donc de la mer Rouge au Cau-
case et à la mer Caspienne.
D'après cela l'Orge à deux rangs devait être une des formes
cultivées par les peuples sémitiques et touraniens. Cependant on
ne Ta pas trouvée dans les monuments d'Egypte. Il semble que
les Aryas ont dû la connaître, mais je n'en vois pas de preuve
dans les noms vulgaires ou dans l'histoire.
Théophraste ^ parle de l'Orge à deux rangs. Les lacustres de
la Suisse orientale la cultivaient avant de posséder des métaux *^ ;
mais l'Orge à six rangs était plus commune chez eux.
La race dans laquelle le grain est nu à maturité {H. distichon
nudurrij Linné), qu'on appelle en français de toutes sortes de
noms absurdes, Orge à café, 0. du Pérou, etc., n'a jamais été
trouvée sauvage.
VOrge en éventail {Hordeum Zeocriton^ Linné) me paraît une
forme cultivée de l'Orge à deux rangs. On ne la connaît pas à l'état
1. Bretschneider, On the study, etc.j p. 8.
2. Herbier Boissier, échantillon bien déterminé, par Reuter.
3. Figari et de Notaris, Agrostologiss xgypt. fragm., p. 18.
4. Plante très maigre, recueillie car Kotschy, n» 290, dont je possède un
échantillon. M. Boissier l'a déterminée comme if. distichon, varietas,
5. G. -A. Meyer, Verzeichniss, p. 26, d'après des échantillons vus aussi
par Ledebour, FI. ross., 4, p. 327.
6. Ledebour, L c.
7. Re^el, Descr. plant, nov., 1881, fasc. 8, p. 37.
8. Willdenow, Sp. plant. , 1, p. 473.
9. Theophrastes, Htst. plant, j I. 8, c. 4.
10. Heer, Pflanzen der PfahlbaïUen, p. 13; Messicommer, Flora bot. Zei-
iung, 1869, p. 320.
296 ' PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
spontané. Elle n'a pas été trouvée dans les monuments égyp-
tiens, ni dans les débris lacustres de Suisse, Savoie et Italie.
Orge commune. — Hordeum vulgare, Linné.
L'Orge commune, à quatre rangs, est mentionnée par Théo-
phraste *, mais il parait que dans l'antiquité on la cultivait
moins que celles à deux et surtout à six rangs.
Elle n'a pas été trouvée dans les monuments égyptiens, ni-
dans les débris des lacustres de Suisse, Savoie et Italie.
Willdenow ^ dit qu'elle croît en Sicile et dans le sud-est de la
Russie, à Samara; mais les flores modernes de ces pays ne le
confirment nullement. On ne sait pas quelle Orge Olivier avait
vue sauvage en Mésopotamie ; par conséquent, V Hordeum vul-
gare n'a pas encore été trouvé à l'état spontané, d'une manière
certaine.
La multitude des noms vulgaires qu'on lui attribue ne signifie
rien comme indication d'origine, car il est impossible de savoir
dans la plupart des cas si ce sont des noms de l'Orge, en général,
ou d'une Orge en particulier cultivée dans tel ou tel pays.
Orge à six rangs. Escourgeon. — Hordeum hexastichouy
Linné,
C'était l'espèce le plus souvent cultivée dans l'antiquité. Non
seulement les Grecs en ont parlé, mais encore elle a été trouvée
dans les monuments les plus anciens de l'Egypte ^ et dans les
restes des lacustres de Suisse (âge de pierre), de Savoie et d'Italie
(âge de bronze) *. M. Heer a même distingué deux variétés dans
l'espèce cultivée jadis en Suisse. L'une d'elles répond à l'orge à
six rangs figurée sur les médailles de Métaponte, ville de l'Italie
méridionale, six siècles avant J.-G.
D'après Roxburgh ^, c'était la seule Orge cultivée dans l'Inde
à la fin du siècle dernier. Il lui attribue le nom sanscrit Yuva^
devenu en bengali Juba, Adolphe Pictet ^ a étudié avec soin les
noms sanscrits et des langues indo-européennes qui répondent
au mot générique Orge, mais il n'a pas pu suivre dans les dé-
tails ce qui concerne chacune des espèces.
L'Orge a six rangs n'a pas été vue dans les conditions d'une
plante sponfenée dont un botaniste aurait constaté l'espèce. Je^
ne l'ai pas trouvée dans l'herbier de M. Boissier, si riche en
1 Théophraste, Hist.^ L 8, c. 4.
2. Willdenow, Species plant., 1, p. 472.
3. TJnger, Pflanzen des alten MgyptenSy p. 33; Ein Ziegel der Dashur
Pyramide, p. 109.
4. Heer, Pflanzen der Pfahlbauten, p. 5, fig. 2 et 3; p. 13, fig. 9; Flora
bot.Zeitung, 1869, p. 320; ae Mortillet, d'après Perririj Etudes préhistoriques
sur la Savoie, p. 23 ; Sordelli, Suite piante delta torbtera di Lagozza, p. 33..
5. Roxburgh, F t. ind., éd. 1832, v. 1, p. 358.
6. Ad. Pictet, Origines indo-européennes y éd. 2, vol. 1, p. 333.
SEIGLE 297
plantes d'Orient. Il est possible que les Orges sauvages men-
tionnées par d'anciens auteurs et par Olivier aient été VHordeum
hexastichon, mais on n'en a aucune preuve.
Sur les Orges en général»
Nous venons de voir que la seule forme trouvée aujourd'hui
spontanée est la plus simple, la moins productive, VHordeum
distickon^ dont la culture est préhistorique, comme celle de
r^. hexastichon . Peut-être VH, vulgare est-il moins ancien de
culture que les deux autres?
On peut tirer de ces données deux hypothèses : 1° Une déri-
vation des Orges à quatre et à six rangs de celle à deux rangs,
dérivation qui remonterait aux cultures préhistoriques, anté-
rieures à celles des anciens Egyptiens constructeurs des monu-
ments. 2® Les Orges à quatre et à six rangs seraient des espèces
jadis spontanées, éteintes depuis Tépoque historique. Il serait
singulier; dans ce cas, qu'il n'en restât aucune trace dans les
flores de la vaste région comprise entre l'Inde, la mer Noire
et l'Abyssinie, où Ton est à peu près assuré de la culture, au
moins de l'Orge à six rangs.
Seigle. — Secale céréale^ Linné.
Le Seigle n'est pas d'une culture très ancienne, si ce n'est
peut-être en Russie et en Thrace.
On ne l'a pas trouvé dans les monuments égyptiens, et il n'a
pas de noms dans les langues sémitiques, même modernes. Il
en est de même en sanscrit et dans les langues indiennes qui
dérivent du sanscrit. Ces faits concordent avec la circonstance
que le Seigle réussit mieux dans les pays septentrionaux que
dans ceux du Midi, où généralement, à notre époque, il n'est
pas cultivé. Le D"^ Bretschneider * pense qu'il est inconnu aux
agriculteurs chinois. Il doute de l'assertion contraire d'un au-
teur moderne et fait remarquer qu'une céréale mentionnée
dans les mémoires de l'empereur Kanghi, qu'on peut soupçonner
être cette espèce, signifie d'après son nom Blé apporté de Russie.
Or le Seigle, dit-il, est cultivé beaucoup en Sibérie. Il n'en est
pas question dans les flores japonaises.
Les anciens Grecs ne le connaissaient pas. Le premier auteur
qui l'ait mentionné dans l'empire romain est Pline 2, qui parle
du Secale^ cultivé à Turin, au pied des Alpes, sous le nom de
Asia, Galien % né en 131 de notre ère, l'avait vu cultivé, en
Thrace et en Macédoine, sous le nom de Briza, Ces cultures
paraissent peu anciennes, du moins en Italie, car on n'a pas
1. Bretschneider, Onstudy, etc. y p. 18, 44.
2. Pline, Hist., 1. 18, c. 16.
3. Galenus, De alimentis, 1, 13, cité d'après Lenz, Bot. d. Aliène p. 259.
298 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
trouvé de Seigle dans les débris des habitations lacustres du nord
de ce pays, de Savoie et de Suisse, même à l'époque du bronze.
M. Jetteles en a recueilli, près d'Olmutz, avec des instruments
de ce métal, et M. Heer *, qui a vu les échantillons, en men-
tionne d'autres, de l'époque romaine, en Suisse.
A défaut de preuves archéologiques, les langues européennes
montrent une ancienne connaissance du Seigle dans les pays
germains, celtes et slaves. Le nom principal, selon Adolphe
Pictet *, appartient aux peuples du nord de TEurope : anglo-
saxon Ryge, Rig^ Scandinave Rûgr^ ancien allemand Jîo^gfo, an-
cien slave Rujt^ Roji, polonais Rez, illyrien Raz^ etc. L'origine
de ce nom, dit-il, doit remonter à une époque antérieure à la
séparation des Germains et des Lithuano-Slaves. Le mot Secale
des Latins se trouve sous une forme presque semblable chez
les Bretons, Segal, et les Basques, Ceketa, Zekhalea; mais on ne
sait pas si les Latins l'ont emprunté aux Gaulois et Ibères ou si
inversement ces derniers ont reçu le nom des Romains. Cette
seconde hypothèse parait probable, puisque les Gaulois cisalpins
du temps de Pline se servaient d'un nom tout différent. Je vois
aussi mentionnés un nom tartare, Aresch ^, et un nom ossète,
Syl^ SU *, qui font présumer une ancienne culture à l'orient de
l'Europe.
Ainsi les données historiques et linguistiques montrent une
origine probable des pays au nord du Danube, et une culture
qui remonte à peine au delà de l'ère chrétienne pour l'empire
romain, mais plus ancienne peut-être en Russie et en Tartarie.
L'indication du Seigle spontané telle que la donnent plusieurs
auteurs ne doit presque jamais être admise, car il est arrivé
souvent qu'on a confondu avec le Secale céréale des espèces
vivaces ou dont l'épi se brise facilement, que les botanistes mo-
dernes ont distinguées avec raison ^. Beaucoup d'erreurs qui en
provenaient ont été éliminées sur l'examen des échantillons
originaux. D'autres peuvent être soupçonnées. Ainsi je ne sais
ce qu'il faut penser des assertions de L. Ross, qui disait avoir
trouvé le Seigle sauvage dans plusieurs localités de l'Anatolie *,
et du voyageur russe, Ssaewerzoff, qui l'aurait vu dans le Tur-
kestan \ Ce dernier fait est assez probable, mais on ne dit pas
qu'un botaniste ait vérifié la plante. Kunth ^ avait déjà indiqué
1. Heer, Die Pflanzen der Ffahlbauten, p. 16.
2. Ad. Pictet, Origines indo-européennes, éd. 2, vol. 1, p. 344.
3. Nemnich, Lexicon Naturgesch,
4. Pictet, /. c.
5. Secale fragile, Bieberstein; S. anatolicum, Boissier; S. montanum,
Gussone; S. viUosiim, Unné. J'ai expliqué dans la Géographie botanique,
p. 936, les erreurs qui résultaient de cette confusion, lorsqu*on disait le
Seigle spontané en Sicile, en Crète et quelquefois en Russie.
6. Flora, bot. Zeitung, 1850, p. 520.
7. Flora, bot, Zeitung, 1869, p. 93.
S. Kunth, Enum., 1, p. 449.
AVOINE ORDINAIRE ET AVOINE D'ORIENT 299
« le désert entre la mer Noire et la mer Caspienne », sans dire
d'après quel voyageur ou quels échantillons. L herbier de M. Bois-
sier ne m'a révélé aucun Secale céréale spontané, mais il m'a
donné la persuasion qu'un voyageur doit facilement prendre
une autre espèce de Seigle pour celle-ci et que les assertions
doivent être vérifiées soigneusement.
A défaut de preuves suffisantes pour des pieds spontanés j'ai
fait valoir autrefois, dans ma Géographie botanique raisonnée,
un argument de quelque valeuir. Le Secale céréale se sème hors
des cultures et devient presque spontané dans les pays de l'em-
pire d'Autriche *, ce qu'on ne voit guère ailleurs '. Ainsi dans la
partie orientale de l'Europe, où l'histoire indique une culture
ancienne, le Seigle trouve aujourd'hui les conditions les plus favo-
rables pour vivre sans le secours de l'homme. On ne peut guère
douter, d'après cet ensemble de faits, qu'il ne soit originaire de
la région comprise entres les Alpes d'Autriche et le nord de la
mer Caspienne. C'est d'autant plus probable que les cinq ou six
autres espèces connues du genre Secale habitent l'Asie occiden-
tale tempérée ou le sud-est de l'Europe.
En admettant cette origine, les peuples aryens n'auraient pas
connu l'espèce, comme la linguistique le montre déjà; mais
dans leurs migrations vers l'ouest ils ont dû la renconlref ayant
des noms divers, qu'ils auraient transportés çà et là.
Avoine ordinaire et Avoine d'Orient. — Avena sativa,
Linné, et Avena orientalis, Schreber.
L'Avoine n'était pas cultivée chea^ les anciens Egyptiens et
les Hébreux, mais aujourd'hui on la sème en Egypte '. Elle
h'a pas de nom sanscrit, ni même dans les langues modernes
de 1 Inde. Ce sont les Anglais qui la sèment quelquefois dans
ee pays, pour en nourrir leurs chevaux *. La plus ancienne men-
tion de l'Avoine en Chine est dans un ouvrage historique sur
les années 618 à 907 de l'ère chrétienne; elle s'applique à la
variété appelée par les botanistes Avena sativa nuaa ^, Les an-
ciens Grecs connaissaient bien le genre Avoine, qu'ils appe-
laient Bromos ^, comme les Latins l'appelaient Avena; mais ces
noms s'appliquaient ordinairement aux espèces qu'on ne cultive
pas et qui sont de mauvaises herbes mélangées avec les céréales.
Rien ne prouve qu'ils aient cultivé l'Avoine ordinaire. La re-
1. Sadler, FI. pesth., 1, p. 80; Host, FL austr., i, p. 177; Baumgarten,
FI. transylv.^ 3, p. 225 ; Neilreich, FL VTieWjp. 58 ; Visiani, FL dalmat., 1, p. 97 ;
Farkas, FL croatica, p. 1288.
2. M. Strobi l'a vu cependant autour de l'Etna, dans les bois, par
«uite de l'introduction dans la culture au xvm® siècle. {Œster. àot, zeit.
1881, p. 159.)
3. Schweinfurth et Ascherson, Beitràge zur Flora jrEthiopiens, p. 298.
4. Royle, ///., p. 419.
5. Bretschneider, On sttcdy, etc., p. 18, 44.
6. Fraas, Synopsis fl, class., p. 303; Lenz, Botanik der Alten, p. 243.
300 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
marque de Pline ^ que les Germains se nourrissaient de farine
tirée de cette plante fait comprendre que les Romains ne la
cultivaient pas.
La culture de l'Avoine était donc pratiquée anciennement au
nord de l'Italie et de la Grèce. Elle s'est propagée plus tard, et
partiellement dans le midi de l'empire romain. Il est possible
qu'elle fût plus ancienne dans l'Asie Mineure , car Galien * dit
que TAvoine abondait en Mysie, au-dessus de Pergame ; qu'on
la donnait aux chevaux et que les hommes s'en nourrissaient
dans les années de disette. L'Asie Mineure avait reçu jadis une
colonie gauloise.
On a trouvé de l'Avoine dans les restes des habitations
lacustres suisses de l'époque du bronze ^, et en Allemagne, près
de Wittenberg, dans plusieurs tombeaux des premiers siècles de
l'ère chrétienne ou un peu plus anciens *. Jusqu'à présent, les
lacustres du nord de l'Italie n'en ont pas présenté, ce qui con-
firme l'absence de culture de l'espèce dans le temps de la répu-
blique romaine.
Les noms prouvent encore une ancienne existence au nord et
à l'ouest des Alpes et sur les confins de l'Europe, vers le Caucase
et la Tartarie. Le plus répandu de ces noms est indiqué par le
latin Avenu, l'ancien slave Ovisu, Ovesu^ Ovsa, le russe Ovesu, le
lithuanien Awiza^ le letton Ausas, l'ostiaque Abis *. L'anglais
Oats vient, d'après Ad. Pictet, de l'anglo-saxon Ata ou Ate, Le
nom basque ôlèa ou Oloa ® fait présumer une culture très
ancienne par les Ibères.
Les noms celtiques diffèrent des autres ' : irlandais, Coirce^
Cuî'rce, Corca; armoricain Kerch, Les noms tartare Sulu^ géor-
gien Kari, hongrois Zab, croate Zob^ esthonien Kaer et autres
sont indiqués par Nemnich * comme s'appliquant au mot géné-
rique Avoine, mais il n'est pas probable qu'il y eût des noms
aussi variés s'il ne s'agissait pas d'une espèce cultivée. Gomme
singularité, je note un nom berbère Zekkoum ^, quoique rien ne
puisse faire présumer une ancienne culture en Afrique.
Tout ce qui précède montre combien était fausse l'opinion que
l'Avoine est originaire de Tile de Juan Fernandez, opinion qui
régnait dans le siècle dernier *^ et qui parait venir d'une asser-
tion du navigateur Anson **. Ce n'est pas dans l'hémisphère
1. Pline, HisL,\. 18, c. 17.
2. Galenus, De alimentis, 1. c. 12.
3. Heer, Pflanzen der Pfahlbauten, p. 6, fig. 24.
4. Lenz, /. c, p. 245.
5. Ad. Pictet, Les oriçines indo-européennes y éd. 2, vol. 1, p. 350.
6. Notes communiquées par M. Clos.
7. Ad. Pictet, /. c.
8. Nemnich, Polyglott, Lexicon Naturgesch., p. 548.
9. Dict. français 'berbère^ publié par le gouvernement français.
10. Linné, Species, p. 118; Lamarck, Dict. enc, l,p.431.
11. Phillips, Cuit, veget.j 2, p. 4.
AVOINE ORDINAIRE ET AVOINE D'ORIENT 301
austral qu'ils faut chercher la patrie de l'espèce, mais évidem-
ment dans les pays de Thémisphère boréal où on l'a cultivée
anciennement. Voyons si elle s'y trouve encore dans un état
spontané.
L'Avoine se sème dans les décombres, au bord des chemins
et près des endroits cultivés, plus facilement que les autres
céréales, et se maintient quelquefois de manière à sembler spon-
tanée. Cette remarque a été faite dans des localités très éloi-
gnées, comme l'Algérie et le Japon, Paris et le nord de la Chine *.
Ce genre de faits doit nous rendre sceptiques sur l'Avoine que
Bové dit avoir trouvée dans le désert du mont Sinaï. On a pré-
tendu aussi ' que le voyageur Olivier avait vu l'Avoine sauvage
en Perse, mais il n'en parle pas dans son ouvrage. D'ailleurs
plusieurs espèces annuelles qui ressemblent beaucoup à l'Avoine
ordinaire peuvent tromper un voyageur. Je ne puis découvrir ni
dans les livres ni dans les herbiers l'existence de pieds vraiment
spontanés, soit en Asie, soit en Europe, et M. Bentham m'a
certifié qu'il n'y en a pas dans les riches herbiers de Kew; mais
certainement, comme pour les formes dont je parlerai tout à
l'heure, la condition quasi spontanée ou quasi naturalisée est
plus fréquente dans les Etats autrichiens, de Dalmatie en Tran-
sylvanie ^, que nulle part ailleurs. C'est une indication de
l'origine, à ajouter aux probabilités historiques et linguistiques
en faveur de l'Europe orientale tempérée.
li'Avena strigosa^ Schreber, parait une forme de l'Avoine
ordinaire, d'après des expériences de culture dont parle M. Ben-
tham, en ajoutant, il est vrai, qu'elles méritent confirmation *.
On peut voir une bonne figure ae cette plante dans Host, Icônes
Graminum austriacorum^ 2, pi. 56, qui est intéressante à comparer
avec la pi. 59 de VA, sativa. Du reste, VAvena strigosa n'a pas
été trouvée à Tétat spontané. Elle est en Europe dans les champs
abandonnés, ce qui appuie l'hypothèse d'une forme dérivée, par
suite de la culture.
UAvena orientaliSy Schreber, dont les épillets penchent d'un
seul côté, est aussi cultivée en Europe depuis la fin du xviii® siècle.
On ne la connaît pas à l'état spontané. Mélangée souvent avec
l'Avoine ordinaire, elle se distingue au premier coup d'œil. Les
noms qu'elle porte en Allemagne, Avoine de Turquie ou de
Hongrie, montrent une introduction moderne venant de l'est. Host
en a donné une excellente figure [Gram, austr,, 1, pi. 44).
1. Munby, CataL Alger, ^ éd. 2, p. 36; Franchet et Savatier. Enum, plant,
Jap,^ 2, p. 175 ; Gosson; FI, Paris^ 2. p. 637; Bunge, Enum, chin., p. 71, pour
la variété nuda,
2. Lamarck, Dict, enq/cl,, 1, p. 331.
3. Visiani, FI, dalmat., 1, p. 69; Host, FI, austr.^ 1, p. 133; Neilreich,
FI, Wien., p. 85; Baiimgarten, Ènum, Transylv,, 3, p. 259; Farkas^F/. croatica,
p. 1277.
4. Bentham, Handbook ofbritish flora, éd. 4, p. 544.
302 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Toutes ces Avoines étant cultivées sans qu'on ait découvert ni
les unes ni les autres à l'état vraiment spontané, il est bien pro-
bable qu'elles proviennent d'une seule forme préhistorique, aont
la patrie était l'Europe tempérée orientale et la Tartarie.
Millet commun. — Panicum mïliaceum^ Linné.
La culture de cette Graminée est préhistorique dans le midi
de l'Europe, en Egypte et en Asie. Les Grecs en ont parlé sous
le nom de Kegchros et les Latins sous celui de Milium *. Les
lacustres suisses, à l'époque de la pierre, faisaient grand usage
du Millet ^. On Ta trouvé aussi dans les restea des palafittes du
lac de Varèse en Italie ^. Comme on ne retrouve pas ailleurs des
échantillons de ces anciens temps, il est impossible de savoir ouei
était le Panicum ou le Sorghum mentionné parlas auteurs latms,
dont les habitants de la Gaule, de la Pannônie et autres pays se
nourrissaient.
• Unger * compte le P, miliaceum parmi les espèces de l'an-
cienne Egypte, mais il ne paraît pas qu'il en eût des preuves
positives , car il n'a indiqué ni monument ou dessin ni graine
trouvée dans les tombeaux. On n'a pas non plus de preuves ma-
térielles d'ancienne culture en Mésopotamie, dans llnde et en
Chine. Pour ce dernier pays, la question s'est élevée de savoir si
le Shuy une des cinq céréales que les empereurs sèment en grande
cérémonie chaque année, est le Panicum miliaceum, une espèce voi-
sine, ou le Sorgho ; mais il paraît que le sens du mot Shu a varié,
et que jadis on semait peut-être le Sorgho ^.
Les botanistes anglo-indiens ® attribuent à l'espèce actuelle deux
noms sanscrits, Unoo (prononcez Ounou) et Vreehib-heda (pro-
noncez Vrikib'keda), quoique le nom moaerne hindou et bengali
et le nom telinga Worga soient tout autrçs, Cheena (prononcez
China] . Si les noms sanscrits sont réels, ils indiquent une ancienne
culture dans l'Inde. On ne connaît pas de nom hébreu ni berbère ' ;
mais il y a des noms arabes, Doknn^ usité en Egypte, et Kosjaejô
en Arabie ^ Les noms européens sont variés. Outre les deux noms
grec et latin, il y a un nom vieux slave, Proso ®, conservé en Russie
et en Pologne, un nom vieux allemand, Hirsi, et un nom lithua-
nien, Sora *°. L'absence de noms celtiques est remarquable. Il
1. Les passages de Théophraste, Gaton et autres sont traduits dans
Lenz, Botanik aei^ Alteriy p. 232.
2. Heer, Pflanzen der Pfahlbaulen, p. 17.
3. Regazzoni, Riv, arch.prov. di Como, 1880, fasc. 7.
4. Unger, Pflanzen des alien jEgyptens,^, 34.
5. Bretschneider, Study and value of chinese bot, v)orks, p. 7, 8, 45.
6. Roxburgh, FI, ind.,ed. 1832, p. 310; Piddington, Index,
7. RosenmûUer, biôl. AUerth.; Dictionn. français-berbère.
8. Delile, FI, ssgypt,, p. 3; Forskal, Arao , av.
9. Ad. Pictet, Origines indo-européennes y éd. 2, v. 1, p. 351.
10. Ad. Pictet, /. c.
MILLET — PANIC D'ITALIE 30»
semble que Tespèce aurait été cultivée spécialement dans l'Eu-
rope orientale et se serait répandue vers l'ouest à la fin de la
domination gauloise. Voyons si elle est spontanée quelque part.
Linné * disait qu'elle habite dans l'Inde, et la plupart des au-
teurs le répètent; mais les botanistes anglo-indiens * l'indiquent
toujours comme cultivée. Elle n'est pas dans les flores du Japon.
Au nord de la Chine, M. de Bunge l'a vue seulement cultivée ^ et
M. Maximowicz près de l'Ussuri, au bord des prés et dans des locali-
tés voisines des habitations chinoises *. D'après Ledebour ^, elle est
presque spontanée dans la Sibérie altaïque et la Russie moyenne,
et spontanée au midi du Caucase et dans le pays de Talysch.
Pour cette dernière localité il cite Hohenaker. Celui-ci cependant
dit « presque spontanée » ®.En Crimée, où elle fournit le pain
des Tartares, on la trouve çà et là presque spontanée % ce qui
arrive également dans le midi de la France, en Italie et en Au-
triche ®. Elle n'est pas spontanée en Grèce ®, et personne ne l'a
trouvée en Perse, ou en Syrie. Forskal et Delile 1 ont indiquée en
Egypte; mais M. Ascherson ne l'admet pas *°, et Forskal l'in-
dique en Arabie ".
L'espèce pourrait s'être naturalisée dans ces régions, à la suite
d'une culture fréquente, depuis les anciens Egyptiens. Cependant
la qualité spontanée est si douteuse ailleurs que la probabilité
est bien pour une origine égypto-arabique.
Panic d'Italie ou Millet à grappe. — Panicum italicum^
Linné. — • Setaria italica^ Beau vois.
La culture de cette espèce a été une des plus répandues dans
les parties tempérées de l'ancien monde, à l'époque préhisto-
rique. Ses graines servaient à la nourriture de l'homme, tandis
que maintenant on les donne surtout aux oiseaux.
En Chine, c'est une des cinq plantes que l'empereur doit semer
chaque année dans une cérémonie publique, selon les ordres
donnés par Chen-nung, 2700 ans avant Jésus-Christ ". Le nom
ordinaire est S'fao-wîi (petit grain), et le nom plus ancien était Ku,,
mais celui-ci parait s'être appliqué aussi à une espèce bien dif-
1. Linné, Species plant, 1, p. 86.
2. Roxburgh, /. c; Aitchison, Punjab, p. 159.
3. Bunçe, Enumer.^ n. 400.
4. Maximowicz, PnmitÛB Amur.^ p. 330.
5. Ledebour, FI. ross., 4, p. 469.
6. Hohenacker, Plant. Talysch,^ E,* ^^'
7. Steven, Verzeichniss Halbins, Taur,, p. 371.
8. Mutel, F/, franc., k, p. 20; Parlatore, F/. HaL, 1, p. 122; Visiani^
FI. dalmat., 1, p. 60; Neilreich, FI. Nied. Œsterr., p. 32.
9. HelÔTeich,rfutzpfl. Griechenl., p. 3; Pflanzen Attisch. Ebene, p. 516.
10. M. Ascherson m avertit dans une lettre que, dans VAufzàhlung, on a
omis par erreur le mot cuit, après le Panicum miliaceum.
11. Forskal, FI. arab., p. civ.
12. Bretschneidcr, On thestudy and value ofchinese bot. works, p. 7, 8.
304 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
férente *. Pickering dit l'avoir reconnue dans deux dessins de
Tancienne Egypte ^, et qu'elle est cultivée aujourd'hui sous le
nom de Dokn^ mais c'est le nom du Panicum miliaceum. 11 est
donc très douteux que les anciens Egyptiens l'aient cultivée.
On Va trouvée dans les débris des habitations lacustres de
Suisse, dès l'époque de pierre, et à plus forte raison chez les
lacustres de l'époque subséquente en Savoie ^.
Les anciens Grecs et les Latins n'en ont pas parlé, ou du moins
on n'a pas pu le certifier d'après ce qu'ils disent de plusieurs
Panicum ou Milium. De nos jours, l'espèce est rarement cultivée
dans le midi de l'Europe ; elle ne l'est pas du tout en Grèce * par
exemple, et je ne la vois pas indiquée en Egypte, mais elle est
fréquente dans l'Asie méridionale ^.
On attribue à cette Gr aminée des noms sanscrits Kungoo (pro-
noncez Koungou) et Priyungoo {Priyoungou)^ dont le premier
•js'est conservé en bengali ®. Piddington mentionne dans son
Index plusieurs autres noms des langues indiennes. Ainslies '
indique un nom persan, Arzun^ et un nom arabe; mais celui-ci
est attribué ordinairement au Panicum miliaceum. Il n'y a pas de
'nom hébreu, et la plante n'est pas mentionnée dans les ouvrages
de botanique sur l'Egypte et TArabie. Les noms européens n'ont
aucune valeur historique. Ils ne sont pas originaux et se rap-
portent communément à la transmission de l'espèce ou à sa
culture dans tel ou tel pays. Le nom spécifique italicum en est
un exemple assez absurde, la plante n'étant guère cultivée et
point du tout spontanée en Italie.
Rumphius la dit spontanée dans les îles de la Sonde, sans être
bien affirmatif ®. Linné est parti probablement de cette base
pour exagérer et même avancer une erreur , en disant :
« Habite les Indes ^. » Elle n'est certainement pas des Indes
occidentales. Bien plus, Roxburgh assure qu'il ne l'a jamais vue
sauvage dans l'Inde. Les Graminées de la flore de sir J. Hooker
n'ont pas encore paru ; mais, par exemple, Aitchison *® indique
l'espèce comme uniquement cultivée dans le nord-ouest de
l'Inde. La plante d'Australie que Rob. Brown avait dit être celte
espèce appartient à une autre ".Au Japon, le P, italicum paraît
1. Bretschneider, /. c.,p. 9.
2. D'après Unger, /. c, p. 34.
3. Heer, Pflanzen der Pfahlbauten, p. 3, fig. 7; p. 17, fig. 28, 29; Perrin,
Etudes préhîstor. sur la Savoie, p. 22.
4. Heidreich, Nutzpftanz. Griechenlands.
5. Roxburgh, FL ind., éd. 1832, vol. 1, p. 302; Rumphius, Amboyn,, 5,
p. 202, t. 75.
6. Roxburgh, L c,
7. Ainslies, Mat. med. ind., 1, p. 226.
8. Obcurritiu Baleya, etc. (Rumph., 5, p. 202).
9. Habitat in Indiis (Linné, 5/>., 1, p. 83).
10. Aitchison, CataL of Punjabj p. 162.
11. Bentham, Flora austral,, 7, p. 493.
SORGHO COMMUN 305
être spontané, du moins sous la forme appelée germanica par
divers auteurs * et les Chinois regardent les cinq céréales de la
cérémonie annuelle comme originaires de leur pays. Cependant
MM. de Bunge, dans le nord de la Chine, et Maximowicz, dans
la région du fleuve Amur, n'ont vu l'espèce que cultivée en grand
et toujours sous la forme de la variété germanica ^. Pour la
Perse ^, la région du Caucase et l'Europe, je ne vois dans les
flores que l'indication de plante cultivée, ou cultivée et s'échap-
pant quelquefois hors des cultures dans les décombres, les bords
de chemins, les terrains sablonneux, etc. *.
L'ensemble des documents historiques, linguistiques et bota-
niques me fait croire que l'espèce existait, avant toute culture, il
y a des milliers d'années, en Chine, au Japon et dans l'archipel
indien. La culture doit s'être répandue anciennement vers l'ouest,
puisque l'on connaît des noms sanscrits, mais il ne paraît pas
qu'elle se soit propagée vers l'Arabie, la Syrie et la Grèce, et
c'est probablement par la Russie et l'Autriche qu'elle est arrivée,
de bonne heure, chez les lacustres de l'âge de pierre en Suisse.
Sorg^ho commun. — Holcus Sorghum^ Linné. — Andropogon
S or g hum ^ Bcotero. — Sorghum vulgare, Persoon.
Les botanistes ne sont pas d'accord sur la distinction de
plusieurs des espèces de Sorgho et même sur les genres à établir
dans cette division des Graminées. Un bon travail monogra-
phique serait désirable, ici comme pour les Panicées. En atten-
dant, je donnerai quelques renseignements sur les principales
espèces, à cause de leur extrême importance pour la nourriture
de l'homme, l'élève des volailles, et comme fourrages.
Prenons pour type de l'espèce le Sorgho cultivé en Europe,
tel qu'il est figuré, par Host, dans ses Gramineœ austriacde
(4, pi. 2). C'est une des plantes le plus habituellement cultivées
{)ar les Egyptiens modernes, sous le nom de Dourra^ dans
'Afrique équatoriale, l'Inde, et la Chine ^. Elle est si productive
dans les pays chauds que d'immenses populations de l'ancien
monde s'en nourrissent.
Linné et tous les auteurs, même nos contemporains, disent
u'elle est de l'Inde; mais, dans la première édition de la flore
e Roxburgh. publiée en 1820, ce savant, qu'on aurait bien fait
de consulter, affirme qu'il ne l'a pas vue autrement que cultivée.
Il fait la même remarque pour les formes voisines (bicolor^ sac-
a
1. Franchet et Savatier, Enum, Japon», 2, ç. 262.
2. Bunge, Enum., n. 399; Maximowicz, Pfimitix Amur», p. 330.
3. Buhse, Aufzàhlung, p. 232.
4. Voir Parlatore, FI. itaL, 1, p. 113; Mutel, F/./rawp., 4, p. 20, etc., etc.
5. Delile, Plantes cultivées en Egypte, p. 7; Roxbargh, FL ind,, éd. 1832,
V. 1, p. 269; Aitchisoii, CataL Punjab,^. 175; Bretschneider, On value, etc.,
p. 9.
De Candolle. 20
306 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
charatus^ etc.), qu'on regarde souvent comme de simples va-
riétés. Aitchison n'a vu aussi le Sorgho que cultivé. L'absence
de nom sanscrit rend également l'origine indienne très douteuse.
Bretschneider, de son côté, dit le Sorgho indigène en Chine,
quoique les anciens auteurs chinois, selon lui, n'en aient pas parlé.
Il est vrai qu'il cite le nom, vulgaire à Péking, de Kao-liang
(haut Millet), qui s'applique aussi à VHolcus saccharatus^ pour
lequel il convient mieux.
Le Sorgho n'a pas été trouvé dans les restes des palafîttes de
Suisse et d'Italie. Les Grecs n'en ont pas parlé. La phrase de
Pline * sur un Milium introduit de son temps de l'Inde en Italie
a fait croire qu'il s'agissait du Sorgho, mais c'était une plante
plus élevée, peut-être VHolcus saccharatus. Le Sorgho n'a pas été
trouvé en nature et d'une manière certaine dans les tombeaux
de l'ancienne Egypte. Le D' Hannerd a cru le reconnaître d'après
quelques graines écrasées que Rosellini avait rapportées de
Thèbes ^; mais le conservateur des antiquités égyptiennes du
Masée britannique, M. Birch, a déclaré plus récemment qu'on n'a
pas découvert l'espèce dans les anciens tombeaux *. Pickering
dit en avoir reconnu des feuilles, mêlées avec celles du Papyrus.
Il dit aussi en avoir vu des peintures, et Lepsius a figuré des
dessins qu'il prend, ainsi que Unger et Wilkinson, pbur le Durra
des cultures modernes *. La taille et la forme de l'épi sont bien
du Sorgho. Il est possible que cette espèce soit le Dochan, men-
tionné une fois dans l'Ancien Testament ^ comme une céréale
avec laquelle on faisait du pain. Cependant le mot arabe actuel
Dochn s applique au Sorgho sucré.
Les noms vulgaires ne m'ont rien appris, à cause de leur sens
ou parce que souvent le même nom a été appliqué à différents
Panicum et Sorghum. Je ne puis en découvrir aucun qui soit
certain dans les langues anciennes de l'Inde ou de TAsie occi-
dentale, ce qui fait présumer une introduction antérieure de peu
de siècles à l'ère chrétienne.
Aucun botaniste n'a mentionné le Durra comme spontané en
Egypte ou en Arabie. Une forme analogue est sauvage dans
l'Afrique équatoriale; mais R. Brown n'a pas pu la déterminer
exactement ^, et la flore de l'Afrique tropicale qui se publie à
Kew ne contient pas encore l'article des Graminées. Il reste donc
uniquement l'assertion du D»" Bretschneider que le Sorgho, de
grande taille, est indigène en Chine. Si c'est bien l'espèce, elle
1. Pliae, Hlst,, 1. 18, c. 7.
2. Cité par Unger, Die Pflanzen des alten Egyptens, p. 34.
3. S. Birch, dans Wilkinson, Manners and customs of ancient Eouptians,
1878, vol. 2, p. 427. '^
4. Les dessins de Lepsius sont reproduits dans Unger, /. c, et dans
Wilkinson, 1. c.
0. Ezechiel, 4, 9.
0. Brown, Bot. of Congo, p. 54.
SORGHO SUCRÉ 307
se serait répandue tardivement vers Pouest. Mais les anciens
Egyptiens la possédaient, et Ton se demande alors comment ils
l'auraient reçue de Chine sans que les peuples intermédiaires en
aient eu connaissance? Il est plus facile de comprendre Tindi-
génat dans l'Afrique équatoriale, avec transmission préhisto-
rique en Egypte, dans l'Inde et finalement en Chine, où la
culture ne parait pas très ancienne, car le premier ouvrage qui
en parle date du iv^ siècle de notre ère.
A l'appui d'une origine africaine, je citerai l'observation de
Schmidt ^ que l'espèce abonde dans l'île San Antonio de l'ar-
chipel du Gap -Vert, dans des localités rocailleuses. Il la croit
« complètement naturalisée », ce qui peut-être cache une véri-
table origine.
Sorgho sucré. — Holcus saccharatus^ Linné. — Andropogon
saccharatus, Roxburgh. — Sorghum saccharatum, Persoon.
Cette espèce, plus haute que le Sorgho ordinaire, et à pani-
cule diffuse ^, est cultivée dans les pays tropicaux pour le grain,
qui ne vaut cependant pas celui du Sorgho ordinaire, et dans
les régions moins chaudes comme fourrage, ou même pour le
sucre assez abondant que renferme la tige. Les Chinois en tirent
de l'alcool, mais non du sucre.
L^opinion des botanistes et du public la fait venir de l'Inde;
mais, d'après Roxburgh, elle est seulement cultivée dans cette
région. Il en est de même aux îles de la Sonde, où le Battari
est bien Pespèce actuelle. C'est le Kao-liang (grand Millet) des
€hinois. On ne le dit pas spontané en Chine. Il n'est pas mentionné
dans les auteurs plus anciens que l'ère chrétienne ^. D'après ces
divers témoignages et l'absence de tout nom sanscrit, l'origine
asiatique me parait une illusion.
La plante est cultivée maintenant en Egypte moins que le
Sorgho ordinaire, et en Arabie, sous le nom de Dochna ou Vochn.
Aucun botaniste ne l'a vue spontanée dans ces pays *. On n'a pas
de preuve que les anciens Egyptiens Paient cultivée. Hérodote ^
a parlé d'un Millet en arbre, des plaines d'Assyrie. Ce pourrait
être l'espèce actuelle, mais comment le prouver?
Les Grecs et les Latins n'en avaient pas connaissance, du moins
avant Pépoque de l'empire romain, mais il est possible que ce
fût le Millet, haut de sept pieds, dont Pline fait mention ^ comme
ayant été introduit de l'Inde, de son vivant.
1. Schmidt, Beitrdge zur Flora capverdischen Insein, p. 158.
2. Voir Host, Gramineœ aiLStriacœ, vol. 4, pi. 4.
3. Roxburgh, FI. ind. éd. 2, vol. 1, p. 271 ; Kumphius, Amboin., 5, p. 194,
pi. 75, fig. 1; Miqiiel, FI. indo-batava, 3, p. 503; Bretschneider, On the
value, etc., p. 9 et 46; Loureiro, FI. cochincn., 2, p. 792.
4. Forskal, Delile, Schweinfurth et Ascherson, /. c.
5. Hérodote, 1. 1, c. 193.
6. Pline, Hist., 1. 18, c. 7. Ce pourrait être aussi la variété ou espèce ap-
pelée bicolor.
308 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
Probablement il faut chercher l'origine dans l'Afrique inter-
tropicale, où l'espèce est généralement cultivée. Sir W. Hooker*
cite des échantillons des bords du fleuve Nun, qui étaient peut-
être sauvages. La publication prochaine des Graminées dans la
Flore de 1 Afrique tropicale jettera probablement du jour sur
cette question.
L'expansion de la culture de l'Afrique intérieure à l'Egypte,
depuis les Pharaons, à l'Arabie, l'archipel indien, et, après
l'époque du sanscrit, à l'Inde, enfin à la Gnine, vers le commen-
cement de notre ère, concorderait avec les indications historiques
et n*est pas difficile à admettre. L'hypothèse inverse, d'une trans-
mission de l'est à l'ouest, présente une foule d'objections.
Plusieurs autres formes de Sorgho sont cultivées en Asie et en
Afrique, par exemple le cernuus, à épis penchés, dont parle
Roxburgh et que Prosper Alpin avait vu en Egypte; le bicolor^
qui par sa taille ressemble au saccharatus; et les niger, rubenSj
qui paraissent encore plus des variétés de culture. Aucune n'a
été trouvée sauvage, et il est probable qu'un monographe les
rattacherait comme de simples dérivations aux espèces sus-men-
tionnées.
Goracan. — Eleusine Coracana^ Gœrtner.
Gette Graminée annuelle, qui ressemble aux Millets, est cul-
tivée surtout dans l'Inde et l'archipel indien. Elle l'est aussi en
Egypte * et en Abyssinie ^ ; mais le silence de beaucoup de
botanistes qui ont parlé des plantes de l'Afrique intérieure ou
occidentale fait présumer que la culture en est peu répandue
sur ce continent. Au Japon * elle s'échappe quelquefois hors
des endroits où on la cultive. Les graines mûrissent dans le
midi de l'Europe ; mais la plante y est sans mérite, excepté comme
fourrage ^.
Aucun auteur ne dit l'avoir trouvée à l'état spontané, en Asie
ou en Afrique. Roxburgh ^, le plus attentif à ces sortes de ques-
tions, après avoir parlé de sa culture, ajoute ; « Je ne l'ai
jamais vue sauvage. » Il distingue, sous le nom à' Eleusine strie ta^
une forme encore plus fréquemment cultivée dans l'Inde, qui
parait une simple variété du Coracana^ et qu'il n'a également
pas rencontrée hors des cultures.
La patrie nous sera indiquée par d'autres moyens.
Et d'abord les espèces du genre Eleusine sont plus nombreuses
dans l'Asie méridionale que dans les autres régions tropicales.
1. W. Hooker, Niger Flora.
2. Schweinfurth et Ascherson, Aufzahlunq, p. 299.
3. Bon jardinier, 1880, p. 585.
4. Franchet et Savatier, Enum, plant Japon., 2, p. 172.
5. Bon jardinier, ibid.
6. Boxburgh, Flora indica, éd. 2, vol. 1, p. 343.
RIZ 309
Outre la plante cultivée, Royle ^ mentionne d'autres espèces
dont les habitants pauvres de l'Inde recueillent les graines dans
la campagne.
D'après VIndex de Piddington, il y a un nom sanscrit, Bajika,
et plusieurs autres noms dans les langues modernes de Tlnde.
Celui de Coracana vient du nom usité à Ceylan, Kourakhan ^.
Dans Tarchipel indien, les noms paraissent moins nombreux et
moins originaux.
En Egypte, la culture de cette espèce ne peut pas être ancienne.
Les monuments de l'antiquité n'en indiquent aucune trace. Les
auteurs gréco-romains, qui connaissaient le pays, n'en ont pas
parlé, ni plus tard Prosper Alpin, Forskal, Delile. Il faut arriver
à un ouvrage tout récent, comme celui de MM. Schweinfurth et
Ascherson, pour trouver l'espèce mentionnée, etje ne puis même
découvrir un nom arabe *.
Ainsi toutes les probabilités botaniques, historiques et linguis-
tiques concourent à démontrer une origine indienne.
La flore de l'Inde anglaise, dont les Graminées n'ont pas
encore paru, nous dira peut-être si l'on a trouvé la plante spon-
tanée dans des explorations récentes.
On cultive en Abyssinie une espèce très voisine, Eleusine
Tocussa^ Fresenius *, plante fort peu connue, qui est peut-être
originaire d'Afrique.
Riz. — Oryza satïva, Linné.
Dans la cérémonie instituée par l'empereur Chin-Nong, 2800
ans avant Jésus-Christ, le Riz joue le rôle principal. C'est l'em-
pereur régnant qui doit le semer lui-même, tandis que les quatre
autres espèces sont ou peuvent être semées par les princes de sa
famille ^. Les cinq espèces sont regardées par les Chinois comme
indigènes, et il faut convenir que c'est bien probable pour le riz,
vu son emploi général et ancien, dans un pays coupé de canaux
et de rivières, si favorable aux plantes aquatiques. Les botanistes
n'ont pas assez herborisé en Chine pour qu'on sache jusqu'à
quel point le Riz s'y trouve hors des cultures ; mais Loureiro ^
1 a vu dans les marais de la Gochinchine.
Rumphius et les auteurs modernes sur l'archipel indien l'in-
diquent seulement comme cultivé. La multitude cfes noms et des
variétés fait présumer une très ancienne culture. Dans l'Inde
1. Royle, ///. Himal. plants,
2. Thwaites, Enum. plant. ZeyL, p. 371.
3. Plusieurs des synonymes et le nom arabe dans Linné, Delile, etc.,
s'appliquent au Dactyloctenium œgyptiacum, Willdenow, soit Eleusine
ssgyptiaca, de quelques auteurs, qu'on ne cultive pas.
4. Fresenius, Catal. sem, horti Franco f., 1834; Beitrage zur Flora
Abyssin,, p. 141.
5. Stanislas Julien, dans Loiseleur, Consid, sur les céréales, part. 1, p. 29 ;
Bretschneider, On the study and value of botanical chinese works, p. 8 et 9.
6. Loureiro, FI. cochinch., 1, p. 267.
310 PLANTES CULTIVÉES POUR LEURS GRAINES
britannique, elle date au moins de Tinvasion des Aryas, puisque
le Riz a des noms en sanscrit, Vrlhl, Arunya S d'où viennent
plusieurs noms des langues modernes de Tlnde, et Oruza/on
Oruzon des anciens Grecs, Bouz ou Arous des Arabes. Théo-
f^hraste ^ a parlé du Riz comme cultivé dans l'Inde. Les Grecs
'avaient connu par l'expédition d'Alexandre. « D'après Aristo-
bule, dit Strabon ^, le Riz croit dans la Bactriane, la Babylonie,
la Suside, » et il ajoute : « Nous dirons, nous, dans la basse Syrie
aussi. » Plus loin, il note que les Indiens s'en nourrissent et en
tirent une sorte de vin. Ces assertions, douteuses peut-être
pour la Bactriane, montrent une culture bien établie au moins